*Tartarus
Cellule Hautement Sécurisée / Plus bas niveau (13)
Tout cela était vraiment, vraiment intéressant…
Depuis toujours, All For One n'avait jamais vraiment eu de mal à corrompre nombre de héros, soit en exploitant une faiblesse, soit par un chantage graduel… mais certaines personnes étaient incorruptibles, à l'instar All Might : des gens « vertueux » qui se dressaient perpétuellement face au « mal », incarné en la personne du vilain.
All For One n'avait jamais réellement tenté autre chose qu'anéantir ces héros-là, puisque de toute manière, ils étaient moins gênants morts que vifs. Pourtant, jamais il ne lui serait venu à l'idée de détruire leur réputation en l'augmentant drastiquement… Mais, comme le dit l'adage, « plus ils sont hauts, plus dure est leur chute ». Si le maître chanteur bicentenaire n'avait jamais tenté quelque chose de ce goût, c'était simplement à cause de son esprit pollué par la menace d'All Might. Un esprit pollué par la peur.
Désormais, le vilain souriait à pleines dents, sans que ses geôliers ne comprennent l'origine de cet engouement. La véritable Réponse, et All For One se doutait bien qu'il ne s'agissait pas d'un être originaire de son monde à lui, était d'une intelligence remarquable, masquant ses pas tel un chasseur intelligent. Seulement, même le plus doué des chasseurs ne remarque pas forcément l'araignée sur sa chemise, montant jusqu'à son cou pour le mordre.
La machination de Yokoshima était très simple à décortiquer : discréditer Yuei à travers Akira Arata en le faisant passer pour un criminel des plus instables, et rameuter les héros professionnels/professeurs de l'établissement sous son giron, en plus des élèves de la plus prestigieuse académie. Puis, petit à petit, scandale sur scandale, le faux PDG d'entreprise irait buriner, démanteler, calciner chaque école, chaque établissement pour singulariser l'éducation héroïque. Et ensuite ?
Simple comme bonjour : le monopôle des héros se trouvait sous la charge de la Commission Héroïque, qui n'était qu'un ramassis d'imbéciles se reposant sur quelques héros proches d'All Might… Mis à part la présidente de la commission – et il y avait peu de chance – personne là-bas n'irait vraiment s'opposer à Yokoshima et son projet « N.I.H ».
Une armée. Il créait une armée de super-soldats. Si All For One n'était pas attaché à cette maudite chaise sous le viseur de deux mitraillettes réagissant au moindre signe nerveux, il aurait applaudi !
Quand à la suite, un vilain pouvait l'extrapoler facilement : si l'on tenait le marché des héros en laisse, pourquoi ne pas adopter celui des vilains ? Contrairement au premier, il était beaucoup plus facile à manipuler : des gens brisés, espérant obtenir quelque chose de trop grand pour eux, avec des idéaux plein les poches, mais sans l'éthique pour les ralentir ; All For One l'avait toujours su, et ça l'avait toujours plus séduit que toute la bande de moralisateurs en collants.
Mais une fois que l'on avait tout le pactole en poche, on s'arrêterait là… Non ? « Maître du monde », un titre tant rêvé ! Lui-même en avait l'eau à la bouche ! Néanmoins, le nectar se transformait vite en eau trouble quand on apprenait l'existence de mondes parallèles plus vastes, plus riches et plus difficiles à conquérir que le vôtre. Votre mégalomanie se transformait en ultralomanie. Le vilain pouffa à la pensée de ce néologisme grotesque.
Yokoshima n'était qu'un souverain fantoche ; sitôt qu'il aurait assis son derrière sur le trône de son monde natal, il s'arrêterait là, se disant qu'il a « bien travaillé ». Puis on le trahirait pour des broutilles, et quelqu'un d'autre prendrait sa place, et ainsi de suite…
All For One se fichait bien de gouverner un monde. Il se fichait bien d'en gouverner mille. Un million ? Non. Non, non, non… Pourquoi s'embêter à vouloir jouer les monarques, les souverains fantoches et éphémères lorsqu'on vous offrait l'opportunité de devenir Dieu ?
La Vérité. Un pouvoir transcendantal, dépassant technologie, mutation, magie… La vérité, que seuls de rares élus pouvaient contrôler… J'avais crû que le All For One, mon Alter, n'était qu'un coup de chance parmi tant d'autres, un cadeau du destin… Il sourit de plus belle ; son Alter n'était pas un coup de chance. Son Alter était une opportunité pour devenir Dieu.
Avant lui, un homme avait eu tous les pouvoirs. Que décida-t-il de faire ? De les scinder, de les diviser sous la forme d'un changement qui vous faisait disparaître une articulation au petit orteil, et qui vous donnait un superpouvoir… À l'âge de quatre ans.
Lui et le Dr Ujiko s'étaient creusés les méninges sur la raison de cette limite d'âge. Il n'y avait aucun raison logique, aucun mécanisme biologique qui se déclenchait, aucune poussée hormonale… Rien ! Et ce petit orteil… Pourquoi pas les lobes d'oreilles ? Ou la pilosité en elle-même ? Aujourd'hui, Akira Arata avait apporté la réponse à sa question. Parce que sans lui, All For One n'aurait pas compris que l'inventeur des Alters n'était autre qu'un mournien, un extraterrestre.
Le plus drôle ? À l'âge de quatre ans, ce fameux mournien avait découvert sa Nature… en perdant son petit orteil.
*Tartarus
Cellule Moyennement Sécurisée / Niveau 5
— C'est quoi votre problème ? lança Akira au garde de prison.
Il aurait voulu croiser ses bras pour signaler son mécontentement, mais ses chaînes le gênaient… et sa poitrine l'auraient gêné. Le garde, lui, se grattait la tête avec un air confus, regardant une fiche sur un porte-documents.
— Bah, c'est que… votre sexe est mal référencé, ojou-san.
— Ben voyons ! (Akira lâcha un rire cristallin, tant différent de son baryton habituel) On arrive bientôt à la moitié du 22e siècle, on vit dans un monde où des Alters peuvent nous donner des apparences de flaque d'eau… mais on nous les brise encore avec ces identités de genre ?
Des rires fusèrent de part et d'autre de la file de prisonniers/ères qui attendaient qu'on les appelle et qu'on vérifie leurs informations. Le garde s'empourpra.
— C'est la procédure, j'y peux rien !
— Et la procédure, ça te permet d'être un connard de sexiste ? lança une femme dans la file.
— Ou un crevard de soiffard pédophile ? lança un petit homme à tête de homard.
— SILENCE, DERRIÈRE !
Fusèrent tasers et cris de douleurs. Aïe… Akira grimaça en voyant arriver la bête : une montagne de muscles avec un visage rétréci au lavage, aux petits yeux noirs avilis de haine et à la bouche plus pincée que les joues d'un môme par une grand-mère. Le garde devant Akira bredouilla :
— Monsieur le Commandant Pénitencier Hagusaki Masamusa !
— Un problème avec notre nouvelle recrue ? s'enquit Masamusa en lançant un regard en coin à la petite Akira.
— C'est que, monsieur…
— Aucun problème !
Les deux se tournèrent vers la châtain, qui souriait à pleines dents.
— C'est que votre déférent a le sens du strict : il pensait qu'il y avait une erreur sur mon genre.
Masamusa tonna de rire. Longtemps, jusqu'à que le garde et ses collègues le rejoignent dans son hilarité… qui s'arrêta aussi brusquement qu'un trait de foudre.
— Je ne tolère pas les manquements de lecture des rapports, Nusagi… Mais je vais passer pour cette fois, vu que nous accueillons la criminelle la plus sanglante depuis Imasuji Goto.
Des sifflements admirateurs survirent… et des regards haineux se firent sentir. Visiblement, Akira avait pensé à tort que tous les vilains étaient protégés des autres vilains. En fait, on devenait vilain souvent parce qu'un autre vous avait fait du tord. L'autre taré de musclé qu'Izuku a affronté a tué plus que moi, soyons sérieux cinq minutes ! s'offusqua Akira.
— Donc… (Masamusa arracha le formulaire des mains du garde tel un gorille, une banane et son bananier) Récapitulons : Akira Arata, 18 ans, sexe… masculin, mais désormais biologiquement féminin. Alter : Heaven's Door, permet d'ouvrir des portails et d'utiliser de l'énergie qui peut détruire les tissus organiques ou inorganiques. Instable psychologiquement et coupable du meurtre de Minoru Mineta, de Saiko Intelli et d'Asumi Musasabi.
— Que… Je n'ai rien fait à Asumi ! s'écria le garçon devenu fille, indigné(e).
Il se prit une torgnole à décorner des bœufs. Il s'écrasa lourdement, sa tête heurtant le sol. La douleur vive fut accompagnée de ces mots :
— Si je t'entends encore nier les faits, ce sera une semaine dans le Souffroir. La torture est officiellement interdite au Japon, mais à Tartatus, nous jouissons… d'immunité territoriale (le Commandant Pénitencier rendit le porte-documents au garde qui fit un « houf ! ») Tâche de t'en rappeler, meurtrier.
Il s'apprêta à partir quand, alors que le garde aidait la châtain à se relever (il se sentit mal de l'avoir tourné en bourrique !), Masamusa déclara :
— Tu n'as pas nié pour Intelli ou Mineta. C'est bien : plus tu te sentiras coupable et crevé de remords, moins on aura besoin de te torturer (il se retourna et mima un écrou qu'on visse dans sa tête, en faisant une grimace) Tu vois ? Parce qu'on se torture soi-même. VOUS AUTRES ! RETOURNEZ À VOS POSTES, ET QUE ÇA SAUTE ! On a du pain sur la planche avec ces détraqués…
Ah oui, les détraqués. Ceux qui tuent sans discontinuer, ceux qui complotent dans la promiscuité, et les derniers qui les fréquentent après les avoir mis aux arrêts…
— Désolé, s'excusa le garde lorsque son supérieur hiérarchique fut éloigné. Il est peu à cran, ces temps-ci.
— Toi, et Akira cracha un glaviot de sang par terre, t'es trop bon pour travailler ici.
— Ah bon ? (le garde, Nusagi, sembla bien prendre le compliment) J'espère faire de mon mieux pour que le séjour de chacun se déroule le mieux possible !
C'est très bien de mettre de la pommade après le tison, mais la douleur se tarira jusqu'à quand ? se demanda Akira en voyant la plupart des regards brûlants se poser sur lui…
