Titre : Le Secret de ma mère
Auteur
: Alohomora
Avertissement
: PG. (Même s'il n'y aura ni sang, ni sexe (et je sais que certains le regrettent), certains propos pourraient choquer les plus jeunes. Si vous vous y connaissez un peu en mythologie grecque, le titre de ce chapitre devrait vous mettre sur la voie.)
Spoilers
: Les quatre premiers tomes
Résumé général
: Cinquième année à Poudlard, école de magie et de sorcellerie. Alors qu'en arrière fond la situation politique s'envenime, Draco Malfoy ne pense qu'à éclaircir le secret que sa mère cache. Il est prêt à tout pour le découvrir, même à s'intéresser à Harry Potter, la personne qu'il déteste le plus au monde.
Résumé du chapitre précédent
: Draco retourne dans la salle secrète que sa mère lui avait montrée lors de sa visite à Poudlard (ch2). En fouillant la pièce, Draco retrouve le journal que sa mère a tenu pendant sa scolarité à Poudlard. En le lisant, il découvre que sa mère était tombée amoureuse d'un sorcicien, Ceyx Somnus, que Lucius a tué.
Disclaimer
: Comme toujours, rien ne m'appartient, tout est à JKR, auteur du monde merveilleux de HP. Je ne touche aucun argent pour mettre en scène ses personnages, je le fais totalement bénévolement, histoire de tromper mon impatience et peut-être la vôtre également.
Note
: On approche inexorablement de la fin, j'espère qu'elle ne vous décevra pas trop. En tout cas, pour ce chapitre, Draco retourne au Manoir familial.


Chapitre 10 : Médée

Je suis de retour.

Les vacances sont enfin arrivées et maintenant je suis de retour.

Le Manoir des Malfoy. Une demeure où des générations de Malfoy se sont succédées.

Elandil. Morow. Raziel. Vinaëlle. Terrance. Eza. Yamose. Renisemb. Nephrite. Elénie. Magnus. Conan. Odin… Et encore bien d'autres. Autant de prénoms que de générations. Que d'anecdotes à entendre et à retenir quand on est petit. Que d'exploits à égaler. Que de fautes à éviter.

Tant d'enseignements à en tirer.

Tant de traces à suivre.

Un véritable sentier que l'on ne peut pas quitter… Même si on le voulait…

Mais est-on seulement censé vouloir quitter le sentier ?

Non, on est censé vouloir le suivre, jusqu'à la fin… Et même au-delà. Inscrire de nouvelles traces, porter encore plus loin le nom des Malfoy.

Et le prénom de Draco servira d'exemple, ou de contre-exemple, aux générations suivantes.

Je suis de retour dans la fabrique à Malfoy, taille et modèle standard, mais option non comprise.

Nogald et Vizie, deux elfes de Maison, s'affairent avec empressement à ranger mes affaires. Ils s'activent avec frayeur, ouvrent les malles et ferment les tiroirs aussi vite que leurs bras rachitiques et leurs minuscules jambes leur permettent. Et moi, visage sérieux, j'affecte de les observer avec attention, de noter la moindre de leurs erreurs. Lorsqu'un objet manque de leur échapper, craintivement, ils me jettent des regards à la dérobée. Vais-je leur intimer l'ordre de se punir pour la faute qu'ils ont failli commettre ? Non, mais je ne leur dis pas. J'affecte la clémence alors qu'en réalité je ne suis envahi que par le désintérêt le plus profond.

Et tremblants, au garde à vous, ils s'alignent devant moi une fois qu'ils ont achevé leur besogne. S'ils savaient comme je m'ennuie à prendre ce rôle de dictateur, comme j'aimerais pouvoir m'en débarrasser. Les bons elfes de Maison devraient se reconnaître au peu d'ordres qu'on a à leur donner, le peu de surveillance qu'on a à leur prêter.

Dobby me manque. On n'avait jamais rien besoin de lui dire, pas même de lui rappeler ses punitions.

Rha ! Ce Potter ! Il faut toujours qu'il se mêle de ce qui ne le regarde pas !

Je fais un geste de la main pour qu'ils se retirent, que je n'aie plus à voir leurs têtes difformes et leurs yeux globuleux qui roulent de terreur dans leurs orbites. Cela fait seulement un an qu'ils ont véritablement commencé à me craindre. Depuis la correction que j'ai infligée à Denys. Mais dans leur trouillomètre personnel, je n'atteins pas le niveau de mon père. Auront-ils peur un jour en face de moi, comme ils ont peur en face de lui ? Egalerai-je à leurs yeux énormes la cruauté de mon père ? Egalerai-je aux yeux de la communauté magique le pouvoir de mon père ?

Ils se dépêchent de déguerpir, trop heureux de s'en sortir sans dommage. Et je me retrouve seul dans ma chambre circulaire.

J'habite dans la tour du manoir et toutes les pièces qui s'y trouvent sont pour moi. Elles communiquent les unes aux autres par un escalier en colimaçon qui craque chaque fois qu'on le gravit. Je me souviens d'avoir passé des nuits terrifié, la couverture remontée jusqu'aux yeux, guettant le silence de la nuit. Il y avait des nuits où je me sentais assez brave pour bondir sur mes jambes tremblantes au moindre craquement suspect et d'autres où je préférais m'enfoncer un peu plus dans le lit, Mr Fantôme sous le bras.

Tiens, Mr Fantôme ? Je me demande où est ce vieux morceau de chiffon. Je ne sais combien de fois, je suis allé le sauver de la poubelle où mon père s'évertuait à le jeter. Et je ne sais combien de punitions j'ai essuyées pour cet entêtement. Mais je crois que d'une certaine manière, mon père aimait cette obstination et cette bravade à son autorité. Même pour un doudou d'enfant.

Je me sens un peu étranger dans cette chambre. J'ai l'impression que ce n'est plus vraiment la mienne. Pas plus que celle de Poudlard en fait. Je ne me sens nulle part chez moi. C'est un sentiment étrange et désagréable, comme de n'être nulle part à sa place, comme d'être partout une pièce rapportée.

Je reste debout au centre de la pièce et je tourne sur moi-même, j'embrasse du regard chaque détail.

Un lit très travaillé et aux proportions gigantesques pourrait prendre une grande place dans la chambre si la pièce elle-même n'était pas hors de toutes proportions. Les bougies flottantes éclairent magnifiquement les tentures vertes qui tombent de chaque côté du lit. Du plat de la main, je caresse le velours vert. C'est doux. Comme le ventre d'un chat. Quand on les déplie le dragon brodé d'or, écusson des Malfoy, apparaît. De là vient mon nom. Plus Malfoy que moi, il ne devrait même pas y avoir.

Je m'approche du bureau couvert d'objets magiques à effet plus ou moins dangereux. Il est de la même facture que le lit, tout aussi travaillé, tout aussi ornementé. Je suis les spirales complexes des doigts, des yeux j'essaye de sortir des labyrinthes que les boiseries dessinent naturellement. Je me retourne et je vois une immense armoire qui contient tous mes vêtements. Il y a un miroir en pied, une bibliothèque d'appoint pour que je puisse entreposer les livres avant qu'ils ne regagnent leurs places dans la bibliothèque, une vieille mappemonde datant du quinzième siècle lorsque les proportions étaient si peu maîtrisées, lorsque les limites du monde étaient inconnues. Un lourd fauteuil dans lequel j'aimais m'asseoir petit, parce qu'il était tellement grand que j'avais l'impression d'être à bord d'un carrosse et que d'un coup d'imagination je m'en allais visiter le monde.

J'ai parcouru ainsi toutes les contrées de la Terre. Je faisais tourner la mappemonde et, les yeux fermés, je désignais un point au hasard pour indiquer ma prochaine destination. Oui, je crois que j'ai parcouru le monde entier. L'immense tour que j'avais pour terrain de jeu prêtait vraiment à ces voyages. Je transformais ma salle d'astronomie en vigie d'un vaisseau de pirate. Les hautes bibliothèques de la salle de lecture étaient autant de montagnes escarpées à gravir, autant de bases pour des cabanes de draps tendus à construire. Et il y avait la salle de jeux, pièce de tous les amusements. Combien de fois m'y suis-je endormi ? (Aujourd'hui, je l'ai fait changer en salle d'entraînements. Je n'ai même pas besoin d'y descendre pour vérifier que l'on a scrupuleusement suivi chacun de mes caprices.) Et puis il y a la dernière salle, celle tout en bas de la tour, lieu de tous mes cauchemars, pièce qui devenait au grée de mes pérégrinations imaginaires, enfer, cachots, gouffre… tous ces endroits où l'on craint d'aller. La salle des expériences. Protégée magiquement, mon père m'y apprenait des potions et des enchantements.

Et partout du vert et de l'or.

Dans les somptueuses tapisseries suspendues aux murs, dans les tapis, dans les tables, dans les draps, dans mes vêtements, dans les rideaux, dans les tableaux vivants, dans les bougies, dans les couvertures des livres.

Du vert et de l'or partout.

Du vert et de l'or jusque derrière mes paupières. Jusqu'au bout de mes ongles.

Aussi loin qu'il m'en souvienne, il y a du vert et de l'or dans chaque recoin de cette maison. Même à Serpentard. Parfois, quand les flammes font fuir les ombres, j'ai l'impression qu'elles changent l'argent en or. Mains de Midas brûlantes.

Du vert et de l'or jusqu'à en avoir la nausée. Jusqu'à en devenir odieux.

Je n'en peux plus de ce vert. Je n'en peux plus de cet or. Je n'en peux plus de ces ornements.

Mon poing se sert sur ma baguette. Il se crispe avec tellement de force que j'en ai les jointures qui deviennent blanches, que j'en ai les ongles qui me blessent la paume de la main.

Je ne veux plus du vert et de l'or. Qu'ils quittent ces lieux qui m'appartiennent. Adieu Vert et bonjour Noir. Or cédez la place à Argent. Ornement et Complexité disparaissez que Simplicité et Sobriété vous remplacent.

Paillettes et jets de lumière. Courants d'électricité et étincelles. Les meubles se transforment. Les couleurs se modifient. Les murs palpitent de magie. Les voiles volent soufflés par la puissance qui me parcoure. Les pièces se redécorent selon mon goût, selon ma convenance, selon mon choix, selon mon être.

Adieu Vert et Or. Bonjour Noir et Argent.

Et soudain, je m'arrête. Tout se calme dans la salle. Une veine électrique parcourt par-ci par-là les murs et craque dans le silence. Mes yeux se sont fixés sur la mappemonde. La précieuse mappemonde que la magie n'a pas touchée, n'a peut-être pas osé effleurer.

D'une geste de la main, je la fais tourner dans sa cage de bois. Les gemmes qui l'ornent m'éblouissent de leurs éclats multicolores. La Terre est déjà tellement belle. Un tel équilibre de couleurs, un tel détail dans les contours. Je comprends tous ceux qui ont voulu la posséder, se l'approprier. Tellement parfaite, tellement désirable.

Mais la mappemonde dénigre cette beauté en la cloutant de pierreries, en la rapiéçant d'or.

Et cet objet humain m'apparaît hideux, grotesque, inutile. Et je le méprise.

Et de toutes mes forces, j'abats mon poing dessus. La première fois, le globe résiste et la douleur se répand immédiatement dans tout mon bras, mais je l'occulte et frappe une nouvelle fois. Encore et encore. Et la mappemonde vole en éclat. Et je foule du pied chaque fragment me repaissant du crissement de douleur.

Une jouissance folle me prend alors que je cherche le moindre morceau à réduire en miettes. Les pierreries, bien sûr, ne se fendent pas mais je les ramasse et les jette au feu. Et j'aime voir les flammes pétiller de milliers de couleurs, tel un kaléidoscope de lumière. Le spectacle me subjugue avec tant de force que je n'entends pas la porte de ma chambre s'ouvrir.

« DRACO ! ! » hurle la voix furieuse de mon père.

Je me tourne vers lui, le visage aussi impassible que possible. Le sien est agité de tics nerveux au fur et à mesure qu'il découvre l'étendue de ce qui est à ses yeux de l'inconscience. Peut-être de la folie.

« Te rends-tu compte de ce que tu as fait ? » gronde-t-il, les yeux exorbités de colère.

Que dois-je répondre ? Dois-je me taire ?

Je ne l'ai jamais vu aussi furieux de ma vie et pourtant il ne me fait pas peur. Autrefois, le seul fait de voir ses sourcils se froncer me donnait des sueurs froides. Mais aujourd'hui : rien. Mon cœur ne fait aucun bond dans ma poitrine, aucun frisson ne me remonte la colonne vertébrale, aucun goût amer ne m'emplit la bouche, aucun spasme ne me contracte le ventre. Juste le calme.

« Sais-tu la fortune que tu viens de détruire ? Je sais que tu ne te rends pas vraiment compte de la valeur de l'argent, mais les objets que tu viens de défigurer coûtent une fortune. Tu vas me remettre tout ça en état. Et tout de suite. »

Non !

« Alors Draco, j'attends ! Change-moi tout ça ! »

Ma mère est dans l'encadrement de la porte. Elle promène le regard sur ma chambre et évalue en silence les changements. Et quand elle a fini de faire le tour de la pièce, son regard se pose sur mon père.

Non, je ne changerai rien.

« Tu refuses de m'obéir ? »

Oui.

Mon père oublie un instant d'être en colère tant la surprise le submerge. Ma mère tourne ses yeux éteints vers moi. Elle me regarde mais rien ne s'allume dans ses prunelles mornes. Pourtant elle me regarde et elle me voit. Enfin, j'existe.

« Draco. Tu vas me faire le plaisir de remettre tout en état et immédiatement. » Des tremblements troublent sa voix habituellement si mesurée.

Non.

Je ne vois pas la main qui s'abat sur ma joue mais je la sens et elle me projette vers le sol. Ma tête rebondit sur le parquet et un instant je pense que je vais perdre connaissance. Mais non. Je lève mes yeux et découvre le visage contracté par la fureur de mon père. Ma mère ne bouge toujours pas. Ses deux mains le long de sa robe noire. Son visage immobile et sa respiration régulière. Mais ses yeux me voient.

« Draco ! Tu vas… »

NON !

Mon père me saisit par le col et d'un geste me remet sur pieds.

« Ne joue pas aux fortes têtes avec moi, Draco. »

Il lève la main à nouveau et je me force à ne pas cligner des yeux, à ne marquer aucune appréhension sur mon visage.

« Lucius, touche-le encore une fois… »

La voix glaciale de ma mère résonne à mes oreilles. J'attends la suite de sa phrase mais elle ne vient pas et n'est pas nécessaire. Mon père me lâche immédiatement. Il la regarde et en oublie ma présence. Dans ses yeux brille une étrange lueur. Cette lueur que je refusais de comprendre et qui maintenant m'intrigue. Et ma mère toujours impavide soutient son regard. Mon père fait un geste distrait de la main et ma chambre revient en état. Même la mappemonde se reconstruit.

« Sors, Draco ! » m'ordonne-t-il.

Et cette fois je ne pense pas à ne pas obéir. Je me retire sans un bruit. Je leur lance un dernier regard mais ils ne s'en aperçoivent pas.

-o-

Je suis les couloirs au fur et à mesure qu'ils se présentent à moi. Je ne réfléchis pas et j'avance. Je me perds autant que je peux dans ce qui est ma maison. A mon passage, tout se tait, se tient immobile. Je suis le fils du maître des lieux et rien de ce qui se fait dans le manoir ne devrait m'être caché et pourtant, je ne sais rien. Chacun a ses secrets et chacun les garde jalousement. Et moi, je n'en ai aucun.

Je m'arrête devant un mur, un cul de sac et je n'ai pas envie de faire marche arrière, alors je m'assieds par terre, dos au mur.

« Bonjour. »

Je ne sursaute pas quand j'entends une voix enfantine me soustraire à mes pensées, ou plutôt à mon absence de pensées. Je crois qu'il n'y a plus rien dans ma tête depuis quelques jours. Je marche à l'automatisme, à l'habitude, l'association d'idées et aux souvenirs, mais il n'y a plus de réflexion.

Dans le portrait sur ma droite, un enfant délaisse son cerf-volant pour s'intéresser à ma présence.

« Qui es-tu ? » me demande-t-il de sa voix flûtée.

Je ne lui réponds pas. Je n'ai jamais aimé parler aux non-cérébrés.

« Je suis Liam Malfoy. » persiste le tableau.

Un obscur parent qui est parti en Afrique et n'en est jamais revenu.

« Et toi qui es-tu ? »

Qui je suis ?

Draco Lucius Malfoy. Maillon dans une chaîne. Véhicule vivant de gènes. Une ramification dans un grand arbre généalogique.

Je suis un Malfoy.

Mais je crois que je pourrais être Draco.

Je me relève et mes pas me guident dans une aile du manoir que, jusqu'à aujourd'hui, j'ai toujours pris soin d'éviter. Et je réalise soudain que je suis devant la bibliothèque de mon père. Je pose la main sur la poignée. Mon cœur devrait battre d'appréhension, mais il se tait. Voilà que mon cœur me fait faux bond à son tour. Plus de cerveau, plus de cœur, pas même d'identité. Ne suis-je donc plus qu'un corps mobile ?

« Maître Draco… Vous… vous ne devriez pas… Si maître Lucius venait à apprendre… »,s couine une elfe de Maison surgit de je ne sais où. Il s'agrippe au bas de mes vêtements, alors que je tourne la poignée. Il essaye de me retenir alors que j'en franchis le pas. Je jette un coup d'œil dur à la créature et c'est suffisant pour la faire taire.

La bibliothèque de mon père. Il m'a toujours été interdit de m'en approcher. D'ailleurs comme toutes les pièces qui sont réservées à mon père. Et j'ai toujours pensé qu'il y avait des sortilèges pour en assurer la sécurité. Mais pas du tout. Le simple interdit était suffisant pour me faire tourner les talons dès que mes jeux ou mes promenades m'entraînaient un peu trop près des quartiers de mon père. Pour un Serpentard, j'étais un petit garçon plutôt obéissant.

Tout est exactement tel que je me l'imaginais. De hautes bibliothèques montant jusqu'au plafond, certaines pourvues des vitres pour protéger les vieux livres. Un bureau tout pareil au mien siégeant au milieu de la pièce. Au-dessus du feu ronflant une marmite bouillonnante. Un parquet dont les lattes craquent quand on marche dessus. Des tableaux sombres et des armes étranges fixés aux murs. Il y a même devant le canapé de cuir vert, un gros dogue somnolant.

Le chien se redresse et pose ses yeux jaunes sur moi. Il hume l'air un instant puis repose la tête sur ses énormes pattes. Il m'a reconnu comme le fils de son maître, alors il ne se soucie plus de moi et retourne à ses rêves canins. Le chien de Potter à côté de celui-ci fait office de peluche. Pluton est issu d'une longue lignée de croisements génétiques. Sorcellerie et génétique font un mariage étrange. Selon la tradition, un jour j'aurai un de ses petits, le plus robuste, le plus impitoyable. Il sera dressé pour attaquer et même tuer. Rien ne l'arrêtera, ni les pleurs de l'enfant, ni les suppliques de la mère, ni les hurlements du père. Rien, excepté ma voix. Pluton n'obéit qu'à mon père, je n'ai sur lui aucun contrôle. Aucune pitié ni aucun sentiment ne l'atteignent jamais. Un serviteur incorruptible. Si je suis à l'abri de ses crocs ce n'est que parce que mon père, son maître, lui a ordonné de ne pas m'attaquer. Même si je le rouais de coups, il ne me toucherait pas. Du moins, c'est ce que prétend mon père. Je ne me risquerais pas à faire l'expérience. J'ai vu Pluton saigner un loup-garou adulte.

Je ne sais pas vraiment où chercher. Mes yeux parcourent les rayonnages. Je m'arrête de temps en temps sur la tranche d'un livre et je frissonne à la seule lecture du titre. Il y en a de toutes langues, de toutes écritures. Et je ne sais si je dois être admiratif ou inquiet devant une telle profusion d'ouvrages. Une collection pareille, certains paieraient des fortunes de gallions pour avoir ne serait-ce que la possibilité de parcourir quelques pages. D'ailleurs, c'est ce qui se passe. Mon père vend à des sorciers fortunés le droit de feuilleter ses livres. C'est une entreprise assez rentable en fait, car avec cet apport d'argent il achète d'autres livres et plus de personnes viennent et plus d'argent entre. Et encore et encore.

Je trouve enfin le rayonnage qui m'intéresse. L'Antique Magie. Je retiens mon souffle et savoure ce moment.

Toutes les questions qui m'ont obsédé ces dernières semaines, tous ces mystères vont enfin trouver leurs résolutions dans ces pages jaunies. Je le sais. (Je l'espère.)

Je tire un premier volume. Mais j'ai sous estimé son poids et il m'échappe des mains. Heureusement, l'Elfe de Maison est là pour le réceptionner (En réalité, il se retrouve malencontreusement aplati comme une crêpe à l'atterrissage.)

« Maître… » couine une nouvelle fois la créature alors qu'elle tente de se remettre sur ses pieds calleux. Mais je pense que l'expression de mon visage est suffisamment claire, car elle ravale ses jérémiades et s'en va les oreilles pendantes.

Je dépose le précieux livre sur la table et j'en tourne avec autant de précaution que possible les fines pages jaunies pas le temps. Chaque mot que je lis est une torture mentale. Les phrases sont un mélange complexe de mots issus de diverses langues. Il y a du latin, du grec, du gaélique et quelques mots germaniques qui se sont égarés pour une étrange raison dans ce volume. Et j'avoue ne pas comprendre ne serait-ce que le dixième de ce que je lis. Je ne peux saisir le sens de quelques mots mais suis incapable de les lier les uns aux autres.

Mais je persiste à m'abîmer yeux et esprit dans ce déchiffrage malaisé. Mon esprit est trop vide. Et il a mal de tourner sans n'avoir rien à ingérer. Il exige que je le nourrisse, que je lui propose une occupation, quelque chose sur lequel il pourra se faire les dents, quelque chose qu'il acceptera…

Je suis tellement pris dans ma lecture que je ne discerne pas le crissement des gonds, pas plus que je ne perçois le craquement du parquet ni le bruissement des vêtements. Alors, quand j'entends sa voix, je sursaute.

« Draco ? Que fais-tu dans le bureau de ton père ? » me demande ma mère, les yeux penchés sur le livre que je lis.

Que dois-je faire ? Que dois-je dire ? Mentir ? Répondre honnêtement ?

« Un ouvrage sur l'Antique Magie », dit-elle. « Sujet intéressant mais bien au-delà de tes compétences. Prends patience, ton père t'initiera, comme le sien l'a fait avec lui. Maintenant quitte ce lieu, avant qu'il ne s'aperçoive de ta présence ici. Ta séance de décoration ne t'a pas mis dans ses faveurs. »

Je ne bouge pas.

Je ne veux pas partir alors que je sens, que je sais, que je suis tout prêt du but.

Comme un noyé s'accroche désespérément à son bout de bois, je me retiens à cette seule certitude.

Je veux croire que c'est d'un séculaire grimoire et non d'un vieux journal que viendront les réponses. Non rien ne peut venir de ce maudit journal !

« Draco, es-tu devenir sourd ? Je t'ai dit de quitter cette pièce. Si tu crois que je vais encore pouvoir une fois te mettre à l'abri de la colère de ton père, tu te trompes. »

Non, je ne peux pas.

« Ne joue pas les enfants têtus et capricieux. Obéis ! »

Elle ne s'énerve pas, son ton ne monte pas et ses yeux restent morts. Pourtant je sens dans sa voix les intonations de l'exaspération.

Désolé, de te désobéir, mère, mais je ne peux pas quitter cette pièce tant que je n'aurai pas trouvé la réponse à ma question.

« Quelle est ta question ? »

Bravo, Draco ! Bien joué ! Et qu'est-ce que je lui réponds maintenant ? Que j'ai remarqué qu'elle avait un secret ? Que Potter a le même regard qu'elle ?

« Réponds à ma question et selon ce que tu me diras, je déciderai si, oui ou non, je peux te laisser dans cette pièce. »

Lentement, elle s'assied dans le canapé. Sa robe ressemble à une corolle dont elle émergerait. Pluton a juste ouvert les yeux, mais n'a pas bougé. Il ne la connaît que trop bien la femme de son maître. Il sait qu'il n'a même pas le droit de l'approcher. Personne ne le peut. Jamais je n'ai vu quelqu'un lui rendre visite.

Ses yeux vides sont sur moi, elle attend ma réponse.

Bien ! Réfléchissons. Je peux lui révéler la raison apparente. Que Potter est peut-être sous la protection d'un charme, que c'est ça qu'il lui a permis d'échapper à Son Avada Kedavra.

Ses yeux bleus sont plus impénétrables qu'une calotte glaciaire. Elle m'examine silencieusement et pas un trait de son visage ne bouge. Petit, cela m'impressionnait. Je la regardais des minutes durant, guettant le moment où elle clignerait des yeux, où sa poitrine se soulèverait, signe que ses poumons se remplissaient d'air. Je l'observais en apnée, tentant de calquer ma respiration sur la sienne. Mais je ne tenais jamais. Il me fallait reprendre de l'air avant elle, il me fallait cligner des yeux avant elle. Mon corps avait ses urgences que le sien ignorait. Il m'arrivait d'imaginer qu'elle était une fée ou quelque autre étrange être.

Elle continue de m'examiner et j'ai l'impression que ses yeux vont bien au-delà de l'extérieur, mais qu'ils me pénètrent et fouillent mon esprit, à la recherche de ce que je ne dis pas. Et soudain, il se passe quelque chose d'étrange.

Un sourire étire ses lèvres.

La réaction me paraît hideuse, tant le sourire ne semble être qu'un pâle simulacre, tant il est sans vie.

Elle fait claquer ses doigts et un livre que je n'ai pas encore eu le temps de regarder s'échappe de la bibliothèque et vient se poser devant moi. J'essaie de masquer mon étonnement, mais je suis bien moins doué qu'elle pour dissimuler mes émotions.

Sur la couverture brune, il y ait inscrit : Par delà la Mort.

Je n'ai pas le temps de l'interroger, à peine de relever la tête pour percevoir le geste de la main qu'elle fait. Le livre s'ouvre, les pages se tournent toutes seules et s'arrêtent à un chapitre.

« C'est là que tu dois chercher si tu veux la réponse à ta question. »

Ma gorge s'est resserrée d'appréhension. Le rictus qu'affiche ma mère n'est que plus net dans son visage blanc. Des ridules se forment malhabilement au coin de sa bouche, comme si sa peau ne savait comment gérer cet excès d'expression. Je me tourne vers le livre et, en tête de chapitre, je lis : Bénédiction.

« On peut dire que Lily Potter a réellement aimé son fils jusqu'à en mourir. »

Elle achève sa phrase et un étrange rire éclate de sa gorge. Comme si des dizaines de cloches ébréchées tintaient en même temps. J'en ai les cheveux qui se dressent.

« Elle a béni de tout son Amour l'être qui était à ses yeux le plus cher. Elle a préféré mourir que d'être confronté à la disparition de son fils. Voilà un bel exemple d'amour maternel. Un amour dont seule une femme qui a choisi librement sa vie et la personne avec qui elle la fera est capable. Savais-tu Draco que l'amour maternel n'est pas une donnée universelle ? »

Pourquoi mes doigts se crispent sur le bord de la table ?

« Lily Potter, la femme qui a mis à néant tous les grands projets du cher maître de Lucius ! Comme je ris ! Lui qui voulait débarrasser le monde sorcier des êtres comme lui, car – le savais-tu Draco ? – le grand mage noir dont on ne doit pas prononcer le nom est ce que tu appelles un sang-de-bourbe. N'est-ce pas ironique ? Toi qui aimes tant l'ironie, Draco, goûtes-tu à celle-là ? »

Elle rit à gorge déployée. Elle bascule sa tête en arrière et des mèches de cheveux s'échappent de sa coiffure. Je crains un instant que la folie l'ait gagnée, tant son rire s'éraille, tant son corps prend d'étranges contorsions.

« Elle est la véritable héroïne du monde sorcier et non son fils. Du moins jusqu'à ce qu'à son tour, il suive les traces de sa mère et mette en échec le Grand Mage. »

Un nouveau rire hystérique la secoue et vrille mes tympans. Je la regarde et des frissons de terreur me parcourent la colonne vertébrale. J'ai l'impression de n'être face qu'à un simulacre de ma mère.

« Sait-il seulement ce qu'il s'est mis dans les veines ? De l'amour pur ! Comment lui qui n'aime pas, n'est pas aimé et n'endurera jamais les affres de l'amour, pourra-t-il vivre avec ce lent poison dans le corps ? J'ai hâte de voir ça ! De voir l'agonie qu'il souffrira ! L'amour est une lente agonie, Draco, il a même sa petite mort. »

Elle éclate de rire une fois encore et moi je m'arrête sur un mot : poison.

« Oui, du poison. Pour tous ceux qui ignorent l'amour, qui n'ont jamais aimé et n'ont jamais été aimés, le contact, le simple contact, de Harry Potter, l'enfant béni, est un supplice. »

Les êtres qui n'aiment pas et ne sont pas aimés ne peuvent le toucher ? Je… Quand je l'ai touché… il m'a brûlé… Est-ce que moi aussi… ?

« Comment ? Tu as touché Harry Potter ? Mais tu ne devrais même pas avoir le droit de lever les yeux sur lui ! »

Je ne comprends pas…

« Tu ne veux pas comprendre. Tu es bien le fils de ton père ! Peut-être que ça, ce sera plus clair… »

Et ma mère fait un nouveau geste de la main. Je retiens ma respiration, alors que les pages tournent, mues par la magie de ma mère. Mon cœur bat tellement fort dans ma cage thoracique, envoie tant de sang dans mes veines que j'ai l'impression que je vais défaillir. Sans même lire, je sais déjà ce que je vais découvrir et je ne veux pas en avoir la confirmation. Ça ferait trop mal.

« As-tu peur Draco ? Je croyais que tu voulais, aimais même, comprendre. Eh bien regarde la vérité bien en face. Sache que c'est quelque chose auquel peu ont droit. Lis bien ! »

Alors je baisse la tête et je lis. Je n'ai pas les yeux brouillés par les larmes, parce qu'il y a longtemps, je me suis jeté un sort qui les a tari à jamais. Comme les sirènes, plus jamais je ne pleurerai. Mais je comprends maintenant que c'était une erreur, car pleurer est un luxe et qu'il ne faut pas s'en priver, que ce n'est pas la marque des faibles mais de ceux qui vivent.

« Lis ! »

Malédiction.

Voilà le titre de ce chapitre.

« Quand Lily Potter est morte, elle a béni de tout son amour son fils. Quand tu es né Draco, je t'ai maudit de toute ma haine. »

Maudit. Maudit par ma propre mère. Comment ? Pourquoi ?

« Comment ? Aussi simplement qu'elle l'a fait ! Sans en avoir conscience. C'est étrange ce qu'un sorcier est capable de faire quand les émotions et les sentiments prennent le pas sur tout le reste. Oh oui, mon fils je t'ai maudit avec chaque fibre de mon être, toi qui étais le fils de l'être que je détestais le plus au monde. »

Mais je suis aussi ton fils !

« Non, tu n'as jamais été mon fils ! Tu as toujours été le sien ! Le leur, devrais-je peut-être même dire. »

Leur ? Qui leur ? De qui suis-je le fils ?

« Sais-tu quelle ignominieuse tradition salit les mains de la famille Malfoy ? Sais-tu que pour prendre la tête de la famille, l'héritier doit tuer le père. Alors quand tu es né, ton père a vu sa fin venir, mais au lieu de te dévorer, il a eu l'idée de te façonner. Magnifique idée en effet. Et tous les deux, ils ont voulu faire de toi une arme absolue. »

Qui ils ?

« Ils étaient le cerveau qui réfléchit, ils étaient même la main experte qui manipule. Tu n'étais que l'arme utile. »

Qui ils ?

« Et j'ai alors vu le moyen de me venger. J'ai vu le moyen de les atteindre, de l'atteindre. »

Qui ils ?

« Car il t'aime, ils t'aiment, tous deux ! Alors si je pouvais te retourner contre eux. Si l'arme se retournait contre le maître et le blessait ! Quel délice ! Quelle vengeance ! »

Qui ils ?

« Alors, sans qu'ils ne s'en aperçoivent, j'ai glissé en toi tout ce qu'ils omettaient. J'ai émoussé leur lame et j'ai détruit leur œuvre ! »

Je ne suis pas détruit ! Je ne suis pas une chose !

« Non, en effet. Tu te construis un peu plus chaque jour comme une personne pensante. Pendant longtemps, j'ai craint d'échouer, tu semblais absorber tout ce qu'ils te disaient… »

Qui ils ?

« Et puis cette année, alors que je perdais espoir, tu as enfin montré les signes et je t'ai conduit dans cette pièce. Dans mon antre. Je savais que tu découvrirais, que tu comprendrais. Le processus est achevé et j'ai gagné. Ma vengeance va avoir lieu. Et tout comme Cronos n'a pu échapper à la malédiction, Lucius sera abattu par son fils. »

Et de nouveau, cet abominable carillon de cloches ébréchées.

Où est ma mère ? Je n'ai face à moi qu'un démon de haine et de rage. Elle est effrayante. Elle est ma mère. Elle est celle qui m'a mis au monde et m'a ensuite maudit. Je suis le fils d'un démon…


fin du dixième chapitre