(Introduction) Parler ou se taire


Il avait appris l'occlumancie pour une raison. En fait pour plusieurs. Ses pensées n'appartenaient qu'à lui. Et à lui seul. Il ne voulait pas que qui que ce soit puisse les voir ou les entendre. C'était son intimité et sa dignité, ça faisait partie de lui.

Cette discipline lui avait permis de trouver un apaisement dans ses souffrances. Il pouvait se cacher derrière un mur, se protéger de tout ce qu'il pouvait ressentir. Ne rien laisser paraître à l'extérieur, et ne pas se laisser affecter à l'intérieur.

Il savait qu'il était comme un enfant qui cherche une protection et se cache au lieu d'affronter ses peurs. Il ne voulait pas, ne pouvait tout simplement pas, rester à la merci de ses torts. Il aurait voulu oublier aussi, mais oublier voudrait aussi dire oublier la seule chose qui l'avait maintenu en vie.

Il préférait se cacher derrière son mur, ignorer ses sentiments et ses souvenirs que de songer à les perdre à jamais ou que de les affronter en face. Il ne pouvait ni se résoudre à s'en souvenir, ni à les abandonner.

L'occlumancie lui conférait un masque. Il ne permettrait à personne de voir réellement en lui, de voir qui il est, comment il est. Dans toute sa vie, il ne s'était réellement montré qu'à une seule personne. Et il avait fini par commettre une faute impardonnable. Son plus mauvais souvenir. Celui qui le restera jusqu'à sa mort.

Il avançait à grand pas. Il inspira profondément et cacha ses émotions au plus profond. Son maître était paraît-il le plus puissant legilimens de l'époque. Et il ne se gênait pas pour fouiller l'esprit de ses serviteurs. Mais le jeune sorcier se refusait à lui permettre.

Il savait que c'était futile, qu'il ne pouvait pas lutter contre cette créature sur ce domaine. Mais son instinct lui disait de continuer, comme il le faisait en face de n'importe qui. Il ne se souciait plus de savoir si quelqu'un était legilimens ou non, il gardait toujours un semblant de bouclier. Et il les renforçait toujours grandement avant de se présenter devant son seigneur.

Il pénétra dans la salle, et alla s'incliner aux pieds de l'homme.

« Relève-toi, Severus. » fit la voix douce du seigneur des ténèbres

Il obéit. « Seigneur, j'ai écouté Dumbledore. Son entretien avec Sybill Trelawney s'est écourté bien vite. Mais… »

Lui, si doué avec les mots pour plaire à présent, ne savait pas ce qu'il devait dire. Son maître n'aimait pas attendre.

« Parle ! » siffla-t-il

« Elle a un don. Je ne sais pas ce que Dumbledore compte faire. Mais elle a énoncé quelque chose. On aurait dit qu'elle était… en transe. Finalement, il semblerait qu'elle fut d'une utilité pour lui. »

« Qu'a-t-elle dit ? » s'impatienta l'homme

« Elle a prévu votre défaite. Un garçon, né fin juillet, devrait venir à bout de vous. Il est dit qu'il causera votre perte. »

« Tu as bien fait de m'avertir, mon fidèle serviteur. J'ai bien fait de compter sur toi et de t'y envoyer. Je ne laisserais pas cela arriver. Que personne d'autre ne le sache ! Fin juillet… je demanderai à Malfoy de faire des recherches sur la chose. Nous aviserons le plus tôt possible mon fidèle. Va, je t'appellerais le moment venu. »

Severus s'inclina et partit. Il ne parvenait plus à chasser la voix de son esprit. Il ne parvenait pas à oublier. C'était comme s'il était concerné au plus profond de son être par ce que ces quelques mots avaient déclenché. Un enfant, né fin juillet. Et le Seigneur des Ténèbres allait tenter de le tuer.

Severus ne savait pas ce qu'il ressentait. Comment pourrait-il déjà culpabiliser ? Il ne pouvait pas avoir de compassion pour quelqu'un qu'il ne connaissant pas. Le pouvait-il ? Non, définitivement non. Son cœur était fermé même à ceux qui étaient le plus proches de lui.

Lorsqu'il sentit la brûlure sur son bras, il sut qu'il était appelé. Il s'y rendit immédiatement. Le Seigneur des Ténèbres l'attendait. Il remit ses défenses mentales, et se présenta devant son maître. Ils étaient encore seuls.

« Deux garçons correspondent. Deux sont nés le 31 juillets de parents sorciers. » commença le seigneur « Deux familles peuvent correspondre. Deux ont eu un enfant, les Longbottom et les Potter »

À ces mots, Severus crut que son cœur cessa de battre. Ses yeux s'écarquillèrent, et il réalisa son erreur. Oh, oui, il était égoïste de ne voir cela comme une erreur que maintenant, mais il était jeune, méprisé de tous, avait appris à mépriser et à détester le monde.

Mais une chose dans son esprit raisonnait. Une chose qu'il ne pensait pas entendre un jour. Les Potter ont un enfant. James Potter a eu un fils. Un fils fin juillet. Un enfant qui pourrait défaire le Seigneur des Ténèbres. James Potter est marié à Lily Evans depuis un an. Lily. « Lily. » souffla-t-il dans sa découverte.

Il était ébranlé. Il avait laissé ses barrières s'affaisser pendant un instant. Il ne voyait pas l'utilité de les remettre. Il fut submergé par une tonne de sentiments. La peur, la colère, la haine, la tristesse, la jalousie, le regret, le désespoir… l'amour. Il y en avait tant d'autres. Mais il se concentrait sur son amour perdu. Les Potter avaient eu un fils. Lily avait un enfant avec James. Et cet enfant correspondait à la prophétie.

Le Seigneur des Ténèbres avait remarqué et ressenti cet ébranlement. Il s'était tu, et avait observé son fidèle serviteur qui était encore agenouillé à ses pieds. Il l'étudiait. Il l'avait évidemment entendu prononcer le prénom de cette Sang-de-Bourbe.

« Tu te soucies d'elle ? » demanda-t-il

Severus hésita à répondre. Devait-il avouer ? Devait-il se montrer nu devant son maître ? Puis il s'en souvint. Il se souvint de comment il était allé à son maître la première fois.

« Oui. » Il leva un regard désespéré vers son maître. « Je vous en prie, prenez la vie de l'enfant s'il le faut, mais épargnez-la, elle. »

« Tu me demandes de ne pas toucher à la Sang-de-Bourbe ? Pourquoi ? »

« Je… Je vous en prie. Je ferais tout ce qu'il faudra, tout ce que vous voudrez, prenez la vie de tous ceux que vous voulez, mais pas la sienne, pas la sienne. Laissez-la. »

Le Seigneur des Ténèbres avait du mal à bien saisir ce qui se passait, mais il savait qu'il y avait quelque chose, et il voulait l'entendre de la bouche du jeune homme qui lui faisait face. De ce serviteur si puissant et toujours si contrôlé et calme, toujours posé, qui était en larme à ses pieds. Comment un homme pouvait radicalement changer d'attitude en un instant.

« Réponds. Pourquoi ? » imposa-t-il

Les mots se bloquèrent dans la gorge de jeune Mangemort. Il ne pouvait pas le dire. Il ne l'avait jamais dit, n'avait jamais osé. Il n'en avait pas le courage. Il était un lâche. Rusé et ambitieux. Mais pas courtois, et surtout pas courageux.

« Tout ce que je vous demande, c'est d'épargner sa vie à elle. Je vous en supplie mon Seigneur, mon Maître. »

Le Seigneur des Ténèbres pouvait sentir rien qu'à la voix à quel point l'homme sombrait dans le désespoir. Les désespérés faisaient partie de ses cibles de recrutement favorites, ils avaient un esprit affaibli, et pouvaient facilement être persuadés si on leur donnait un peu d'espoir.

Mais dans la situation présente, cela ne lui plaisait pas. Il sentait si fort le flot de sentiment qu'il ne voulait pas prendre le risque de fouiller l'esprit de son serviteur. Qu'un homme si calme usuellement soit soudainement de la sorte ne pouvait rien signifier de bon, et se balader dans un esprit aussi instable ne pouvait pas être sans risque.

Il devait obtenir une réponse verbale. Il s'adoucit. C'était comme cela qu'il obtiendrait des aveux, pas avec la colère. Cela ne marcherait pas sur le moment. « Réponds-moi, Severus. Pourquoi me demandes-tu cela ? »

Il prit le menton du jeune homme dans sa main pour le forcer à le regarder dans ses yeux rouges. Les yeux d'obsidiennes du mangemort étaient baignés de larmes. « Parce que je l'aime. »

Voilà. Il l'avait dit. Il n'avait jamais prononcé ces mots. Il aurait voulu ne jamais le faire. Il souhaitait le faire le moins possible. Ils étaient seuls. Le Seigneur des Ténèbres était le premier à l'écouter. Il ravala sa fierté. Il l'avait déjà perdu à partir du moment où il avait entendu le nom de Potter. Ce n'était plus Potter qu'il avait entendu, c'était Evans, c'était Lily. Sa Lily.

Il voulait lui dire, avouer à son maître à quel point il tenait à elle. Mais il se rappela. Le Seigneur des Ténèbres n'aimait pas les nés-moldus, ni les moldus. Il voulait les détruire. Alors il ne rajouta rien, et attendit la réaction.

Voldemort réfléchit. Il faudrait qu'il prive son serviteur de cette affection indigne. Mais pour le moment, il ne pouvait pas se permettre de faire le moindre faux pas. Il était le sorcier le plus puissant du siècle. Il serait le maître de tous. Mais pour l'heure, il devait garder la fidélité de ses membres, et le jeune sorcier était une recrue précieuse.

« D'accord. Je ne la toucherai pas. Elle vivra. »

Ces mots réchauffèrent le cœur de Severus. Il sourit d'un soulagement profond et sincère, puis remit ses barrières d'occlumencie et reprit son expression éteinte, fière et froide. « Merci, mon Seigneur. »