Chapitre 81 : Renouer avec sa destinée, partie 1 : Le guide

C'était à Camelot qu'Arthur se soumettrait à cette épreuve, et nulle part ailleurs. Le château qui l'avait vu grandir et dont il avait hérité restait l'endroit du monde le plus important à ses yeux, c'était là qu'il se sentait le plus en sécurité. Chez lui, et chez lui seulement, il pourrait enfin s'ouvrir, affronter ce qui le hantait.

Il fit part de son souhait à Chris, qui lui sourit :

-Laissez-moi vous accompagner, vous savez que j'ai l'habitude de côtoyer les émotions des gens qui m'entourent et que je sais un peu comment tout cela fonctionne. Nous trouverons une pièce isolée du château pour discuter et enfin nous plonger dans ce qui vous tourmente. Vous ne serez pas seul. Et ne vous inquiétez plus pour moi, je ne risque rien là-bas si vous êtes à mes côtés.

Il a raison, j'ai besoin de quelqu'un de confiance.

-Merci, murmura Arthur.

-Souhaitez-vous la présence d'autres personnes ?

Leur regard se tourna vers Merlin, et Arthur hocha la tête.

-J'aimerais aussi que Guenièvre soit là, ajouta-t-il.

-En nous installant tous les trois à son chevet ?

-Non, nous la déplacerons. Je sais déjà où nous pourrons nous isoler pour ne pas être dérangés.

Entraîner son épouse inconsciente et son valet apathique avec lui dans le seul but de les avoir à ses côtés lors de cette conversation trahissait une forme d'égoïsme, il devait bien l'admettre, mais l'idée de traverser ce moment sans eux lui paraissait insupportable. Le lieu choisi, les personnes présentes, tout devait le rassurer autant que possible pour lui permettre de lutter contre cette envie irrépressible, l'envie de s'enfuir en courant.

Toujours compréhensif, Chris hocha la tête avec bienveillance et se leva :

-Avant de partir, je dois voir Ali. J'ai réussi à convaincre une partie des druides de briser les pierres mais il faut que quelqu'un organise tout cela au plus vite et je ne pourrai pas m'en occuper si je suis absent. Il est d'ailleurs plutôt bon que je m'éloigne un peu pour leur laisser la possibilité de réfléchir sans être poussés par quelqu'un qui perçoit parfaitement leur émotions. La mobilisation des druides pour Camelot doit relever de leur propre volonté, et je ne peux pas laisser l'aspect manipulatoire inhérent à mon pouvoir prendre le dessus sur leur choix.

-J'ignorais que tu avais déjà abordé le sujet auprès des habitants du campement ! s'exclama le souverain, admiratif. Et bien sûr, tu as raison, je ne souhaite nullement forcer ta communauté à se mettre en danger ou à compromettre ses valeurs. Merci encore de leur en avoir parlé.

Ainsi, en quittant la tente, ils firent un détour pour trouver Ali et lui confier cette mission. Arthur en profita pour remercier les druides de tout cœur, intimidé par ces regards calmes posés sur lui. Certains d'entre eux dévisageaient parfois Merlin sans dire un mot, et on pouvait lire sur leurs visages une certaine préoccupation. Pourtant, ils ne le connaissaient pas, ou plutôt, ils n'étaient pas censés le connaître. Une fois de plus, le souverain devait admettre qu'il ignorait tout de la vie secrète de son ami : sa collaboration avec Emrys l'avait peut-être amené à se faire connaître de la communauté magique, ce qui expliquerait de telles réactions. Chris et lui, soucieux de ne pas perdre davantage de temps, ne tardèrent toutefois pas à prendre la route et à entraîner le jeune valet à leur suite. Le roi enchaînait les mouvements l'un après l'autre, détaché de lui-même, ne pensant qu'à ce qui l'attendait bientôt. A l'entrée du campement se trouvait le cheval qu'il y avait laissé en arrivant, et il hissa Merlin dessus. Il imposa aussi au druide d'y prendre place afin d'économiser ses forces : le sort qui pesait sur lui avait beau être levé, il n'avait pas encore eu le temps de se reposer pour récupérer.

A leur arrivée au château, Arthur constata avec soulagement qu'aucune catastrophe ne s'était produite. Pour l'instant. Lui qui avait craint et craignait toujours une manœuvre sournoise de Mordred, préférait rester sur place pour être en mesure de la contrecarrer, même s'il avait pris le risque de s'éloigner quelques heures dans l'intérêt de Merlin. Le temps passait mais on ne signalait toujours pas de mouvement de troupes ennemies à proximité de l'île ou ailleurs dans les différents royaumes, ce qui ne faisait qu'accentuer ses appréhensions. Quelque chose se tramait.

Les gardes qu'il avait placés devant les appartements du médecin depuis l'attaque d'Hunith l'informèrent que ce dernier avait remarqué la disparition de son protégé. Qu'il les avait interrogés à ce propos, alarmé. Heureusement, les ayant vus quitter les lieux ensemble, ils avaient pu le rassurer en lui expliquant que le jeune valet se trouvait en sécurité auprès de son maître. Sinon, qui sait ce que se serait imaginé le pauvre vieil homme ? Rasséréné, il était ainsi parti en tournée dans la ville basse, et il ne serait pas de retour avant un moment.

Arthur invita Chris à se reposer avec Merlin dans la chambre, ordonnant aux gardes de veiller sur eux et de s'assurer que personne ne rentrerait. Il s'en voulait d'avoir tant attendu pour placer des hommes ici. Un sorcier capable de déverrouiller la porte aurait très bien pu s'en prendre à Gwen, Gilli, Merlin ou Gaïus depuis le début ! Il soupira. Non. La vérité était que si Mordred avait vraiment voulu s'en prendre à eux, il n'aurait eu aucun mal à le faire, malgré toutes ces précautions. Qui pouvait vraiment savoir ce qui l'en avait si longtemps empêché ? Peut-être était-ce la crainte d'Emrys ? Pourtant, au bout du compte, il avait tout de même jugé bon de faire du mal à Merlin, ce qui ne semblait pas cohérent. Il n'y avait néanmoins pas eu de tentative à l'encontre de la reine, qui aurait pu constituer une cible importante.

Toujours un pas après l'autre, avec la sensation de ne pas vraiment être là, le souverain se rendit ensuite aux cuisines et demanda la préparation d'un repas pour trois personnes, à ranger dans des sacs pour qu'il puisse le transporter. Après une journée sans manger, la faim le rongeait et cela devait aussi être le cas de son valet. Il s'installa dans un couloir vide en attendant sa commande et, la tête entre les mains, il se força à calmer les battements de son cœur. Chris serait avec lui, ainsi que Merlin et Gwen, il ne serait pas seul, il devait se montrer courageux.

Lorsqu'enfin on lui mit entre les mains les anses des sacs remplis de nourriture chaude, il retourna aux appartements de Gaïus. Le jeune druide, qui s'éveillait d'une sieste et semblait déjà beaucoup moins pâle, se les vit confier.

-Navré, Chris, mais je dois te laisser les prendre. Je vais devoir porter Gwen.

-Je ne suis plus aussi faible, Sire, je peux parfaitement m'en occuper.

Arthur crut voir un air amusé sur son visage.

OoOoO

Une fois encore, c'était dans la grotte du Grand Dragon qu'Arthur avait choisi de s'installer. Un sanctuaire idéal pour ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Ils ne risqueraient pas d'être interrompus ici comme ils pourraient l'être dans les appartements de Gaïus, que ce soit par le médecin lui-même ou par un patient quelconque qui frapperait à la porte. Sans oublier que l'ancienne prison de Kilgarrah devenait progressivement son refuge pour réduire le risque d'être espionné : il y avait déjà emmené Gauvain, puis Merlin, puis Léon. Même si les pouvoirs de Chris garantissaient que les oreilles indiscrètes seraient rapidement détectées, et ce où qu'ils se trouvent, il valait tout de même mieux éviter d'en arriver là. Or le risque que quelqu'un s'aventure dans les souterrains était minime par rapport au reste du château. De plus, cette caverne restait la seule partie de Camelot qui ne soit pas teintée par l'hypocrisie de son père et qui le mettrait véritablement face à sa propre culpabilité. Elle portait la marque indélébile des actes d'Uther, révélant qui il était vraiment au-delà du luxe de son palais. Si le jeune roi voulait vraiment s'ouvrir sur les crimes de sa famille et ce qu'ils représentaient aujourd'hui pour lui, c'était ici qu'il devait se trouver. En réalité, Gauvain avait vu juste en pointant du doigt l'étrangeté de ce point de rendez-vous pour leur bilan stratégique. Je trouve étrange que vous ayez choisi cette grotte, en particulier maintenant que nous connaissons personnellement celui qui en a été le prisonnier. Le chevalier avait tout de suite senti que le choix d'Arthur allait au-delà de la simple logique. A présent que ce dernier acceptait de se confronter à ses démons, il pouvait cesser de le nier et enfin admettre que cette ancienne geôle revêtait à ses yeux une importance symbolique.

Il déposa Gwen au sol en l'adossant au mur, et il prépara pour elle une couche à l'aide des draps et des oreillers qu'il avait pris chez Gaïus. Ce ne fut qu'après l'avoir allongée avec délicatesse, en prenant garde à replacer tous les morceaux d'ambre contre sa peau, qu'il poussa Chris et Merlin à s'installer par terre avec lui. Leur petit groupe de quatre formait un cercle, au centre duquel ils se hâtèrent de déballer leurs plats. Il y avait sous leurs yeux toutes sortes de viandes, de pommes de terres, de légumes et de fruits, et ils passèrent de longues minutes à les savourer sans dire le moindre mot. Toujours par des gestes très lents, Merlin mangeait sans un bruit, comme une enveloppe sans âme. Le silence était à la fois glaçant et réconfortant, dans une combinaison aussi cohérente que contradictoire.

Arthur ignorait comment se lancer dans cette discussion, et Chris ne semblait pas pressé de l'y pousser. Au bout d'un certain temps, le roi se sentit obligé de prendre la parole pour briser la tension :

-Je suis prêt à commencer.

Ses mains tremblaient, il avait froid. Le druide leva les yeux vers lui :

-Laissez-moi d'abord préciser ce que nous nous apprêtons à faire, pour qu'il n'y ait pas de malentendu.

-Je t'écoute.

-Cela risque d'être dur à entendre…

-C'est parce que je sais que tu seras honnête avec moi que je te fais confiance.

Chris eut une longue inspiration avant de se redresser. Il planta son regard dans celui d'Arthur, qui frissonna.

-Pour comprendre ce que nous devons faire, il faut que vous preniez conscience d'un point essentiel qui est que votre souffrance ne s'améliorera pas en quelques jours, c'est un travail qui prendra des années. Votre monde s'est écroulé, il ne faut pas l'oublier. Vous apprendrez à vivre avec cette révélation au fil des années, mais d'ici l'attaque de Mordred il n'y aura probablement que peu de progrès.

Ce n'est pas le moment de me mettre à pleurer.

-Alors que fait-on ici ? A quoi bon essayer d'améliorer mon état si cela ne peut pas être fait à temps ? Merlin a besoin d'un vrai bouleversement, et vite !

-Ce que nous devons faire pour l'instant, ce n'est pas encore vous tirer véritablement vers le haut. Ce n'est pas exactement de cela qu'il a besoin pour sortir de la prostration, et ce n'est pas la première chose dont vous avez vous-même besoin.

-Je ne suis pas sûr de comprendre…

-Sire, pourquoi pensez-vous que Merlin se soit fermé ainsi aussitôt que le transfert a eu lieu ?

-C'est le… le désespoir… Il n'a pas reçu ce que j'utilise pour rester à flots. La détermination derrière mes objectifs. Il n'a reçu que le négatif.

-Exactement. Si vous n'aviez pas ces missions, que vous vous imposez sur le court terme, vous seriez dans le même état. Mais elles ne constituent qu'un bandage temporaire, qui ne vous permettra pas de guérir. Et dès lors que vos projets seront réalisés, que pensez-vous qu'il se passera ?

Sauver Merlin et repousser Mordred.

Autoriser la magie.

Et enfin renoncer au trône.

La réponse se trouvait dans le regard vide de son valet, qui lui montrait ce qui l'attendait une fois qu'il aurait mené à bien ces quelques missions qui le rattachaient à la vie.

-Vos objectifs ne sont qu'un cache misère. En réalité, vous êtes en train de couler et vous ne faites rien pour remonter à la surface. Merlin en est le reflet le plus pur.

Le roi secoua la tête, grimaçant et cherchant à tout prix à empêcher ses larmes de couler.

-C'est donc une cause perdue ?

Les bras résolument croisés, le jeune druide gardait tout de même un ton bienveillant :

-Non. Mais la première étape ne peut pas simplement être de vous… tirer vers le haut. Cela viendra plus tard, mais uniquement à condition que vous choisissiez d'abord de vous battre. Et c'est cela même que nous devons obtenir de vous aujourd'hui, cette décision. Si nous parvenons à remettre dans votre âme un élan vital, vous serez prêt à entamer la guérison et Merlin sortira de la prostration. Ce n'est pas votre souffrance qui l'a fermé au monde extérieur, c'est votre envie de tout abandonner. En vous tournant à nouveau vers la vie et l'accomplissement de votre destinée, vous lui insufflerez cette même volonté et vous le ramènerez parmi nous.

Arthur comprenait parfaitement ses mots, mais il avait le plus grand mal à les accepter.

-Pourtant…, murmura-t-il, je suis là. Prêt à me battre. N'est-ce pas suffisant ?

-Vous n'êtes là que pour Merlin et Camelot. Pour vos missions, et non par réel désir de vivre.

Chris avait raison. Plusieurs personnes avaient déjà essayer de l'aider mais il les avait toutes repoussées avant de comprendre qu'il ne pourrait pas sauver son valet autrement.

-Je ne sais pas comment faire.

-Vous allez devoir vous exprimer, mettre des mots sur vos ressentis. En discutant avec vous, j'espère comprendre ce qui vous bloque et surtout vous amener à en prendre vous-même conscience. Peut-être qu'en prenant un peu de recul, vous pourrez mettre les choses en perspective. Une fois que vous serez… sorti de ce point de vue limité…, eh bien tout restera encore à faire pour réellement vous soigner mais vous serez au moins tourné dans la bonne direction et Merlin sera libéré de sa prison mentale !

Il hocha longuement la tête, nerveux.

Mettre des mots sur ces ressentis ?

Il devrait y arriver, n'est-ce pas ?


Note : Un chapitre plus court et plus simple que d'habitude cette fois-ci. :) Et merci à naomithib13 et Gwenetsi pour leurs reviews du précédent !