BÉNÉVOLENTS - 5 PACIFIEURS


4 Accidents

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39309,09 (9 septembre 2293)

Il était parfois difficile de réunir tout le clan Vladyr pour le traditionnel dîner du samedi.

Kitara, Kuri et Melota s'étaient enrôlées dans la flotte de l'Empire dès la fin de leurs études, quelques années plus tôt.
Elles étaient devenues des femmes puissantes. Elles servaient à bord d'un même vaisseau, elles était déjà connues et reconnues pour leurs forces, leurs intelligences, leurs complémentarités et leurs indéfectibles loyautés mutuelles. Elles revenaient voir leur famille dès qu'elles avaient une permission.
Elles avaient été rappelées en urgence la veille pour une mission secrète.

Les discussions tournaient autour de ce départ imprévu.

─ Je suis sûre que tu as une idée de ce qu'il se trame, T'Rau. Dit tranquillement T'Ycha

La frêle petite fille était devenue une grande jeune femme de 23 ans.
Ses traits Vulcains s'étaient accentués. Sa peau était pâle et ses longs cheveux noirs comme la nuit. Ses prunelles d'ocre brillaient d'un feu doré dans ses yeux en amande. Son visage partageait de nombreuse ressemblance avec celui de Spock, même si son sourire calme et doux, souvent malicieux, était celui de Jim Kirk. Elle adorait et admirait Azaram, il était son meilleur ami, son âme-sœur, son T'hai'la.
Elle n'avait jamais cherché à devenir ce qu'elle n'était pas, une Klingonne. Elle était une métisse à la fois Humaine et Vulcaine, et elle en était fière, de la même façon que Azaram était fier d'être à la fois Klingon et Humain.
Au sein de cette famille aimante, elle avait été acceptée telle qu'elle était dès son adoption. Pendant sa scolarité, Azaram avait toujours été à ses côtés pour la protéger, même si elle avait rapidement su se défendre toute seule grâce aux leçons d'arts martiaux vulcains de T'Rau. Elle avait donc pu s'épanouir librement, en choisissant de suivre la Tu-Surak [voie de Surak] que T'Rau lui avait enseignée.
Elle avait aussi appris les us et coutumes klingonnes, et elle s'y conformait autant que possible. Elle savait parfaitement interagir avec les elleux, et se faire respecter. Sa douceur apparente cachait une volonté aussi implacable que son intelligence acérée.

Azaram avait lui aussi grandi.
C'était un géant de muscles, au visage sévère et impassible. Il avait de nombreux traits de sa mère et les yeux métalliques de son père. Sa peau était brune, presque noire. Sa volumineuse chevelure noire était disciplinée par un catogan. Il avait passé une partie de sa petite enfance à protéger T'Ycha de la violence de ses camarades, jusqu'à ce qu'elle soit capable de se défendre elle-même. Il ne la considérait pas comme sa sœur, mais comme sa meilleure amie, son âme-sœur, sa T'hai'la comme le disait T'Rau.
L'éducation à la fois sévère, juste et aimante de ses parents, l'influence de la douceur de T'Ycha, ainsi que les enseignements de T'Rau avaient dompté son agressivité naturelle, et contribué à faire de Azaram un homme plus sage et plus réfléchi que majorité des Klingons, tous âges confondus.
Lui aussi avait étudié la Tu-Surak, il en avait retiré de précieux enseignements. Cependant, la voie de Kahless était beaucoup plus appropriée à son tempérament de feu, parfaitement contenu sous son apparente force tranquille. Ses gènes à demi Humain tempéraient à peine le sang Klingon qui bouillonnait en lui.
Il aurait pu être un redoutable guerrier mais, comme T'Ycha, il avait choisi un autre chemin, un autre combat sans fin contre les plus retors des ennemis : les maladies et la mort.

Le clan Valdyr faisait partie des innombrables descendant·es de Kahless Sep Do'Ha' (l'inoubliable). Parfois, les gènes du Plus Grand Des Guerriers resurgissaient. Malgré sa peau noire, la ressemblance de Azaram avec cet auguste ancêtre était frappante.
Naële avait été la première à remarquer cette similarité avec Qo'noS, lequel avait conservé l'apparence de sa dernière vie de mortel au sein des Klingons. Le Lh'mh'thl en avait ressenti une surprenante fierté. Cet enfant avait pu naître du ventre stérile de Kinarra grâce à lui. En quelque sorte, il était presque son fils. Et l'ennemi qu'il avait choisi de combattre était celui qui menaçait le plus l'Empire.

Comme leurs cousines, T'Ycha et Azaram faisaient la fierté du clan. Malgré leur jeunesse, ils étaient déjà devenu·es des médecins de renom, à l'instar de leurs parents

La tablette holographique était posée au centre de la table. Le sourire de T'Rau se fana, elle se tourna vers T'Ycha.

─ Oui, j'ai intercepté et décodé un certain nombre d'information en provenance de la planète-mère. Il y a eu un accident sur Praxis.

─ Praxis? Intervint Ahikar-Leonard. La lune de la planète Qo'nos, celle qui contient de nombreuses exploitations minières ?

─ Exact. Elle a explosé.

Jik'ta! S'exclama Kohlaa

─ Combien y a-t-il eu de mort ? S'inquiéta Ahikar-Leonard

─ Tous. Répondit T'Rau d'une voix neutre. Il n'y a eu aucun survivant. Le décompte des morts est encore en cours.

Au contact de T'Ycha toujours si compatissante envers toutes les formes de vie, elle avait développé une fâcheuse aptitude à sur-empathie. Aussi, lorsque celle-ci menaçait de la déborder, T'Rau faisait appel à sa neutralité. Mais le clan Valdyr n'était pas dupe. K'mtar avait coutume de la taquiner en lui disant qu'elle était encore plus sentimentale que les Humains. Cette fois-ci, il n'eut pas le cœur à la plaisanterie.

T'Ycha pâlit et porta sa main à sa bouche. Il y avait plusieurs mines en cours d'exploitations! Tous ces morts!...

─ Quelle horreur! Murmura Khidri

─ Quand tu dis qu'elle a explosé, tu veux dire il y a eu une énorme explosion ? Demanda K'mtar, incrédule

─ La lune s'est entièrement désintégrée en un nombre incalculable d'astéroïdes. Tous les vaisseaux de la flotte ont été appelés afin de tenter de les détruire un à un pour les empêcher de s'écraser sur le sol de Qo'noS. Mais de nombreuses villes ont déjà été détruites par les impacts. L'atmosphère de la planète a commencé à être viciée par les cendres des incendies qui se sont déclarés.

─ C'est dramatique! S'exclama Kinarra.

Il y eut un silence atterré.

─ Ghorqon Quang (Le Chancelier Ghorqon) va être contraint de mettre un terme aux conflits larvés qui opposent l'Empire à la Fédération des Planètes Unies. Intervint soudain T'Ycha d'une voix réfléchie.

─ Oui, il ne pourra pas poursuivre cette stérile guerre froide et sauver Qo'noS en même temps, l'Empire n'en aura pas les moyens. Confirma Azaram. Ghorqon Quang va avoir besoin d'aide. Il sera contraint de signer un pacte de paix et de coopération.

Il posa sur son père et sa mère un regard pénétrant.
─ Et vous allez pouvoir retrouver vos amis.

Il ne précisa pas leurs noms. Toustes savaient autour de cette table les liens qui les unissaient à l'Humain Jim Kirk et au Vulcain Spock, bien qu'illes ne soupçonnaient pas à quel point ceux-ci étaient intimes et puissants. Ahikar-Leonard pâlit. Kinarra lui prit la main.

─ Oui, ce serait bien. Dit Kinarra avec émotion.

Illes discutèrent longuement de ce drame. T'Rau leur diffusa sur sa projection d'écran holographique des images de la catastrophe.

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Ce soir-là, Leonard se regarda dans un miroir. Il vit ses rides, les fils blancs qui parcouraient sa chevelure et sa barbe. Il soupira : il était devenu si vieux.

─ Je vis ici depuis bientôt 24 ans. Dit-il simplement. J'en ai 66

─ Et tu es toujours aussi beau et fort! Répliqua Kinarra avec une absolue certitude

─ Vieux surtout.

─ Nous avons le même âge. Me trouves-tu vieille? .

Leonard contempla son épouse. Elle se tenait face à lui, droite et fière Klingonne, une femme puissante. Son corps avait certes changé, mais il était resté ferme et musclé. Son regard avait conservé la vivacité et la fougue de la jeunesse. Elle devait bien avoir quelques rides, mais il ne les voyait pas. Seuls comptaient ces yeux de feu posés sur lui.

─ Pas vraiment, non. Sourit Leonard.

Les échanges mentaux avec Jim et Spock furent tendres et débordant d'espoir…

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39310.05 (5 octobre 2293)
Kirk et Spock firent un malaise en plein milieu d'un cours qu'ils donnaient conjointement dans le holodeck de l'Enterprise. Pour une raison que les étudiants ne comprirent pas, le professeur Kirk se figea brusquement, et se tut au milieu d'une phrase. Des larmes jaillirent de ses yeux à l'expression douloureusement stupéfaite, comme s'il venait de recevoir un coup de poignard en plein cœur. Quant au professeur Spock il était soudain devenu d'une pâleur inquiétante.

Il y avait eu un accident sur YuQ Kali.
Un stupide, un ridicule accident.
Un vaisseau qui en avait heurté un autre… beaucoup de Klingons étaient mort·es ... dont leur précieuse Kinarra bien-aimée.
Le Kash-naf [lien mental]qu'ils partageaient avec elle avait été déchiré.
Ce rêve qu'ils caressaient depuis la destruction de Praxis de la revoir un jour s'évaporait dans le néant.

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Au début, Jim et Spock avaient apprécié Kinarra parce qu'elle prenait soin de leur Leonard avec amour. Mais au fil des liaisons mentales et de leurs conversations, ils avaient appris à la connaître, à aimer cette femme, autant que Leonard l'aimait. Son caractère volontaire, sa bonté brusque, son humour un peu tordu.

Spock mit fin au cours et ils regagnèrent leurs quartiers. Jim s'y laissa tomber sur un siège et pleura. À l'autre bout du monde, Leonard avait subi lui aussi un malaise : son lien mental avec Kinarra avait été brisé. Il avait immédiatement compris ce qui s'était passé : Kinarra lui avait été arrachée. Il s'était lui aussi enfermé pour verser toutes les larmes de son corps.

«Bones!» Pensa Jim de toute ses forces

« Elle est partie.» Articula Leonard avec difficulté. «Partie...»

Spock enveloppa les esprits de ses T'hylara avec sien. La douleur du deuil était grande pour lui aussi, mais le plus important était d'aider ses Humains à gérer la rupture de leur Kash-naf avec Kinarra. Il prit Jim dans ses bras et Leonard eut l'impression de sentir cet enlacement.

« Elle est partie.» Répéta-t-il. «Elle est partie pour toujours...»

Il allait se sentir effroyablement seul sans elle. Pendant toutes ses années, elle avait été sa collaboratrice, sa meilleure amie, sa compagne, son épouse, son amante, sa confidente, une partie de lui-même... de lourdes larmes inondaient ses yeux sans discontinuer.

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Cette fois encore, Qo'noS n'avait rien pu faire pour empêcher l'accident… d'abord l'explosion mortifère de la lune Praxis et à présent la disparition de Kinarra. Deux échecs !
Il était partagé entre la douleur, la fureur et la culpabilité.

Il n'était même pas parvenu à rattraper l'âme de Kinarra. Une fois celle-ci emportée par le Grand Cycle, il n'y avait plus aucun recours possible, pas même remonter dans le temps pour éviter la catastrophe. La mort était définitive, les souvenirs effacés et l'âme redirigée dans une nouvelle incarnation, dans un autre espace-temps ou une autre dimension.

Lui, l'un des plus puissants des Lh'mh'thl se retrouvait une fois de plus neutralisé et il éprouvait une douleur sans nom.
Nammu les avaient bien toustes mis·es en garde contre le danger de s'attacher à ces Êtres provisoires. Les risques des tentations de modifier les fils du destin étaient déjà bien trop nombreux, et celui de souffrir à leur mort était encore plus grand...
Qo'noS la revit lors de ces leçons de morale, et à l'époque, il l'avait approuvée. Mais il s'en rendait compte maintenant, après avoir observé la vie de Kinarra, Leonard, leurs T'hy'la, leurs enfants, leurs ami·es. Son existence de Lh'mh'thl lui parut si vaine, valait-elle la peine d'être vécue ? Il comprenait mieux à présent ce qui avait poussé Athênâ et Ny'One à se mettre en couple.

Naële avait senti la douleur de ses Papas, mais aussi celle de Qo'noS. Elle comprit ce qui venait de se passer.
La mort était un événement cruel, souvent injuste, mais il faisait partie de l'éphémère vie des Humanoïdes. Elle l'avait découvert lors de sa vie sur Silicia, alors qu'elle croyait n'être qu'une Ahngel comme les autres. Ce déchirement à la mort de ses Papas, les larmes à n'en plus finir, le sentiment de vide, la profonde tristesse, puis, lentement, la résilience.

Pour ses Papas, elle ne pouvait rien faire. En revanche son ami Qo'noS avait besoin de son soutien, elle vint aussitôt à ses côtés.

─ Je n'ai rien pu faire pour la lune qui a explosé, et là encore, pour Kinarra, je n'ai rien vu venir! Se désolait Qo'noS, hors de lui. Je me suis juré de veiller sur mes enfants, de protéger Kinarra et je n'ai rien fait! Tous ces morts inutiles! Et ma précieuse Kinarra qui a accompli tant de miracles !

Les bras immatériels de Naële l'entourèrent.

─ ...j'étais si obnubilé par ces idiots qui préparent une nouvelle catastrophe qui sera encore pire que la destruction de Praxis ! J'ai relâché mon attention! J'ai manqué de vigilance !

─ Même nous, nous ne détenons pas le don d'ubiquité, Qo'noS, tu ne pouvais pas tout faire à la fois.

─ Regarde mon Leonard! Vois comme sa peine est grande!

Naële frissonna en tournant son regard vers Qo'joH Leonard, puis vers Papa Jim et Sa-mehk Spock. Elle ne les avait jamais vu pleurer. Son cœur se serra de tristesse.
─ Ils guériront de ce deuil, il faut leur laisser du temps. De toute façon, que pouvons-nous faire à part veiller sur eux de loin?

─ Empêcher une catastrophe encore plus grande pour tous mes enfants. Gronda Qo'noS avec une colère froide

─ Encore pire que celle que nous avons empêchée ?

─ Oui. Une coalition de traîtres qui mettrons ce quadrant à feu et à sang!

Naële le contempla. Où était passé le Dieux martial qui glorifiait la Guerre et ses excès ? Qo'noS était toujours aussi combatif, mais son énergie n'était plus tournée vers la destruction.
─ Raconte-moi tout, je peux peut-être t'aider.

Qo'noS ne repoussa pas cette offre. Naële était indécrottablement non violente et pacifiste, mais elle était aussi très intelligente. Et puis, sa présence lui était agréable, de plus en plus agréable.

Leurs esprits se croisèrent. Il comprit qu'elle aussi appréciait sa compagnie. Cette amitié mit du baume sur son cœur saignant de tristesse

─ T'Ycha et Azaram vont être dévastés. Dit Qo'noS d'une voix inhabituellement douce. Et pourtant, il est temps de leur rendre leurs souvenirs de Silicia.

─ Cela risque de leur faire trop d'émotion d'un coup.

Qo'noS esquissa un sourire étrange :
─ Pas tant que cela, je suis parvenu à rendre leurs mémoires poreuses. Cela fait des années qu'illes rêvent de cette vie par petits bouts. Pour le moment, illes sont persuadé·es que ce ne sont que des songes

Stupéfaite, Naële ne put que balbutier :
─ Tu... tu...

─ Il ne reste plus qu'à libérer tous leurs souvenirs.

─ Oh Qo'noS, tu es génial quand tu veux!

─ Oui, je sais. Et si nous nous occupions de ces terroristes ? Répondit Qo'noS, mal à l'aise.
Il n'était guère habitué aux compliments.

oOo

Informé de leur malaise, le Docteur M'Benga vint ausculter Kirk et Spock directement dans leur cabine.

Jim ne fit pas de secret et l'informa de leur deuil

M'Benga leur prescrivit deux semaines de repos et inventa une maladie fatigante et sans gravité pour justifier cet arrêt maladie. Les deux hommes étaient des bourreaux de travail dévoués à leurs étudiants, nul ne posa de question.

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La cérémonie de deuil fut impressionnante.
Kroth, le fils de Klaworf Toral, Représentant des Grandes Famille, fit le déplacement. Il faisait partie de celleux qui avaient été sauvé·es, par les travaux des docteurs Kinarra et Ahikar Valdyr, d'une seconde vague de pandémie mortelle provoquée par une mutation imprévisible du virus Qu'Vat jubbe'

Kinarra était partie héroïquement, en se battant une fois de trop contre son ennemi de toujours : la mort. Légèrement blessée, elle avait catégoriquement refusé de sortir de la navette en flamme tant qu'il resterait des personnes coincées dans les décombres. Elle avait déjà libéré trois personnes qui purent s'en sortir vivantes grâce à elle. Mais le véhicule explosa, alors que Kinarra venait tout juste de dégager la toute dernière victime ...

Un simulacre de bataille fut pourtant organisé afin d'accompagner l'âme de la Guerrière au Sto'vo'kor. (Jim aurait tout donner pour pouvoir y participer, il ressentait une violente colère vis à vis de cette mort particulièrement injuste.)
Certain·es s'y adonnèrent avec un tel enthousiasme qu'il y eut de nombreux blessé·es, mais heureusement pas de morts. Kohlaa eut un bras de cassé, et K'mtar une large balafre sur le ventre. Leonard n'eut pas la force de leur reprocher en hurlant que leur comportement était stupidement et inutilement dangereux. Illes étaient des Klingon·nes et avaient agi comme tel, en l'honneur de Kinarra. Comment aurait-il pu leur reprocher cette forme d'hommage typique de leur peuple?

La vie reprit son cours sur YuQ Kali.
Leonard confia la direction du grand hôpital Valdyr à K'mtar. Sans Kinarra à ses côtés, il n'en avait plus la force ni l'envie. Illes avaient formé toute une génération de médecins et doctoresses, parfaitement prêt·es à prendre la relève
Il ouvrit un petit dispensaire dans un quartier défavorisé, qu'il nomma M'Kash, du nom de famille que Kinarra avait choisi pour lui.
Le docteur Ahikar M'Kash, du clan de Valdyr, revint à sa vocation première : humble médecin de famille. La fidèle infirmière M'Larra Agan le suivit dans son entreprise. Nul dans le clan en remit en cause sa décision : tout recommencer à zéro demandait une grosse dose de courage et de volonté. Illes aidèrent Leonard avec efficacité : le dispensaire fut opérationnel en moins d'une semaine. Leonard put noyer son chagrin dans le travail. Son cabinet ne désemplit pas, à tel point qu'il contacta d'anciens collègues poussés à la retraite par la jeune génération. Ils furent plus que ravis de venir lui prêter main forte.

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─ o ─

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Il était devenu rare pour T'Ycha et Azaram de faire des rêves, et surtout de s'en souvenir.
D'aussi loin que remontait leurs mémoires, leurs songes les amenaient invariablement sur une magnifique planète. Ce monde, c'était leur secret, pas même T'Rau ne l'avait deviné.

Leurs tous premiers rêves communs avaient commencés peu de jours après leur rencontre. Ils avaient été flous, aussi, illes n'y avaient pas accordé d'intérêt, d'autant plus que leurs liens d'amitiés naissants avaient été beaucoup plus exaltant à vivre. Illes avaient la sensation de se connaître par cœur, sans s'être jamais rencontré·es.

Au fil des jours et des années, ces rêves s'étaient faits plus précis, plus vivants.
Lorsqu'illes retournaient là-bas, illes oubliaient tout de leur vie sur YuQ Kali. Illes étaient elleux-même sans l'être tout à fait, à la fois semblables et différent·es. Illes y retrouvaient une sœur qui n'existait qu'en ce monde, Naële. Elle avait leur âge, elle était malicieuse, aimante, inventive. Il y avait aussi d'autres enfants, qui étaient comme des frères et des sœurs. C'était génial de jouer avec elleux dans les vergers.
Certains matins, persistait dans leurs bouches le goût de fruits délicieux nommés plomik, pomebleu ou litchirose.

Un jour, illes y retrouvèrent leur Qo'joH-Leonard, puis ces deux hommes que leur papa aimait tant. Il leur parlait parfois d'eux : Jim et Spock. Mais là, ils se nommaient Papa-Jim et Sa-mehk-Spock.
Chaque rêve était une aventure enrichissante et passionnante. Illes adoraient en parler ensemble dans le plus grand secret.

La nuit qui suivit la cérémonie du deuil, T'Ycha et Azaram plongèrent dans une transe étrange. C'était comme si leurs mémoires allaient exploser sous l'afflux de tous ces souvenirs. Car illes en avaient l'intime conviction : ce n'étaient là ni des rêves, ni des délires.

Au matin, il leur suffit d'un regard pour comprendre qu'il leur était arrivé la même chose. D'instinct, l'esprit de T'Ycha rechercha celui de Azaram. Elle frémit en entendant sa réponse en Ahngel «oui, je t'entends/te comprends»

Cette langue mentale ne laissait place à aucun doute : les sentiments qu'illes avaient l'un·e pour l'autre étaient mutuels et puissants. Illes s'étaient voilé·es la face lors de leur première vie, illes se refusaient à faire la même erreur. Illes ne se précipitèrent pas l'un·e vers l'autre pour s'embrasser avec toute la force de leur amour.

T'Ycha contint une violente crise d'angoisse, telle qu'elle n'en avait plus eue depuis des années.

« J'ai une révélation à te faire.»

«Je t'écoute.» Pensa Azaram sans se départir de son calme

Elle lui montra tout ce qu'elle venait de découvrir, ces souvenirs qu'elle partageait avec celle qui se nommait aujourd'hui T'Rau.
L'accès à la conscience et aux émotions de Vid'jêr lors de sa violation des esprits de Jim et Spock, puis de leur viols physique.
Le pardon de Jim et de Spock, sans aucune restriction, leur reconnaissance de paternité.
La séparation de Vid'jêr en deux entités distinctes, une robotique, inachevée et invisible, restée à bord du vaisseau et une humanoïde incarnée sur Silicia... à moins qu'il n'y ait eu dès le départ deux entités ? T'Ycha n'aurait su le dire. Elle se sentait tellement différente de Vid'jêr, malgré leurs souvenirs communs
Le désir de T'Hen de retrouver son « frère », celui de Kinarra d'adopter l'enfant endormi sans la cuve utérine.

« Tu es donc la fille Jim et Spock, née de l'union de leurs psychés, puis de l'assemblage de leurs gènes dans cette cuve amniotique, et tu es T'Hen»

« De la même façon que tu es Chal-wov»

La proximité sémantique de leurs anciens prénoms se révéla à eux : «Lumière du ciel». En croyant adopter des orphelins, ces pères leur avaient donné ces prénoms magnifiques, faisant d'elleux des cadeaux de la vie.

« Je ne suis plus T'Hen»

« Tout comme je ne suis plus Chal-wov

T'hy'la. Dit simplement T'Ycha.

Azaram la repoussa doucement, il prit ses mains et déclara avec solennité :
qechmeywIj tlheghDaq jIvumqa'chugh, (je jure de te soutenir face à tous ce qui d'opposera à nous) tIqwIj 'oH (mon cœur ne bat que pour toi)

T'Ycha prononça à son tour ces vœux maritaux traditionnels :
qechmeywIj tlheghDaq jIvumqa'chugh, tIqwIj 'oH

Illes n'avaient pas besoin de plus pour le moment. Juste cette promesse mutuelle, cette assurance essentielle de ces liens qui les unissaient par delà tout le reste. La douleur du deuil était encore trop vive pour permettre quoique ce soit d'autre.
Leur journée se déroula normalement. Illes retournèrent travailler à l'hôpital, comme tous les jours. Presque comme tous les jours, car désormais leurs esprits étaient unis. Même alors qu'illes étaient en deux endroits différents, il leur était possible de communiquer mentalement, avec le naturel d'une longue habitude, celle de leurs vies précédentes.

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à suivre

Leonard rentrait souvent tard du dispensaire. Ses enfants l'attendaient toujours pour dîner.

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