Lorsqu'Alec passa les grandes portes de l'appartement, il fut surpris de trouver celui-ci complètement silencieux. Certes, il n'était pas loin de minuit, mais tout de même… Magnus n'avait pas l'habitude de se coucher aussi tôt. Il alluma la lumière, avança dans le couloir et aperçut l'éclat de la grande lampe de plafond provenant de la cuisine dont la porte était entrouverte. Fronçant les sourcils et s'avança. Il se mit à percevoir des bruits. Et puis, un sourire fatigué naquit sur ses lèvres. Magnus s'affairait à préparer quelque chose et même si le moment ne s'y prêtait pas trop, il semblait y mettre du cœur. Il n'utilisait pas sa magie, suivait à la main une recette qu'il avait trouvée dans un grand livre. Alec ne le disait pas souvent, mais… Il aimait bien voir Magnus ainsi, à la dérobée, s'essayer à des choses sans utiliser la magie. Le sorcier avait toujours très bien cuisiné, mais… Il avait toujours eu la fâcheuse tendance à privilégier la facilité. Le goût de l'effort, il l'avait, mais pas pour tout. Alors le voir ainsi faisait naître dans son ventre une sensation de chaleur immense. Il s'avança sans bruit et vint le prendre par surprise en passant ses bras autour de sa taille. Le câliner par derrière, il avait toujours aimé ça. Magnus sursauta et se retourna brusquement dans son étreinte, laissant complètement tomber sa préparation. Sans préambule, il fondit sur les lèvres de son aimé après avoir pris son visage en coupe. Il avait besoin de lui, de son amour, de sa présence. Ils ne s'étaient pas vus depuis ce fameux matin où ils avaient découvert Stiles dans cette cellule… Et cela se ressentait. Alec appuya sa main dans le bas du dos de Magnus, le forçant gentiment à se coller à lui. Le contact, ils adoraient ça. Se retrouver après une « longue » période, encore plus. Magnus stoppa doucement le baiser, passa ses bras autour du cou de son aimé et posa son front contre sa joue.

- Que c'est bon de te voir, soupira-t-il de bien-être.

- Tu m'as manqué aussi, Magnus, sourit Alec en le serrant contre lui. C'était épuisant…

Sans bouger, le sorcier lui demanda d'expliciter, ce que le chasseur d'ombres s'empressa de faire :

- J'ai levé un Conseil de discipline et demandé à ce qu'une enquête soit ouverte concernant le terrestre.

La soudaine bonne humeur de Magnus s'effilocha, mais il n'en laissa rien paraître. Il voulait connaître la finalité de tout ça et surtout protéger cet adolescent qui n'avait absolument rien demandé. Comment dire qu'il s'y était déjà attaché et que leur expérience commune les avait un peu rapprochés ? Cinq jours s'étaient passés depuis que le sorcier avait emmené l'adolescent ici : il commençait doucement mais sûrement à se détendre en sa présence. Disons qu'il sursautait moins et qu'aux yeux de Magnus, c'était un excellent progrès. Néanmoins, il s'inquiétait. Parfois, les lois des shadowhunters étaient injustes. Magnus était prêt à n'importe quelle éventualité, tout comme il était prêt à s'élever pour protéger Stiles et l'empêcher de retourner en cellule.

- Vous n'allez pas l'enfermer à nouveau, n'est-ce pas ? Demanda-t-il, un tantinet stressé par cette éventualité.

- Non Magnus, ne t'en fais pas. Mieczys… Le terrestre… Il n'a rien à se reprocher.

Visiblement, le prénom de l'hyperactif semblait lui poser quelques soucis. Magnus, lui, le prononçait avec aisance.

Quant au sorcier, il se détendit un peu. De toute manière, qu'on le dise ou pas, il était persuadé que son petit protégé était innocent. Il ne pouvait pas en être autrement.

Alec rompit doucement leur étreinte. Il avait soif, terriblement soif. Il se saisit d'un verre qu'il remplit d'eau et l'avala d'un trait. Magnus lui proposa un peu d'alcool, mais le tatoué refusa. De l'eau lui suffisait.

- Je me suis débrouillé pour obtenir les images des caméras de surveillance. Pour ne pas brusquer le terrestre, j'ai tout fait pour qu'on ne vienne pas l'interroger. Je n'ai donc pas fait constater la marque, mais… Les images parlent d'elles-mêmes. Quatre shadowhunters ont été virés après avoir avoué – sans être torturés. Nous ne sommes pas comme eux.

Et Alec ne tolérait aucunement que l'on pratique quelque forme de torture que ce soit dans son institut. Magnus aurait aimé que la politique de la maison eût été la même lorsqu'il avait passé des jours et des jours à subir la morsure insupportable de la rune d'agonie, mais il ne dit rien. A ce moment-là, il était prisonnier d'un corps qui n'était pas le sien, corps dont le propriétaire n'était autre qu'un meurtrier multirécidiviste, ennemi numéro un depuis des années. Magnus s'efforça d'éviter d'y penser. Le moment était mal choisi pour céder au sentimentalisme, à ce traumatisme dont il ne s'était jamais complètement remis.

- Mais j'aimerais quand même lui parler, souleva Alec. Je sais qu'il est tard mais tu penses qu'il est encore debout ?

Magnus se crispa. Oui. Mais non.

- Je pense que ce n'est pas le bon moment, dit-il prudemment. Il est très fragile, il commence à peine à s'habituer à moi, à se détendre en ma présence. Je ne suis pas contre votre rencontre, pas du tout, simplement… Il n'est pas prêt.

Le sorcier peinait à exprimer clairement ses pensées tant il était encore remué par la conversation plus qu'intime qu'il avait eue avec l'hyperactif. Se confier sur la rune d'agonie, c'était… Eprouvant. Mentalement, il était fatigué. Rouvrir ses propres blessures pour guérir celles d'autrui n'était guère chose aisée. Partager ses craintes et ses douleurs lui avait été agréable, être écouté par quelqu'un ayant vécu la même chose l'était également. De plus, il sentait qu'il progressait avec Stiles et que cette discussion lui avait fait du bien. Mais c'était encore fébrile et le jeune homme peinait réellement à lui accorder sa confiance. Disons… Qu'il se forçait à diminuer sa méfiance à son égard, ce que Magnus voyait comme un progrès. Si c'était si difficile avec lui qui avait vécu une expérience semblable, comment cela serait si Alec venait à lui parler rapidement ? Magnus craignait une chose et pas des moindres : le renfermement pur et simple de Stiles sur lui-même.

- Magnus, fit Alec d'un ton calme en lui caressant l'avant-bras, je sais que ça ne va pas être simple pour lui, mais il a le droit d'être informé. Si la rune a fonctionné sur lui… Si son symbole s'est marqué dans sa peau… Tu sais comme moi ce que ça veut dire.

Oui, Magnus le savait. Stiles n'était pas aussi humain qu'il le pensait. Du sang d'ange coulait dans ses veines, du sang de Shadow Hunter. Mais aux yeux du sorcier, ce n'était qu'un détail, une close à voir plus tard, lorsqu'il irait mieux.

- Ce n'est pas la priorité, crois-moi, insista Magnus. Il est devenu réticent au moindre contact humain, il se méfie de tout. Laisse-lui un peu de temps avant de lui parler de tout ça. Je ne sais même pas si te voir… Ne va pas empirer les choses.

- Je ne vais rien lui faire, tu le sais bien, rétorqua Alec, un tantinet blessé par les remarques de son compagnon.

- Ce n'est pas le problème. Alexander…

Magnus n'irait pas jusqu'à juger que le regard d'Alec était mauvais, seulement… Il contenait un agacement certain et une souffrance réelle. Mais il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas comprendre.

Dans la situation inverse, Stiles, oui. Lui, aurait capté l'importance de ce fait.

Magnus voulut prendre son petit-ami dans ses bras mais le Shadow Hunter eut un léger mouvement de recul. Le sorcier ravala la douleur mentale qui jaillit en lui avec une puissance folle. Il détourna le regard un instant, fit preuve de toute la dignité qu'il le put pour ne pas faire l'étalage de tout ce qu'il ressentait à l'heure actuelle.

- Attends un jour ou deux, et laisse-moi préparer le terrain, lâcha Magnus en maîtrisant sa voix autant que possible.

La douleur était là, bien réelle. Magnus enchaîna sans laisser le temps à Alec d'en placer une :

- Tout ce que tu risques de gagner en tentant ça ce soir, c'est de faire face à un mur. Il est… Plus fragile que tu ne le penses.

Alec le regarda un moment, un long moment, avant d'hocher la tête. Au fond, il comprenait, simplement… Il voulait en finir avec cette histoire. Devoir se plonger dans le travail durant des jours sans trop se reposer, faire face à ses propres employés jugés coupables de tortures, devoir annoncer et peut-être enseigner à ce terrestre qu'en fait, il n'était pas si terrestre que cela… Le tout, sans avoir l'occasion de passer du temps avec Magnus… C'était difficile. Doucement, il prit le sorcier dans ses bras et s'excusa. Il était fatigué et avait ouvertement besoin de lui, de sa présence, de ses baisers, de ses étreintes amoureuses. Il voulait juste… Oublier qu'il était le directeur de l'institut, redevenir un jeune homme simple qui désirait passer un peu de temps avec son amour. Magnus fondit contre lui et pardonna son recul blessant, comme tout le reste. Il était prêt à aller dans la chambre, là tout de suite, mais il fit comprendre à Alec qu'il se devait d'aller dire bonne nuit à leur petit protégé. Il lui expliqua que Stiles commençait doucement à se reposer sur de petites habitudes qu'il créait pour lui. Il s'en servait comme base d'une reconstruction qu'il espérait saine et fonctionnelle. Chaque soir depuis qu'il l'avait pris sous son aile, Magnus partait discuter un peu avec Stiles. Ils échangeaient sur leur journée, leurs humeurs tout du long, leurs envies. C'était assez rudimentaire puisque cela se résumait à peine à quelques mots à chaque fois – Stiles continuait d'économiser sa parole –, mais c'était bien assez pour Magnus. C'était un bon début et il en était persuadé.

Magnus embrassa Alec avec douceur et se dirigea vers le salon, où Stiles avait élu domicile. Le sorcier lui avait bien proposé l'une de ses chambres d'amis, mais l'hyperactif semblait trouver un certain côté cosy et agréable à son canapé, face à cette cheminée qu'il laissait régulièrement allumée. Les flammes fascinaient le jeune homme dont le silence voulait tout autant dire que son regard. Magnus eut un léger sourire en voyant son petit protégé toujours éveillé, en train de prendre une photo des incandescences bleutées. Le sorcier les fit soudainement devenir vertes. Aussitôt, Stiles ramena son téléphone vers lui et tourna la tête vers Magnus, qui esquissa un franc sourire. Oui, Alec était là, il l'attendait. Mais il comprendrait. Il comprenait toujours. De toute façon il se tenait un peu en retrait, sur le seuil de la porte du salon, attendant Magnus sans se montrer. Et puis dans un sens, il écouterait et se ferait une idée plus précise de l'état actuel du jeune homme.

Avec retenue même si Stiles commençait à s'habituer un peu à lui, Magnus s'assit ni trop près, ni trop loin de son protégé. Il entama la conversation qui, il le savait, serait fort courte. Il était tard, Alec l'attendait et Stiles devait continuer de récupérer. Mais, petite nouveauté, Stiles évoqua le manque : son père, ses amis, sa meute, qui était pour lui comme une deuxième famille. Il lui fit notamment part d'une hésitation qu'il avait et dont il lui expliqua les raisons. Le sorcier manqua de rire tant c'était mignon, mais garda un air simplement détendu, décidant simplement de laisser ses lèvres s'étirer en un sourire. Stiles bégayait, parfait toujours aussi peu fort comme s'il avait peur de déranger. Il était trop peu assuré, toujours terrifié. Détruit. Mais pas complètement. Il essayait. Il essayait de ne pas se laisser submerger par les souvenirs, tentait comme il le pouvait de recommencer à penser à des choses normales. Sa détente progressive en sa présence en était une preuve. Et puis cette confidence prononcée du bout des lèvres, cette question fébrile… Oui, définitivement, il y avait de l'espoir.

- Oui Stiles, je pense que tu devrais lui envoyer un message, lui répondit-il d'un air rieur.