Chapitre 2


La lueur bleue du Tesseract était la seule lumière visible dans l'obscurité des lieux. Loki et Mobius avaient trouvé refuge dans une ancienne usine de fabrication de vaisseaux, sur une planète dont le nom avait depuis longtemps disparu des mémoires et des archives. Ils ignoraient si des êtres vivants y étaient encore présents – bien que l'apocalypse eût normalement évincé toute forme de vie – et ils n'avaient pas eu le courage d'aller vérifier à l'extérieur, préférant prendre un peu de temps pour s'habituer à cette liberté étrange qu'ils avaient décidé de s'octroyer aux dépends de Renslayer. Le dieu peinait à croire qu'ils avaient pu fuir si facilement le Tribunal des Variations Anachroniques, cela lui paraissait improbable, comme si des portails orangés allaient s'ouvrir d'une seconde à l'autre pour les ramener sans état d'âme dans les couloirs sans fin du TVA et les condamner à être réinitialisés. Il était surpris de constater que l'analyste semblait bien plus détendu que lui, sans paraître s'inquiéter au sujet de ses collègues. Peut-être était-ce lui qui avait raison de profiter ainsi de leur brusque envol loin des agents du Temps, mais le frère de Thor n'était pas aussi sûr d'être en sécurité, il avait le sentiment qu'un sombre présage ne tarderait pas à s'abattre sur eux en les dépossédant de toutes leurs facultés mémorielles.

Sans doute fatigué par toutes leurs expéditions passées, Mobius s'était endormi sur le sol, sa tête posée sur sa veste de costume qui lui servait d'oreiller, sans se préoccuper de savoir s'ils risquaient ou non de subir une attaque. Loki ne l'avait pas quitté du regard, assis en tailleur non loin de lui, le cube cosmique en équilibre sur une chaise branlante afin de leur offrir une lumière pour guetter les possibles assaillants. Il n'était plus aussi épuisé, sa magie coulait à nouveau dans ses veines depuis qu'ils avaient quitté le TVA et il reprenait des forces grâce à l'énergie qui circulait en lui. Il en avait profité pour redonner à sa peau sa blancheur plus discrète que le bleu des Jötnar, malgré les exhortations de l'analyste qui avait essayé de lui faire comprendre qu'il n'avait pas à en être honteux. Mais le dieu n'était pas à l'aise sous sa forme naturelle, elle lui rappelait un peu trop ses véritables origines et tous les mensonges qui pavaient son existence depuis sa naissance. Il n'en était pas fier, il aurait voulu être un Ase, un guerrier comme Thor, et non pas ce magicien si différent qui n'avait connu que la solitude.

Un soupir lui échappa alors qu'il passait une main sur ses yeux, chassant les larmes traîtresses qui s'y étaient accumulées. Mobius lui avait permis de revoir sa mère, c'était là le plus beau cadeau que l'analyste aurait pu lui faire, et il n'avait aucun moyen de le remercier autrement que par quelques mots. Il n'était pas habitué à recevoir autant d'attention, encore moins de la part de quelqu'un qu'il ne côtoyait pas depuis des années mais seulement depuis … Depuis un temps qu'il était encore incapable d'identifier. Sa magie ne lui avait été d'aucun secours pour compter le nombre de jours écoulés, comme si son corps n'avait subi aucune altération au sein du Tribunal. Cet endroit hors du temps restait un vrai mystère dans l'esprit du dieu de la malice qui se demandait s'il finirait ou non par apprendre la vérité à son sujet. Mobius n'avait que des parcelles d'informations à lui délivrer, ainsi que de nombreuses questions qui avaient vu le jour à partir du moment où il avait compris qu'il avait été lui-aussi manipulé par les Gardiens du Temps.

Loki était conscient que le changement de comportement de l'analyste provenait de ses propres actions et il se le reprochait. Il avait arraché son ami à son travail, à son quotidien dont il ne se plaignait pas, à sa vie presque idéale. Mobius était un travailleur acharné qui obéissait aux ordres, il n'hésitait pas à désintégrer les variants selon les lois du TVA et ne se préoccupait pas de sentiment. Tout avait basculé si rapidement à l'instant où le dieu avait récupéré le Tesseract pour échapper à une punition qu'il redoutait parce qu'il connaissait la cruauté des jugements d'Odin. Sa fuite avait déclenché le début d'une série de catastrophes qu'il ne pouvait plus arrêter – mais avait-il l'envie de le faire ? Il ne s'était jamais senti aussi libre que depuis qu'il avait tendu une main à Mobius afin de s'éloigner du Tribunal des Variations Anachroniques, ouvrant une nouvelle voie inconnue pour leur avenir.

Dans l'une des poches de la veste de l'analyste, la puce de traçage poursuivait son action. Loki savait que ce n'était qu'une question de temps avant de voir arriver les agents du TVA mais Mobius et lui avaient eu besoin de cette pause pour se remettre les idées en place. Dès que leurs forces seraient enfin revenues à leur plein potentiel, ils s'échapperaient de cet endroit et laisseraient la puce derrière eux sur cette planète isolée, là où les minuteurs la trouveraient, abandonnée et inutile. Renslayer ne s'attendait sans doute pas à cette forme de trahison de la part de son ami, et elle méritait une déconvenue à la hauteur de tous les mensonges qu'elle n'avait cessé de proférer.

« Vous n'avez pas dormi, le sermonna la voix ensommeillée de Mobius en le tirant de ses réflexions.

— Je peux me passer de repos, rétorqua le dieu en haussant les épaules avant de se lever. »

Il étira ses muscles endoloris par sa position assise puis fit quelques pas sans quitter du regard le Tesseract dont la lueur variait sur un rythme aléatoire qui le préoccupait. Il ne maîtrisait pas tous les aspects de la pierre contenue à l'intérieur du cube et il s'interrogeait sur cette pulsation qui vibrait avec une force étonnante, comme si la gemme entrait en communication avec une autre forme de magie. Loki espérait avoir tort à ce sujet, il n'était pas certain de vouloir engager une confrontation avec un quelconque magicien venu d'un autre univers. Malgré son ego parfois démesuré, le prince avait conscience de ne pas être le plus puissant en terme de pouvoirs et il savait, grâce aux enseignements de Frigga, que les neuf mondes regorgeaient de magies aussi dangereuses que variées. Il en avait fait l'expérience en rencontrant le sorcier à la solde de Thanos et en se heurtant à la magie corruptrice du sceptre des Chitauris. Le souvenir de la torture de ces hommes était encore frais dans son esprit et il frissonna, effaçant bien vite l'écho de la douleur qu'il avait ressentie sur le vaisseau du Titan.

Mobius sembla s'intéresser à son tour à l'étrange phénomène qui entourait le Tesseract. Après avoir remis sa veste, l'analyste s'approcha du cube pour l'observer au plus près, attiré par sa lumière bleue qui était la seule lueur perceptible dans l'usine désaffectée. Loki crut bon de le rejoindre pour éviter un dérapage désastreux, veillant à la distance entre son ami et la pierre. Un geste malheureux pouvait vite arriver et le dieu ne se pardonnerait jamais s'il devait se produire une nouvelle catastrophe impliquant l'agent du TVA. Il se reprochait encore l'effondrement du toit lorsqu'ils avaient trouvé refuge au Canada et il refusait de revivre la même inquiétude.

« Avez-vous déjà vu ce genre de phénomène ? s'enquit le prince avec un vif intérêt.

— Je ne suis qu'un analyste, vous savez, lui rappela Mobius en lui lançant un coup d'œil en coin. Je ne suis pas un spécialiste de la magie ou des pierres de l'infini.

— Votre Tribunal passe son temps à observer tout ce qui se produit un peu partout dans l'univers. Ne me faites pas croire que vous n'avez aucune connaissance sur le Tesseract. »

L'agent du TVA leva les yeux au ciel en maugréant qu'il n'était pas une encyclopédie sur pieds, d'autant plus qu'il avait principalement occupé les dernières décennies en suivant la vie du dieu lui-même, sans avoir d'autres points d'observation. Les quelques informations qu'il possédait sur les gemmes n'étaient pas suffisantes pour expliquer les variations du Tesseract. Il tendit une main vers le cube mais Loki saisit son poignet dans la précipitation, l'obligeant à reculer de quelques pas avec un air effrayé. La pierre de l'Espace n'était déjà pas très stable lorsque sa magie était contrôlée et le dieu de la malice refusait un contact entre elle et l'analyste, conscient que Mobius n'y survivrait pas s'il venait à toucher la puissance de la gemme. Aucun humain n'était censé porter seul le poids d'une pierre de l'infini, leur constitution n'était pas assez solide pour y résister. Le prince lui-même sentait bien souvent son corps lutter contre le Tesseract lorsqu'il employait ses pouvoirs et il n'allait pas exposer son ami à ce danger.

Cependant, un éclair bleuté surgit du cube, pointant son extrémité vers l'analyste. Loki invoqua un bouclier en bougonnant contre la gemme, sachant pertinemment que sa propre magie ne serait pas éternellement un rempart contre l'énergie dévastatrice de la pierre. Il perçut la force du Tesseract qui se heurtait à son bouclier, poussant encore et encore contre l'écran magique vert qui protégeait les deux hommes. Le dieu des mensonges fronça les sourcils, surpris par l'attaque du cube. Il ne se rappelait pas avoir éprouvé ce genre de fluctuation par le passé et il ne comprenait pas ce changement soudain. Était-ce leur départ précipité du Tribunal des Variations Anachroniques qui avait provoqué un dysfonctionnement en rendant à la pierre toute sa puissance ? Ou était-ce l'œuvre d'un autre magicien qui se dissimulait dans les ténèbres pour mieux les tuer ?

« Je crois que le Tesseract essaye de communiquer avec vous, tenta Mobius sur un ton rempli de fascination. Vous devriez le laisser faire.

— Et finir désintégré par sa magie ? Je n'ai pas échappé à Thanos et aux Avengers pour être détruit par une pierre. »

Il était offusqué par la proposition de l'analyste qu'il considérait comme trop hasardeuse. Certes, il avait tenu le Tesseract entre ses mains et s'en était servi à plusieurs reprises mais il n'était pas assez sûr de ses propres capacités pour laisser la gemme de l'infini prendre le contrôle de la situation. Il n'eut pas à se poser de questions trop longtemps, l'un des éclairs vint frapper plus fortement le bouclier vert, traversant la mince couche d'énergie pour filer vers son cœur. La puissance de la pierre se déversa dans sa poitrine, irradia dans ses membres et se mêla à sa magie, lui tirant un hurlement de douleur. Il sentit les heurts entre son énergie et celle du Tesseract, comme si un combat se déroulait à l'intérieur de son corps pour savoir quel pouvoir serait le plus fort. Il tomba à genoux devant le regard horrifié de Mobius, une main plaquée contre son torse à l'endroit où son cœur cognait bien trop violemment et trop rapidement, le faisant haleter sous la souffrance qui l'étreignait. Loki connaissait la douleur pour l'avoir subie entre les mains des hommes de Thanos mais cette fois, il ne pouvait pas s'en défaire en se réfugiant dans son esprit car toutes les cellules de son organisme paraissaient sur le point de s'enflammer.

Ce fut avec une terreur plus importante encore qu'il vit le Tesseract enfler dans son champ de vision, passant d'un simple cube aux dimensions raisonnables à une immense porte en trois dimensions qui grandit jusqu'à les engloutir, l'analyste et lui. Malgré le mal qui le rongeait, le dieu eut le temps de tendre une main tremblante vers celle de son ami, s'agrippant à lui pour ne pas le perdre dans le tourbillon bleu qui les entourait. Son bouclier d'énergie n'existait plus, il avait cédé à cause de l'assaut de la gemme, et il n'y avait plus rien pour les protéger, Mobius et lui, de la magie qui croissait. Loki ne percevait rien au-delà de l'intense lumière bleue du Tesseract, il ne voyait plus l'entrepôt, ni les dernières carcasses de vaisseaux abandonnés au moment où la planète avait sombré dans son apocalypse. S'il n'avait pas tenu entre ses doigts ceux de l'analyste, il aurait pu croire qu'il était désormais seul, mais ce contact le rassurait et l'ancrait dans une réalité qui s'effritait peu à peu.

Au lieu de diminuer, l'éclat du Tesseract se mit à croître, devenant aveuglant au point où le dieu dut fermer les yeux. L'angoisse s'empara de lui dès qu'il entendit un murmure dans sa tête et qu'il vit défiler des images de sa vie comme s'il était à nouveau face à l'écran que Mobius lui avait montré au TVA. Il assista à ses premiers jeux avec Thor, à ses entraînements de magie en compagnie de Frigga, à ses promenades nocturnes dans les jardins royaux. Lorsque la découverte de son identité de Jötun se rejoua dans son esprit, il puisa dans ses pouvoirs afin d'éjecter cette présence dérangeante, refusant de revivre ses déceptions et ce sentiment de trahison qu'il n'avait jamais complètement accepté. Une brume verte s'échappa de sa peau pour le débarrasser de l'emprise du Tesseract, courant sur ses membres avant de rejoindre le corps tremblant de Mobius qui apparut enfin dans son champ de vision.

« Vous allez bien ? s'enquit le dieu de la malice en se redressant, tout en tenant toujours sa main dans la sienne.

— Un peu secoué, avoua l'analyste. Avez-vous une idée de ce que nous sommes en train de traverser ?

— Non, grimaça Loki qui dut reconnaître qu'il ignorait tout. Je n'ai pas vraiment étudié les pouvoirs du Tesseract ou des pierres de l'infini, je l'utilise par instinct, en sentant les ramifications de sa magie.

— Impressionnant, murmura Mobius avant de reprendre son sérieux. Vous croyez que nous sommes piégés dedans ? »

Le Jötun n'hésita qu'un bref instant avant de répondre qu'il ignorait l'endroit exact où ils étaient. La lueur bleue du Tesseract pulsait encore autour d'eux, à la manière de murs entre lesquels ils auraient été prisonniers, leur donnant l'impression d'étouffer sous sa puissance. Loki posa sa main libre sur le voile bleuté le plus proche, sentant l'instant où sa peau heurta la surface de la magie déployée par la pierre de l'infini. Il s'attendit à subir une fois de plus le choc de leurs pouvoirs, mais seul un léger frisson l'étreignit. Peu à peu, les longs pans bleus se rétrécirent, reprenant des dimensions moins impressionnantes jusqu'à ne former qu'une porte qui aurait pu rivaliser avec celles du Tribunal des Variations Anachroniques. Le dieu et l'analyste échangèrent un coup d'œil puis le prince saisit l'éclat qui représentait une poignée, la tournant lentement jusqu'à ouvrir ce battant particulièrement étrange, tenant toujours la main de son ami dans la sienne avec une pression des plus fortes.

Dès que le paysage choisi par le Tesseract s'offrit à leurs yeux, l'entrepôt sembla fondre avant de disparaître et les deux hommes tombèrent dans un tunnel de lumière. Il leur fallut un long moment d'adaptation tant ils avaient été secoués par ce voyage inattendu. Mobius se releva le premier, entraînant avec lui le dieu de la malice qui avait l'air au bord de l'inconscience, sa peau recommençant à arborer quelques signes de sa véritable nature. Loki papillonna des paupières en observant le ciel pur qui s'élevait au-dessus d'eux, si familier dans sa clarté éblouissante. Quand il jeta un regard autour d'eux, il eut le sentiment que le cauchemar n'en finissait pas. Soit la pierre de l'Espace bénéficiait d'un humour de très mauvais goût, soit le destin s'acharnait sur lui en ricanant pour exposer à ses yeux ses plus sombres regrets.

Asgard s'étendait à ses pieds, aussi resplendissante qu'à son premier jour. Il était ironique pour lui de constater que peu importaient les endroits où il se rendait, tout le ramenait toujours à ce lieu qu'il avait pourtant tant haï au fil des décennies. Mobius lui avait montré son retour chez les Ases après le fiasco de New York – et il avait su échapper à cet avenir en volant le Tesseract – ainsi que son règne plutôt bref sous les traits d'Odin, sans compter son coup de main pour mettre en marche le Ragnarök, et ils avaient tous les deux effectué un voyage très rapide pour des retrouvailles émouvantes avec Frigga. Et cette fois encore, il se retrouvait là, en haut du palais du Père de Tout, avec le royaume qui s'étalait alentours.

« Je ne pensais pas que vous nous emmèneriez ici, s'étonna Mobius en se penchant un peu plus contre la rambarde pour admirer Asgard.

— Le Tesseract est responsable de tout cela, pas moi, se renfrogna le dieu. Je crois … je crois qu'il a lu mes souvenirs. »

Il délia leurs mains et s'agrippa à la barre d'or qui entourait le balcon supérieur. Un vent de mélancolie soufflait dans l'esprit du prince qui ignorait pour quelle raison exacte la pierre de l'infini avait décidé que ce serait bon pour lui de revenir dans le royaume où il avait le plus vécu. Sans doute ses pensées étaient-elles trop liées à Asgard et, puisque le Tesseract représentait l'Espace, la gemme avait puisé dans ce lieu qui symbolisait à la fois une renaissance et une prison pour Loki. Il inspecta ce paysage familier en se demandant à quelle époque ils se trouvaient, Mobius et lui, cherchant dans l'agencement du royaume un détail qui l'aiderait à obtenir une réponse.

Ce fut l'analyste qui parvint à savoir dans quelle temporalité ils avaient atterri, lui pointant des silhouettes au loin qui avançaient avec colère et qui rejouaient une scène que le dieu de la malice connaissait bien. Les meilleurs amis de Thor venaient de subir une déception des plus amères face à Loki lui-même qui avait pris les rênes d'Asgard pendant le sommeil réparateur d'Odin. Il savait ce que la suite réservait à ces braves guerriers et au royaume, son frère reviendrait vainqueur de Midgard, le Père de Tout sortirait de son repos et lui, le dieu des mensonges trahi par sa famille, tomberait du Bifröst entre les mains de Thanos. Rien de bon pour son propre avenir, il en avait conscience, et toutes les règles du Temps lui interdisaient de modifier cette chronologie sous peine de se faire intercepter une fois encore par le TVA.

En songeant au Tribunal, Loki eut un sursaut et se tourna vers son ami. Leur plan qui consistait à abandonner la puce de l'analyste sur la planète qu'ils avaient quittée malgré eux n'était plus possible, ils avaient été happés bien trop rapidement par le Tesseract sans pouvoir exécuter tout ce qu'ils avaient prévu. Quand il en fit part à Mobius, le dieu décela de l'amusement dans les prunelles de son ami, sans comprendre ce qui était à l'origine d'une telle émotion.

« Je ne suis peut-être pas une divinité comme vous mais j'ai encore des ressources cachées, nota l'analyste avec un sourire. J'ai laissé la puce dans l'entrepôt dès que j'ai vu que le Tesseract perdait les pédales. »

Le soulagement étreignit Loki qui esquissa à son tour un sourire avant de penser à l'expression qu'auraient les minuteurs en mettant la main sur une puce désormais inutile. Avec ce poids en moins sur la conscience, le prince était un peu plus à l'aise, sans toutefois se considérer comme libéré du Tribunal des Variations Anachroniques. Renslayer n'abandonnerait pas sa chasse à l'homme aussi vite, elle n'était pas du genre à lâcher une précieuse prise.

Se détournant d'Asgard et de sa magnificence, Loki entraîna son ami vers un autre balcon jusqu'à trouver un escalier qui menait à un niveau supérieur d'où la vue était encore plus resplendissante. Il se demanda un instant si Heimdall pouvait les percevoir, Mobius et lui, à observer Asgard depuis une hauteur vertigineuse qui offrait un point de vue inimitable sur le royaume. Il ne s'était pas posé la question lorsqu'ils avaient croisé Frigga la veille – car leur aventure étrange ne s'était déroulée que la veille, alors même qu'elle paraissait déjà lointaine au dieu de la malice – sans doute ému de revoir sa mère une dernière fois avant l'adieu définitif. Peut-être le gardien du Bifröst préférait-il ne pas intervenir parce qu'il sentait que le prince qui arpentait Asgard n'était pas le même que celui qui était assis sur le trône d'Odin pendant que le roi dormait de son sommeil enchanté et réparateur. À cette pensée, Loki se rembrunit, songeant qu'il avait sans doute été trop impétueux ce jour où il avait pris la place de son père adoptif alors que Thor errait sur Midgard.

« Vous semblez ailleurs, remarqua Mobius en lui donnant un petit coup d'épaule gentillet pour le sortir de ses réflexions.

— Vous aviez raison, vous savez ? répondit Loki. J'ai longtemps été le méchant de l'histoire, j'ai passé ma vie à être le mauvais fils, le mauvais prince, le mauvais dieu. Et je n'ai jamais quitté cet état.

— Nous en avons déjà parlé, le réprimanda l'analyste. Je croyais que vous aviez compris qu'il serait temps pour vous d'être enfin indulgent. »

Le dieu des mensonges esquissa un rictus, détournant le regard pour ne pas croiser celui de son ami. Mobius avait sans doute cet air bienveillant qu'il arborait en permanence à ses côtés, comme s'il avait assez de foi pour deux là où Loki n'était que désespoir. Il laissa ses yeux contempler les longues étendues dorées d'Asgard, les beautés du jardin de Frigga, la belle lueur arc-en-ciel du Bifröst. Tout cela lui manquait bien plus qu'il n'aurait voulu l'admettre, il ne pensait pas un jour ressentir cette immense mélancolie à la vue d'un monde qu'il avait pourtant fini par haïr tant il lui paraissait étranger. Asgard n'était que beauté, il lui était impossible de ne pas le reconnaître, et il eut un pincement au cœur en repensant au fait que ce royaume aussi allait subir une apocalypse.

« Vous savez, je n'ai jamais accordé autant d'attention à l'un de mes dossiers, remarqua Mobius pour attirer son attention. Je prends mon travail au sérieux mais votre cas était si … différent. Toute votre existence, tous vos variants, j'avais l'impression d'être enfin sur le point de toucher à quelque chose d'exceptionnel.

— La déception doit être encore plus grande, rétorqua Loki sur un ton acerbe. Qu'ai-je donc de si extraordinaire à vous apporter ?

— Tout, pour être honnête. Vous m'avez ouvert les yeux sur le TVA, sur ma propre vie, sur tout ce que je pensais être vrai. Je ne suis qu'un pion moi-aussi mais votre arrivée m'a permis de quitter ce jeu de dupes et de m'évader. »

Avec un léger sourire, l'analyste du Tribunal des Variations Anachroniques ajouta qu'il n'avait jamais ressenti cette liberté, cette capacité à aller de l'avant sans dépendre d'un ordre donné par quelqu'un d'autre. Il était devenu un fugitif à partir du moment où ils avaient fui tous les deux mais il n'était plus cet homme austère qui condamnait les variants en estampillant rapidement des feuilles d'une signature bien trop vite tracée en bas d'une page, sans vraiment se poser de questions sur chacun des cas. Sa seule ligne droite à suivre avait toujours été celle du Flux Temporel Sacré, sans autre chemin à accepter ou se tracer par lui-même, en effaçant simplement chaque nexus jusqu'à retrouver une unique chronologie. Mobius ignorait s'il allait tout perturber par sa présence à des époques où il ne devrait pas être, surtout en partant du principe qu'il n'était plus vraiment un membre du TVA puisqu'il s'en était échappé, mais il s'en contrefichait. Il avait besoin d'aider Loki à s'accepter, à ne plus avoir ce regard débordant de douleur et de doutes, comme si le monde entier se liguait contre lui depuis des éternités – ce qui, en un sens, était presque le cas, à toutes les époques, pour tous ses variants.

Le frère de Thor s'étira en lui annonçant qu'être libre n'amenait pas toujours de meilleurs destins à ceux qui se déliaient de leurs chaînes. Il l'avait assez expérimenté pour pouvoir le dire, il avait échappé à la surveillance d'Odin tant de fois, il avait supposé qu'il aurait une voie à se bâtir lorsqu'il était tombé du Bifröst, sans savoir qu'il finirait entre les mains des sbires de Thanos et entre celles du Titan lui-même. Sa propre liberté n'avait été qu'une autre forme de servitude, il en avait souffert, encore et encore, en tuant bien plus qu'il ne l'aurait dû, en blessant des innocents dont le sang souillait désormais ses mains, en semant le trouble parce que son esprit n'était plus totalement le sien. S'il avait été prisonnier d'un sceptre animé d'une conscience qui lui était propre, Loki estimait cependant qu'il n'était pas tout à fait une victime. Certes, son corps avait parfois agi à l'inverse de ses pensées mais il était encore à moitié présent lorsqu'il avait brandi l'arme des Chitauris contre les Midgardiens, lorsqu'il avait planté un appareil dans l'œil de l'un d'eux, lorsqu'il avait presque déchaîné les armées de Thanos contre une planète qui ne méritait pas un tel traitement.

Une petite voix malicieuse – la sienne, en quelque sorte – lui souffla que tout cela était dû aux mensonges d'Odin. À partir du moment où il avait appris qu'il n'était pas le fils du Père de Tout, ni celui de Frigga, il avait cédé à la colère qui le rongeait à petit feu depuis bien longtemps. Il ne demandait pourtant rien, il cherchait juste un trône qui lui reviendrait, pour avoir un pouvoir auquel se raccrocher, pour être certain de ne pas être le jouet d'une puissance bien trop grande face à laquelle il n'avait aucun moyen de lutter. Lorsque Thor et lui n'étaient encore que des gamins insouciants, Loki avait cru qu'il aurait autant de chances que son frère malgré le droit d'aînesse du dieu du tonnerre. Il n'avait récolté qu'une déception immense et une douleur que nul n'avait su apaiser.

« Je voulais être roi, murmura-t-il en se sortant de ses souvenirs, parce que j'estimais que je n'aurais jamais d'autres reconnaissances. Mais même sur le trône d'Asgard, je n'ai rien eu de plus que du mépris.

— Devenir roi ne change pas un homme, remarqua l'analyste. Enfin, pas au point de modifier le regard que les autres portent sur lui. N'oubliez pas que votre frère était considéré comme le souverain idéal, vous n'aviez aucune valeur à ses côtés. »

Si le ton de Mobius n'était que factuel, comme souvent, le dieu ne put cependant s'empêcher de serrer les poings face à ses réflexions. Son ami avait toutefois raison sur ce point, monter sur un trône n'enrobait pas de gloire quelqu'un qui n'était pas bien perçu par son entourage et il ne faisait pas exception. Il se souvenait sans mal de ce qu'il avait ressenti en s'asseyant à la place d'Odin, le sourire aux lèvres, certain de pouvoir modeler Asgard à sa manière pendant que son frère errait sur Midgard à la recherche de son marteau et d'un moyen de revenir. Il avait eu la population des Ases sous son contrôle durant un faible laps de temps mais il n'avait éprouvé qu'une satisfaction éphémère, conscient qu'il resterait éternellement le plus jeune des princes, le magicien rejeté par ses pairs, l'individu venu d'ailleurs, le monstre sous le lit. Cela l'avait mené à son errance en-dehors d'Asgard, lorsqu'il avait de lui-même décidé de tomber dans le vide puisque plus rien ne le raccrochait à ce peuple pour lequel il n'était qu'un étranger. Régner l'avait conduit à sa perte, en quelque sorte.

Tout en hésitant, Loki demanda à son ami s'il avait déjà rencontré au moins l'un de ses variants heureux. L'analyste pianota sur sa cuisse d'un air tendu, en un geste qui répondit à la question du dieu de la malice. Mobius lui avoua qu'il avait mis fin à la vie de nombreux Loki, parce que c'était son travail, parce qu'il ne pensait pas une seule seconde à transgresser les règles du Tribunal des Variations Anachroniques, parce qu'il n'était finalement qu'un employé qui n'avait pas pris la peine de réfléchir aux émotions de tous ces gens qu'il avait tués. Les différents variants du dieu avaient été éliminés à des moments divers de leur existence, dès qu'ils s'éloignaient du Flux Temporel Sacré, dès qu'ils tentaient de prendre le pouvoir ou de retrouver les leurs. Loki comprit que le TVA n'avait jamais permis à ses autres de connaître le bonheur, ils n'avaient tous été que des marionnettes destinées à semer le chaos et à le subir, encore et encore, sans possibilité de sortir de ce cercle infernal. Thor était le héros, le vainqueur, le dieu respecté et admiré de tous, aimé d'une humaine, alors que lui n'était qu'un paria, délaissé par le plus grand nombre, enfermé dans une spirale de douleur qui ne cesserait qu'entre les mains d'un Titan.

Un frisson l'agita et il se recroquevilla un peu, son esprit envahi par cette image qui ne le quittait pas. Il avait sans doute souffert lorsque Thanos avait resserré ses doigts autour de sa gorge avant de faire retomber son cadavre, il avait dû sentir passer sa mort, bien plus violente que tout ce qu'il avait affronté jusque-là. Si lui ne l'avait pas vécue – puisqu'il n'était pas ce Loki qui connaîtrait un tête-à-tête ultime avec le Titan fou – il ne pouvait pas oublier la vision de son corps en train de bleuir, reprenant sa teinte de naissance. Il avait été naïf de croire qu'il saurait lutter contre ce monstre.

« L'un de vos variants était un roi, lui annonça Mobius en levant la tête vers le soleil qui rayonnait au-dessus d'Asgard. Le roi de Jotunheim.

— Quelle surprise, maugréa le dieu de la malice en plissant les paupières. Je ne pouvais pas être roi ici, n'est-ce pas ?

— Croyez-moi, votre variant était … eh bien, disons qu'il savait s'y prendre pour régner. Il n'était pas aussi dur que vous le pensez, il était juste envers ses sujets et les Jötnar le respectaient beaucoup. Ce Loki avait déployé ses ailes et …

— Et vous l'avez empêché de s'envoler. »

L'amertume était l'émotion la plus facile à éprouver pour le dieu depuis qu'ils avaient mis les pieds sur ce sol bien trop familier. Tous ses regrets lui sautaient à la figure comme autant d'erreurs qu'il n'était pas en mesure d'éviter, lui rappelant ce qu'il avait de mauvais parce qu'il n'était qu'un jeune prince prétentieux qui n'acceptait pas de demeurer dans l'ombre. Mobius tentait au mieux de lui prouver qu'il avait changé mais Loki refusait de voir les espoirs qui ne cessaient de briller dans les yeux de l'analyste. Son ami le plaçait trop haut, encore et encore, il le mettait sur un piédestal sans se rendre compte que tout branlait autour d'eux, qu'il n'y aurait jamais de bases solides pour un homme comme lui. Il voulait retourner en arrière pour retrouver les chaînes qui lui avaient été imposées par les Avengers sur les conseils de son frère, pour rester sagement le prisonnier de ce groupe de super-héros bien plus forts que lui. S'il n'avait pas choisi de s'emparer du Tesseract, Mobius serait au Tribunal des Variations Anachroniques sans risquer de se faire capturer à chaque seconde qui s'écoulait.

Plongé dans ses pensées, Loki essaya d'imaginer ce que serait une vie royale. Non pas à Asgard comme il avait déjà tenté de le faire mais plutôt à Jotunheim, sa terre de naissance, là où il était destiné à prendre un jour le trône à cause de son héritage. Il aurait grandi avec une peau bleue, des yeux rouges, une capacité à résister au froid avec plus de force qu'il n'en avait actuellement. Peut-être aurait-il dû se battre pour conserver ce royaume, peut-être aurait-il été entouré de frères sanguinaires – Odin lui avait bien dit qu'il était petit par rapport aux autres Jötnar – ou peut-être, comme Mobius venait de le lui avouer, aurait-il pu diriger une contrée sans craindre d'être rejeté pour ses différences.

« J'ai été élevé en croyant que les Jötnar n'étaient que des monstres, murmura Loki en baissant les yeux vers ses mains trop blanches mais bien plus discrètes que le bleu naturel de sa peau. Il n'y avait pas de froid sur Asgard, l'hiver n'était pas connu des Ases, nous n'avions que la douceur du printemps, la chaleur de l'été, et les températures permettaient aux fleurs d'être toujours magnifiques. J'ai recherché la fraîcheur pendant des siècles avant de comprendre que je n'étais qu'une créature comme celles qui peuplaient les cauchemars de tous les enfants sur Asgard. »

Sa voix s'essouffla avant de s'éteindre, comme un vent glacé qui terminerait sa course contre un mur avant de disparaître entre les briques érodées par le temps. Mobius ne rétorqua rien, respectant son silence en sachant qu'il valait mieux laisser le dieu se calmer seul plutôt qu'essayer de lui remonter le moral avec des mots vains qui sonneraient faux. L'analyste se contenta de poser une main amicale sur l'un des poignets du prince, s'attirant un regard en coin surpris ainsi qu'un léger sourire. Le frère de Thor sembla se ragaillardir par ce simple geste, se redressant pour retrouver cette posture altière qui amusait tant Mobius.

Avec un fond de mélancolie, Loki parla de Frigga, des tours de magie dont elle usait souvent pour le protéger du soleil et de ses rayons. Sans lui révéler ce qu'il était, elle avait toutefois veillé sur lui avec bienveillance pour qu'il fût à l'abri malgré ses différences. Son sourire se fana lorsqu'il songea au fait que dans la chronologie principale, sa mère était morte par sa faute.

« Ne ressassez pas le passé, lui souffla Mobius. Votre vie ne sera plus jamais la même, il est inutile de revenir sur vos erreurs.

— Et si je décidais de conquérir l'Univers, du jour au lendemain ? Vous m'avez rendu ma liberté, Mobius, j'ai accès à mes pouvoirs, à ceux du Tesseract.

— Vous n'êtes pas plus dangereux que d'ordinaire, lui répondit l'analyste avec un regard sérieux. »

Loki haussa un sourcil, hésitant à rétorquer qu'il était redevenu capable du pire dès l'instant où ils avaient quitté les locaux sécurisés du Tribunal des Variations Anachroniques. Il sentait cette noirceur qui battait encore dans son cœur, si petite mais bien présente, écho d'autrefois qui n'était pas totalement parti quand son esprit avait été séparé des injonctions du sceptre des Chitauris. Il se rendait compte qu'il était en train d'entraîner son ami dans ses ténèbres et il voyait que Mobius ne résistait pas à cette attraction, il sombrait avec lui dans les ombres, sans opposer de résistance. Le dieu s'en inquiétait un peu, il avait assez de respect et d'amitié pour l'analyste – et un sentiment qui perçait peu à peu mais qu'il refusait d'admettre – et il refusait de l'emmener avec lui dans sa chute.

« J'ai failli déclencher une guerre entre Jotunheim et Asgard, rappela le prince en désignant d'un mouvement de tête le Bifröst. Qui sait ce qui aurait pu se produire si mon plan avait été mené à terme …

— Vous semblez oublier qu'Odin a mené des guerres pendant une partie de sa vie, et son père avant lui. Asgard était puissante, elle ne craignait rien malgré vos manigances. »

Loki haussa un sourcil, peu convaincu par les propos de son ami. Il avait vu de ses propres yeux les capacités des Jötnar le jour où Thor, ses amis, et lui-même avaient fait une petite expédition à Jotunheim. Tout aurait pu se terminer dans le sang, la situation avait été à deux doigts de tourner au désastre et les Ases n'auraient jamais regagné Asgard si Odin n'était pas intervenu. Les Jötnar étaient puissants, et le dieu de la malice en avait une assez bonne conscience puisque le même sang coulait dans ses veines.

Peu pressé de retomber dans de sombres pensées à cause de sa nature monstrueuse, le prince convia son ami à le suivre, quittant les hauts balcons du palais. Il s'assura qu'ils ne croiseraient personne en prenant un escalier qui descendait jusqu'aux jardins royaux. Le sommeil enchanté d'Odin et le bannissement de Thor avaient eu assez d'impacts sur les Ases, le peuple s'était retiré pour réfléchir à l'avenir, laissant un silence presque pesant s'installer dans le royaume. Cela satisfaisait Loki, il n'avait pas besoin de se dissimuler derrière un sortilège et il était ainsi plus simple d'évoluer chez lui. Remarquant la maladresse de Mobius sur les marches taillées de manière irrégulière, il lui tendit la main afin de l'aider, s'amusant de la gaucherie de son ami. Ils parvinrent enfin à entrer dans les grandes serres du palais où régnait une douce odeur florale que le dieu des mensonges inspira pleinement.

« Quand j'étais enfant, Odin nous racontait souvent les prouesses de son père. La nuit, Thor et moi nous faufilions dans les jardins pour redonner vie à ses histoires, sans voir que notre mère veillait sur nous. Mais vous devez déjà le savoir, finit par ajouter Loki en haussant les épaules, je n'ai aucun secret pour vous.

— Je n'étais pas dans votre cœur, répliqua Mobius avec bienveillance. J'ai observé votre existence à travers le TVA, j'ai vu vos actes mais je n'étais pas dans vos pensées.

— Pourtant, vous connaissez bien mes émotions, vous avez réussi à me manipuler dès mon arrivée. »

Nul agacement ne pointait dans la voix du dieu, il n'était pas là pour ensevelir l'analyste sous une montagne de reproches aussi inutiles qu'incisifs. Son ami lui avait tant offert depuis qu'il était entré au service du Tribunal des Variations Anachroniques, cet incident lors de leur rencontre n'était plus qu'un souvenir à gommer. Loki soupira, le cœur serré par la vision de sa mère en train de le regarder avec amour malgré sa peau bleue. La reine d'Asgard n'avait jamais eu peur de lui, de sa magie, de son sang si différent de celui des Ases, et elle l'avait élevé comme s'il était son propre enfant. Il regrettait d'avoir été une si grande déception pour elle, pour Odin, pour tout ce peuple auquel il n'appartenait pas mais avec qui il avait grandi.

Le prince s'excusa auprès de Mobius, lui jetant un coup d'œil en coin après avoir repris une posture plus digne de son rang. L'analyste haussa les épaules avec un léger sourire, lui rappelant qu'il était habitué aux déclarations peu amicales des Loki. Le dieu de la malice faillit perdre toute sa prestance mais, en décelant l'amusement dans le regard de son ami, il se morigéna mentalement. Mobius n'était pas là pour l'accuser, au contraire, il ne faisait que lui montrer les points communs des variants, ainsi que toute la différence qui existait entre eux et lui ; Loki était le seul qui pouvait encore se vanter d'être en vie après avoir connu un jugement au TVA et il avait l'avantage de pouvoir compter sur l'aide de l'analyste.

Mobius lui assura qu'à sa place, beaucoup d'hommes seraient devenus fous ou cruels, ou un peu des deux. Il lui annonça qu'il avait changé et que c'était une preuve de sa bonté, tirant un nouveau sourire ironique au dieu.

« Ne faites pas de moi un héros, railla Loki. Ce serait un mensonge autant pour vous que pour moi.

— Croyez-vous vraiment que le Loki de l'époque dans laquelle nous nous trouvons aurait accepté de me venir en aide ? »

L'interrogation flotta entre eux, comme un charme en train de se tisser. Le dieu de la malice devait avouer que Mobius avait raison, il ne faisait aucun doute que le prince assis sur le trône d'Odin n'aurait jamais tendu la main à l'analyste pour le tirer du Tribunal des Variations Anachroniques. Mais de là à dire qu'il était un homme bon, il n'en était pas aussi certain parce qu'il restait ce dieu qui vivait de mensonges et de chaos, dont la magie détruisait bien plus qu'elle ne bâtissait. Un Jötun n'était pas un être de lumière, de compassion ou de bienveillance, il était issu du froid et de la colère.

Préférant éviter une discussion perdue d'avance, le dieu reprit l'inspection des lieux en entraînant son ami avec lui. Il lui montra les plus belles fleurs d'Asgard, le conduisit ensuite dans les couloirs qui menaient à la bibliothèque royale. Loki connaissait par cœur les rondes des gardes, d'autant plus qu'il avait vécu ce moment et en gardait des souvenirs précis, ainsi ne tombèrent-ils pas sur les soldats du roi. Mobius s'arrêta à l'entrée de la pièce, affichant une admiration qui amusa le prince – tout en lui rappelant aussi cette impression qu'il avait eue la première fois où Frigga lui avait fait découvrir ces immenses rayonnages.

« Je n'aurais jamais pensé la voir véritablement, souffla l'analyste. »

Les livres semblaient omniprésents, ils s'étalaient sur les étagères, sur les tables, et à quelques autres endroits, sur les chaises, abandonnés là au cours d'une lecture, ou posés dans l'attente d'y revenir. De toutes les couleurs, les couvertures se mêlaient sans créer de véritable discordance, attirant l'œil sur chacune d'elles, comme si elles tentaient de se signaler par leur beauté. Mobius fit un pas en avant, saisit le premier livre à portée de main et lut le titre avant de rire, annonçant qu'il n'imaginait pas qu'Asgard regorgerait d'ouvrages sur les mœurs des humains. La remarque figea Loki dans son mouvement, il fronça les sourcils puis sembla se rappeler un détail qu'il avait sciemment omis pendant tout ce temps ; son ami connaissait la langue des Ases.

« Combien de dialectes avez-vous appris ? s'enquit le prince avec une curiosité qui ne demandait qu'à croître.

— Beaucoup. C'est l'un des avantages du TVA, vous finissez par devenir polyglotte pour pouvoir comprendre ce que vous observez. Je maîtrise toutes les langues terrestres, celle des Ases, des Jötnar, des elfes, des nains, des Kree ; je parle le Groot aussi mais ce n'est pas si simple, vous n'imaginez pas le nombre de nuances qu'ils possèdent. »

Il poursuivit sa liste tout en avançant dans la bibliothèque, tendant parfois la main vers un livre pour mieux voir sa couverture, se hissant sur la pointe des pieds lorsque les étagères étaient bien trop hautes pour lui. Dans son dos, le dieu de la malice esquissa un faible sourire, ayant le sentiment de regarder un enfant en train de découvrir le monde et ses richesses. Le palais d'Asgard abritait grand nombre de merveilles mais la bibliothèque, autant par ses dimensions que par le savoir qu'elle renfermait, était l'un des lieux favoris de Loki. Dans les serres de Frigga, il ressentait la saveur des plantes, leurs odeurs parfois enivrantes, les bienfaits qui en découlaient mais dans ce lieu plus secret, il touchait du bout de doigts des connaissances si variées qu'il fallait bien une vie immortelle pour en percer les infimes mystères.

« Que sommes-nous venus trouver ici ? demanda enfin Mobius en s'arrêtant dans une allée.

— J'ai besoin d'informations sur le Tesseract, avoua le dieu des mensonges. Je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé quand il nous a emmenés ici et j'aimerais nous éviter de futurs ennuis. »

Odin avait amassé un nombre faramineux d'ouvrages sur les pierres de l'infini – Loki le suspectait d'avoir cherché à s'en emparer au fil de ses conquêtes, bien qu'il n'en eût pas la preuve – et il avait aussi récupéré de nombreux traités dans les autres royaumes, sans compter les livres que Frigga avait elle-aussi possédés. Le prince se rappelait en avoir lu des dizaines sur le sujet lorsque sa curiosité était encore innocente, lorsqu'il se passionnait pour les différentes formes de magie afin de comprendre un peu mieux la sienne, lorsque les gemmes n'étaient que des mots sur des pages et non des réalités aussi palpables dans le creux de sa main.

Il se mit en quête des livres après avoir conseillé à son ami de ne pas trop s'éloigner. La bibliothèque était immense, s'étalait sur plusieurs étages et avait ceci de particulier que le point de départ n'était pas toujours celui d'arrivée. Loki s'était perdu bien souvent, enfant, et il lui avait fallu plusieurs décennies pour déceler la moindre subtilité de la pièce. Peu enclin à disparaître entre deux étagères, l'analyste revint vers lui et l'accompagna dans ses déambulations, commentant parfois avec enthousiasme la beauté de certaines couvertures. Le prince déclara avec un rire mi-figue mi-raisin que se fier à l'aspect extérieur des ouvrages n'était pas une bonne idée et qu'il en avait fait les frais à plusieurs reprises, piégé par des couleurs chatoyantes qui cachaient de la magie noire. Sa remarque fut accueillie par un sourire amusé de la part de Mobius qui lui annonça que cet épisode de sa vie ne lui était pas méconnu, assombrissant l'expression du dieu.

Il ne pouvait pas reprocher à l'analyste d'avoir suivi les ordres pendant tout ce temps mais il détestait cette impression qui lui hurlait que, parfois, son ami en savait plus à son sujet que lui-même. Mobius connaissait une partie de son avenir – celui de sa chronologie originelle en tout cas – et il avait assisté à tant de ses existences qu'il avait le sentiment de n'avoir presque aucun secret pour lui. La sensation était des plus étranges, à la fois dérangeante et bienvenue, comme si un morceau de lui remerciait l'analyste de ne pas l'avoir fui tout en sachant de quoi il était capable.

« Odin a dissimulé beaucoup de livres sur les Jötnar lorsque vous étiez enfant, intervint Mobius alors qu'ils étaient en face d'une étagère où s'alignaient plusieurs ouvrages au sujet de l'histoire d'Asgard. Il craignait que vous ne tombiez dessus par hasard.

— Et il a cru qu'en grandissant, je finirais par délaisser la bibliothèque, marmonna Loki. Lorsque j'ai découvert ce que j'étais, sur Jotunheim, je suis revenu ici pour effectuer des recherches. Je n'ai pas eu toutes les réponses à mes questions mais le peu que j'ai découvert m'a permis de comprendre un peu qui j'étais – qui je suis. »

Il ajouta que tout cela appartenait au passé et qu'il préférait désormais ne plus y penser, conscient que se tourmenter de la sorte ne leur servirait à rien en l'état actuel. Il aurait tout le temps d'y songer une fois qu'ils auraient enfin trouvé une véritable porte de sortie. Il mit la main sur un livre à la couverture en cuir rouge, feuilletant les pages jusqu'à l'esquisse qui représentait le Tesseract. Une frustration inattendue s'empara de lui à la lecture des notes manuscrites ; rien dans l'ouvrage ne lui indiquait quelles raisons avaient poussé la pierre de l'Espace à se déchaîner de cette manière. Il était bien question de voyage dans l'espace et d'une énergie très forte mais aucune information ne mentionnait une réaction aussi brutale que celle qu'avait eue le Tesseract. Lorsque leurs magies étaient entrées en contact, Loki avait cru percevoir une présence étrangère, comme si la pierre de l'infini était bien vivante – ou comme si une personne en chair et en os se tenait non loin pour manipuler la gemme.

« Je ne dois pas être le premier à avoir eu ce genre d'ennui avec le Tesseract ! pesta le prince en reposant le livre.

— Aucun Jötun n'a tenu de pierre de l'infini dans ses mains, remarqua prudemment Mobius. Votre magie a très bien pu activer une réaction à l'intérieur de sa propre énergie.

— Qu'avez-vous vu dans mes autres chronologies ? Qu'ont fait les autres Loki ? Eux aussi ont manipulé cette fichue pierre, n'est-ce pas ? »

Au fur et à mesure qu'il posait ses questions, le dieu de la malice percevait la colère qui montait en lui, à la manière d'un volcan sur le point d'entrer en éruption. Il en avait assez de se retrouver bloqué avec plus d'interrogations que de réponses. L'analyste tenta de l'apaiser en lui apprenant que tous les Loki n'avaient pas eu entre les mains la pierre de l'Espace – et pour cause, certains d'entre eux n'avaient jamais mis les pieds sur Midgard ou n'avaient jamais quitté Asgard. Agacé par ce flou général qui ne cessait de l'étreindre depuis des siècles, le prince eut un geste qui précipita les événements. Il fit apparaître le Tesseract au cœur même de la bibliothèque, sans sembler s'apercevoir de l'éclat particulier qui entourait la pierre.

L'intense lumière bleue qui émanait de la gemme de l'infini recouvrit toutes les étagères, les livres, les meubles, le sol et le plafond, jusqu'à s'élancer en-dehors de la pièce. Loki pâlit en songeant à la catastrophe qui risquait de se produire si l'énergie du Tesseract venait à englober le royaume tout entier. Il avait oublié – pendant quelques minutes bienvenues – qu'il n'était pas dans sa chronologie, que le Loki présent avait le cœur rempli d'amertume et qu'une telle puissance entraînerait sans doute un incident irréparable. Il essaya de dissimuler la pierre mais le Tesseract pulsa violemment, les projetant, Mobius et lui, contre l'une des étagères qui s'effondra sous le choc. Le dieu eut à peine le temps d'invoquer un bouclier pour les protéger du choc des livres en train de s'écrouler sur eux, perdu dans une montagne d'ouvrages.

« Mobius ? héla-t-il son ami dans un réflexe désespéré.

— Je vais bien, le rassura l'analyste en repoussant un livre sur la convergence. Mais je crains que nous ayons provoqué un nexus assez grave. »

Ils observèrent tous les deux le flot de lumière bleue qui illuminait les couloirs menant à la bibliothèque et qui ne cessait de croître. Les dorures des colonnes fondaient sous l'énergie de la pierre, revêtant la même teinte que le Tesseract, donnant au palais un aspect des plus étranges. Loki aurait apprécié une intervention de la part du Tribunal des Variations Anachroniques – et il ne comprenait pas le retard des minuteurs, ils auraient dû être alertés par le phénomène qui prenait de l'ampleur. Il se débarrassa de tous les livres qui l'entouraient, se remit debout, récupéra la pierre et se précipita dans le couloir, Mobius à sa suite. Sous leurs regards horrifiés, ils virent des gardes royaux être aspirés par l'éclat bleuâtre, ne laissant au sol que leurs armes qui tintèrent dans le silence pesant du palais.

Le dieu de la malice, figé par la vue de cette catastrophe dont il était l'unique responsable, sursauta en sentant une main se refermer sur son poignet. Son ami lui indiqua avoir une idée pour minimiser le problème, bien que son ton fût assez hésitant. Mû par l'habitude acquise aux côtés de Mobius, Loki lui accorda sa confiance et courut avec lui dans le sous-sol, jetant de temps à autre un coup d'œil en arrière pour observer l'avancée de la magie du Tesseract. Au creux de sa main, la pierre de l'infini brillait encore, comme un phare dans une nuit totale, et le prince percevait sa magie et les remous qui l'agitaient dès que l'énergie de la gemme absorbait un nouvel obstacle.

Parvenus à destination, Loki s'arrêta quelques secondes, l'esprit agité par un souvenir en train de refaire surface. C'était ici, au milieu des trésors amassés par Odin, qu'il avait défié verbalement son père adoptif, le poussant dans ses retranchements jusqu'à le voir s'écrouler à ses pieds. À quelques pas de là, la cassette de l'hiver, relique sacrée des Jötnar, émettait un bourdonnement léger qui s'amplifia à l'approche du dieu et du Tesseract.

« Vous êtes sûr de vous ? s'enquit le prince.

— Le froid de Jotunheim est emprisonné à l'intérieur de cet objet, il pourrait lutter contre la puissance de la pierre. »

Ce n'était qu'une hypothèse, ils en avaient tous les deux parfaitement conscience, mais mieux valait tenter l'impossible que de rester là les bras croisés alors que le royaume tout entier était en danger. De sa main libre, Loki saisit l'un des côtés de la cassette de l'hiver, sentant immédiatement ce courant presque familier qu'il avait déjà eu le loisir de découvrir à l'époque où il avait appris sa nature de Jötun. Comme Mobius l'avait supposé, le froid heurta la magie du Tesseract dans le cœur du dieu de la malice, il eut le sentiment que trois énergies étaient en train de se battre en lui ; d'une part la sienne, si faible par rapport aux deux autres, ensuite celle du Tesseract, puissante et destructrice, et enfin celle de la cassette de l'hiver, aussi violente qu'une mer glacée.

Au contact de l'énergie de sa planète natale, la peau de Loki redevint bleue, veinée d'une teinte plus claire, tandis que ses yeux rougeoyaient. Il vit la transformation sur ses mains et en eut la confirmation en croisant le regard admiratif de Mobius – toujours ce même coup d'œil béat, comme si la vue d'un Jötun ne l'effrayait pas, comme si un géant des glaces n'était pas une aberration. Il se concentra sur les pouvoirs qui circulaient en lui, puisant dans la magie de Jotunheim pour rappeler à lui l'énergie si volatile du Tesseract. Le prince sentit une résistance au bout de ses doigts, là où il tenait la pierre, et il s'ancra à cette impression pour ordonner à la lueur bleue de revenir. Comme un aimant en train d'attirer à lui les métaux, Loki réussit à ramener vers la gemme de l'infini tous les éclats qui s'étaient dispersés dans le palais d'Asgard.

Il entendit des pas en provenance du couloir, et il serra les dents en comprenant que de nouveaux gardes avaient dû être envoyés par l'autre. Le dieu de la malice refusait de les blesser mais il ne pouvait pas non plus leur permettre de l'atteindre – ou de mettre la main sur Mobius. Avec son esprit, il ordonna à la cassette de l'hiver de geler l'entrée du sous-sol, détaillant avec surprise la facilité avec laquelle l'objet lui répondit. Il n'aurait pas dû être aussi étonné étant donné que la cassette provenait du même endroit que lui mais c'était un rappel assez cuisant de son origine. Il perçut les grognements des soldats ainsi que le bruit de leurs lances qui perçaient peu à peu la surface froide pour essayer de briser la glace. S'il ne se dépêchait pas, il finirait emprisonné par les gardes royaux – dans le meilleur des cas – ou exécuté par l'autre Loki qui ne comprendrait rien à ses explications.

Enfin, la magie du Tesseract cessa de s'attaquer au palais d'Asgard et reflua complètement. La pierre de l'Espace était toujours illuminée par cet éclat bleu inquiétant mais son énergie ne semblait plus prête à assaillir chaque surface. Loki relâcha alors la cassette, fatigué par la lutte qu'il avait menée dans son propre corps, manquant de s'écrouler.

« Vous avez eu une bonne idée, lança le prince à son ami en esquissant un faible sourire. Le froid de Jotunheim est assez fort pour chasser la magie du Tesseract.

— Je ne pense pas que la cassette soit la seule responsable, répondit Mobius avec un regard entendu. Mais puisque vous êtes un Jötun et que cette cassette reconnaît l'un de ses semblables, j'ai espéré un miracle. Maintenant, il faudrait partir au plus vite, votre variant – enfin l'original plutôt – risque de s'apercevoir de votre présence. »

Le dieu de la malice hocha la tête, grimaçant lorsqu'il constata que ses tempes le faisaient souffrir. Il n'avait pas utilisé autant de magie depuis des mois, voire des années, et voilà qu'en quelques jours, il avait le sentiment d'avoir déplacé les neuf royaumes et Yggdrasil d'une seule main. Malgré l'hésitation qui le tenaillait, il plongea sa conscience dans celle du Tesseract, percevant ses ramifications, retrouvant cette branche particulière qu'il avait empruntée à plusieurs reprises lors de ses déplacements avec la pierre de l'infini. Il tendit ensuite sa main libre vers l'analyste, l'invitant à le rejoindre pour quitter Asgard. Il visualisa une planète au hasard – Midgard, encore, il en avait conscience mais il ne connaissait pas assez l'Univers pour s'échapper ailleurs et il refusait de retomber sur Asgard – et activa le pouvoir du Tesseract.

Mobius et lui disparurent du sous-sol à l'instant même où l'autre Loki fit irruption ; ils eurent le temps de croiser son regard mais, par chance, la magie de la pierre les envoya enfin à destination. Le dieu de la malice soupira de contentement en remarquant qu'il n'y avait pas le grand palais doré de son enfance, ni les archives entretenues du Tribunal des Variations Anachroniques. Cependant, le soulagement fut de courte durée, l'énergie du Tesseract s'emballa une fois de plus, attirant sur eux les coups d'œil intrigués et inquiets de la population de la ville dans laquelle ils venaient d'atterrir.

Peu enclin à voir se répéter le désastre qui s'était produit sur Asgard, Loki prit le risque de plonger son esprit plus en avant dans la pierre de l'infini. Il savait que ce ne serait pas sans conséquence pour lui, il pouvait très bien se perdre dans l'immensité de la gemme, piégé par une énergie plus ancienne que lui, mais il refusait d'être à nouveau le bourreau d'un peuple qui ne demandait rien et qui le pointerait du doigt en l'accusant de mille maux. Il jeta un dernier regard à Mobius, ferma les yeux, puis se connecta au Tesseract. Comme souvent lorsqu'il entrait en contact avec la pierre de l'Espace, il frissonna, surpris par la puissance que contenait une si petite gemme. Il délaissa les ramifications qui menaient à d'autres lieux, se contentant de suivre la voie principale qui le guidait vers le centre de la pierre. L'espace d'une seconde, il se questionna sur les autres gemmes, sur la conscience qui s'y trouvait – il n'ignorait pas qu'une des pierres était liée à l'âme et une autre à l'esprit, les rendant encore plus précieuses – puis il fut aspiré dans un tourbillon d'émotions.

Le Tesseract semblait penser par lui-même, des miettes de mots parvenaient à Loki dans une multitude de langues – il sut en décrypter certains et crut entendre son propre nom, ce qui le déstabilisa. Autour de lui, des éclats bleutés lui montraient des scènes variées, venues d'autres pays, d'autres temps. Il se revit en train de mettre à genoux la population de Stuttgart puis tenir tête aux Avengers. Cet événement, sous cet angle, lui donnait l'air d'un tyran et il comprit pourquoi les mortels avaient été terrifiés. Il aperçut aussi une femme blonde en compagnie de l'homme borgne du Shield puis, encore plus loin, un individu au crâne rouge qui saisissait la pierre avant d'être emporté ailleurs. Cela ne lui expliquait pas d'où provenaient les sautes de magie du Tesseract, rien ne paraissait l'avoir touché d'une manière ou d'une autre.

Puis soudain, alors qu'il était sur le point de revenir dans la réalité, il y eut une nouvelle image, brève mais suffisamment explicite pour le dieu. Une femme aux longs cheveux roux s'était emparée de la pierre, à une époque qu'il n'arrivait pas à déterminer, et elle l'avait confiée à une enchanteresse, blonde comme les blés, et à la magie instable. Loki avait côtoyé chacune d'elles lorsqu'il vivait à Asgard et il n'imaginait pas les revoir de cette façon, encore moins les découvrir en train de tisser un sortilège autour du Tesseract. Il retira son esprit de la pierre, vacillant en reprenant le contrôle de son corps, et esquissa une grimace lorsqu'il remarqua que la gemme n'avait en rien perdu son éclat.

« Vous avez trouvé une explication à ce phénomène ? s'enquit aussitôt Mobius.

— Allons ailleurs, murmura le prince. »

Il ne voulait pas parler avec l'analyste alors qu'autant d'humains commençaient à se rassembler près d'eux. Plusieurs d'entre eux avaient déjà dû reconnaître en lui le dieu qui était venu pour les soumettre à sa puissance, ils avaient sorti leurs téléphones, pris des photos et des vidéos, et semblaient désormais occupés par la pensée de le dénoncer aux autorités. Ironiquement, sa seule porte de sortie se trouvait entre ses mains mais il était épuisé par l'utilisation de sa magie. Des voitures de police vinrent les encercler, son ami et lui, obligeant Loki à s'éclipser malgré sa fatigue grandissante. Dans un dernier souffle d'énergie, il ordonna au Tesseract de les envoyer en sécurité dans une contrée éloignée, priant pour ne pas revenir sur Asgard. La pierre les engloba de sa lumière bleue et les transporta aussi vite dans un long paysage gelé.

Retour de bâton ou manque de chance, Loki reconnut les plaines froides de Jotunheim. Une secousse lui fit baisser les yeux sur le Tesseract dont l'éclat venait de s'éteindre. Non seulement Mobius et lui étaient désormais en territoire hostile mais l'artefact avait aussi choisi ce moment pour leur faire défaut.

« Ne dites rien, déclara le dieu des mensonges en levant son regard vers l'analyste. Je sais exactement à quoi vous pensez, je viens de nous mettre en danger.

— Une fois que le Tesseract sera de nouveau opérationnel, nous repartirons, rétorqua Mobius avec une assurance qui manquait cruellement à Loki. Qu'avez-vous vu à l'intérieur ?

— Deux femmes de mon passé. »

Amora et Sigyn. Il avait offert son amitié à l'une et son amour à l'autre avant de les trahir toutes les deux. Il comprenait pourquoi elles s'étaient alliées afin de le faire payer. Et en avisant les silhouettes immenses des géants des glaces qui approchaient, Loki songea avec amertume qu'elles avaient réussi.


Note : Dans l'univers des comics Marvel, Amora est une enchanteresse, je l'utilise à ma façon parce qu'il me fallait une femme avec des pouvoirs. Et Sigyn, dans la mythologie nordique, est l'une des femmes de Loki.