Un spectacle insolite s'offrait aux éventuels passants.
Une trentaine de soldats se tenaient en ligne en face d'une petite fille qui semblait les passer en revue.
– Vous avez tous été choisis pour mettre votre épée au service du roi sous ma direction. Si vous vous êtes engagés en espérant gagner gloire et richesses, vous pouvez partir. Je vous ferai suer sang et eau si nécessaire pour assurer la gloire de l'empire.
Les hommes étaient déroutés. Ils avaient seulement été prévenus qu'ils étaient promus dans une nouvelle unité sous les ordre de quelqu'un de particulier. Ils s'attendaient à un officier aux exploits reconnus, pas à une petite fille.
Tanya les considéra sans hésitation.
Trois des hommes seulement avait une aptitude à la magie.
Étonnamment, l'un des hommes était d'origine surdane. Il s'était présenté à une patrouille après avoir traversé la frontière. Il n'avait pas révélé grand-chose sur son passé et s'était engagé ensuite. Il n'avait jamais fait preuve d'insubordination ou d'hésitation à affronter les rebelles. Les raisons pour lesquelles il avait fui étaient inconnu mais les officiers supérieurs le soupçonnaient d'avoir un passé criminel. Ses états de service étaient impeccables donc il n'y avait rien à redire à son sujet.
– Qu'est-ce que ça veut dire ! s'exclama l'une des recrues. Je me suis engagé dans l'armée, pas pour jouer à la poupée.
Tanya se planta devant lui et le toisa.
– Première leçon, annonça-t-elle calmement.
D'un sort, elle se projeta elle-même jusqu'à ce que son genou frappe le nez de cet olibrius. Un autre sort exerça une poussée à l'arrière de ses genoux ce qui le déséquilibra.
Sans qu'il comprenne ce qu'il s'était passé, il se retrouva par terre avec Tanya sur le dos frôlant la lame d'une dague contre son cou.
– La discipline est mère du succès, cita-t-elle. Vous avez fait trois fautes. Vous avez fait preuve d'insubordination en remettant ouvertement en cause ma position. En tant qu'officier supérieur, mon devoir est de corriger cette attitude. Vous m'avez sous estimée. Vous n'étiez pas prêt.
Elle se releva et continua de le toiser.
– Je vais m'occuper de faire de vous de vrai soldats capables d'infliger de graves dégâts à l'ennemi.
Ils n'eurent aucun répit.
Ils apprirent à manier l'arc à la perfection quelque soit leur état de fatigue.
Ils apprirent tous à fermer leur esprit.
Tanya fit aménager tout un parcours dans lequel ils devaient alterner entre courir, sauter par dessus des obstacles, ramper et autre. Bien sûr, elle leur lançait des sorts douloureux pour les motiver.
Ils firent de grandes marches avec tout leur équipement, des provisions et de l'eau.
Dans le même temps, ils reçurent une formation sur la survie en milieu hostile. Ils devaient être capable de subvenir à leurs besoins en montagne sans se faire repérer.
Tanya continuait ses expériences.
Elle ne savait pas quelle était les proportions à respecter mais elle se souvenait que le souffre, le salpêtre et du simple charbon permettait de fabriquer de la poudre noire.
La magie lui permettait de manipuler les éléments à distance.
Les armes qu'elles pourraient faire fabriquer étaient assez rudimentaires mais par rapport aux techniques militaires multiséculaires en usage dans l'Alagaesia, c'était une révolution.
Elle pensait qu'il était au moins possible de faire des canons et peut-être des explosifs.
L'explosion de la poudre produisait une énergie qui projetait le boulet.
Tanya se demandait si graver des glyphes dans le canon pouvait donner plus de puissance à l'explosion et faire jaillir le boulet avec plus de forces.
Plus modestement, elle commença par remplir de simples récipients en terre cuite de poudre sur lesquels elle avait tracé préalablement des glyphes. Ils étaient censés produire de la chaleur si un poids était posé dessus et donc faire exploser la poudre. Ça ne ferait pas de grosses explosions mais en ajoutant des lames métalliques, il était possible de les faire s'éparpiller tout autour de l'endroit où les glyphes se déclencheraient.
L'idée était que ces récipients agissent comme des mines anti personnels.
Mais les glyphes gravés n'avaient que peu d'effets. Tanya mettait de l'énergie dedans mais elle se dissipait rapidement et donc ils ne faisaient aucun effet. Les glyphes gravés avaient plus d'effets que ceux peints mais la différence était faible.
Tanya essaya de travailler elle-même la terre glaise en écrivant les glyphes mais elle ne découvrit, outre son manque de compétence en poterie, que l'énergie se dissipait au bout de quelques heures et que donc les mines devenaient de simples pots remplis de poudre peu après avoir été fabriquées.
C'était loin d'être idéal.
Faire de la poterie dans un camp militaire peu avant une bataille était possible mais prenait un temps précieux et l'avantage de cette arme était obsolète si elle n'était pas disposée en avance.
Les mines ne pouvaient pas être fabriquées dans l'immédiat. Mais l'idée n'était pas rejetée pour autant.
Tanya écrivit un rapport détaillé. Dans l'immédiat, elle était incapable de résoudre le problème mais une idée viendrait peut-être à quelqu'un d'autre. C'était peu probable dans la mesure où cette idée ne serait dévoilée qu'à un petit nombre. Ses travaux devaient rester confidentiels jusqu'à ce qu'ils soient appliqués sur un champ de bataille.
Heureusement, les canons pouvaient fonctionner sans problème. Il faudrait travailler encore dessus et beaucoup d'entraînement mais les bases étaient correctes.
Mais, de toute façon, elle n'avait pas le temps de s'en préoccuper dans l'immédiat.
Elle avait la responsabilité de s'occuper de la formation des hommes qui lui avaient été confiée.
Ils progressaient à un bon rythme et répondaient bien à ses ordres même si elle avait du faire une démonstration pour leur faire courber un peu l'échine.
Ils ne comprenaient pas le but de leur entraînement mais c'était normal.
Elle ne voulait pas seulement des soldats doués une arme au poing.
Il lui fallait des soldats capables de rester en bonne forme physique en toute circonstance et de faire face à l'imprévu.
Bien que ce soit une pratique méconnue, la natation était un excellent moyen de travailleur l'endurance en même temps que l'ensemble des muscles. Il n'y avait guère que des enfants joueurs et des pécheurs pour nager donc se jeter à l'eau était vue comme une activité un peu enfantine.
Mais les soldats n'avaient pas besoin de comprendre. D'ailleurs, même si nager était fatigant, ils constataient eux-même leurs améliorations physiques donc ne rechignaient pas autant qu'au début.
Les activités de groupe développaient l'esprit de corps.
Sous prétexte de détente, Tanya mit en place un jeu de ballon aux règles simples qu'ils apprécièrent. Ils avaient juste à emmener le ballon entre les buts adverses quelle que soit la méthode employée.
Ses hommes étaient divisés en deux équipes et se donnaient à fond. L'équipe perdante payait à boire à l'autre.
Elle leur fit apprendre des rudiments de premiers secours et veilla à ce que les magiciens en apprennent suffisamment à son goût.
Tous apprirent à résister aux intrusions mentales.
Elle finit par leur annoncer simplement de se tenir prêt le lendemain à l'aube, sans préciser davantage.
À l'heure dite, elle entra dans la cour avec ses affaires de voyage et harnacha un cheval.
– Avec moi !
Elle partit immédiatement devant ses soldats médusés.
Ils se pressèrent de préparer des chevaux et des provisions et d'aller à sa suite.
Quand ils la rejoignirent, elle les regarda avec dédain.
– Félicitations ! Si on avait été attaqué par des rebelles, on serait tous morts !
Ils eurent un frisson en se demandant si elle avait punir leur manque de réactivité.
Mais, elle les regarda simplement en silence avant de poursuivre :
– En avant !
Ils prirent la direction de l'ouest.
Le soir, ils bivouaquèrent dans la plaine.
En pleine nuit, Tanya utilisa la magie pour provoquer une explosion.
Ils sortirent précipitamment de leur tente pour la voir, habillée et ses affaires rangées.
– Il ne me reste plus qu'à seller mon cheval.
Elle mit fin au sort qui rendait les chevaux sourds et alla chercher la selle.
À part pour la porter, elle n'utilisa pas la magie.
Ils avancèrent pendant plusieurs semaines.
À plusieurs reprises, elle recommença les explosions nocturnes mais pas systématiquement.
Sa petite troupe apprit à se préparer rapidement et à se tenir toujours prêts à laisser derrière eux leur bivouac pour ne plus être pris par surprise.
En plus, des sentinelles qui se relayaient, certains faisaient de même dans la tente qu'ils partageaient, du moins quand il leur restait la tente.
Ils durent abandonner une partie de leurs affaires alors ils se débrouillaient comme ils pouvaient.
Elle ne les autorisa pas à s'éloigner pour acheter ce dont ils avaient besoin dans les fermes qu'ils étaient amenés à croiser. Ils n'avaient de permission que le soir.
Quand ils passaient proche d'une bourgade ou d'une ville, ils passaient par la garnison locale qui les ravitaillaient. Manifestement, elles avaient été prévenues de leur passage donc tout se faisait si rapidement qu'ils n'avaient pas le temps de récupérer le matériel manquant. Certains entrèrent en trombe dans les magasins sans prendre le temps de vérifier la qualité de la marchandise.
Ils arrivèrent enfin au lac Flâm.
Tanya leur accorda deux jours de repos sans dire ce qu'elle prévoyait pour la suite.
Ses soldats allèrent vers les maisons de pécheurs pour obtenir ce dont ils avaient besoin.
Ce fut un grand soulagement pour les hommes. Ils se reposèrent autant qu'ils pouvaient.
Quelques uns lutinèrent les filles des pécheurs qui leur firent bon accueil.
Tanya ne se souciait pas de ce qu'ils faisaient tant qu'ils respectaient le couvre-feu et un minimum de discipline incluant tours de garde et cuisine.
Elle médita, remplit ses diamants d'énergie et prépara ses plans.
Mais après le réconfort vint l'effort.
Ils avaient pensé que leur entraînement avait porté ses fruits et que leur officier était satisfaite. Ils avaient cru qu'ils partaient en opération pour chasser des urgals.
Elle les détrompa sur les deux points.
La Crète étaient le théâtre qu'elle avait prévu pour leur entraînement.
Ils déglutirent mais ne protestèrent pas.
Au moment où ils avaient fait la connaissance de Tanya, ils auraient refusé tout net.
Seulement un mois plus tôt, ils auraient été tiraillés entre la peur de la Crète d'un coté et de l'autre coté par l'obéissance qu'ils devaient à leur supérieure et en plus la peur de sa réaction en cas de refus.
Là, ils n'eurent aucune hésitation.
Mais c'était logique. Quelle meilleur cadre pour entraîner des soldats à se battre en montagne qu'une autre montagne ?
En revanche, ils durent laisser les chevaux derrière eux.
Tanya avait emmené avec eux deux soldats venus de la dernière garnison qu'ils avaient rencontré. Ils attachèrent les chevaux ensemble et les conduisirent jusqu'à leur garnison. C'était de bons chevaux et Tanya en avait la responsabilité. Elle devait s'assurer qu'ils ne soient pas perdus pour l'armée sans raison valable. Les vendre aux pécheurs n'était pas une option. Déjà, parce qu'ils n'avaient pas besoin de tout un troupeau, ensuite parce que Tanya n'était pas certaine de pouvoir fixer un prix correspondant à la valeur des chevaux et enfin parce que tous les chevaux étaient issus d'élevages réputés qui sélectionnaient les bêtes qui devaient se reproduire pour obtenir des destriers dont la perte serait grave pour l'armée.
– La sueur épargne le sang, déclara Tanya avant de commencer.
Et elle les fit suer, effectivement.
Ils apprirent à assurer leur ravitaillement tout en restant furtifs.
Ils apprirent non pas réellement à se battre mais à survivre dans un milieu hostile.
Tanya n'avait, elle-même, aucune expérience de survie en montagne et elle ne s'était jamais spécialement intéressé au sujet dans son ancienne vie.
Mais elle connaissait au moins les principes généraux.
Et surtout, elle savait faire illusion.
Elle donnait ses ordres avec une voix assurée et même quand la situation aboutissait à un problème elle se contentait de leur dire de tirer la leçon des problèmes survenus.
Elle partageait la même expérience qu'eux sans se plaindre d'aucune façon. Il était donc plus difficile pour eux de se plaindre.
Ils ne pouvaient pas décemment reprocher à une petite fille les difficultés qu'ils traversaient alors que celle-ci se portait comme un charme. La magie l'aidait, évidemment.
À de nombreuses reprises, ce fut elle qui dénicha des proies et les attrapa.
Elle ne pouvait pas les laisser mourir de faim alors elle leur fournissait à manger mais elle ne voulait pas qu'ils se reposent trop sur elle.
Alors, elle leur laissait ses proies uniquement si elle estimait qu'ils s'étaient assez mobilisés pour en obtenir eux-même ou pour trouver autre chose.
Leur régime alimentaire n'était pas limité à la viande.
Heureusement, elle savait que certains soldats étaient originaires de Narda ou de Teirm et donc connaissaient un minimum l'environnement même si les habitants de ces villes étaient plus tournés vers la mer.
Ils croisèrent à l'occasion des villages ou des bergers gardant leurs troupeaux mais Tanya n'envisagea pas d'acheter ou de réquisitionner quoi que ce soit. Leurs fonds étaient trop limités et, étant donnés les problèmes intérieurs de l'empire, il serait malvenu que les soldats se servent chez l'habitant. Même si elle s'assurait que les villageois reçoivent une juste rétribution, celle-ci viendrait après coup et n'éteindrait pas l'ardeur de la colère des villageois qui se sentiraient lésés et humiliés.
Les soldats durent se résigner à d'autres solutions.
Tanya leur suggéra de faire du troc avec ce qu'ils trouvaient de valeur mais sous condition de conserver la discrétion sur leur état militaire.
Les montagnes n'étaient pas des mines d'or. Les soldats ne trouvaient pas de quoi faire du troc rien qu'en explorant. En revanche, les carcasses des proies pouvaient offrir un intérêt.
La furtivité exigée par Tanya était respectée. Il y avait quelques montagnards pensaient qu'un ou deux ermites avaient fait le choix d'une vie en autarcie. Le cas n'était pas si rare pour qu'ils y prêtent attention.
Malgré les circonstances, Tanya exigeait qu'ils conservent une tenue impeccable. Si elle tolérait la barbe, elle n'acceptait pas le manque d'hygiène. C'était un point essentiel pour rester en bonne santé, d'autant plus important en milieu hostile, mais dont l'importance restait méconnue.
Ils eurent la surprise de tomber sur des brigands en cavale et purent les capturer sans même une blessure.
Ils allèrent les remettre aux autorités de Teirm.
Là, le capitaine Bussoir remit un Tanya un message de Durza qu'il devait remettre dans l'hypothèse où il la rencontrerait. Apparemment, un message similaire l'attendait à Narda, Therinsford.
Le message était succinct. Elle avait ordre de se mettre devant un miroir à midi et de lancer la communication.
Ce moyen de communication nécessitait un rendez-vous préalable. Ce n'était pas si pratique que ça en avait l'air.
À l'heure dite, elle lança le sort.
Le visage familier de Durza apparut.
– Enfin vous voilà ! Je m'inquiétais de vos progrès.
Les protections de Tanya empêchait quiconque de l'observer contre son gré.
Elle supposait que sans cela, Durza ne se serait pas gêné d'observer ses progrès.
Elle fit un rapport complet sur la formation qu'elle donnait à ses soldats.
Il décida d'interrompre son programme et de la faire revenir.
– J'ai bien peur qu'un petit rat ne se soit glissé dans mes plans et les ait perturbés. Vous serez utiles ici. Mais faites un détour par Dras-Leona. Je vous en dirai plus quand vous serez sur place mais vous pourriez être utile.
– Bien Monsieur.
Le trajet fut bien plus agréable que l'aller.
Ils remontaient la rivière sur une péniche transportant des marchandises, essentiellement des produits marins.
Tous les deux jours, Tanya et Durza avaient rendez-vous pour établir une communication.
La veille de leur arrivée, Tanya apprit qu'il y aurait peut-être du grabuge du coté de la cathédrale. Tanya libéra ses hommes en leur recommandant de garder l'œil ouvert et de ne pas prendre d'initiative.
Elle se rendit à la cathédrale mais ne vit rien de spécial à part un magnifique bâtiment.
Elle ne comprenait pas bien la religion locale mais elle semblait éloignée de celles existant sur Terre.
Les prêtres la reçurent avec dédain mais ne donnèrent aucune information intéressante.
Ce soir-là, Durza parut dépité.
– Il n'est plus utile de rester à Dras-Leona. Si tu estime que tes soldats sont prêts, vous pouvez partir à présent vers les Montagnes des Béors pour frapper les rebelles sur place.
Elle prit encore deux jours, le temps de se procurer tout le matériel nécessaire.
La troupe de Tanya se joignit à une autre qui était en route pour Furnost et ils se mirent en route.
Une rumeur éclata au sein des soldats quand ils virent quelque chose scintiller dans le lointain.
Certains prétendirent que c'était les écailles d'un dragon qui brillaient au soleil.
Pour tirer cette histoire au clair, Tanya partit avec une poignée d'homme en reconnaissance.
Elle eut l'impression que c'était la roche qui scintillait.
Prise d'un intuition, elle alla seule.
Elle découvrit en approchant un gigantesque diamant servant de tombe.
L'épitaphe était éloquente.
Il y avait eu des dizaines de dragonniers dans l'histoire mais cette tombe devait être récente sinon elle serait connue.
Il fallait un immense pouvoir magique pour créer cette tombe, largement hors de la portée d'un magicien aussi doué soit-il et de l'énergie en folle quantité.
Il était possible que des anciens dragonniers se soient échappés un siècle plus tôt mais il paraissait logique de supposer qu'ils vivraient en dehors de l'empire. Par ailleurs, rien n'indiquait la présence de l'un d'eux parmi les rebelles.
Tanya prit des notes pour envoyer un rapport.
Dans l'immédiat, elle préféra ne rien faire si ce n'est dissimuler la tombe.
Si la nouvelle se répandait, il y aurait une ruée d'hommes avides de richesses.
La plupart des affaires de tout le monde était transportée par des chariots.
Elle dépouilla trois arbres proches de leurs feuilles et s'en servit pour recouvrir totalement la tombe.
