Chapitre 23 : La forêt de pluie
LIBERTE
C'est notre droit le plus fondamental
Nous ne demandons rien de plus
Tous les jours, nous entendons :
« Reste caché, reste terré,
C'est pour ta sécurité,
Ne montre pas ta magie en public,
Prétends être ce que tu n'es pas,
Ne fais pas de vague,
Ne dis rien,
Ne fais rien,
Ne vis pas »
Et peut-on leur reprocher d'exagérer ?
Les faits leur donnent raison,
Le voisin trop naïf, sa fille a disparu,
Le cousin imprudent, est depuis veuf,
La sœur rebelle, n'a jamais revu son frère,
Alors devons-nous amputer notre liberté,
Pour des êtres aussi impitoyables ?
Pourquoi protéger ses propres bourreaux ?
Le Syndrome de Stockholm,
A-t-il atteint l'ensemble du Ministère ?
L'ensemble des peuples magiques ?
Si nos deux espèces ne peuvent coexister en paix,
L'une des deux ne doit-elle pas être effacée ?
Si notre espèce est opprimée,
Menacée,
Ne devons-nous pas la protéger ?
La libérer ?
Il est temps de se remettre à vivre.
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Les dernières lettres du tract qu'un inconnu m'avait posé dans la main se fondirent dans le blanc du papier. Je froissai le bout de feuille vierge et le glissai dans ma poche pour ne pas en recouvrir davantage les pavés du Chemin de Traverse, déjà jonchés de milliers de tracts similaires.
- C'est un bazar sans nom, cette rue, critiqua ma mère, ils devraient au moins organiser un sens de circulation. Et puis toutes ces vieilleries qui volent partout, ça tapisse mon brushing de moutons de poussière.
- Il me faut aller acheter mes livres pour les nouvelles options, l'ignorai-je. Fleury & Botts est juste après le magasin de fournitures.
Le professeur Lettriminel était occupé ailleurs et n'avait pas pu m'accompagner. Mon père avait reçu une lettre de Poudlard stipulant que j'avais l'autorisation de rentrer dans le Chemin de Traverse avec un accompagnateur moldu. J'avais dû poser ma baguette contre le mur du Chaudron Baveur et j'avais été ravie de voir que ma magie était capable d'ouvrir le passage. Ma mère n'avait pas été étonnée le moins du monde d'être entourée de chapeaux pointus, de robes et d'objets magiques en tout genre, et passait son temps à faire des commentaires sur les choses qui d'après elle nécessitaient amélioration. J'avais l'impression d'être dans une émission de relooking pour quartier.
Un petit sorcier maigrichon avec des yeux vairons et un piercing dans les narines me posa un tract dans la main. J'allais protester que j'avais déjà perdu assez de temps à lire sa propagande débile anti-moldue, mais sa main serra la mienne pour ne pas me laisser reculer quand il visa le fond de ma rétine de son étrange œil bleu électrique. L'instant ne dura pas mais de surprise j'en oubliai de respirer. Je baissai les yeux au trait de douleur qui traversa ma main sous sa poigne ferme. Le papier était piégé sous mes doigts. Puis ma main put à nouveau s'ouvrir.
Le tract portait les mêmes lettres mouvantes. Le petit sorcier avait disparu quand je relevai la tête. Les mots s'évanouirent à leur tour. Je reluquai ce vulgaire papier vierge et me demandai ce qu'il voulait que j'en fasse. Je le tournai et découvris une inscription manuscrite qui, elle, n'avait pas disparu. Malheureusement, le message était parfaitement illisible pour moi. Ce n'était même pas écrit en alphabet latin. Je fronçai un sourcil frustré et froissai l'objet au fond de ma poche avec l'intention de le jeter dans la première poubelle. Je suivis ma mère dans la librairie.
La vie chaotique familière à l'intérieur de Fleury & Botts me combla de joie, depuis la foule d'écoliers en mouvement jusqu'aux formulaires qui traversaient la pièce en battant de l'aile.
- C'est pas ta petite copine, là-bas, Hugo ?
Je tournai la tête à temps pour voir une paire d'oreilles devenir cramoisie. Deux grandes mains se posèrent dessus et deux iris couleur vase se déportèrent en biais.
- Arrête, Lily, grogna-t-il. Laisse-moi tranquille. T'as qu'à aller retrouver Lily et Jess pour faire tes fournitures.
- Non, vous restez tous les deux avec moi, sinon maman va me défoncer, les attrapa James Potter. Plus vite vous aurez fini vos achats, plus vite je pourrai vous larguer au Chaudron Baveur avec maman pour aller rejoindre mes potes. Alors magnez-vous le bulbe, un peu.
Je saluai dans leur direction mais Hugo était tellement occupé à se cacher dans ses épaules qu'il ne me vit même pas. Ce fut Lily Potter qui me renvoya le salut avec un sourire hypocrite.
- Ce sont des amis à toi ? demanda ma mère avec un retroussement de nez.
Je ne sus si c'était devant l'accoutrement bizarre du groupe, la coiffure en bataille de James Potter ou la pile de grimoires défraîchis dépassant du sac de Hugo.
- Tu veux finir tes fournitures avec nous ? proposai-je.
Il sourit en me voyant, et parut soulagé de la porte de sortie qui lui était offerte, mais James se mit à protester jusqu'à-ce que Louis Weasley ramène sa natte rousse et lui suggère de relâcher la pression.
- Bah, t'as raison, Louis, j'en ai marre de me tuer à faire la baby-sitter alors qu'ils sont assez grands pour se débrouiller tous seuls. Maman aura qu'à aller les récupérer. C'est bon, barrez-vous, les trolls, allez faire chier la famille de Vivent-les-moldus ou qui vous voulez à ma place.
- Bien parlé, cousin, le félicita Louis, faut pas se laisser marcher sur les pieds. Viens, on va retrouver Mary.
Le rouquin beau gosse entraîna son compère dans la foule et Lily en profita pour se faufiler hors de notre vue. Hugo se frotta le coude de son long bras sans savoir comment exprimer sa gratitude.
- Merci, j'en pouvais plus.
- Je suis la maman de Malany, enchantée de te rencontrer, jeune homme, dit-elle avec une moue et une main tendue de femme politique.
Hugo marmonna une réponse vague en posant mollement une de ses pattes de phasme dans la paume ouverte devant lui.
Je trouvai vite le livre recommandé pour le cours de Runes. Parmi les symboles sur la couverture, je reconnus certains de ceux griffonnés sur le tract anti-moldus du petit sorcier au yeux vairons de tout à l'heure. C'était débile, pourquoi écrire sa propagande en runes ? Le but de la propagande était d'être compréhensible par tous, et pas l'inverse. C'était ridicule. Et ce regard qu'il m'avait lancé... Je serrai les dents de frustration. Je ne pouvais quand même pas demander à cette fausse amie de Plumeau de me le traduire. Je luttai contre ma curiosité montante en attirant mon attention vers les gestes de mon ami.
- T'en prends pas, Hugo ?
- Je l'ai déjà, répondit-il en désignant son sac. J'en ai pris un pour Plumeau, même si ni elle ni moi avons pris l'option Runes. J'ai aussi pris celui d'Informatique magique. J'ai pas pris l'option non plus, mais je me suis dit que je pourrais l'étudier sur tes cours en plus de mes options.
- Ah bon ? Mais t'as pris quoi, comme options, alors ?
- Des options qu'on peut pas apprendre seul, dit-il. Soins aux créatures magiques, et Arts et musique magiques. Et aussi Arithmancie, parce qu'aucun de vous l'a pris et que je voudrais avoir au moins les bases. J'espère que ça te dérange pas que j'emprunte tes cours cette année ?
- Non, non, pas du tout, mais ça va pas faire beaucoup ?
- J'apprends vite, haussa-t-il les épaules. Je deviens vite bon, tu te souviens ?
Je pris le livre sur l'Informatique magique d'une étagère à deux doigts de se briser sous son contenu. Il pesait un âne mort et possédait plus de pages qu'un dictionnaire. Ce livre-là était moderne, en papier souple et noirci d'une police minuscule et dense. Je grimaçai.
- Qu'est-ce que c'est que cette option que tu as pris, ma chérie ? Tu es sûre que c'est de ton niveau ? Informatique magique ? Quelle idiotie. L'informatique, c'est tout sauf magique.
- En échange de te passer mes notes, je veux bien que tu m'expliques quand je comprendrai rien à ce cours, fis-je à Hugo.
- Avec plaisir, sourit-il.
Hugo nous accompagna hors de la librairie. Le magasin d'art magique était encastré dans une ruelle étroite et le trouver ne fut pas aisé. L'enseigne biscornue annonçait « Chez Rambrandt, tisseur de rêves ». La minuscule boutique comportait plus de bazar que la chambre de Willie, ce qui était déjà un exploit en soi. Mais ce qui surprenait, c'était la musique envoûtante à peine audible qui tapissait l'espace, et les cadres à l'intérieur desquels circulait un magnifique dragon multicolore dont on ne distinguait que les écailles iridescentes ici et là. La clochette de la porte annonça notre entrée et un jeune sorcier d'une vingtaine d'années surgit de derrière une toile vide. Ses cheveux bruns se contorsionnaient dans une anarchie sincère et une barbe de quelques jours hérissait ses joues. Il avança sa silhouette maladroite flottant dans une salopette en jean maculée de peinture. En découvrant deux ados plantés au milieu de son atelier, il étira un sourire ravi.
- Deux assortiments d'outils pour l'entrée en troisième année à Poudlard, devina-t-il. Vous avez bien choisi votre option, c'est sans doute la plus belle des magies.
Je me sentis détaillée de haut en bas. Hugo dut ressentir la même chose car ses oreilles se mirent à rosir sans prévenir. Le regard du peintre me faisait sentir comme une nature morte découpée en formes élémentaires et rapports mathématiques prête à être reproduite sur le mur. Sa main velue et maigrichonne évoquait une mygale. Elle s'était posée sur la nuque de Hugo.
- Tu pousses vite, toi, commenta le commerçant.
Je ne lui donnais pas tort.
- Vous voulez bien nous servir ? s'impatienta ma mère. Vous avez l'air de savoir ce qu'il leur faut. J'ai un rendez-vous à 17h.
Rendez-vous avec une copine pour la gestion de la trésorerie de leur association « Du blé pour les bovins» de protection des fermiers nourrissant leurs vaches sans gluten. Enfin c'était surtout l'occasion de boire le thé en refaisant le monde à leur façon. Mais ma mère avait horreur du retard et je pouvais être sûre que mes fournitures seraient complètes à l'heure décidée.
L'artiste ne se fit pas prier et revint avec un panier plein de matériel divers. Je reconnaissais des pinceaux, des crayons et de la peinture, mais le reste était complètement inconnu. Il donna un panier à moitié vide à Hugo.
- Il t'en manque, non ? demandai-je.
- Le reste est déjà chez moi, me rassura-t-il.
Il remercia le vendeur et m'accompagna dehors.
- On se revoit au premier cours, nous salua l'artiste en retournant dans l'ombre de l'arrière-boutique.
- Au premier cours ? fronçai-je les sourcils.
Hugo haussa les épaules et se cala sur le pas rapide de ma mère.
- Tu sais déchiffrer les runes ?
- Non, répondit-il. Je comptais apprendre cette année. Pourquoi ?
- Pour rien.
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Lyra examina le papier griffonné avec la concentration d'un orfèvre. De temps en temps, elle me jetait des coups d'œil suspicieux par-dessus, comme si elle attendait des commentaires de ma part. Plumeau put constater que j'avais demandé une traduction à Lyra et non à elle, mais ne s'en offusqua pas. De toute façon, je ne la croyais pas capable de se vexer de quoi que ce soit. Dommage, j'aurais bien voulu qu'elle y voie le message que j'y insufflais volontairement. Hugo avait râlé pour la forme quand il nous découvrit dans le même compartiment que Lyra Fox, mais nous rejoignit quand même, Zach sur ses talons. Nemo rêvassait en regardant le paysage par la fenêtre du train.
- Qui t'a donné ça ?
- Le tract ? Je sais pas, mais de toute façon, ça doit juste être encore un message de propagande en runes, non ?
- Qui te l'a donné ? insista Lyra.
- Il y en avait des centaines par terre sur le Chemin de Traverse, répondis-je.
- T'es attardée au naturel ou c'est juste pour coller au folklore de Poufsouffle ?
- Et toi, t'es méprisable au naturel ou c'est pour coller au folklore de Serpenta...
- Peut-être, Weasley, mais au moins je passe pas mon temps à refouler ma véritable nature et me faire passer pour ce que je suis pas...
- Qu'est-ce que tu insinues ? rougit Hugo.
- J'insinue rien du tout, corrigea-t-elle, c'était très clair.
- Pas pour moi, grogna-t-il.
- Je veux dire que si tu avais pas supplié le choixpeau de « tout sauf Serpentard », tu serais peut-être mieux dans ta peau et moins enclin à me péter les...
- Tu me connais pas, coupa-t-il d'une voix capable de faire tomber la température de l'air sous le seuil de congélation. Alors ferme-là. Je vais m'installer ailleurs, avant de vraiment m'énerver. Salut.
La porte du compartiment claqua brutalement sur une atmosphère plus lourde que du plomb.
- Je vais le rejoindre, fit Zach. On se retrouve à l'arrivée.
Lyra poussa un soupir de soulagement quand la porte claqua une seconde fois, plus doucement. La contemplation de Nemo avait été perturbée par les éclats de voix et il se tourna vers nous d'un air étonné.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Rien, répondit Lyra, juste Wealsey qui s'énerve tout seul quand on essaie de l'aider à gérer ses problèmes psychologiques, comme d'habitude.
- Tu devrais peut-être juste arrêter de le provoquer, suggérai-je.
- Je provoque personne.
- T'as réussi à comprendre ce qui est écrit sur le message ? soupirai-je en voyant que je m'acharnais dans le vide. Vu ton insistance, je suppose que c'est pas juste une pub en runes.
Elle me jeta un œil méfiant.
- Qu'est-ce qui est écrit dessus ? demanda Plumeau en déballant une part de gâteau de courge tellement épais que je me demandais comment il allait renter dans sa bouche. Le message est si inquiétant que ça ?
- C'est pas tellement ce qui est écrit qui m'embête. C'est...
- Dis toujours, la coupai-je.
Je commençais à trépigner d'impatience à force de tourner autour du pot. Et son expression embrasait ma curiosité comme une allumette lancée dans une piscine d'essence.
- T'es sûre que ça t'était adressé à toi ? J'ai...
- Dis-nous, Lyra, calma Plumeau de sa voix douce en finissant d'avaler un gros morceau de gâteau. Je suis curieuse de savoir, aussi. C'est grave ?
- Grave, j'en sais rien. Tu me le diras si tu comprends ce que ça veut dire. « Tu trouveras ce que tu cherches dans la forêt de pluie. Un ami », traduisit Lyra. Mais...
- Dans la forêt des pluies ? s'étonna Plumeau. C'est pas la forêt Amazonienne, ça ?
- Non, fit Lyra en secouant la tête. C'est au singulier.
- J'avoue que ça ressemble pas tellement à une pub ou à de la bête propagande. C'est quoi, cet endroit ? demanda Plumeau.
- Aucune idée. Mais vous fatiguez pas trop à essayer de comprendre, ce mot vous est pas adressé, c'est certain. On vous l'a donné par erreur.
Plumeau interrompit brusquement le fil de sa question suivante en apercevant mon expression du coin de l'œil.
- Qu'est-ce que t'as, Many ?
J'étais en plein bouillonnement cérébral.
Tu trouveras ce que tu cherches...
L'avertissement de Féline avait immédiatement surgi dans le flot de mes pensées. Cet endroit qu'elle avait refusé de nommer, qui devait fournir des réponses à mes questions, ça ne pouvait être que celui-là. Féline ne s'était jamais trompée jusqu'ici.
Qu'est-ce que cette forêt pouvait bien abriter ?
Ce que je cherche... ? Franck ? Pourquoi Franck serait-il dans une forêt ? Féline avait bien insisté sur sa mise en garde. J'avais promis, mais après tout, est-ce qu'une promesse à un chat avait une quelconque valeur ? Je n'allais quand même pas attendre indéfiniment que la police magique ou les aurors mettent la main sur Franck. Vu leur degré de motivation, Franck avait tout le temps de revenir finir mon cas. Si j'avais une chance de le dénicher, je n'allais pas la laisser filer.
Je racontai l'avertissement de Féline. Toutes les deux étaient au courant pour Féline, je ne la trahissais pas en rapportant ses paroles. Et Nemo était trop concentré sur le paysage qui défilait pour faire attention à notre conversation.
- Pour un animal parlant, ton chat a vraiment des problèmes d'élocution, souleva Lyra. Il devrait apprendre à s'exprimer plus clairement.
- C'est assez clair pour moi, répondis-je. Franck habite dans une forêt et j'ai un allié secret qui me donne sa cachette pour m'aider à le faire arrêter.
- Un allié secret ? fit Lyra avec un haussement de sourcils dubitatif.
- C'est signé « un ami », non ?
- Oui, accorda-t-elle, j'imagine que personne aurait songé à signer « un assassin sanguinaire à ta recherche ».
Elle observa ma réaction et sembla atterrée de ma mine interdite.
- Si je signais « un botruc », ça ferait pas de moi un esprit sylvestre, tu saisis la nuance ?
- Je vais pas commencer à me méfier de toutes les personnes qui tentent de m'aider, rétorquai-je.
- Peut-être que tu devrais, glissa Plumeau.
- Pas toi aussi, Plumeau ! m'insurgeai-je. Me dis pas que tu penses que ce message vient de Franck, quand même !
- J'ai pas dit ça, sourit-elle. Je dis juste que tu as parfois un peu trop tendance à croire les autres sur parole. Peut-être que tu as raison, et que c'est effectivement un allié qui tente de t'aider. Peut-être pas.
Naïve, moi ? Je tentai sans succès de cacher ma mine vexée. Je n'avais pas envie de croire que cet allié miraculeux puisse se révéler mal intentionné. J'avais besoin de réponses. Dans mon excitation, j'en avais complètement oublié ma rancœur envers Plumeau.
- Allez, fais pas cette tête, fit-elle. Honnêtement, je m'en fous. Si tu penses que ça vient d'un allié, très bien. Si tu vas dans cette forêt, j'irai avec toi.
Tentative bancale de se racheter, pensai-je.
- Vous cassez pas la tête, ce message vient pas de Franck, nous assura Lyra. Je voulais juste que Baker comprenne que le monde est pas fait que de dociles miss collabo comme elle. Je sais qui l'a écrit.
Je me dressai sur mon banc. Plumeau venait d'enfourner une autre part de l'énorme gâteau et sa bouche pleine l'empêchait de cuisiner Lyra. Je m'attelai à la tache.
- Qui ?
Un sourire révéla les dents de squale de Lyra.
- C'est ce que j'essaie de vous dire depuis tout à l'heure, si vous passiez pas votre temps à me couper. Ce mot vous est pas destiné. C'est pour ça que je comprends pas pourquoi tu t'es retrouvée avec. Qui te l'a donné ?
- J'en sais rien, moi, répondis-je, je le connais pas. Pourquoi tu dis qu'il m'est pas destiné ?
Lyra retrouva un visage sérieux et me présenta le dos du tract griffonné de runes et de symboles incompréhensibles pour moi.
- C'est l'écriture de Slyha.
J'avais saisi le bras de Plumeau tellement soudainement qu'elle s'étouffa à moitié avec le gâteau qu'elle mangeait.
- Ta sœur ?
Je n'y comprenais plus rien.
- Oui, ma sœur, me confirma Lyra d'une voix plate. J'en connais pas d'autre, de Slyha. C'est ma mère qui a inventé ce prénom. Je suis certaine que c'est elle qui a écrit ces runes.
- C'est juste des runes, montrai-je. Comment tu peux reconnaître un style d'écriture là-dedans ?
- Elle utilise un code, expliqua Lyra. Personne d'autre que moi aurait pu le déchiffrer. Tu t'es pas demandé pourquoi Plumeau arrivait pas à le lire ?
Je n'osai pas dire que dans ma dispute unidirectionnelle avec Plumeau, je ne lui avais rien montré de ces lignes. Celle-ci continuait de tousser des pépins de potimarron sans pouvoir intervenir dans l'échange.
- Je connais qu'une partie de son code, poursuivit Lyra. Celui qui date de notre enfance. J'ai retranscrit le message principal, mais ces symboles sur le côté, je connais pas. C'est sûrement un autre code dont elle m'a jamais parlé.
- Pourquoi ta sœur voudrait me donner un message que personne sait déchiffrer ?
- Ce message était pas pour toi, Baker, celui qui te l'a donné s'est trompé de destinataire.
- Il m'a bien fixé pourtant, insistai-je. Je ressemble pas vraiment à ta sœur.
- Ou alors celui qui le lui a confié s'est trompé, chassa-t-elle ce détail de la main, peu importe. Ce code, il y a que Slyha qui sache le déchiffrer. Elle s'écrit des notes de rappel avec. Elle a dû le perdre.
- Et cette histoire d'allié ?
- J'en sais rien, fit-elle en se désintéressant de la question. J'ai traduit comme j'ai pu. C'est pas ma faute si ma sœur écrit des trucs inintelligibles.
Plumeau avait repris des couleurs mais peinait à sortir de ses quintes de toux.
- Tu devrais aller boire un coup, non ? lui conseillai-je devant son visage rendu écarlate par l'effort.
Elle sortit pour aller boire de l'eau aux toilettes du train. Un visage timide éclaboussé de taches de rousseur risqua un coup d'œil dans l'entrebâillement à l'ouverture de la porte du compartiment. Plumeau lui fit un signe d'excuse et continua sur sa lancée.
- Kathleen ? appelai-je.
Le visage mit un moment à reparaître. Il se glissa prudemment dans l'interstice. Je l'invitai à entrer s'installer avec nous. La sorcière minuscule aux ondulations rousses plus sèches que la paille se glissa silencieusement comme si elle avait peur de déranger et posa ses fesses sur le banc à côté de moi.
- Je savais pas trop où aller, confia-t-elle. Je voulais pas embêter Rowe et Alyss. Et j'avais peur que rester toute seule dans un compartiment attire Philippa.
- Fallait venir plus tôt, lui assurai-je. Moi, je t'accueille quand tu veux.
Elle sembla relâcher la pression.
- J'avais peur que tu m'en veuille.
- Ah bon ? m'étonnai-je.
- Comme l'année dernière je vous avais un peu laissés tomber pour rester avec Laura et Chris, je comprendrais que tu trouves un peu gonflé de ma part de revenir vers toi maintenant qu'ils sont plus là.
- Ça m'a pas du tout traversé l'esprit, mentis-je.
Après tout, je serais bien bête de lui en vouloir. Elle au moins, elle était honnête avec moi.
- Avoue que c'est Lyra qui te filait la trouille, plaisantai-je.
- N'importe quoi, rétorqua celle-ci. Je suis la seule personne bienveillante dans l'entourage de Kath, et elle le sait très bien.
Je levai mes yeux au plafond.
- Te moque pas, fit Kathleen, elle dit la vérité. Quand je suis près de Lyra, c'est un peu comme si j'avais une armure impénétrable.
- Tu devrais t'atteler à forger ta propre armure, Kath. Je pourrai pas toujours être là.
Son sourire timide se ternit.
- J'aurais pas dû revenir à l'école, grimaça-t-elle.
- Bien sûr, fit Lyra. Comme ça, quand ta carrière aurait peiné à décoller, tu te serais retrouvée sans diplôme à devoir parasiter ma famille jusqu'à la fin de tes jours en regrettant d'avoir fait un choix sur un coup de tête.
Kathleen baissa les yeux.
- Papa a eu raison de te forcer à revenir à Poudlard. Tu pourras te lancer dans le Quidditch pro une fois passé tes ASPICS. Mais au moins, t'auras un filet de sûreté.
- J'ai pas l'impression que la sûreté sera au goût du jour cette année pour moi à Poudlard, répliqua Kathleen.
- Tu vas quand même pas me dire que t'as peur de Face de rat et sa bande de dégénérés ? Ils peuvent rien te faire.
- Du Quidditch pro ? Attends, quoi ?
La conversation était allée trop vite pour moi.
- Une équipe a envoyé une lettre à l'orphelinat pour m'engager, déclara Kathleen. Ils voulaient que j'arrête mes études pour démarrer ma carrière d'attrapeuse professionnelle.
- Hein ? Mais c'est génial ! m'exclamai-je.
- Ne l'encourage pas, me réprimanda Lyra en voyant que l'intéressée se trémoussait d'orgueil sur son banc. On prend pas des décisions aussi importantes comme ça. Je suis sûre que c'est pas une si bonne équipe, en plus.
- C'est vrai que tu devrais t'estimer un peu plus cher que ça, dis-je. Je parie qu'à ta sortie de Poudlard, toutes les meilleures équipes vont se bousculer pour s'arracher ta candidature. Laisse monter la sauce, un peu. Il faut créer l'envie.
- Je sais bien que vous avez raison, concéda-t-elle. Mais c'est tellement dur de laisser passer un rêve aussi beau, comme ça. J'ai pas envie de supporter Philippa et les autres comme pendant ma première année.
- T'inquiète pas, je serai là, et Lyra aussi, lui assurai-je.
- Va pas m'engager sans mon accord, Baker.
- En plus, ils ont sûrement mûri depuis le temps, ajoutai-je. Ils se sont trouvé d'autres occupations que ça.
- Sois pas si optimiste, Baker, tu sous-estimes le pouvoir de l'ennui.
- Avec les menaces de Scylla dans le train l'année dernière, tu peux être sûre qu'ils oseront pas t'approcher, insistai-je.
- Au contraire, me contredit Lyra, tu peux être sûre qu'il lui feront payer leur fierté entachée.
- Arrête de casser mes encouragements, râlai-je. Elle va avoir envie de repartir de suite.
Kathleen gloussa de son rire de souris devant notre dispute.
- Personne peut te prendre ce que tu aimes faire, intervint Nemo. T'aimes voler sur un balai, non ? C'est ce que tu fais de mieux et sur ce terrain tu pulvérises n'importe qui. Alors pense à ça quand ils viendront te chercher des ennuis. Pense à ta passion, ce que tu aimes. Ils pourront jamais t'enlever ça. Quoi qu'il arrive, rappelle-toi de ça.
Lyra avait tourné la tête vers lui d'un air perplexe. J'étais aussi interdite qu'elle. Il était tellement silencieux que j'en avais oublié sa présence.
- Merci, Nemo, le remercia sincèrement Kathleen. Je m'en souviendrai.
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A peine était-elle assise sur le banc de la table de Serpentard que les nuées de vautours avaient repéré sa rousseur flamboyante. Deux élèves des classes supérieures l'encadrèrent de leurs larges épaules. Depuis la table de Poufsouffle, avec le brouhaha, impossible d'entendre ce qui se disait, mais la voûte progressive du dos de Kathleen ne me disait rien de bon.
- Silence, s'il-vous-plaît !
La voix forte de Swan brisa ma concentration rivée sur leurs lèvres et plusieurs dos habillés de la robe noire de l'uniforme me masquaient la vue de Kathleen quand je reportai mon attention à nouveau sur elle. La directrice fit entrer le groupe de première année et le choixpeau chanta devant les bouilles émerveillées des nouveaux élèves. A l'évocation de la témérité et de l'impatience d'agir de Gryffondor, Zach me donna une bourrade.
- Le choixpeau devait être bourré quand il t'a envoyé à Poufsouffle, Many, pouffa-t-il.
- Tu me veux pas à ta table ?
- Ah, ça, je suis ravi de t'avoir, mais ça me rassure de me dire que même un objet enchanté vieux de plusieurs siècles peut se planter de temps en temps. Personne est parfait. Tout le monde fait des erreurs.
- C'est pas une excuse pour flemmarder toute l'année et venir pleurer dans mes robes aux examens, lui souffla Hugo.
- Tu rigoles ? J'ai bossé super dur l'année dernière ! C'est pas ma faute si cette momie de O'Noguel me sacque la face chaque année... Bienvenue, Jake !
- Salut, Jake !
- Jake, avec nous !
Je suivis des yeux le première année à la peau sombre et les cheveux raides en tourbillon autour de sa tête. Il posa délicatement le choixpeau et trottina vers la table de Poufsouffle. Joey lui entoura le cou de ses bras et lui claqua un bisou sur la joue. Sa victime rigola et renonça à se débattre. Quand son cousin le lâcha enfin, il envoya un signe de de main de présentation au reste de la tablée. Tous les Andersen eurent une moue attendrie. Je reconnus en ce nouveau venu un des plus jeunes frères de Elton.
- Vous trouvez pas qu'il a des joues à bisous ? le montra Zach.
- C'est son superpouvoir, déclara Steven de plus loin. Il donne envie de le câliner.
- Si c'était pas mon petit frère, on serait déjà mariés, ajouta Dahlia en l'entourant. C'est le plus beau.
- Non, ça, c'est moi, le plus beau, opposa Steven en fin connaisseur.
- Je rends les armes, capitula Jake Andersen en montrant paumes vides à son cousin. La lutte est perdue d'avance.
- Arrêtez de faire du bruit, la cérémonie est toujours en cours, gronda un sixième année.
- C'est pas parce que t'es le plus moche que tu dois laisser ta frustration guider ton aigreur naturelle, Justin, lui conseilla Zach d'un ton avisé. Viens accueillir ton petit frère, plutôt.
- Fais pas ton malin parce que Marvin est plus là, cracha-t-il. Je vous ai à l'œil, tous.
- T'es pas préfet, que je sache, lui fit remarquer Joey.
- Je peux leur rapporter ce que je veux.
- C'est agaçant ce bruit de fond inintelligible qui vient de cet endroit, là-bas, montra Steven vers son cousin, ça m'empêche de me concentrer sur la répartition.
Je lâchai leur ping-pong verbal et contemplai les élèves monter sur le tabouret pour recevoir la sentence irrévocable qui figerait dans le marbre le restant de leur scolarité en moins de quelques secondes. Le choixpeau pouvait-il vraiment se tromper ?
Les paroles de Zach trottaient dans ma tête. Lorsque mon tour était arrivé, il avait hésité. Je ne pouvais m'empêcher de m'imaginer ce qu'aurait pu être mon quotidien si j'étais allée à Gryffondor. Mon groupe d'amis aurait été radicalement différent. Peut-être aurais-je été le quatrième membre d'un gang de filles impitoyable avec les deux Lily et Jess ? Est-ce que je serais devenue comme elles ? Une chipie pressée de faire les quatre cent coups au dépens des élèves des autres Maisons ? Une des filles que Apollo ou Harry posaient sur leurs genoux entre les cours pour glousser à leurs vacheries ? Est-ce que j'aurais ri de la coupe de Kathleen ? De la dégaine maladroite de Hugo ? Du plumeau de Selina ? De l'expression d'incompréhension de Zach ?
Je me persuadai que la réponse à ces questions était un Non ferme et certain. Mais qu'est-ce que j'en savais, au fond ? Le contact de Plumeau, Zach et Hugo m'avait changée. Je n'étais plus celle qui s'enorgueillissait de sa nouvelle situation de sorcière sur le Chemin de Traverse il y a deux ans. Je regardai cette minuscule peste vaniteuse avec distance et me dis que finalement, la théorie du frère de Jess n'était peut-être pas si fausse que ça. Les Poufsouffle n'étaient certes pas tous des attardés, mais leur candeur et leur chaleur étaient d'une impressionnante contagiosité.
Je m'y sentais bien et je n'aurais changé de Maison pour rien au monde.
- Veuillez accueillir votre nouveau professeur d'Astronomie, annonça Swan. Le Professeur Sankhara remplacera le Professeur Sinistra qui a pris sa retraite en fin d'année dernière.
Un homme au nez épais couleur café et aux boucles noires se leva pour saluer ses futurs élèves. Ses collègues l'encouragèrent de leurs applaudissements. Ses lèvres formèrent un large sourire bienveillant. Un drapé de tissus aux couleurs chaudes tombait de son épaule gauche et s'enroulait autour de sa taille fine dans un enchevêtrement scintillant de strass, de broderies et accessoires cuivrés. Son bras droit était laissé libre et le gauche disparaissait dans une aile de tissu brodé. Il fit papillonner ses longs cils noirs, faisant miroiter les paillettes déposées au-dessus de ses yeux sur la peau sombre de ses paupières.
- Je suis en train d'halluciner ou il porte un sari ? s'étonna Zach. Il se sape comme ma grand-mère, sérieux, on a encore décroché le gars louche du coin. On peut pas avoir un prof normal, pour une fois ?
- C'est joli, commenta Plumeau.
- Je le reconnais, chuchota Hugo avec des yeux ronds. C'est un auror.
Nous nous retournâmes sur lui d'un seul bloc.
- Et pas n'importe lequel, continua-t-il à voix basse. J'ai entendu Teddy dire qu'il était capable de tenir tête à trois tireurs d'élite de la police magique en simultané. Il a mis à Azkaban un tiers des Mangemorts à lui tout seul. Une vraie légende.
- Ce clown ? Tu rigoles ? fit Zach.
Hugo secoua la tête.
- Merci de m'avoir invité parmi vous. J'espère que nous aurons tous beaucoup de choses à apprendre les uns des autres.
J'aurais juré que le prof avait prononcé cette phrase dans ma direction.
- Qu'est-ce qu'ils fabriquent à engager des aurors ? murmura Zach.
- Je vois qu'une explication. Je crois que Many a un nouveau garde du corps, répondit Hugo à mi-voix.
Je n'avais donc pas rêvé. Il m'avait bien dévisagée. Hemingway avait réussi à convaincre le Ministère du danger qui rôdait au-dessus de ma tête.
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La salle du cours de Runes était à l'image de son professeur. D'énormes blocs de vieille pierre formaient une petite salle carrée à l'aura de mastodonte. Des rangements taillés à même les murs abritaient des rangées de grimoires de la moitié de ma hauteur. Certains d'entre eux étaient ouverts sur des pupitres comme pour nous transmettre un savoir ancestral dont la puissance nous faisait nous sentir comme de pauvres incultes indignes. Des gravures recouvraient la moindre parcelle de roc en des enchevêtrements de formes géométriques soulignées de textes runiques inintelligibles pour moi. Un solide marteau soutenu par des crochets en fer dominait la classe, au-dessus du tableau noir. Le professeur Dijkstra semblait devoir redoubler d'attention pour ne pas réduire en poussière la craie blanche qu'il tenait dans sa poigne massive. Le colosse à la barbe et aux cheveux blonds éclaboussés de bleu nous avait accueillis un à un avec un sourire de bienvenue.
L'attitude fière et impatiente de Zach avait laissé place à l'entrée dans l'antre du viking à une terreur polie. Hugo et Plumeau n'étaient pas en classe avec nous. Les mains tremblantes de Zach lissaient la feuille de parchemin vierge devant lui.
- Je me sens très bête d'un seul coup, murmura-t-il.
- Je suis content de voir que vous êtes nombreux à vous intéresser aux Runes ! retentit la voix forte du prof. Vos parents et vos grands-parents vous ont sûrement raconté que l'étude des Runes était une matière très difficile et ingrate ! Si c'est le cas, vous pourrez leur expliquer que les anglais étaient tellement mauvais en Runes à leur époque que vouloir l'enseigner était ridicule de prétention !
Je sentis Zach déglutir sous la pression.
- L'écriture Runique est la dernière trace d'une langue morte dont la prononciation est depuis longtemps tombée dans l'oubli. C'est ce qui fait sa grâce mais aussi toute sa difficulté. Pas de formule tarabiscotée à apprendre par cœur ni d'incantation interminable pour vous sauver la mise. Tout passe dans la Trace.
Il ponctua son dernier mot par une frappe de sa grande paume sur le bureau, faisant sursauter l'ensemble des élèves.
- Tracée dans l'air, la magie sera rapide mais peu précise et vite dispersée dans la poussière, un simple revers de main vous sauvera d'une erreur d'écriture fatale gravée dans la pierre, votre vœu traversera les millénaires. Prenez garde à ce que vous souhaitez alors. L'hésitation et l'inattention sont les pires ennemis de l'utilisateur des Runes !
Zach se ratatinait de plus en plus.
- Pouvoir compter sur les Runes nécessite une connaissance intime de chaque caractère que vous tracez, leurs affinités et leurs états d'âme, le pouvoir des mots et des phrases que leur association fait naître. Et c'est par ça qu'on commence. Cette année, vous apprenez à lire. Ouvrez vos livres page 54 !
Les mains tremblantes de Zach tournèrent les pages avec une frénésie insoupçonnée.
- J'attends de vous rigueur et discipline ! Méfiance à celui qui s'y prendra de travers, déclara le prof avec un doigt dirigé vers son long marteau.
- Je vais mourir, gémit Zach à mi-voix.
Le prof attendit de faire son effet puis éclata de rire. Doucement, la classe recommença à respirer. Des sourires apparurent en constatant que le prof n'était pas sérieux.
- Vous êtes toujours aussi amusants à mener en bateau, gloussa Dijkstra en essuyant une larme au coin de son œil. Hou hou...
Des rires commencèrent timidement à fuser.
- Bon ! s'exclama le prof en frappant d'un coup de poing sur le bureau.
Les élèves sursautèrent avec plus de force que la première fois. Je crus que mon cœur avait explosé.
- Reprenons notre sérieux ! Apprendre à lire, c'est la base de tout ce qu'on verra ensuite, alors je veux être certain que c'est acquis à la fin de l'année. Les commentaires, questions, remarques, reproches et moqueries sont les bienvenues ! C'est pas parce qu'un apprend une langue muette qu'on va faire silence, quand même ! Je veux du bruit, de la vie, et que tout le monde s'entraide !
Zach abordait un sourire traumatisé, qu'il garda jusqu'à la sortie du cours. Il me suivit comme un zombie vers le cellier du château. J'avais l'impression qu'un mammouth m'avait piétinée de l'intérieur, tellement ce cours avait été intense. Je me mettais le doigt dans l'œil quand j'avais cru que ce serait une option facile.
- J'adore ce prof, marmonnait-il béatement. Je comprends tout.
- C'est normal que tu retiennes plus facilement quand tu dors pas en classe, lui fis-je remarquer. Si t'écoutais à tous les cours, tu trouverais ça plus simple.
- C'est vrai qu'il a des méthodes efficaces pour maintenir éveillé.
Mon regard attrapa une personne en miniature au loin par-dessus la rambarde de l'escalier mouvant. Elle se traînait sur un autre escalier capricieux à mi-chemin entre deux étages, son carré roux l'identifiant entre mille. Un groupe d'élèves plus âgés la coinçait entre eux et le vide. Je me précipitai vers la rambarde mais un autre escalier vint masquer ma vue.
- Fais gaffe aux vieilles rambardes, toi, prévint Zach.
Lorsque l'escalier au loin redevint visible, je constatai avec horreur que Kathleen se débattait pour retenir son sac que les autres tentaient de lui arracher. Ses petits bras ne firent pas le poids et ses affaires volèrent dans le vide. Ma vue fut à nouveau masquée.
Je décidai de faire un détour pour l'aider à tout retrouver, mais ma résolution fut démontée en un instant par l'apparition d'une silhouette menue avec de longs cheveux châtains. Elle remontait d'un pas ferme en solitaire le même escalier que Zach et moi étions en train de descendre. Je saisis le bras de Zach mais n'osai pas l'interpeller de suite. Ce ne fut qu'après l'avoir laissée nous dépasser que je compris qu'il n'y aurait que peu d'occasions rêvées comme celle-ci pour entamer la conversation.
- Slyha !
Elle sembla hésiter à se retourner, puis nous dévisagea. Elle portait autour du cou une longue écharpe blanche qui contrastait avec la robe noire de son uniforme.
Je fouillai dans ma poche et lui tendis le tract du Chemin de Traverse. Elle descendit les quelques marches qui nous séparaient avec méfiance et attrapa le papier du bout des doigts.
- Qu'est-ce qui est écrit ? demandai-je.
Ses iris noisette dévisageaient le message qu'elle venait de déchiffrer comme si je venais de lui montrer un mouton à cinq pattes. Puis ils virèrent vers moi.
- T'es qui, toi ?
- Moi ? Ben... tu te souviens, je suis une amie de Kathleen, on s'étaient rencontrées au lac. Je m'appelle Malany. Makany Baker.
- C'est pas ma question. T'es qui, exactement ?
- Heu... Je comprends pas, avouai-je.
- Qui t'a donné ça ? montra-t-elle. Qui l'a écrit ?
J'étais de plus en plus larguée.
- Je connais pas son nom. C'est un sorcier avec des yeux vairons et un piercing dans le nez qui me l'a donné sur le Chemin de Traverse. C'est pas toi qui l'as perdu ? Pourtant, Lyra disait que c'était ton écriture.
- J'ai pas écrit ça, non. Qu'est-ce qu'elle fout à déballer tout ça sur moi à n'importe qui, celle-là ? Qu'est-ce qu'elle t'a dit qu'il était marqué dessus ?
Je lui répétai le message.
- Mais elle savait pas lire l'autre message, confiai-je. Elle a dit que t'étais la seule à pouvoir le lire. Qu'est-ce que ça dit ?
- C'est pas tes affaires, ça, répliqua Slyha.
- Mais...
- Oublie ce message, ok ?
Elle tourna les talons et nous planta là.
- Hé ! Attends ! Rends-moi le papier, exigeai-je.
- Incendio, prononça Slyha en s'éloignant.
Une flammèche sortie du bout de sa baguette vint lécher le tract. Il fut réduit en cendres avant que j'aie pu faire le moindre pas.
Je ne pus que contempler mon impuissance et la laisser partir. Je tentai de retrouver la petite silhouette de Kathleen au loin, mais elle aussi avait disparu.
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Kathleen resta hors de ma portée pendant toute la première semaine. Pendant les cours en commun avec Serpentard, on ne pouvait se mettre qu'à deux et je me mettais systématiquement en duo avec Hugo. Elle me faisait des saluts timides avant les cours et partait sans demander son reste à la fin. Pourtant, je passais mon temps à l'avoir dans mon champ de vision. Si elle n'était pas en train de recoller patiemment les pages arrachées de ses livres, ou de retirer une à une les queues de souris de ses cheveux, elle courbait le dos et continuait d'avancer sous la cascade sans fin des paroles-projectiles du gang de Philippa. J'arrivais toujours trop tard. Philippa devait posséder une sorte de radar et ils avaient disparu à chaque fois que j'approchais. De son côté, Kathleen semblait toujours si honteuse de ma présence que je me demandais si elle avait réellement envie que quelqu'un vienne à son secours. Peut-être voulait-elle appliquer à la lettre les conseils de Lyra et se forger sa propre armure. Mais je n'étais pas certaine que faire la sourde était la solution. Les autres étaient inlassables.
Elle entra dans l'observatoire d'astronomie sans faire mine de vouloir venir avec nous et s'isola dans un coin. Le gang de Philippa se joignit à elle pour l'exercice du soir. Eli passa son bras autour de son cou comme le parfait ami d'enfance qu'il était. Je captai le regard de Kathleen mais elle se détourna vers ses parchemins.
Supposant que mon aide n'était pas souhaitée, je décidai de la laisser se débrouiller à sa façon. Après tout, on m'avait déjà dit que j'avais tendance à agir comme un bouclier sans réfléchir. Plumeau n'avait pas voulu de ma défense, et apparemment c'était aussi le cas de Kathleen.
Je la laissai s'éloigner lentement de mes pensées, déjà assez occupées à comprendre l'attitude de Slyha. Hugo avait comme toujours un avis tranché sur la question.
- Ce message, c'est un appât, dit-il.
- Arrête d'être parano comme ça, rétorquai-je. Qu'est-ce que t'en sais ? S'il le faut j'ai bel et bien un allié secret ! Ce serait idiot de pas le rencontrer !
- Vous vous cassez la tête pour rien, tous les deux, fit Zach. Vous avez entendu Lyra. C'est Slyha qui l'a écrit et elle l'a laissé tomber, c'est tout. Oubliez cette histoire, ça vaut mieux.
- Elle a dit qu'elle l'avait pas écrit, lui rappelai-je. Quelqu'un a imité son écriture.
- Quelqu'un qui n'est autre que Franck, s'entêta Hugo.
- Pourquoi il enverrai un message aussi mystérieux, dans ce cas ?
- Parce que tu fonces sur tout ce qui attise ta curiosité, rétorqua-t-il.
- Pourquoi Féline lui aurait dit qu'elle y trouverait des réponses, alors ? demanda Plumeau.
- Super, ironisa Hugo. Tu sauras enfin qui est Franck avant qu'il te lance un sort mortel.
Une ombre jetée sur nous nous força au silence.
- Puisque je vous entends discuter, c'est que vous avez fini. Donnez-moi les coordonnées de Saturne que vous avez calculées, je vous prie.
Les yeux noirs de Sankhara me fixèrent en attendant ma réponse. Je ne la connaissais pas. Je n'avais pas eu le temps de calculer, nous étions trop occupés à bavarder. Les trois autres ne me vinrent pas en aide. Ils ne connaissaient pas plus la réponse que moi. Je ne savais pas quoi répondre. Dire une coordonnée au pif en espérant que ce soit la bonne ? Autant rêver. Je tentai de deviner la réponse attendue dans les pupilles de néant du prof.
- Longitude 307° 46° 17,56°. Lattitude -0° 48' 29,83''. Altitude 20,18°. Azimuth 161,44°. Ascention droite 20h41m36,68s. Déclinaison -19° 06' 21,35''. Distance de la Terre 9,10858 UA.
- Pardon ?
Le prof semblait ébahi. Il battit des cils. Les trois autres me regardaient comme si j'étais folle de sortir n'importe quoi au pif comme ça.
- Ahem, toussota le prof, très bien, très bien. Excellent calcul. Reprenez votre concentration et que je ne vous reprenne plus à flâner. Si vous avez fini l'exercice, passez au suivant. Exercez-vous à trouver les coordonnées des autres corps célestes.
Il s'éloigna d'un pas hésitant en me lançant un dernier regard sceptique.
- Comment t'as fait ? me secoua Zach.
- Je sais pas, le calmai-je. Le prof a pensé tellement fort que ça m'a paru évident.
C'était la stricte vérité. J'avais juste été un peu plus attentive que les autres, rien de plus.
J'avais toujours su faire ça, depuis petite. Will s'émerveillait de ma capacité à deviner ce que les maîtres et maîtresses allaient nous demander, au primaire. Il m'appelait Wi-fi Many, à l'époque. Je me laissai aller à cette sensation encore une fois.
Un malaise me serra le ventre. L'impression que mon existence n'était souhaitée par personne me retourna l'estomac. J'en avais mal jusque dans la poitrine où un étau broyait mes poumons. L'envie de disparaître dans un trou de souris m'étreignait. Je n'avais qu'à rester immobile. Ne pas montrer de quelconque réaction. Tout ça passerait.
Le coude de Zach dans mes côtes me ramena les pieds sur Terre. Le cours terminé, les élèves commençaient à ramasser leurs affaires.
- Alors ?
- Alors quoi ? émergeai-je.
- T'es prête pour demain ?
- Demain ?
- Ben, au recrutement de l'équipe de Quidditch, rigola-t-il. T'as rien écouté à ce que je disais.
J'acquiesçai pour lui faire plaisir et cherchai de la tête l'origine du malaise de tout à l'heure. Je voyais à peine Kathleen à travers les robes des élèves déjà levés, mais Philippa lui murmurait des mots doux dans l'oreille en secouant ses boucles blondes parfaitement coiffées pour ponctuer chacune de ses phrases. Le sourire innocent de la princesse de Serpentard n'augurait rien de bon. Je n'eus pas le temps de les atteindre. Elles avaient déjà quitté la classe quand j'arrivai à la hauteur de leur table.
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Le recrutement eut un bien meilleur succès que la catastrophe d'il y a un an. Norah Littlerock donnait des consignes brèves aux candidats et les observait d'un œil expert. Rien que pour l'équipe des dragonneaux, elle avait passé en revue toutes les qualités et tous les défauts des prétendants à voix haute pour constituer l'équipe la plus synergique possible.
Je soupçonnai d'abord Norah d'avoir choisi notre nouvelle gardienne pour ses goûts esthétiques douteux. Cette dernière retenait ses cheveux châtains drus dans une unique couette sur le côté et des colliers de perles en plastique ornaient sa poitrine par-dessus son uniforme. Des bulles de chewing-gum éclataient à un rythme soutenu devant son nez. C'était avant de la voir voler. Je devais reconnaître qu'elle était bien plus agile que moi sur un balai.
Joey se mit à geindre lorsqu'elle sélectionna Jake comme nouvel attrapeur dans l'équipe principale en remplacement de Marvin, alors que lui avait été rétrogradé en gardien de l'équipe Dragonneaux.
- Je vais te confier quelque chose, Joey, fit Norah d'un ton confidentiel. Ton rôle cette année sera celui le plus important. Tu seras notre joker.
Ses grands yeux noirs s'ouvrirent.
- Ah bon ?
- Les autres équipes font toutes l'erreur de sous-estimer l'importance des matchs des dragonneaux. Mais elles ont tort. Tu sais pourquoi ?
Joey secoua la tête, curieux d'entendre le rapport avec lui.
- D'après moi, c'est l'équipe des dragonneaux qui nous a pénalisés l'année dernière en perdant tous ses matchs, annonça-t-elle. Dix pour cent des points finaux, c'est pas négligeable. Sans la perte des ces dix pour cent, on aurait disputé la finale contre Serpentard à la place de Gryffondor.
Elle rapprocha sa chevelure multicolore du petit frère de Zach.
- Cette année, hors de question que mes dragonneaux perdent un seul match. Les autres capitaines feront encore l'erreur de mettre tous leurs meilleurs éléments dans l'équipe principale. Quand ils te verront dans l'équipe des dragonneaux, soit ils penseront que tu es mauvais et te sous-estimeront, soit ils me croiront stupide et incapable d'établir la moindre stratégie. Dans les deux cas, ils vont tomber de haut. Voilà ton rôle. T'es mon point stratégique inattendu. Je compte sur ta performance de gardien pour m'obtenir un score parfait cette saison. Tu sera le capitaine des dragonneaux.
La mine bougonne de Joey s'était petit à petit muée en un sourire satisfait. Je soupçonnais une autre raison à ce choix. Norah considérait Joey comme un élément perturbateur indésirable dans son équipe et ne pas l'avoir dans les pattes devait bien l'arranger. Mais gonfler l'orgueil de Joey était le meilleur moyen pour tirer le meilleur de lui.
Et elle était bien déterminée à nous emmener en finale cette année.
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Je m'installai à côté de Hugo au cours de Métamorphoses, comme à tous les autres cours depuis le début de l'année. Je n'avais toujours pas pardonné à Zach et Plumeau de me faire des cachotteries. Avec Hugo, au moins, je n'avais pas l'impression de discuter avec une coquille vide. Le cours était en commun avec Serpentard mais une fois encore, Kathleen préféra nous ignorer.
L'exercice de fusion que donna O'Noguel fut exécuté sans difficulté. Hugo y parvint du premier coup et me montra le geste adéquat. Je mis plus de temps à maîtriser le truc. Cette année, le programme prévoyait de nous faire apprendre les Fusions en Métamorphoses. La prof avait insisté en disant que c'était extrêmement complexe et que seuls les plus doués d'entre nous y parviendraient. L'exercice consistait à incorporer une fleur à l'intérieur d'un cube de verre. La petite tête de Mario émergea de mon col et poussa un « Ho ! » impressionné quand je parvins enfin à compléter l'exercice. Je l'enfonçai d'une main experte à l'intérieur de ma robe en voyant la vieille momie s'approcher de notre table pour me féliciter.
- Merveilleux, Baker ! Votre fusion est d'une perfection éblouissante ! Ne vous ai-je pas toujours dit que vous aviez un don pour cette discipline ? Essayez donc de fusionner une de vos plumes dans le bois de votre bureau, maintenant. Je repasserai tout à l'heure pour contempler vos exploits.
Elle s'éloigna de ses gros godillots vers l'autre bout de la salle. Mario ressortit une tête prudente puis sauta sur la table. Il saisit d'une main experte une horrible baguette magique lego en plastique rose translucide qui était jusqu'à présent glissée dans la ceinture de sa salopette. La grosse étoile qui décorait le bout de l'engin ne passait pas inaperçue. Il piétina d'excitation au-dessus de mon devoir en agitant sa baguette de fortune.
- Ho ! récitait-il.
Voyant qu'aucun effet patent ne se produisait après plusieurs tentatives, il lorgna et tripota l'extrémité étoilée de sa baguette comme pour y chercher un défaut.
- Où est-ce que t'as trouvé ça, toi ?
- Ho !
- Quoi ?
- It's a-me, Mario !
- Je sens que la communication va être géniale entre toi et moi.
Je le planquai dans ma robe juste à temps pour le soustraire au regard de croque-mort de Leda. La place de Philippa était vide. Les boucles d'or de l'autoproclamée princesse de Serpentard avaient disparu de la circulation depuis le matin. Les murmures sur les disparitions avaient repris le cours de leurs hypothèses farfelues. O'Noguel avait commenté son absence en faisant remarquer qu'elle avait toujours su que cette jeune fille avait un talent incroyable, et que ce n'était pas étonnant quand on sait qu'elle est la fille du brillant Ministre de la magie Morris. Le reste du gang ne paraissait pas s'émouvoir de son absence. Au contraire, on pouvait lire un certain soulagement sur le visage de Face-de-rat.
Hugo avait laissé tomber l'espoir de briller auprès de la vieille sorcière ridée. Il me glissa quelques conseils pour mon nouvel exercice mais ne poussa pas l'assiduité jusqu'à démarrer lui-même un exercice similaire. Il préféra s'occuper en gribouillant sur ses parchemins.
- J'adore tes dessins, le complimentai-je en le regardant faire des croquis qui s'animaient par magie au fur et à mesure.
Ses oreilles rougirent brusquement et il retourna les feuilles pour cacher ses œuvres.
- Je croyais que t'étais occupée à ton exercice, marmonna-t-il.
- Ben oui, mais je jette un œil de temps en temps parce que je sais que tu dessines quand personne te regarde. J'ai appris à être discrète.
- C'est vraiment moche, fit-il, c'est juste pour m'occuper, c'est pas fait pour être regardé.
- Moi je trouve ça joli, avouai-je.
Il marmonna des paroles inintelligibles dans sa barbe en rougissant de plus belle.
- Tu vois que t'avais tort quand tu disais que tu savais rien faire, lui rappelai-je.
- Je disais pas que je savais rien faire, juste que j'étais le meilleur nulle part.
- T'es le meilleur dans plein de choses, mais sans le savoir, insistai-je. Il te faut juste ouvrir les yeux. Et puis, le meilleur, c'est très subjectif. Tout le monde est le meilleur de quelqu'un. Tu vois, par exemple, pour moi, c'est toi le meilleur de notre promo en Métamorphoses. Dans la majorité des autres matières aussi, d'ailleurs. Et c'est aussi toi qui est le meilleur en dessin. T'es aussi la personne la plus proche de ce qu'on peut appeler un ami pour moi dans cette école.
Il ne devait pas s'attendre à tant de compliments, car il me fixait avec des yeux de biche pris dans des phares.
- C'est pas drôle, comme blague, balbutia-t-il.
- J'étais sérieuse.
- Un... un ami, répéta-t-il hébété. Oui... d'accord.
- Quoi ? T'as l'air déçu, remarquai-je.
Il secoua la tête en signe que non. Voyant qu'il s'était replongé dans ses pensées, je pointai à nouveau ma baguette sur ma plume pour la faire fusionner avec la table. J'allais bien finir par y arriver.
- Tu fais le geste trop ample, montra-t-il timidement. Tu y arriveras jamais comme ça.
- Ah bon ? Comment je dois faire alors ?
- Fais un mouvement plus petit et plus rapide, décrivit-il. Non, toujours pas. Regarde.
Il posa sa grande main autour de la mienne et exécuta le geste d'un coup sec. Sous ma baguette, la plume s'enfonça dans le bois comme dans de la boue et disparut. Il rangea précipitamment ses mains sous son bureau comme s'il avait commis un impair irréparable.
- Désolé, s'excusa-t-il.
- Mais non, tu m'as fait piger le truc, le repris-je. Merci !
O'Noguel s'épancha à nouveau sur combien mon don pour la Métamorphose était grandiose tandis que j'adressais un regard d'excuse vers Hugo.
- C'est un don qui se passe dans sa famille de génération en génération, souligna-t-il. Rien ne peut lui résister.
La vieille momie aux dents droites ne releva pas l'ironie et s'émerveilla d'autant plus. Elle me donna encore un nouvel exercice et Hugo recommença ses conseils.
- Désolé de faire irruption, Junko, interrompit le professeur Rosendale.
Il patientait dans l'encadrement de la porte. La prof nous ordonna de poursuivre l'exercice sans chahuter. Ce qui était peine perdue car le brouhaha était déjà une constante de ses cours. Son collègue faisait le double de sa taille et s'habillait à la mode moldue. Le professeur de SMIS était le seul professeur de l'école à être incapable de faire de la magie. Il avait été tenu loin de Poudlard par ses parents qui croyaient à une arnaque et désormais il lui était bien trop tard pour commencer à étudier la pratique de la magie. Sa magie s'était comme atrophiée, probablement. Il se contentait donc d'étudier ses aspects théoriques. C'était un des profs que j'appréciais le plus, avec son long nez cassé et ses nattes châtain foncé. Ses cours étaient difficiles mais il avait toujours le don d'intéresser son auditoire, contrairement à cette vieille sorcière sénile de O'Noguel.
Ils discutèrent un moment à voix basse, puis la sorcière s'époumona dans la salle de classe.
- Baker, venez ici ! appela O'Noguel. Les autres, vous pouvez retourner dans vos salles communes. Dans le calme !
J'étais déconcertée de cette convocation. Hugo m'interrogea des yeux mais je haussai les épaules pour lui signifier que je ne savais rien de ce qu'on me voulait.
Rosendale et O'Noguel me conduisirent dans le dédale des couloirs jusqu'à la salle des profs. Une assemblée se tenait déjà là. Tous les profs étaient présents. Mais il y avait aussi la terrible Griff et son stagiaire Kevin Ashworth. La présence des aurors ne signifiait rien de bon pour moi. Je remarquai aussi un autre élève, un quatrième année que j'avais parfois croisé dans le château sans connaître son nom. Il triturait ses mains et ne paraissait pas à l'aise.
Swan remuait d'une cuillère experte la boisson chaude dans son mug des Harpies de Holyhead. L'idée que cette top model ratée de Swan puisse être une fervente supporter d'une équipe de Quidditch faillit me faire exploser de rire. De son autre main, elle agita sa baguette et un fauteuil à dentelles fila sous mes fesses. Je tombai à la renverse au fond des coussins moelleux.
- Asseyez-vous, Baker, invita-t-elle avec un temps de retard.
- Tu comptais t'introduire dans le Ministère, hein ? m'accusa Griff d'entrée de jeu.
J'étais tellement impressionnée que je n'osai rien répondre à ses propos.
- Soyez plus douce avec mes élèves, Gryffyth, demanda Swan. Baker, veuillez répondre aux question de l'auror.
- Baker, reprit Griff dans une tension contenue, peux-tu dans ta grande amabilité me dire si tu comptais t'introduire dans le Ministère ?
- Non, marmonnai-je. Il s'est passé quelque chose de grave ?
- Pas encore, non, répliqua Griff. Je te demanderai de ne pas mentir. Tout ça est dans ton propre intérêt, crois-moi. Est-ce que, oui ou non, tu planifies de te rendre au Ministère ? Dans un futur proche ou lointain, peu importe.
- Heu... Je sais pas, peut-être que j'irai un jour pour mes études après mes ASPICS, mais je comprends pas ce que ça a de...
- De t'y rendre par effraction, corrigea l'auror.
Je ne pus m'empêcher de lâcher un rire devant l'absurdité de l'accusation.
- Bien sûr que non, et même si je voulais, ce serait impossible, non ? Le Ministère est pas censé être impénétrable ?
- Ne soyez pas insolente, Baker, gronda Swan. Répondez aux questions et arrêtez de faire votre intéressante.
- Très bien, conclut Griff, si la fille ne ment pas, ce qui a l'air d'être le cas, on est dans un cas de figure plutôt rassurant. Il s'agit sûrement d'une vision lointaine dans le temps. En ce qui me concerne, tant que Srinivas garde un œil dessus, je la considère comme étant en sécurité. J'ai plus rien à faire ici.
Elle ramassa ses papiers et embarqua son stagiaire vers la cheminée la plus proche. Ils disparurent tous les deux dans un nuage vert.
- Vous pouvez tous retourner à vos occupations, déclara Sankhara. Je m'occupe de la suite. Vous n'avez plus à vous inquiéter.
J'eus beau insister, personne n'accepta de me révéler quoi que ce soit. Je quittai la salle des profs en rageant. Je m'armai de patience et cherchai ce quatrième année dans tout le château jusqu'à le dénicher dans un couloir du deuxième étage. Je l'attrapai et le pris à part.
- Qu'est-ce qu'ils ont dit avant que j'arrive ? C'est quoi le problème ?
- Ils m'ont dit de garder le secret absolument, s'excusa-t-il.
- Je dirai à personne que tu me l'as dit. Vas-y, crache le morceau. En plus, je suis sûre que c'est un truc qui me concerne, non ?
- Ouais, finit-il par chuchoter. C'est à cause de ce que j'ai vu dans ma boule de cristal au cours de Divination de tout à l'heure.
Je commençais à sentir l'embrouille.
- Et ?
- Je t'ai vue dans la boule de cristal. Je connaissais pas ton nom mais je t'ai reconnue du Quidditch. Dans la brume de la boule de cristal, tu marchais dans un endroit avec des cascades d'eau partout, mais en intérieur. Et juste après, il y avait des flashs verts et tu mourais. Tu étais allongée par terre et il y avait plein de sang partout. J'en ai tout de suite parlé à la vieille Trelawney, et elle a flippé. Elle nous a tous libérés et m'a conduit en salle des profs. Après, ça a pris des proportions énormes, j'y comprenais plus rien, ils ont fait venir les aurors et tout.
J'étais restée figée au début de son récit.
- Des cascades d'eau, comme une forêt de pluie ?
- Ah, ouais, ça ressemblait un peu à des troncs d'eau, parfois, t'as raison. Ouais, une sorte de forêt de pluie.
