Perseus aimait attraper l'herbe et l'arracher pour la jeter ensuite n'importe où. Il aimait regarder les fleurs colorées qui bougeaient devant lui avec le vent ou même sentir le vent sur son visage. Il aimait le chant de oiseaux et le bruit de l'eau qui coulait dans la rivière. Il criait quand Dahlia le posait sur la grande serviette au milieu du jardin et qu'il était envahi de toutes ces stimulations d'un seul coup. Ça le changeait de l'appartement à New York et c'était très bien. Elle s'allongeait à côté de lui, écoutait les bruits elle aussi, lui racontait des histoires et lui répétait le nom des choses. Il écoutait, sans comprendre un traitre mot de ce qu'elle disait, seulement heureux et apaisé d'entendre sa voix. Quand Harry rentrait du travail, il s'allongeait avec eux et ils regardaient le ciel tous les trois. C'étaient des moments de bonheur.
Dahlia passait beaucoup de temps au Terrier avec Molly et Fleur qui les y rejoignait. Elle venait avec ses trois enfants et les journées défilaient à toute vitesse, parce que c'était moins pénible et lassant à plusieurs. C'était plus agréable de regarder les enfants jouer en buvant un thé et en bavardant qu'en étant seule chez elle. Victoire et Dominique s'extasiaient de Perseus qu'elles trouvaient adorable et elles se chargeaient de le surveiller et de jouer avec lui, ce qui le mettait dans des états d'excitation pas possible. Louis Weasley, qui avait maintenant trois ans, observait le bébé avec circonspection et ne cessait de poser des questions pointues et déplacées. Pourquoi ne parlait-il pas ? Est-ce qu'il comprenait quand on parlait ? Quand est-ce qu'il allait marcher ? Il semblait fasciné par l'idée qu'il avait été comme Perseus et qu'il avait traversé une période de sa vie où il ne savait ni parler ni marcher.
Parfois, quand il pouvait, Ron venait avec Rose et la déposait à côté de Perseus. Elle avait quatre mois de plus que lui et était forcément plus éveillée. Dahlia était contente de regarder Rose, cela lui permettait d'anticiper ce que Perseus allait bientôt être capable de faire ou non. Ron raconta à Dahlia son travail à la boutique et elle l'écouta en songeant que ça lui allait bien. Il disait qu'il ne regrettait pas d'avoir quitté les Aurors et qu'il avait conseillé à Harry de faire la même chose.
- Il n'est pas prêt, conclut Ron. Ou peut-être qu'il n'arrêtera jamais, je ne sais pas.
- Pourquoi veux-tu tellement qu'il arrête ? demanda Dahlia, mal à l'aise.
- Parce que j'ai envie de le voir heureux et que j'aimerais bien qu'il sorte de tout ça, qu'il arrête de courir après des criminels et de risquer sa vie à tout bout de champ. Je donnerais n'importe quoi pour qu'il devienne boulanger et que son seul problème soit la cuisson de son pain !
- Je doute que ça lui suffise…
Ron le savait bien. Dahlia aurait pu demander à Harry d'arrêter, elle devinait qu'il le ferait. C'était justement pour cela qu'elle ne voulait pas le lui demander. Elle ne voulait pas être responsable de sa démission, elle ne voulait pas l'obliger à renoncer à quoi que ce soit. Harry ne l'avait jamais forcée à rien, lui. Ils s'arrêtèrent de parler quand l'heure de manger arriva et que Rose et Perseus le leur firent savoir. Ron éclata de rire en disant qu'elle avait hérité ça de lui, elle ne pensait qu'à manger, c'était une vraie goinfre.
- Il n'y a pas de quoi s'en vanter, rétorqua Molly en lui tendant le biberon.
- Moi je trouve ça important de savoir apprécier les bonnes choses de la vie, dit Ron d'un ton sans réplique.
Dahlia sourit et prit Perseus contre elle pour lui donner le sein pendant que Ron mettait le biberon dans la bouche de sa fille. Dans la cuisine, Molly s'affairait et Fleur mettait la table. C'était une ambiance douce et conviviale, chaleureuse et détendue. Dahlia aimait la présence de Ron aussi, ils s'entendaient bien maintenant. Leur amour pour Harry était un lien plus fort que leurs différents passés et, d'une certaine façon, c'était rassurant. Dahlia fut tirée de ses pensées par Louis Weasley qui se tenait debout devant elle et observait Perseus téter avec intensité.
- Moi aussi je tétais le sein de maman quand j'étais bébé, dit-il comme si c'était une fierté.
- Oui, c'est vrai, dit Dahlia avec perplexité et amusement.
Et pourquoi est-ce que Rose ne tétait pas ? Et pourquoi est-ce que les papas ne pouvaient pas ? Et pourquoi que les mamans ? Et pourquoi ? Et pourquoi ? Jusqu'à ce que Fleur se tourne vers lui avec agacement.
- Oh mon chéri, viens donc par-là et laisse Perseus manger tranquillement !
Dahlia se perdit dans ses pensées, essayant d'imaginer à quoi ressemblerait Perseus quand il aurait trois ans comme Louis. Elle avait hâte de voir ça, mais pas trop non plus. Elle voulait voir absolument tout ce qu'il allait être.
Une fois par semaine, Dahlia laissait Perseus à Molly et prenait un Portoloin pour New York pour assister à sa séance avec la guérisseuse Anderson. Cette dernière avait nettement appuyé le choix de Dahlia d'aller passer l'été chez la famille de son mari ou quasiment. Elle avait expliqué qu'il y avait moins de risque de dépression chez les femmes qui étaient entourées à la naissance de leur enfant. Elles parlaient de l'Angleterre, des bons souvenirs que Dahlia avait de son enfance, des mauvais. Que ressentait-elle à l'idée de se retrouver si proche de ses parents ? Le fait d'en parler en direct avec la guérisseuse rendait les choses moins angoissantes et permettait à Dahlia de prendre du recul sur la situation. C'était donc plutôt bénéfique.
Ce jour-là, elle trouva Emily à la sortie de l'hôpital et elle la rejoignit en souriant. Emily la serra dans ses bras, heureuse de la voir. Elles allèrent s'asseoir à la terrasse d'un café de Hidden City, au soleil et burent leur jus frais avec plaisir. Dahlia lui raconta à quoi elle passait ses journées, le cottage, l'excitation de Perseus, la gentillesse de Molly, Fleur, les promenades à la campagne. Emily écoutait, se réjouissait de voir que son amie semblait aller mieux. Pour elle, ces vacances ressemblaient plus à un cauchemar qu'autre chose mais si Dahlia aimait cela, alors c'était parfait.
- Je me suis occupée de ce que tu m'as demandé, dit Emily au bout d'un moment. Mais comme je l'ai dit, je n'ai rien effacé ou supprimé, j'ai simplement dissimulé les preuves. Je suis un agent de la MIA, je n'ai pas à falsifier des documents officiels de mon propre pays. Je vous rends service sur ce coup-là mais juste pour cette fois.
- Je sais, merci d'avoir accepté.
Il était clair qu'Emily l'avait fait à contre cœur. Elle n'était pas leur espionne personnelle et elle n'avait aucunement le droit d'utiliser son statut pour intervenir de cette façon dans les dossiers administratifs. Elle l'avait fait par amitié, une fois, mais elle leur avait fait comprendre qu'ils ne pourraient pas compter sur elle pour contourner le système à tout bout de champ. A moins que leur vie en dépende mais ici, ce n'était pas vraiment le cas. Elle comprenait bien pourquoi Dahlia n'avait aucune envie que des journalistes curieux découvrent son passé et qui elle était et Emily ne souhaitait nullement que son amie se fasse lyncher par un pays entier. C'était bien pour cela qu'elle avait accepté de l'aider pour cette fois. Elle avait modifié le contrat de mariage de Harry et Dahlia en changeant son nom de famille. Harry Potter avait désormais épousé Dahlia Black et non Dahlia Malefoy. Quant à son dossier à l'immigration, Emily l'avait laissé là où il était mais elle lui avait jeté un sortilège le rendant introuvable. Ça aurait l'air louche de ne rien trouver sur Dahlia Black au bureau de l'état civil mais il valait mieux être louche qu'être officiellement coupable.
Dahlia retourna en Angleterre encore plus détendue qu'avant, presque certaine que personne ne pourrait savoir qui elle était. Ça lui faisait déjà un souci en moins. Quand elle transplana au Terrier, elle eut le plaisir d'y trouver Hermione qui avait réussi à se libérer pour passer. La pauvre était débordée de travail au Ministère et n'avait plus beaucoup de temps libre. Dahlia la soupçonnait toutefois de ne pas faire grand-chose pour s'octroyer davantage de moments de loisir. Dahlia rejoignit les autres dans le jardin, ils étaient presque tous là, même Harry. Elle se rendit compte qu'avec le décalage horaire, c'était l'heure du dîner. Hermione se tourna vers elle en l'entendant arriver et sourit largement.
- Eh bien, c'est quoi ce nouveau look ? demanda-t-elle. Tu ressembles à une actrice moldue des années 50, même si je me doute que ça ne doit pas vraiment te parler…
- Non, en effet, répondit Dahlia en retirant son foulard et ses lunettes de soleil. C'est juste pour éviter qu'on me reconnaisse quand je prends un Portoloin. Je l'ai déjà vécu une fois et c'était pénible.
Dahlia s'empressa d'aller retrouver Perseus qui somnolait dans les bras de son père et l'embrassa doucement. Molly sortit de la maison avec détermination.
- Puisque Dahlia est revenue, passons à table ! Ron, va chercher les pommes de terre.
Ils s'attablèrent tous dans le jardin, bavardant joyeusement, dans une douce ambiance familiale que Dahlia n'avait jamais connue. Elle aimait bien être là. S'il n'y avait eu que les Weasley, elle aurait trouvé cela plus difficile mais il y avait Fleur, qui était un membre rapporté tout comme elle, un membre pas vraiment apprécié au départ non plus. Elle n'était donc pas toute seule à être un peu à l'écart et c'était très bien.
- Nous pourrions aller à la plage dimanche, dit Fleur. Ça fait longtemps que nous n'y sommes pas allés. Avec Harry et Dahlia.
- Oui, moi ça me va, répondit Bill.
Harry et Dahlia n'avaient pas mieux à faire que ça et ils vérifièrent avec Molly qu'elle acceptait de garder Perseus. Heureusement pour eux, elle était toujours partante pour le faire. Après quelques discussions, il fut décidé que Ron et Hermione viendraient aussi. Rose irait chez les parents d'Hermione qui s'étaient plaints de ne pas la voir suffisamment. Victoire, Dominique et Louis se tournèrent vers leurs parents.
- Et nous ? On peut venir ?
Bill et Fleur échangèrent un regard un peu agacé et honteux de l'être.
- On y retournera tous ensemble une autre fois, promit Bill. Mais dimanche, on va juste y aller entre adultes.
Harry s'apprêtait à dire que ça ne le gênait pas mais Fleur se tourna vers lui en soupirant.
- C'est simplement qu'avec les enfants, on ne peut pas transplaner, il faut prendre le train ou y aller en balai, ça complique tout…
Et ils avaient tous envie de transplaner, pour des raisons évidentes. Harry se fit la réflexion qu'il y avait quand même de grosses lacunes dans le monde magique, notamment le manque total d'organisation concernant la gestion des enfants. Pas de transports adaptés pour eux, pas d'école, pas le droit de pratiquer la magie, des transports dangereux pour les femmes enceintes… Il repensa à la fois – pour la coupe du monde – où ils avaient dû se lever aux aurores, marcher plus d'une heure et prendre un Portoloin juste parce qu'ils étaient mineurs et ne pouvaient pas transplaner. Quelles complications quand même… Ces complications, justement, n'étaient pas au goût de Louis qui jeta à son père un regard suppliant.
- Papa, je veux venir à la plage. S'il te plait !
Il y eut un moment de flottement étrange puis Bill lui sourit d'un air contemplatif.
- D'accord mon chéri, tu…
- Bill, pour l'amour du ciel ! s'écria Fleur avec exaspération.
Bill tressaillit et regarda Louis avec rancœur.
- Arrête de faire ça, ordonna-t-il sèchement.
Louis se mit à bouder dans son coin et refusa de finir son assiette. A côté de lui, Victoire lui lançait des regards moqueurs qui l'énervaient encore plus. Harry se tourna vers Bill avec interrogation mais c'est Fleur qui lui répondit.
- Le pouvoir des Vélanes a deux formes, expliqua-t-elle. Il y un pouvoir naturel que nous possédons, contre lequel nous ne pouvons rien et il y a la possibilité d'augmenter ce pouvoir-là volontairement pour séduire les gens. Mes enfants, tout comme moi, n'ont pas assez de sang de Vélane pour pousser les gens à perdre totalement la raison face à eux, à moins qu'ils le désirent et le fassent exprès. Et heureusement parce que ce serait insupportable que tous les hommes à qui je parle se mettent à me dire n'importe quoi.
- Certains perdaient la tête et disaient n'importe quoi quand nous étions à Poudlard, fit remarquer Harry en repensant à Ron.
- Oui, parce qu'ils m'agaçaient et que je jouais volontairement de mes charmes. Quand j'étais plus jeune, j'adorais regarder les garçons s'humilier de cette façon devant moi.
Tout le monde lui lança un regard mi atterré mi méprisant à l'exception de Dahlia qui retint un sourire amusé. Fleur ne sembla pas remarquer la désapprobation générale et de toute façon, elle s'en foutait complètement. Elle haussa les épaules d'un air indifférent.
- Louis adore jouer de ses charmes sur son père pour le forcer à dire oui à tout. Sur vous aussi Molly, vous devriez être plus vigilante…
Molly rougit nettement et se tourna vivement vers Louis qui lui adressa un sourire de petit diablotin. Cette fois-ci, tout le monde rigola. Harry comprenait enfin pourquoi il ne s'était jamais humilié devant Fleur, lui, alors qu'il la trouvait objectivement magnifique et désirable depuis le jour où il l'avait rencontrée, tout comme il n'avait jamais vu Cédric ou Krum ou Bill perdre totalement leurs moyens. Fleur n'ensorcelait pas les hommes qu'elle respectait et c'était tout à son honneur, sans doute.
Après le repas, Bill alla prendre sa guitare et s'assit devant les fenêtres de la maison, sur un banc en pierre à moitié envahi de vigne vierge. Il se mit à jouer avec enthousiasme et les autres dansèrent dans l'herbe dans la tiédeur de cette soirée de juillet. Harry passa son bras autour de la taille de Dahlia et la serra contre lui en souriant. Ils n'avaient pas dansé ensemble depuis longtemps. Fleur entraina ses trois enfants dans une ronde endiablée. Hermione traina Ron de force et s'accrocha à son cou. Après une courte réticence, même Arthur et Molly se mirent à danser tous les deux. C'était une bonne soirée aussi, avec la musique vive et entrainante, les cris et les rires des enfants, les pas de danse dans l'herbe. Hermione avait retiré ses chaussures et dansait pieds nus, avec Ron qui ne faisait pas beaucoup d'effort pour s'appliquer et qui la faisait rire. Harry embrassa Dahlia et se serra davantage contre elle, heureux d'être là, de la voir sourire et de l'avoir retrouvée. Bill finit par ensorceler sa guitare et se leva pour rejoindre sa famille. Il chassa joyeusement ses enfants et prit sa femme dans ses bras. Bill et Fleur dansèrent avec élégance dans l'herbe humide du soir, en se regardant dans les yeux avec quelque chose qui ne s'était pas éteint. Harry repensa malgré lui au jour de leur mariage, quand leurs vies avaient définitivement basculé. Beaucoup de choses avaient changé depuis ce temps-là mais d'autres étaient restées intactes et c'était tant mieux.
OoOoO
Ils allèrent au bord de la mer, au nord du Devon, sur une jolie plage de sable bordée d'herbe et de plaines verdoyantes. Harry se rendit compte qu'en dehors de son voyage de noces, il n'était quasiment jamais allé à la plage et que c'était un plaisir dont il profitait rarement. Bill et Fleur, eux, vivant près de la mer, étaient habitués aux moments paisibles sur le sable à écouter les vagues. Ils étendirent leurs serviettes et s'y allongèrent avec délice, goûtant la tranquillité de se retrouver sans leurs enfants, sans contrainte et sans obligation. Fleur et Dahlia bavardaient en bronzant, Ron, Harry et Bill aussi. Hermione lisait des dossiers qu'elle avait apportés avec elle.
- Fais attention Hermione, dit Dahlia d'un ton moqueur. Tu vas finir ministre de la Magie à ce train-là.
- Mais je l'espère bien, répondit Hermione d'un ton sérieux sans lever le nez de ses dossiers.
Dahlia ne doutait pas qu'elle y arriverait un jour. Hermione avait beaucoup d'ambition et beaucoup de talent, Dahlia appréciait cela chez elle.
Quand ils eurent suffisamment chaud, ils allèrent tous se baigner malgré la fraicheur de l'eau. En bons Anglais qu'ils étaient, cela ne leur faisait pas peur. Ils laissèrent leurs affaires sans crainte et rejoignirent la mer, impatients. La plupart des hommes se retournaient sur le passage de Fleur, malgré eux et malgré elle. Harry se demanda s'il aimerait que tous les hommes se retournent de cette façon sur Dahlia. Il pourrait trouver cela drôle et flatteur, un peu, mais ça deviendrait vite assez lourd. Il en ressentirait sans doute plus d'agacement que de jalousie. Il finit par poser la question à Bill qui éclata de rire, un peu blasé.
- Parfois ça m'agace, admit-il. La plupart du temps, je n'y fais même plus attention. Et puis de temps en temps, j'aime bien, parce que ça me rappelle que ma femme est belle, que d'autres la désirent et que c'est moi qu'elle a choisi. Et tu verras mais, au bout de quelques années de mariage, c'est agréable de se voir rappeler ce genre de détails. Ça réveille certaines… choses, si tu vois ce que je veux dire.
- J'imagine, dit Harry, toujours déprimé par les remarques des vieux couples.
A partir du moment où ils entrèrent dans l'eau, ils perdirent tous vingt ans d'âge mental et se mirent à jouer comme des gamins, s'arrosant et se noyant allègrement. Ron sautait sur Harry pour le couler, Bill jeta Fleur dans l'eau, ce qu'il regretta ensuite car elle lui attrapa les chevilles sous l'eau et le fit tomber sans pitié juste après. Hermione et Dahlia observaient tout cela, un peu à l'écart, perplexes et réticentes, jusqu'à ce que Ron saute à quelques centimètres d'elles et les arrose tellement que Dahlia dut recracher l'eau salée avec un regard meurtrier. Ce qui bien sûr, rendit Ron plus hilare qu'autre chose.
Cette journée à la plage fut un bon moment. Il y en eut beaucoup d'autres par la suite. Ils fêtèrent l'anniversaire de Harry, le dernier jour de juillet, au Terrier. Cette fois-ci, George et Angelina se joignirent à eux. Quand il arriva, George gratifia Dahlia d'un emphatique « Bonjour Dahlia », avec un sourire moqueur mais bienveillant. Ron raconta à Harry qu'à Noël, George l'avait salué en lui disait « Bonjour Malefoy » et qu'elle lui avait rétorqué que, maintenant qu'elle était mariée avec Harry, ça n'avait plus trop de sens de l'appeler comme ça et qu'il pouvait l'appeler Potter, s'il le souhaitait. Mais que, encore mieux, il n'avait qu'à l'appeler Dahlia comme tout le monde.
- George s'est retrouvé comme un crétin et elle s'est bien foutue de lui. Même Ginny était morte de rire. Personne de sain d'esprit n'aurait envie de l'appeler Potter donc…
Quand Harry travaillait, Dahlia paressait chez elle avec Perseus, se rendait chez Molly, recevait la visite de Fleur, partait se promener dans la campagne. Elle ne s'ennuyait pas, elle aimait la paisible oisiveté des vacances, souvent coupée par les moments intenses avec les enfants qui prenaient toute leur énergie. Au début du mois d'août, ils accueillirent Teddy qui dormit dans la chambre avec Perseus et fut ravi de rencontrer enfin le fils de son parrain. Avec Teddy en plus, les choses n'étaient pas plus calmes mais ça ne faisait rien. Victoire était contente qu'il soit là, ça lui faisait un camarade de jeu un peu plus âgé et un peu plus stimulant que sa sœur et son frère. D'autant que Teddy était drôle, il la faisait éclater de rire avec ses transformations bizarres, ses cheveux multicolores et ses pitreries.
Fleur, qui connaissait bien la campagne autour du Terrier, les petites rivières et les coins sympathiques pour pique-niquer, entrainait avec elle Dahlia et la tribu de gamins pour des journées paisibles au bord de l'eau. Les plus grands trempaient leurs pieds dans la rivière en s'arrosant copieusement, on déjeunait sur l'herbe les sandwiches qu'on avait préparés, on laissait Perseus se reposer et on faisait attention à Louis qui était encore petit. Certains soirs, George était là avec Angelina et leurs deux enfants. Fred avait sensiblement le même âge que Dominique et Roxanne était un peu plus âgée que Louis. Teddy et Victoire, qui étaient les deux plus âgés, dirigeaient clairement la troupe d'enfants, surveillaient et donnaient des ordres, ce qui énervait souvent les autres. Ginny passait aussi de temps en temps. Heureusement, Percy ne venait pas souvent et c'était un soulagement pour tout le monde car, même s'il n'était pas méchant, il restait assez pénible.
Quand Harry ne travaillait pas, ils allaient se promener tous les trois et c'était agréable aussi. Ils passaient des heures à regarder Perseus évoluer dans le monde, à écouter ses cris et ses gazouillements. Ils n'avaient rien de mieux à faire de toute façon. Les yeux de Perseus changeaient de couleur et tiraient maintenant nettement vers le vert, ce qui ravissait Harry. Au Terrier, tout le monde l'avait un peu charrié, disant qu'il devait être heureux que son fils ait quand même pris quelque chose de lui. Perseus ressemblerait sans doute beaucoup à sa mère, sauf les yeux. Il aurait les yeux de son père.
Il y avait des jours aussi, où ils laissaient Perseus à Molly et allaient se promener à Londres tous les deux, flânant au milieu des touristes du mois d'août. Ils se donnaient la main et avançaient sans but précis, sans craindre de tomber sur des sorciers. Ils s'arrêtaient parfois dans une boutique, Harry achetait de nouvelles chaussures, Dahlia achetait une nouvelle robe, ils apercevaient des ensembles adorables pour Perseus. Ils ne regrettaient pas un seul instant d'être venus là et même Harry reconnaissait que c'était quand même appréciable de pouvoir confier leur bébé à Molly de temps en temps pour respirer un peu. Dahlia riait d'un air incrédule en déclarant qu'elle serait devenue folle si elle était restée à New York toute seule.
Elle recevait des nouvelles de temps en temps, d'Emily qui lui disait au revoir avant de partir pour une nouvelle mission, d'Andrew qui envoyait des photos de Walter et de l'avancée de son atelier de joaillerie, de Clara qui s'était remise au travail et la tenait au courant du contrat qu'elle venait de signer avec un auteur qu'elle suivait depuis longtemps. Il avait accepté de quitter la maison mère pour rester avec Clara, c'était une bonne nouvelle. Dahlia était heureuse de recevoir de leurs nouvelles, ses amis lui semblaient loin mais ils la raccrochaient à sa vie quotidienne et lui donnaient de bonnes raisons de vouloir rentrer à la fin des vacances. Elle avait hâte d'assister à l'inauguration de la boutique de bijoux d'Andrew, hâte de suivre de loin la réussite de Clara, hâte aussi de retourner dans leur bar préféré pour boire un verre avec Jamal, Chris et Marilyn qui lui manquaient un peu. Elle avait d'ailleurs hâte de boire tout court mais ça, ce n'était pas encore pour tout de suite.
OoOoO
Le mois d'août approchait doucement de la fin, tout comme approchait le moment de rentrer à New York. Dahlia savait qu'elle trouverait ça bizarre et elle ne savait pas trop si elle était contente ou non. Quand elle se penchait vraiment sur la question, elle était plutôt contente. L'idée de reprendre le travail lui plaisait bien, les journées commençaient à être longues et surtout, à manquer de stimulation intellectuelle. Les promenades en campagne et les jeux avec les enfants c'était sympathique mais tout de même, ça avait ses limites. Dahlia avait adoré son été mais, comme c'était souvent le cas, elle serait également contente qu'il s'arrête et que la vie reprenne son cours normal. En plus de ça, la ville lui manquait un peu. Finalement, la vie était bien faite puisqu'il faudrait bientôt rentrer. Harry, lui, ne savait pas ce qu'il en pensait non plus. Ou plutôt, si, il le savait. Il n'avait pas spécialement envie de retourner à New York. Cet été auprès des Weasley lui avait rappelé qu'il aimait être avec eux et qu'ils lui manquaient. A New York, soyons honnête, rien ne l'attendait en dehors de son appartement. Et des appartements, il pourrait en trouver n'importe où.
Dahlia sentait bien que Harry n'avait pas envie de partir et elle pouvait parfaitement le comprendre. Si Harry s'était écouté, c'est une vie de ce genre-là qu'il aurait menée, avec une maison tranquille à la campagne et des weekends avec les gens qu'il aimait. Il aurait pu avoir cette vie-là avec Ginny et c'était surement ce qui lui avait plu chez elle, en plus du reste. Mais avec Dahlia, ce ne serait pas aussi simple et Harry garda pour lui ce qu'il pensait. Venir vivre ici reviendrait à enfermer Dahlia dans une maison de campagne et ce n'était pas envisageable. Ils évitèrent d'en parler et décidèrent plutôt de profiter de leurs derniers jours.
Ce matin-là justement, il faisait beau et tout allait bien, comme ça avait été le cas presque tous les jours. Harry buvait son thé sur la terrasse, au soleil, à côté de Dahlia qui étalait de la confiture sur un toast grillé. Allongé dans son transat, Perseus observait les choses autour de lui, avec ses grands yeux vert émeraude et faisait des petits bruits aigus quand il se passait quelque chose qui lui plaisait. L'arrivée du hibou qui distribuait la Gazette lui plaisait tout particulièrement et il se mit à crier quand il se posa sur la table. Harry donna une pièce au hibou et attrapa le journal d'un geste nonchalant. Son geste s'immobilisa soudain quand il regarda la une et il se pencha pour lire le titre avec agacement, répulsion et un peu d'anxiété.
« Harry Potter, en promenade romantique à Londres avec sa femme » titrait le journal. Et sur la photo, on le voyait marcher avec Dahlia en la tenant par la main. Il était évident, d'après le titre, qu'ils ne savaient pas qui était Dahlia mais c'était tout de même agaçant. Il poussa le journal vers elle pour qu'ils puissent lire la suite ensemble. On y montrait d'autres photos d'eux durant leur promenade, on avait zoomé sur leurs alliances pour bien prouver qu'ils étaient mariés. « Dahlia Black est une Américaine, joueuse de Quidditch professionnelle dans le club des Corbeaux du Bronx ». Le tout accompagné d'une photo montrant Dahlia sur son balai, lors d'un match de la saison dernière. Ils n'avaient trouvé que ça et l'article était totalement vide, comme c'était souvent le cas dans la presse people. Sur les photos, on voyait suffisamment Dahlia pour distinguer son visage et en même temps, pas vraiment. Elles avaient été prises de loin et évidemment, pas face à eux qui posaient. Ils étaient donc souvent de profil ou la tête baissée. Dahlia referma le journal d'une main ferme.
- Ils ne me reconnaitront jamais sur ces photos, dit-elle avec soulagement.
- Tu penses ?
- Bien sûr. Pour les gens, je suis morte il y a des années et je suis un homme. Franchement, qui aurait l'idée saugrenue de reconnaitre Drago Malefoy dans ta femme américaine ? Dans le pire des cas, ils pourraient penser qu'il y a un petit air familier, que mes cheveux sont étonnamment blonds et semblables à ceux de la famille Malefoy mais même là, je n'en suis pas certaine. D'après ce que j'ai compris, mes parents ne sortent plus. Je ne sais même pas si les gens se souviennent à quoi mon père ressemble ou à quoi je ressemblais !
Harry se demanda si elle le pensait vraiment ou si elle essayait de se rassurer. Il trouvait quand même que ses arguments avaient du sens et d'ailleurs, la suite le confirma. Harry ne reçut aucune lettre étrange, il n'y eut pas d'autres articles dans la journée ni le lendemain matin. Il était à peu près sûr que les sorciers anglais se foutaient bien de savoir qu'il s'était baladé à Londres avec sa femme ou même d'apprendre qu'il était marié. Avec de la chance, cet article n'aurait aucune conséquence particulière sur leur vie. Harry fut tout de même un peu soulagé de se dire qu'ils repartaient bientôt. Il ne s'était pas rendu compte que des journalistes l'avaient suivi à Londres mais c'était assez déplaisant comme idée et il avait conscience que le seul véritable avantage d'être à New York était qu'on lui foutait la paix.
Harry avait été en congé quand Teddy était venu chez eux et il était maintenant dans sa phase d'entrainement. Ça tombait bien puisqu'il pouvait rentrer tôt et passer la soirée avec sa famille. Ce soir-là, il rentra un peu avant l'heure du thé et trouva Dahlia assise sur le canapé du salon en pleine lecture. Perseus dormait toujours et elle profitait de ce moment de calme pour s'adonner à l'une de ses activités favorites. Elle avait commencé à ranger leurs affaires et Harry devina qu'elle avait hâte de repartir, tout compte fait. Même si elle l'avait pris avec stoïcisme, l'article du journal lui faisait un peu peur.
- Qu'est-ce que vous avez fait aujourd'hui ? demanda distraitement Harry en enfilant un t-shirt propre.
- Rien de spécial, Perseus était fatigué et grognon donc nous sommes restés là. Et toi l'entrainement ?
Ils bavardèrent quelques minutes puis Harry s'inquiéta du dîner. Au moment où il allait se lever pour vérifier qu'ils avaient de quoi faire dans la cuisine, quelqu'un frappa à la porte. Harry et Dahlia échangèrent un regard pas vraiment étonné. Il n'était pas rare que Molly vienne leur rendre visite à l'improviste pour leur apporter une tarte ou simplement boire le thé avec eux. C'était aussi une façon pour elle de ne pas être seule dans sa propre maison. Harry se leva en soupirant.
- J'y vais, annonça-t-il.
Il marcha paresseusement jusqu'à la porte et l'ouvrit sans réfléchir. Il sursauta de surprise en se retrouvant face à Narcissa Malefoy et tout son corps se crispa. La main de Harry serra la poignée de la porte et il s'avança pour bloquer tout passage. Narcissa le salua du bout des lèvres et Harry ne lui répondit pas.
- Qu'est-ce que vous faites là ? demanda-t-il sèchement.
- Je suis venue voir ta femme, dit Narcissa d'une voix faussement calme.
Le cœur de Harry s'accéléra nettement et sa main se crispa sur la poignée de la porte.
- Ma femme ? Et pourquoi donc ? Elle n'a absolument rien à voir avec vous.
- Laisse-moi la voir, ordonna Narcissa d'une voix menaçante en faisant un pas en avant.
- Non, dit-il d'une voix tout aussi menaçante. Laissez-nous tranquilles et allez-vous-en ! Vous perdez l'esprit, que…
- Dahlia Black, murmura Narcissa, les yeux braqués sur Harry. Laisse-moi la voir, juste deux minutes !
Harry s'apprêtait franchement à sortir sa baguette quand la voix de Dahlia retentit dans le salon.
- Harry ? Qu'est-ce que tu fais ? Qui est-ce ?
Harry et Narcissa échangèrent un regard tendu puis elle le repoussa d'un geste brusque, avec tellement de force que Harry trébucha. Il ne s'y attendait pas et Narcissa était poussée par quelque chose de bien plus fort que lui. Avant qu'il ait pu faire quoi que soit, Narcissa pénétra dans le salon au moment où Dahlia en sortait et elles se heurtèrent presque. Elles eurent un geste de recul et de stupeur similaire avant de s'immobiliser face à face. Dahlia jeta à Harry un regard paniqué puis se concentra à nouveau sur sa mère. Narcissa, elle, avait posé une main sur sa bouche pour étouffer le cri qui était monté en elle. Elles se dévisagèrent un instant, dans un silence quasiment insupportable puis Narcissa fit retomber sa main.
- Oh mon dieu, dit-elle dans un souffle. C'est vraiment toi, tu es en vie.
Dahlia retrouva possession d'elle-même et recula encore d'un pas.
- Non, répondit-elle d'une voix dure. Ce n'est pas moi, tu ne sais pas qui je suis. Va-t'en.
Narcissa secoua la tête sans vraiment écouter ce que Dahlia disait, plus choquée par le son de sa voix que par ce qu'elle disait.
- Quoi ? Non, bien sûr que c'est toi. J'en étais sûre, Lucius n'a pas voulu me croire mais moi je le savais. Sur les photos du journal, je savais que c'était toi.
Visiblement, Dahlia ne savait plus quoi faire ou quoi dire. Sa panique était aussi élevée que sa terreur. Brusquement, tous ses mois de thérapie s'effondraient un à un et elle n'était plus capable de ressentir de colère, de haine ou quoi que ce soit d'autre que de la peur. Harry se rapprocha de Narcissa.
- Dahlia, je vais…
- Oh mon dieu, répéta Narcissa sans faire aucunement attention à lui.
Elle n'avait le regard fixé que sur Dahlia.
- Tu… tu es… Qu'est-ce que tu as…
Narcissa semblait incapable de terminer la moindre phrase et d'aller au bout de la moindre pensée cohérente. Dahlia en profita pour réagir.
- Pars, ordonna-t-elle d'une voix glaciale. Je me doute que tu ne comprends pas, tu dois être perdue. C'est trop tard pour expliquer maintenant, rentre chez toi. Tu n'as plus de fils, je suis partie il y a longtemps, c'est tout ce qu'il a à retenir. Harry va te raccompagner et tu vas tout oublier.
Par tout oublier, Dahlia signifiait nettement qu'ils allaient lui lancer un sortilège d'amnésie. Narcissa secoua vivement la tête.
- Non, répondit-il d'une voix précipitée. Tu te trompes, je comprends !
Elle sortit un carnet de sa jupe et le brandit devant Dahlia qui le fixa d'abord avec stupeur puis avec crainte.
- Où est-ce que tu as trouvé ça ?
- Dans ta chambre quand j'ai voulu la ranger. C'est ton journal intime, tu le reconnais ? Tu avais quinze ans à l'époque, j'ai tout lu. Même les passages où tu dis que tu n'es pas un garçon, où tu enfiles l'uniforme de Pansy, où tu…
Dahlia rougit et regarda sa mère avec sidération. Son cœur s'accéléra malgré elle et elle resta là, incapable de parler, attendant la suite qui ne tarda pas à venir.
- Alors je sais, assura Narcissa en faisant un pas vers elle. Je sais ! Et je croyais que tu t'étais suicidé à cause de ça mais tu es en vie… Oh par Merlin, tu es en vie !
Narcissa tendit la main et la posa sur la joue de Dahlia qui se figea comme une statue de pierre. Elle ne respirait même plus.
- C'est incroyable ce que tu es devenu, continua Narcissa, sidérée. Tu… Comment as-tu fait ça ? Pourquoi… Tu… Tu es tellement différent, je… C'est vraiment…
Dahlia attrapa le poignet de sa mère et l'éloigna de son visage d'un geste brusque.
- Pourquoi es-tu venue ? demanda sincèrement Dahlia.
- Pourquoi ? Mais pour te voir ! Je t'ai cru mort pendant des années, comment peux-tu me poser cette question ? Je t'ai reconnu dans le journal, je savais que c'était toi, je voulais te voir. Tu m'as tellement manqué, je…
- Je ne suis plus du tout la même personne qu'avant, tu le sais ça ? asséna Dahlia d'un ton dur.
- Bien sûr que si. Tu as changé physiquement mais tu es toujours mon…
- Non, maman ! coupa Dahlia.
Narcissa tressaillit au « maman » et ses yeux dévorèrent Dahlia avec plus d'émotions encore.
- Je ne suis plus ton fils, dit Dahlia. Je suis une femme, je ne serai plus jamais un garçon, je ne l'ai jamais été. Tu comprends ça ? Ce ne sera plus jamais comme avant, je ne suis plus Drago, Drago n'existe plus, tu n'as plus de fils. Et je comprendrais que ce soit trop dur pour toi donc tu devrais partir maintenant.
Les larmes montèrent aux yeux de Narcissa et elle dégagea son poignet.
- Je n'ai plus de fils, dit-elle avec quelque chose qui ressemblait à de la hargne. Soit. Tu ne t'appelles plus Drago, soit. Mais tu es toujours mon enfant, ça n'y changera rien. Je t'ai portée dans mon ventre pendant neuf mois et peu importe tout ce que tu essaies de dire, tu es toujours mon enfant et je suis toujours ta mère. C'est pour ça que je suis venue ! Arrête de me dire de partir ! Je ne partirai pas ! Je ne te perdrai pas une seconde fois !
Harry lança un regard anxieux à Dahlia et attendit. Il savait qu'elle essayait de repousser Narcissa pour se protéger, par peur et désespoir. Il savait aussi qu'elle allait devoir arrêter et affronter sa mère, sans mensonge, sans artifice, sans fioriture. Dahlia inspira et regarda sa mère avec dureté, pour cacher toute la douleur qu'elle ressentait au fond d'elle, la douleur et le bonheur, aussi.
- Je suis Dahlia, dit-elle lentement. Je suis Dahlia et je suis une femme. Si tu ne veux pas me perdre une seconde fois, tu dois accepter ça. Sinon, je disparaitrai à nouveau.
Narcissa perdit sa hargne et les larmes qui menaçaient de tomber ne coulèrent pas. Elle tendit la main à nouveau et attrapa doucement une mèche des longs cheveux blonds de Dahlia. Elle les fit glisser entre ses doigts, comme quand elle était enfant. Narcissa sourit pour elle-même et releva les yeux vers Dahlia.
- Tu veux que je te dise un secret ? demanda-t-elle d'une voix douce.
Dahlia resta muette et attendit.
- J'ai toujours eu envie d'avoir une fille.
Quelque chose se brisa chez Dahlia, elle n'avait plus envie de résister ou d'essayer de repousser sa mère. Narcissa le vit bien parce que malgré tous les changements et malgré toutes les années, Dahlia avait la même expression quand elle craquait, quand elle s'apprêtait à pleurer, à avouer une faute ou à lui confier ses chagrins. Narcissa prit doucement sa fille dans ses bras et la berça un instant, sans même s'en rendre compte, comme elle l'avait fait tant de fois quand elle était petite. Dahlia se laissa faire, c'était trop pour elle. Harry alla refermer la porte et se détendit. Il n'en avait pas espéré autant de Narcissa mais il fallait admettre que les gens pouvaient être surprenants, parfois.
Dahlia se détacha de sa mère et essuya son visage pour reprendre contenance. Narcissa sourit à nouveau en la regardant faire. Harry était admiratif du contrôle de Narcissa Malefoy. Elle avait cru son enfant mort pendant des années, elle le retrouvait vivant. Il y aurait eu de quoi pleurer aussi.
- Maintenant, dit Narcissa, raconte-moi ce que…
Elle fut coupée par les pleurs de Perseus qui se réveillait enfin de sa sieste beaucoup trop longue. Narcissa sursauta et leva les yeux vers l'escalier.
- Vous… Il y a un bébé ?
- Notre fils, dit Harry en estimant qu'il pouvait à nouveau intervenir dans la conversation.
Narcissa se tourna vers lui et le regarda avec stupeur, comme si elle avait oublié son existence.
- Votre… Quoi ? Tu as eu un bébé ?
- Oui, dit Dahlia en riant nerveusement. J'ai eu un bébé. Exactement comme toi, je l'ai porté dans mon ventre pendant neuf mois.
Narcissa semblait ahurie et Dahlia lui fit signe de l'accompagner. Harry les suivit, par réflexe, un peu choqué lui aussi de ce qui venait de se passer. Ils entrèrent dans la chambre de Perseus qui s'agitait et criait à pleins poumons et Dahlia le prit dans ses bras en l'embrassant. Il se calma rapidement mais continua à chouiner quand même. Il avait faim. Narcissa s'approcha du bébé et le contempla avec une tendresse et un amour que Harry n'aurait jamais cru voir un jour sur son visage.
- Oh mon dieu, répéta-t-elle encore. Il a tes cheveux.
Elle caressa les cheveux blonds de Perseus comme s'il était un véritable trésor.
- Oui, confirma Dahlia. Voici Perseus.
- Perseus, murmura Narcissa en écho, le regard toujours posé sur le bébé. Un prénom parfait pour un membre de la famille Black.
- J'ai fait exprès.
- Je sais, répondit doucement Narcissa.
Ils redescendirent au salon et Dahlia s'assit sur le canapé pour donner le sein à Perseus. Narcissa la regarda faire avec fascination, ne sachant pas trop si le plus stupéfiant était que Dahlia ait des seins ou puisse allaiter son fils. Pendant ce temps, Harry fit du thé et Narcissa accepta la tasse avec reconnaissance. Harry s'assit près de Dahlia, comme s'il voulait rappeler à Narcissa qu'il était là, qu'il existait, qu'il était son mari et le père de Perseus. Cela fonctionna car Narcissa se tourna vers lui.
- Quand tu as cherché son corps dans la mer, est-ce que tu savais déjà ?
- Non, je suis tombé sur Dahlia à New York des années plus tard. J'ai été tout aussi surpris que vous.
Il raconta brièvement leur rencontre, n'osant trop en dire, ne sachant pas ce que Dahlia voulait que sa mère sache ou pas. Narcissa, elle, voulait tout savoir. Qu'avait vécu Dahlia depuis toutes ces années ? Il y avait tant de choses à dire ! Perseus termina de boire et Harry le prit dans ses bras en se levant.
- Je vais vous laisser toutes les deux, pour que vous puissiez discuter. Je vais faire un tour avec Perseus.
- Je peux le garder, dit Dahlia.
- Non ! répondit vivement Harry, un peu trop rapidement.
Il jeta un regard à Narcissa et serra un peu plus ses bras autour de Perseus.
- Non, c'est bon, vous serez mieux toutes les deux.
C'était plus fort que lui et il n'aurait pas vraiment su l'expliquer mais il n'avait pas envie de laisser son fils avec Narcissa Malefoy. Après tout, leurs relations n'avaient jamais été très bonnes, c'était un euphémisme. Harry attacha soigneusement Perseus contre sa poitrine dans le grand foulard fait pour ça et s'envola sur le balai de Dahlia. Il aurait pu rester avec elles mais il devinait bien que Dahlia préférerait parler tranquillement avec sa mère. Il eut d'abord envie d'aller au Terrier, bien sûr, puis il changea d'avis et s'envola dans la direction opposée. Il y avait une autre personne qu'il devait voir, à qui il avait suffisamment menti comme ça. Il avait accueilli Teddy chez lui alors qu'il était avec sa femme et son fils et il n'avait même pas proposé à Andromeda de venir les rencontrer. Elle devait bien voir qu'il y avait un problème, elle devait être persuadée que Harry la détestait ou pire encore. Il se posa doucement devant la maison d'Andromeda Tonks et lui sourit d'un air contrit quand elle ouvrit la porte. Elle parut surprise de le voir, évidemment, surprise surtout de voir qu'il portait un bébé. Teddy arriva en courant.
- Harry ! Tu es venu avec Perseus ?
Ils s'assirent dans le salon et Teddy vint embrasser le bébé qui s'agitait, perdu dans cette maison qu'il ne connaissait pas. Andromeda regardait le bébé elle aussi, un peu hésitante.
- J'étais surprise que tu l'appelles Perseus, dit-elle. C'est… un prénom lié au mien, si je puis dire.
- Je sais, admit Harry. C'est en partie pour cela que nous l'avons choisi.
Andromeda eut l'air encore plus perplexe, ce qui n'aidait pas vraiment Harry à se sentir à l'aise. Il ne savait pas comment le lui dire, maintenant qu'il voulait lui dire. Andromeda parla la première.
- Nous ? Ta femme… n'est pas là, encore une fois, fit-elle remarquer.
- Ma femme est la maison avec Narcissa, répondit Harry.
Andromeda écarquilla les yeux, sidérée.
- Avec Narcissa ? Mais pourquoi ?
- Parce que ma femme s'appelle Dahlia Malefoy mais qu'avant, elle s'appelait Drago. Et vous le savez, au fond de vous, n'est-ce pas ? Narcissa vous a fait lire son journal intime, vous savez que Drago était une fille. Eh bien voilà, maintenant elle s'appelle Dahlia et c'est ma femme. Et je suis vraiment désolé parce que je ne pouvais pas vous le dire, vous comprenez ? Elle s'est enfuie, elle a fait croire à sa mort, elle ne voulait plus avoir affaire à ses parents, elle voulait être libre. Mais vous l'avez découvert et j'ai été obligé de vous lancer un sortilège d'amnésie et je m'en veux vraiment. Vous vouliez tout dire à votre sœur, j'ai eu peur, ça aurait pu foutre en l'air notre vie. Mais il y a eu l'article dans le journal et Narcissa a reconnu Dahlia et elle est venue chez nous. Maintenant elle sait, elles sont toutes les deux en train de discuter.
Harry avait parlé sans pouvoir s'arrêter, honteux et désolé, anxieux aussi car il ne savait pas trop ce qui allait advenir, maintenant que Narcissa était au courant. Andromeda, elle, resta figée de stupeur, essayant de comprendre ce que Harry lui racontait, retissant des liens qu'elle avait déjà tissés auparavant puis elle se reprit un peu.
- Putain, dit-elle sincèrement.
Teddy lui lança un regard horrifié et Andromeda secoua la tête.
- Pardon, oublie tout de suite ce mot Teddy. Mais quand même, c'est une sacrée histoire ! Et j'avais tout deviné ? Incroyable…
- Je suis vraiment désolé…
- Enfin bon, maintenant, je comprends pourquoi tu ne voulais pas me la présenter.
C'était dit et Harry put se détendre un peu. Il raconta à Andromeda comment il avait rencontré Dahlia, à quoi avait ressemblé leur vie, globalement, depuis ces quatre dernières années. Elle prit Perseus dans ses bras, un peu touchée que Harry ait eu une pensée pour elle au moment de nommer son fils. Si Dahlia acceptait – et Harry devinait qu'elle accepterait – Andromeda pourrait venir les voir et la rencontrer enfin. Elle en serait enchantée. Mais tout de même, elle pensait à sa sœur, ça devait être tellement perturbant pour elle de se dire que Drago n'était pas mort. Elle aurait donné n'importe quoi, elle aussi, pour que Nymphadora soit encore en vie.
OoOoO
Après le départ de Harry, Dahlia et Narcissa s'observèrent en silence pendant un long moment, nerveuses et perdues. Puis Narcissa se leva et vint s'asseoir à côté de Dahlia, comme si elle avait besoin de la toucher et d'être près d'elle, pour être certaine qu'elle ne disparaitrait pas à nouveau.
- Tu m'as tellement manqué, dit Narcissa.
Et cette fois-ci, ses larmes coulèrent pour de bon.
- J'ai cru mourir après ton suicide, c'était insupportable.
- Je constate que tu n'es pas morte, rétorqua froidement Dahlia.
Narcissa leva vers elle des yeux étonnés et se recula légèrement. Dahlia s'en voulut d'avoir dit cela, elle n'était pas sûre de vouloir se disputer avec sa mère dès maintenant. Elle avait d'abord envie de lui parler, de se raconter, de lui faire part de tous ces moments de sa vie où sa mère lui avait manqué.
- Tu veux savoir à quoi a ressemblé ma vie ces dernières années ? Demanda-t-elle.
- Bien sûr, raconte-moi.
Elle raconta. Le Portoloin pour New York, le pot de vin pour changer son prénom, les galères, la pauvreté, le mépris des gens, les potions, Will Masetti, le contrat avec les Aurors. Elle ne disait pas tout bien sûr, mais elle voulait en dire suffisamment pour que sa mère comprenne bien. L'hôpital, la transition, les potions, Emily, la librairie. Et puis Harry qui était arrivé sans crier gare, qui avait bouleversé sa vie. Elle avait toujours aimé Harry, toujours. Narcissa pinça les lèvres et détourna le regard, mal à l'aise.
- Nous ne pouvions pas savoir… Parmi tous les garçons qui existent, il fallait que ce soit lui !
- Et même si vous l'aviez su, qu'auriez-vous fait ? Et oui, il fallait que ce soit lui.
Elle l'avait aimé à New York et il l'avait aimée aussi. Ils s'étaient mariés, elle avait été recrutée par les Corbeaux du Bronx, elle était tombée enceinte. Elle expliqua le sortilège, brièvement, ne dit rien de plus. Il y avait eu la guerre en Pologne, Harry avait failli mourir là-bas.
Il y avait tellement à dire et en même temps, c'était trop dur de résumer huit ans de cette manière. Il y avait de la colère dans chaque mot de Dahlia, Narcissa le sentait bien. Il y avait de la rancœur, des deux côtés, de l'incompréhension aussi. Dahlia avait envie de repousser sa mère autant qu'elle avait envie de la supplier de la prendre dans ses bras. C'était un trop plein d'amour et de haine qu'elle ne pouvait résoudre toute seule, tout de suite. Le soleil était couché quand elle arrêta son récit, un récit édulcoré qui ne représentait pas le tiers de ses souffrances et de sa vie. Elle n'avait pas dit à Narcissa qu'elle lui avait manqué.
Il y eut un silence, pesant et triste.
- Il parait que tu mets des dahlias sur ma tombe. J'ai choisi ce prénom parce que tu adorais ces fleurs.
Narcissa regarda Dahlia avec douleur.
- Pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi nous faire croire à ta mort de cette façon ? C'était atrocement cruel de faire ça, Dra… Dahlia.
Dahlia lui rendit son regard.
- Maman, dit-elle durement. Si je vous avais dit la vérité à l'époque, qu'auriez-vous fait ? Si je vous avais dit que j'étais transgenre, que j'étais une fille et que je voulais vivre comme une fille, qu'auriez-vous fait ? M'aurais-tu caressé la joue en disant que tu avais toujours rêvé d'avoir une fille ?
La mâchoire de Narcissa se crispa légèrement et Dahlia eut un rire amer.
- C'est facile maintenant, hein ? Maintenant que je suis morte, que j'ai dû tout abandonner et tout quitter, c'est facile de me dire que je suis toujours ton enfant. Pas vrai ?
- On ne peut pas savoir ce que j'aurais fait à l'époque.
- Bien sûr que si ! Et puis, ça se serait su, les journaux en aurait parlé. Le fils Malefoy se prend pour une fille, le fils Malefoy se travestit, le fils Malefoy est trans. Tout le monde se serait foutu de moi, ma vie était finie et vous avez tout fait pour, n'est-ce pas ? J'ai eu envie de mourir des centaines de fois, j'ai hésité à sauter de cette falaise des centaines de fois. Jusqu'au moment où il a été clair pour moi que je n'avais que deux possibilités : partir ou mourir. Je suis partie mais au fond, mon suicide n'était pas un vrai mensonge. Je l'aurais fait si j'étais restée.
- Tu ne nous as jamais donné la moindre chance d'essayer de comprendre.
- Si, papa a eu cette chance et il me l'a arrachée. Il m'a fixée comme si j'étais une honte vivante !
- Mais moi non, je n'ai jamais…
- Eh bien je suis là maintenant, tu peux essayer de comprendre.
Narcissa ne répondit pas, un peu choquée. Dans ses souvenirs, Dahlia n'avait jamais été aussi dure. Et pourtant, parce qu'elle était sa mère, elle pouvait deviner que sous la dureté se cachait autre chose. Elle se sentait coupable, parce que tout ce que Dahlia avait dit était vrai et qu'elle ne pouvait pas le nier. Ils avaient détruit la vie de leur enfant, de bien des façons et elle le lui reprochait clairement, sans prendre de gants. Les gants s'étaient noyés dans la mer eux aussi.
- Tu es différente, commenta Narcissa en baissant la tête. Tu n'étais pas aussi en colère avant…
- J'ai grandi.
- Sans doute… Je ne te reconnais pas vraiment.
La gorge de Dahlia se serra et son cœur s'accéléra. Elle eut peur de ce que sa mère allait dire, peur qu'elle s'en aille finalement, accablée par les reproches et par la conclusion que finalement, Dahlia n'était plus vraiment son enfant.
- Je te l'ai dit dès le début, dit Dahlia. Si c'est trop pour toi, tu peux partir et m'oublier.
- Non. Je veux… Je veux apprendre à te connaitre mieux. Laisse-moi le faire.
Dahlia hésita, soulagée que sa mère ait refusé de partir.
- D'accord.
Pour fuir l'ambiance oppressante du salon, Dahlia alla préparer à manger. Il était largement temps et elle n'avait pas spécialement faim mais ça l'occupait. Narcissa la regarda faire, assise à la table de la cuisine. Tout en découpant les légumes, Dahlia expliqua qu'ils étaient là pour l'été mais qu'ils vivaient à New York et qu'ils allaient repartir dans deux jours. Elle parla de la campagne, des Weasley qui avaient toujours été gentils avec elle, de Fleur. Ce fut ce moment que choisit Harry pour revenir. Il les rejoignit dans la cuisine, pas étonné que voir que Narcissa était toujours là. Dahlia prit Perseus dans ses bras et Harry termina de préparer le repas.
- Je suis allé chez votre sœur, dit-il sans regarder Narcissa. Je lui ai dit la vérité, j'en avais assez de lui mentir. Elle aimerait te rencontrer, si tu veux bien.
- Oui, souffla Dahlia.
Harry versa les légumes dans le plat et le mit au four. Il se tourna vers Narcissa et ils se regardèrent un instant, impassibles mais clairement tendus.
- Alors ? demanda-t-il. Tu lui as raconté un peu ce que tu avais fait à New York ?
- Oui, en gros.
- Et ? Vous allez garder contact ?
- Bien sûr ! s'écria Narcissa en se redressant. Je t'ai retrouvée, tu ne disparaitras plus, n'est-ce pas ? Je t'écrirai, je viendrai te voir à New York. Enfin… si tu es d'accord bien sûr mais je…
Dahlia hocha la tête et écrivit son adresse sur un morceau de papier. Les hiboux pouvaient les trouver sans adresse mais c'était beaucoup plus simple quand ils savaient où aller dès le début. Narcissa garda le papier précieusement et se tourna vers Perseus. Le bébé la fixa, un peu perplexe et ne réagit pas quand elle lui parla doucement. Harry n'aimait pas voir Narcissa Malefoy parler de cette façon à son fils mais il ne dit rien. Il avait une autre question qu'il n'osait pas poser, de peur de blesser Dahlia. Il ne savait pas si elles en avaient parlé ou non, il ne voulait pas remuer le couteau dans la plaie.
- Vous voulez manger là ? demanda-t-il à la place, un peu sèchement.
- Avec plaisir, répondit prudemment Narcissa en lui jetant un coup d'œil.
Durant le dîner, ils parlèrent essentiellement de Perseus. Narcissa se rappelait Dahlia quand elle était petite, elle faisait des commentaires attendris. Dahlia, elle, aimait parler de son fils, de ce qu'il savait faire, de ce qu'il mangeait, comment il dormait. C'était un sujet sans trop de dangers à aborder avec sa mère et c'était reposant. Avant la fin du repas, Harry alla coucher Perseus qui s'endormait dans son transat. Il était tard pour lui, ils avaient trainé. Quand ils ne furent que tous les trois, Dahlia posa la question qui préoccupait Harry.
- Et papa ? Est-ce que tu vas lui dire ?
- Evidemment, je ne peux pas lui cacher ça ! Il a lu ton journal lui aussi, il sait, même s'il a du mal à l'admettre. C'est toutefois plus facile à admettre quand on te voit, on ne peut plus vraiment dire que tu ressembles à un garçon.
- Je ne viendrai pas à la maison, dit Dahlia. S'il veut me voir, il n'a qu'à venir lui-même.
- Bien, je le lui dirai.
Narcissa s'en alla enfin, dans la nuit. Elle avait appelé son elfe de maison et c'est lui qui les faisait transplaner où ils l'ordonnaient. Sans baguette, il fallait bien s'adapter. Maintenant qu'ils étaient seuls, Harry se tourna vers Dahlia et la regarda avec inquiétude.
- Est-ce que ça va ?
- Oui, assura-t-elle. Nous parlerons demain, je suis fatiguée.
C'était une façon de fuir la conversation et il le savait bien mais ça ne faisait rien. Elle avait le droit de ne pas avoir envie de parler tout de suite et de vouloir mettre de l'ordre dans ses émotions. Et puis, elle avait sans doute suffisamment parlé pour la journée. Ils se couchèrent rapidement et Harry mit du temps à s'endormir. Il ne pouvait pas dire que le retour de Narcissa dans leur vie le laissait indifférent. Il s'inquiétait pour Dahlia, il se demandait ce qu'elle en pensait. Et il s'inquiétait pour lui, pris dans un égoïsme qui le rendait honteux. Il aurait aimé que ce soit différent mais il fallait bien l'admettre, il n'était guère enchanté de savoir que Narcissa Malefoy, et peut-être même Lucius Malefoy, allaient intervenir dans sa vie.
Il avait dû s'endormir toutefois car il se réveilla brusquement, sans raison, alors que tout était silencieux autour de lui. Un peu trop silencieux, d'ailleurs, et Harry constata que Dahlia n'était plus allongée à côté de lui. Le réveil lui indiqua qu'il était 1h30 du matin et il se leva pour voir où elle était. Perseus avait peut-être pleuré sans qu'il l'entende mais il en doutait, ce n'était pas encore l'heure. Harry marcha doucement jusqu'à la chambre de Perseus et vit que son fils dormait paisiblement dans son petit lit. Il descendit l'escalier, traversa la maison plongée dans la pénombre et ressentit une inquiétude vague et indéfinie qui l'envahit tout entier. Il accéléra le pas quand il aperçut que la porte d'entrée était entrouverte et se sentit infiniment soulagé de voir Dahlia, assise sur le banc devant la maison. Il s'avança et s'assit à côté d'elle.
- Je n'arrivais pas à dormir, dit Dahlia à voix basse.
Elle avait ramené ses jambes contre elle et posé ses pieds sur le banc, comme une enfant. Harry n'arrivait pas à voir si elle avait l'air triste ou non, il n'y avait pas assez de lumière.
- Dahlia… Est-ce que ça va ?
- Je n'en sais rien.
Harry se tut, pas vraiment surpris de la réponse. Comment irait-il, lui, s'il retrouvait sa mère après tant d'années ? Evidemment, il n'en avait pas la moindre idée. Il se doutait cependant qu'elle devait être bouleversée et partagée entre de nombreux sentiments complexes et contraires. Dahlia bougea à côté de lui et releva la tête.
- Elle m'a dit que j'étais toujours son enfant et qu'elle avait envie d'apprendre à me connaitre. Elle a dit qu'elle avait toujours voulu avoir une fille et que je lui avais manqué. Elle ne m'a pas dit qu'elle m'aimait mais c'était évident dans chacun de ses mots.
- Et ? demanda Harry avec hésitation.
- Et c'est tout ce que j'ai toujours désiré entendre. Je crois que, même dans mes fantasmes les plus audacieux, ce n'était pas aussi parfait.
Harry se tourna vers elle et essaya de distinguer les traits de son visage dans l'obscurité.
- Alors, c'est bien, non ?
- Oui… Je suis tellement heureuse et soulagée que je suis incapable de dormir. Je… J'étais terrifiée qu'elle me rejette et me dise des choses affreuses mais non, elle… Elle savait déjà tout et m'a acceptée quand même, elle est venue me chercher, elle veut me revoir. Je me sens…
Harry devinait que Dahlia pleurait. Peut-être pleurait-elle déjà quand il était arrivé. Il attendait qu'elle décrive comment elle se sentait mais elle ne termina pas sa phrase. De toute évidence, elle ne trouvait pas de mots pour le décrire. Harry passa un bras autour de ses épaules et la serra contre lui.
- Je suis vraiment heureux pour toi, dit-il sincèrement. C'est merveilleux que tu aies pu retrouver ta mère.
Dahlia hocha la tête lentement et essuya ses larmes. Elle resta silencieuse un long moment, appuyée contre Harry, tellement heureuse que sa poitrine menaçait d'exploser. Et en même temps, menaçait d'exploser d'autre chose aussi.
- Mais je la déteste, dit brusquement Dahlia.
Harry tressaillit malgré lui.
- Je l'aime et je la déteste. Je lui en veux tellement que ça me rend malade. Il y a tellement de choses que j'ai envie de lui reprocher et de lui jeter à la figure… Je lui ai dit des choses dures tout à l'heure, j'ai bien vu que ça lui avait fait mal. Mais je n'ai pas dit le quart de ce que j'ai à lui reprocher. Elle m'accepte et elle me considère toujours comme son enfant mais j'aurais aimé qu'elle le fasse bien plus tôt, que je n'aie pas à subir tout ça toute seule, que… Alors je ne sais plus ce que je ressens Harry, je ne sais pas si je suis heureuse ou en colère, si je me sens soulagée ou encore plus frustrée, je… Je ne sais plus où j'en suis.
Harry la serra un peu plus contre lui, pas vraiment surpris non plus par cette déclaration-là.
- Je suppose que c'est normal d'être un peu perdue, admit-il. Si ta mère t'écrit, si tu la revois, vous pourrez parler à nouveau, tu pourras peut-être lui dire ce que tu ressens. Et puis, tu pourras aussi en parler avec la guérisseuse Anderson, elle t'aidera surement à y voir plus clair.
- Oui, je sais.
- Je pense quand même que… c'est mieux de vivre en sachant que ta mère t'aime plutôt qu'en étant certaine qu'elle ne veut pas de toi.
- Je pense aussi, admit Dahlia. J'avais envie… j'avais envie qu'elle me prenne dans ses bras mais je crois que si elle avait essayé de le faire, je l'aurais repoussée. Je suis folle.
- Bien sûr que non, mon amour, assura Harry d'une voix ferme. Si tu veux mon avis, elle a déjà bien de la chance que tu ne l'aies pas foutue dehors tout de suite.
Il y eut un silence pendant lequel Dahlia ne chercha pas à le contredire. Après ces mois de thérapie avec Erica Anderson, elle était bien consciente qu'elle avait des raisons d'en vouloir à ses parents et qu'elle aurait été parfaitement en droit de refuser de les revoir. Elle n'était pas obligée de leur pardonner ou de leur donner une nouvelle chance. Elle pouvait faire ce qu'elle voulait.
- Tu n'aimes pas ma mère, dit-elle finalement. Tu ne voulais même pas laisser Perseus avec elle.
Harry se crispa légèrement.
- Je n'ai aucune raison de l'aimer, répondit-il sans mentir. J'ai… mes propres traumatismes concernant tes parents. Désolé.
- Je sais… Je suis désolée de t'imposer ça.
- Il ne faut pas, je savais bien qui tu étais quand je suis sorti avec toi.
Harry frissonna et se leva. La nuit était bien plus fraiche que la journée et il commençait à avoir froid. Il baissa les yeux vers Dahlia et tendit la main vers elle.
- Allons nous coucher, proposa-t-il. J'ai envie de te serrer dans mes bras.
Dahlia sourit et se leva à son tour. Elle attrapa sa main et ils rentrèrent tous les deux dans la maison silencieuse pour aller se coucher.
Le lendemain, ils se rendirent une dernière fois chez les Weasley, pour leur dire au revoir et les remercier de les avoir accueillis tout l'été. Dahlia ne put s'empêcher de leur raconter qu'elle avait revu sa mère et que ça s'était plutôt bien passé, compte tenu de la situation. En tout cas, Narcissa ne l'avait pas rejetée, bien au contraire. Molly et Arthur furent vraiment contents pour elle, tout comme Bill et Fleur. Il y avait plus de réserve chez Hermione et Ron, pour les mêmes raisons que Harry, sans doute. Ils étaient contents pour Dahlia mais d'un autre côté, ils auraient sans doute préféré que la mère en question ne soit pas Narcissa Malefoy. Et Lucius ? demanda Arthur Weasley. Pour l'instant, Dahlia n'avait pas de nouvelle. Narcissa avait dû lui dire en rentrant, il devait être choqué. Il allait certainement venir la voir ensuite. Elle avait répondu rapidement mais Harry savait à quel point cette idée lui faisait peur. Se retrouver devant son père serait pire que de se retrouver devant sa mère.
Dahlia ne voulait pas rencontrer Andromeda aujourd'hui, elle ne se sentait pas capable d'affronter un autre membre de sa famille à qui il faudrait parler et rendre des comptes. Elle pourrait venir les voir à New York avec Teddy si elle le voulait, ils organiseraient ça. Mais pas maintenant. En attendant, Dahlia rentra tôt dans la petite maison de campagne et Harry la rejoignit peu après avec Perseus. Ils rangèrent toute la maison, firent leurs valises et passèrent leur dernière nuit à la campagne. Cette fois-ci, Dahlia avait envie de rentrer à New York, plus encore qu'avant. Elle avait besoin de voir Emily et de lui raconter, besoin de retrouver ses amis qui comprendraient parfaitement ce qu'elle pouvait ressentir, eux. Ça lui manquait soudain d'être avec d'autres personnes trans, d'exprimer des choses qu'eux seuls pouvaient pleinement comprendre.
Le jour du départ était un samedi et ils furent prêts à l'heure. La propriétaire de la maison vint récupérer les clés et les remercia chaleureusement du soin qu'ils avaient pris de la location. Sa maison n'avait jamais été aussi propre et bien rangée. S'ils voulaient revenir, ils seraient les bienvenus. Harry sourit et monta dans le taxi qui devait les emmener à la gare. Ils arrivèrent à Southampton en avance et gagnèrent le port. Le bateau sorcier qui rejoignait New York partait uniquement d'ici et ils n'avaient pas d'autres choix. Dahlia regarda les gens autour d'elle, cherchant sa mère et l'aperçut un peu en retrait, près d'un pub assez peu avenant. Dahlia réajusta son foulard et ses lunettes de soleil, pour être certaine que personne ne la reconnaitrait et marcha vers sa mère. Narcissa l'avait prévenue qu'elle viendrait lui dire au revoir, elle ne pouvait pas la laisser partir sans l'avoir revue une deuxième fois.
- Tu répondras à mes lettres, n'est-ce pas ? s'inquiéta Narcissa.
- Oui, promis.
- Je viendrai te voir.
- D'accord, souffla Dahlia.
Elle réassura sa prise autour de Perseus et jeta un coup d'œil à Harry qui attendait près d'elle. Elle fixa la ruelle du pub, les gens qui passaient, cherchant désespérément ce qui lui manquait. La voix de sa mère lui semblait lointaine.
- Et papa ? demanda-t-elle enfin. Il ne t'a pas accompagnée ?
Le visage de Narcissa se crispa légèrement et elle détourna le regard.
- Non, il… Il ne voulait pas venir.
Elle avait essayé de trouver une autre façon de le dire mais finalement, il n'y en avait pas d'autre. Dahlia n'eut aucune réaction particulière et resta impassible quand sa mère l'embrassa sur la joue pour lui dire au revoir. Elle lui répondit machinalement et s'éloigna vers le bateau qui attendait à quai. Les passagers embarquaient et elle traversa la passerelle sans hésiter. Harry la suivit, la valise à la main, sentant sur lui des regards curieux. Maintenant que les gens savaient qu'il était marié, ils observaient sa femme avec plus d'attention. Malheureusement pour eux, avec son foulard et ses lunettes, Dahlia ne montrait pas grand-chose. Il la suivit le long des couloirs, bien conscient que ça n'allait pas, inquiet pour elle et impuissant à l'aider. Dès qu'ils rentrèrent dans la cabine, Dahlia lui donna Perseus d'un geste précipité.
- Prends-le, ordonna-t-elle.
Puis elle alla s'enfermer dans la petite salle de bain et se laissa glisser le long de la porte pour s'asseoir par terre. Elle retira ses lunettes et son foulard avec quelque chose qui ressemblait à de la rage et se mit à pleurer sans essayer de se retenir. Son père l'avait cru morte pendant huit ans et, quand il apprenait finalement qu'elle était en vie, il ne venait même pas la voir. Il ne voulait pas venir. Et elle l'avait toujours su mais en avoir à nouveau la confirmation de façon aussi brutale et violente lui donna la sensation de recevoir une gifle, un coup, plus que ça même, une blessure qui la détruisait de l'intérieur et la faisait se sentir si misérable qu'elle avait envie de disparaitre. Son père ne voulait toujours pas d'elle.
OoOoO
Dahlia fut heureuse de retrouver New York et sa vie quotidienne, son appartement et le Quidditch. C'était rassurant, comme se renfermer dans une petite bulle sécurisante où rien ne pouvait lui arriver. Elle alla chez Emily pour une soirée et retrouva tous ses amis. Ils lui avaient terriblement manqué, elle s'en rendait compte maintenant. Elle avait l'impression de ne pas les avoir vus depuis une éternité et c'était un peu le cas. Andrew était toujours aussi heureux et l'ouverture de sa boutique approchait, tout comme l'impatience et l'excitation. Jamal aussi allait bien et son sourire réconfortait toujours Dahlia. Marilyn était plus mince que jamais, ses cheveux roux avaient poussé et elle avait un nouveau tatouage dans le dos. C'était un occamy bleu qui se lovait entre ses omoplates tout en déployant ses ailes aux reflets violets. Elle en était ravie. Maintenant qu'elle avait terminé sa formation et obtenu son diplôme de magizoologiste, elle avait trouvé un poste dans le département du MACUSA qui s'occupait de la préservation des espèces en danger et soignait régulièrement des créatures magiques menacées qu'ils avaient sauvées des braconniers.
- Tu as l'air épanouie, commenta Chris en souriant. C'est bien que tu aies trouvé quelque chose qui le plait vraiment.
- Oui… J'adore tous ces animaux fantastiques, je m'entends bien avec eux.
- Tu vois, je le savais, rit Andrew. Tu préfères les animaux aux humains.
- Les animaux, eux, se foutent de savoir qui je suis et à quoi je ressemble quand je suis à poil. Ils ne disent rien de blessant et ne font rien de blessant. Donc oui, je trouve ça reposant.
C'était reposant aussi de passer une soirée avec eux et Dahlia se sentit moins déprimée. Elle leur raconta qu'elle avait revu sa mère, ce qui déclencha une vague de stupeur générale et clairement, d'anxiété. Ils la fixèrent tous avec inquiétude mais se détendirent quand elle leur rapporta ce que sa mère lui avait dit. Marilyn et Emily eurent un sourire un peu crispé.
- Eh bien, ça a dû te faire incroyablement plaisir d'entendre ça, je suppose, dit Marilyn.
- C'est ce que n'importe quel parent devrait dire, dit Jamal d'un ton ferme. C'est merveilleux Dahlia, tu vas pouvoir renouer avec ta mère !
Elle hocha la tête. Elle n'allait pas mentir, bien sûr qu'elle trouvait cela merveilleux et qu'elle était heureuse. Mais sur la balance, ce n'était quand même pas assez merveilleux pour compenser totalement le fait que son père ne voulait pas la voir.
- Mon père n'a pas voulu me voir, en revanche, dit-elle en baissant la tête. Ma mère lui a dit que j'étais vivante et il n'a même pas… Comme s'il n'en avait rien à faire. Mais de toute façon, je savais bien… Au fond, il préfère surement me croire morte que me savoir trans.
Ils la regardèrent tous avec compassion, partageant sa peine et sa douleur. Et quand les larmes lui montèrent aux yeux, elle put sentir les bras de Marilyn autour d'elle, les bras d'Emily, les bras d'Andrew, les mains de Jamal et Chris. Et c'était réconfortant de savoir qu'elle n'était pas seule et qu'ils versaient les mêmes larmes qu'elle.
Quand elle s'en alla, elle promit à Emily et Marilyn de les revoir bientôt et de se refaire des sorties ou des soirées toutes les trois, comme autrefois. Elles ne l'avaient pas fait depuis trop longtemps. Ils partirent tous, tard dans la nuit et il ne resta plus que Marilyn et Emily. Cette dernière jeta un regard à son amie en terminant de débarrasser la table.
- Tu veux rester dormir ? Proposa-t-elle.
- Oui, je veux bien, répondit Marilyn qui n'attendait visiblement que ça.
Emily sortit deux dernières bières et en tendit une à Marilyn qui remercia avec reconnaissance. Emily s'assit sur le canapé et Marilyn vint s'allonger près d'elle, posant sa tête sur les cuisses de son amie. Elles restèrent silencieuses un instant, profitant du calme du moment. Emily buvait sa bière en jetant des regards tendres et un peu tristes à Marilyn. Elle était la plus jeune et sa vie était certainement la plus merdique de toutes celles de leur groupe d'amis. Emily avait pitié de Marilyn et elle avait envie de la protéger, elle aussi.
- Ça ne nous arrivera jamais à nous, n'est-ce pas ? demanda brusquement Marilyn d'une voix triste.
- Quoi donc ?
- Notre mère qui nous dit qu'elle a toujours rêvé d'avoir une fille et qu'on est son enfant et qu'elle nous aime comme ça.
Emily but une autre gorgée de bière avant de répondre.
- Non, admit-elle. Ça ne nous arrivera jamais. Mais tu sais, ça n'arrive à Dahlia que parce qu'elle s'est suicidée, en théorie. Si on s'était suicidée à dix-neuf ans, peut-être que notre mère aurait fini par penser comme ça.
- Je n'en suis pas certaine, souffla Marilyn.
Emily non plus mais elles pouvaient toujours le croire. Emily essaya de penser à ce qu'elle ressentirait si sa mère se pointait chez elle pour lui dire qu'elle regrettait, qu'elle l'aimait toujours et qu'elle voulait reprendre contact avec elle. Ce ne serait surement pas très beau à voir. Emily serait incapable de rester calme, ce serait haineux, destructeur et douloureux. Elle espérait sincèrement que sa mère ne viendrait jamais.
- Tu sais, j'ai couché avec une fille la semaine dernière, dit Marilyn, totalement hors de propos.
Emily baissa les yeux vers elle, plus attentive que surprise.
- C'était assez bien, c'était… reposant. Mais je crois que je préfère quand même les mecs.
- Il n'y a que toi qui peux savoir ça de toute façon.
- Oui mais… Le problème c'est que les hommes ne… Je n'y arrive pas avec eux. En général, les mecs qui m'abordent sont gay et croient que je suis juste un type efféminé. Ou alors, ce sont des hétéros qui m'ont vue de loin dans le bar et qui déchantent quand ils s'aperçoivent que je suis trans. Et je ne sais pas mais… il y a une partie de moi qui s'en fout de ne pas plaire aux hommes, je les emmerde après tout ! Et il y a une partie de moi qui voudrait leur plaire et… Enfin, ça ne m'intéresse pas vraiment d'être en couple, je trouve ça chiant mais juste… avoir quelqu'un de temps en temps, avec qui je pourrais être bien, tu vois ?
Emily tendit la main et caressa doucement les cheveux roux de Marilyn.
- Je sais ma chérie, dit-elle tout aussi doucement.
- J'aimerais tellement me trouver un mec comme Harry, pourquoi n'y en a-t-il pas plus comme ça ?
- Un mec comme Harry ? rit Emily.
- Oui, franchement, il est trop mignon, non ? Tu as vu comment il regarde Dahlia, il est complètement dingue d'elle, il lui fait des câlins quand elle est en dysphorie, il l'écoute, il se fiche complètement du corps qu'elle a, il est juste… Pfff… Il ne lui fera jamais de mal, c'est évident.
- Il y a des hommes qui ne font pas mal, Marilyn, il faut juste les trouver.
Marilyn se tut et ne répondit pas tout de suite. Emily attendit, patiente et peinée, toujours envahie de haine et de colère quand elle pensait au passé de son amie.
- Même… Même quand ils sont gentils, ils me font mal, souffla Marilyn. Ils n'y sont pour rien mais moi je… j'ai toujours mal, ça ne part pas. Quand un homme s'approche de moi, quand je pense à coucher avec lui, je… C'est toujours la même terreur et la même panique, je n'y arrive pas. Ça me rappelle ce qui s'est passé et je…
Emily caressa les cheveux de Marilyn plus tendrement encore, avec plus de haine encore.
- C'est normal Marilyn, ça ne…
- Mais ça fait six ans, je devrais réussir à aller mieux, je devrais…
- Je ne suis pas sûre que six ans suffisent, il n'y a pas de temps de péremption pour ces choses-là ! Et franchement, six ans ce n'est pas si long quand on a vécu quelque chose comme ça. Peut-être que tu devrais faire comme Dahlia, aller voir une guérisseuse et en parler, ça pourrait t'aider.
- Non, je ne veux pas, ça m'obligerait à en parler justement, et je ne veux pas en parler.
Emily ne répondit pas, elle ne pouvait pas forcer Marilyn à quoi que ce soit. Elle se contenta de lui caresser les cheveux, pour lui montrer qu'elle était là pour elle et qu'elle l'aimait. Le secret de Marilyn, sa déchirure, elle était la seule à les connaitre. Parce que c'était elle qui était là à l'association quand Marilyn avait débarqué après s'être enfuie de chez ses parents et que c'était elle qui l'avait accueillie. Marilyn était une autre jeune paumée et fracassée, comme Dahlia, et c'était sans doute pour cela qu'Emily avait pris soin d'elle et était devenue son amie. Elle avait un faible pour les jeunes que la vie avait ravagés, la vie ou bien leurs parents. Ou dans le cas de Marilyn, ses trois camarades de dortoir qui, puisqu'elle voulait tellement être une femme, avaient tenu à lui apprendre à en être une.
