- Pour le meilleur et pour le pire -
Disclaimer
Cette histoire ne prend pas en compte le final de la saison 4, car je l'ai commencée avant que celle-ci soit terminée. Je précise aussi que les titres de chapitre, sur un seul mot, ont été décidés avant que le nom des épisodes de la saison 5 soient annoncés. C'est juste une coïncidence si ce sont également des noms uniques.
Par ailleurs, ce n'est pas vraiment une saison 5, car cela commence quand nos amis commencent leurs études après avoir terminé le lycée.
Grand merci à Fenice, Tryphon21 et Mayamauve pour leurs précieuses corrections.
Pour ceux qui s'intéresseraient à l'analyse psychologique des personnages de Miraculous : gentil-minou. tumblr. com (compte en anglais).
VIII - Évolution
Marinette se sentit nerveuse quand elle ouvrit la porte de l'appartement. Adrien était-il fâché contre elle ? Complètement abattu ? Alors qu'elle refermait le battant derrière elle, Adrien se présenta sur le seuil du salon. Elle remarqua immédiatement le changement : le jeune homme avait abandonné son jogging pour un pantalon de coutil et un polo. Il était rasé de près et ses cheveux, bien qu'un peu longs, étaient soigneusement coiffés.
Sans réfléchir davantage, elle s'élança vers lui et l'attira dans ses bras. Il répondit à son étreinte et enfouit son visage dans son cou. Ils restèrent un moment serrés l'un contre l'autre, puis Marinette se dégagea et dit :
— Je suis désolée, Adrien. Je ne voulais pas te faire peur. J'avais juste besoin de prendre un peu de recul.
— Je l'ai mérité.
— Non, mon chaton, dit doucement Marinette. Personne ne mérite de perdre sa mère à treize ans, d'être soumis aux pressions d'une éducation inhumaine, d'apprendre que son père est un criminel et de se croire lâché par sa copine. Ce que tu vis est terrible et je ne t'en veux pas d'être compliqué à vivre.
— Je voudrais être quelqu'un de bien pour toi.
— Tu l'es Adrien. Tu as seulement un problème à régler.
— Je sais. J'ai rendez-vous avec un psychiatre le mois prochain. Je vais me battre, je te le promets.
— On va s'en sortir, mon minou. J'ai confiance en nous.
— Moi, j'ai confiance en toi.
— C'est un début.
Elle le serra de nouveau contre elle. Quand ils se séparèrent, elle remarqua une odeur agréable de nourriture.
— Tu fais réchauffer quelque chose ? s'enquit-elle.
— Nino m'a dit que tu dînais ici, alors j'ai commencé à préparer. J'espère que cela va te plaire.
— J'en suis certaine. Je vais poser mes affaires et je te rejoins.
En allant dans la chambre, Marinette nota à quel point l'appartement était rangé. Dans la salle de bain, une lessive séchait. Elle bénit Nino du fond du cœur. Quand elle arriva dans la cuisine, Adrien était en train de sortir du four une tarte à l'oignon. Sachant à quel point son amoureux détestait éplucher ces herbacés, Marinette sentit les larmes lui monter aux yeux. Il se donnait tant de mal pour se faire pardonner !
— Ça a l'air délicieux, commenta-t-elle en embrassant Adrien sur la joue.
— J'ai fait de mon mieux. Normalement, j'ai suivi la recette à la lettre.
— Je vois que c'est parfaitement réussi.
La table était mise, Marinette n'eut qu'à s'asseoir et se laisser servir. Elle raconta les derniers potins et anecdotes de son école, désirant parler d'autre chose que de l'état d'Adrien. Celui-ci lui rapporta des histoires que lui avait racontées Nino. Ensuite, ils firent la vaisselle ensemble. Quand la dernière assiette fut rangée dans le placard, Adrien enlaça Marinette et effleura ses lèvres. Cela faisait plus de six semaines qu'ils n'avaient pas eu de relations intimes. Marinette répondit en douceur, ne voulant pas lui mettre la pression s'il ne se sentait pas prêt à aller au-delà. Mais il fut vite clair qu'il le souhaitait et ils se dirigèrent vers la chambre.
Une fois leurs sens apaisés, ils restèrent collés l'un à l'autre. Marinette comprit qu'Adrien avait besoin d'être rassuré sur ses sentiments. Elle exprima à quel point elle l'aimait et combien il lui avait manqué ces quelques jours. Elle le sentait s'accrocher à elle et elle mesura la terreur d'être abandonné qu'il avait éprouvée.
— Je suis désolée, lui dit-elle. J'aurais dû venir t'expliquer pourquoi je partais chez mes parents et veiller à ce que tu saches que j'avais l'intention de revenir.
— Je comprendrais si tu me quittais.
— Non, répliqua Marinette avec force. Tu ne comprendrais pas. Tu penserais que c'est parce que tu n'en vaux pas la peine, alors que tu es quelqu'un de merveilleux. Tu mérites d'être aimé. Même si on se sépare un jour, tout cela restera vrai. Ce soir, je suis là parce que j'en ai envie et que je t'aime.
— Mais cela ne suffit pas. Tu n'es pas partie pour rien. J'étais en train de me laisser couler et c'est toi qui en payais le prix.
— C'est à toi que tu faisais le plus de mal. Je ne t'ai pas aidé en te faisant croire que je t'abandonnais.
— Je pense que si. Cela m'a permis de me reprendre.
— Cela a peut-être été utile, mais j'aurais préféré trouver une autre solution, mon chaton.
— Je te promets que je vais m'améliorer.
—J'apprécie, Adrien, mais il faut qu'une chose soit claire. Je ne veux pas seulement que tu paraisses bien aller et que tu sois facile à vivre. Ce qui est important, c'est que tu te sentes bien, au fond de toi. Ce chemin, c'est avant tout pour toi que tu dois le faire !
— Je comprends. J'ai pris rendez-vous. Je ne vois pas ce que je peux faire d'autre.
— Le psychiatre, c'est bien, mais c'est dans longtemps. En attendant, est-ce que tu voudrais voir quelqu'un, comme je le fais ? Je peux demander à Phénicia si elle peut te recevoir. Elle m'a fait tellement de bien !
— Si tu crois que cela peut aider…
— On peut tenter, non ?
— Si tu veux. Pour toi, je suis prêt à tout essayer.
Marinette appela sa psychothérapeute dès le lendemain et l'informa de l'évolution de la situation. Phénicia commença par féliciter sa patiente d'avoir su repérer qu'elle approchait de son point de rupture et d'avoir pris des mesures pour se protéger. Elle se montra moins convaincue par la demande concernant Adrien.
— Normalement, je ne prends pas comme patients des personnes qui sont proches, Marinette. Je dois garder les secrets qu'on me confie. Cela m'empêcherait de faire correctement mon travail quand vous me parlerez de lui, car je devrais faire très attention à ne rien révéler de ce qu'il m'aurait dit.
— Je vois, mais… ce dont il a besoin de parler, il ne peut pas le révéler à tout le monde. Comme vous savez déjà tout, il pourra se livrer librement avec vous. C'est lui qui a le plus besoin d'aide en ce moment.
— Je comprends, Marinette. Je vais y réfléchir. Continuez à prendre soin de vous, d'accord ?
Quelques jours plus tard, Phénicia exprima son accord pour recevoir Adrien. Marinette abandonna son créneau de rendez-vous à son compagnon. Adrien revint de la séance, pas vraiment convaincu.
— Je sais qu'elle est très bien, exprima-t-il, conscient que Marinette était très attachée à sa praticienne, mais je ne suis pas comme toi, je n'ai pas de facilité à parler de choses intimes. Elle a tenté de m'aider à exprimer ce que je ressens, mais j'avais l'impression d'être totalement bloqué. Je pense que la thérapie n'est pas la solution pour moi.
— Peut-être qu'elle n'est pas la bonne personne, mais cela ne veut pas dire que tu ne peux pas trouver un psy qui te convienne, protesta Marinette. J'aurais dû y penser : nous fonctionnons de manière différente, il te faut sans doute quelqu'un d'autre.
Adrien ne la contredit pas, mais ne parla pas de reprendre un rendez-vous, que ce soit avec elle ou une autre personne. Il estimait que sa consultation à venir avec le psychiatre était suffisante. Marinette n'osa insister. Elle voyait combien Adrien faisait des efforts pour se conduire le plus normalement possible. Il se levait le matin en même temps qu'elle, partageait ses repas, s'occupait de l'appartement comme avant. Il n'était pas retourné en cours, mais avait repris les activités physiques. En plus du jogging, il s'était inscrit dans un club de sport et s'y rendait régulièrement. Le sachant désœuvré, Tom avait proposé à Adrien de lui montrer les bases de la pâtisserie. Le jeune homme avait semblé apprécier la formation qu'il avait reçue et confectionnait désormais des tartes et des gâteaux pour leur couple. Alya avait de son côté proposé à Adrien de l'assister dans des recherches qu'elle faisait pour un article et Nino l'avait associé à plusieurs mixages qu'il avait produits. Extérieurement, le jeune homme paraissait aller très bien.
— Tu crois que j'ai besoin d'y aller ? demanda Adrien à trois jours de sa consultation avec le psychiatre.
Marinette ne niait pas les progrès que son compagnon avait fait. Elle avait cependant l'impression qu'il s'efforçait davantage de se conformer à l'attitude que les autres attendaient de lui, plutôt qu'exprimer un réel bien-être. Il ne parlait jamais de son père et ne parlait pas de reprendre ses études. Il faisait de nouveau des jeux de mots mais, même quand il plaisantait ou riait, ses yeux restaient mélancoliques. Il s'était repris en main, ce qui était de bon augure, mais elle restait persuadée, qu'au fond, rien n'était résolu.
— Si tout va bien pour toi, tu en auras la confirmation, répondit-elle prudemment.
Il ne se laissa pas prendre.
— Tu penses que je suis toujours malade.
— Je vois que tu vas mieux, Adrien, mais je sais d'expérience comment un cerveau peut basculer vers l'horreur quand on a refusé de regarder ses fragilités en face et qu'on ne fait rien pour les gérer. Je pense que tu peux surmonter le traumatisme que tu as vécu, mais ce n'est pas ce que tu es en train de faire. Tu le mets sous le tapis.
— "Traumatisme" est un bien grand mot, protesta-t-il. C'était un choc, d'accord, mais n'exagérons rien. C'est passé, maintenant.
— Jusqu'au jour où cela te rattrapera.
— Eh bien, quand ce sera le cas, je reprendrai rendez-vous.
— Adrien, crois-moi, traiter un problème quand on est en crise, avec des symptômes à juguler en urgence, est plus difficile que lorsqu'on l'aborde dans un moment d'accalmie.
— C'est bon, c'est bon, je vais y aller. Mais c'est pour toi. Moi, je pense que c'est inutile.
— Je te remercie.
Adrien était sur la console, quand Marinette rentra chez elle le jour de la consultation.
— Je joue à distance avec Nino, indiqua-t-il, sans doute pour la rassurer.
Contrairement aux jours précédents, Adrien n'avait pas préparé de repas. Elle s'y attela et lui fit savoir que le dîner était prêt, anxieuse à l'idée qu'il refuse de le partager avec elle, comme durant le mois où il avait sombré. Mais il vint la rejoindre et lui demanda ce qu'elle avait fait durant la journée. Elle interpréta la question comme un désir qu'elle ne s'enquiert pas du résultat de son rendez-vous et se contraignit à ne pas poser de questions.
Les jours suivants, Adrien n'en parla pas davantage. Marinette finit par craquer et appeler Nino qui l'avait accompagné à la consultation.
— Je ne suis pas rentré avec lui dans le cabinet, raconta leur ami commun. Adrien avait une sale tête en ressortant. Je pense qu'il n'a pas trop aimé ce qu'on lui a dit. Il m'a juste confié qu'il avait des questionnaires à remplir et une nouvelle consultation la semaine prochaine. Il ne t'en a pas parlé ?
— Non, il ne semble pas vouloir en parler avec moi.
— Ne le prend pas de manière personnelle. Il a du mal avec l'idée qu'il est vraiment malade. Je suppose qu'il ne souhaite pas que tu aies cette image de lui.
— Je sais que c'est parce qu'il tient à moi et qu'il a peur que je parte qu'il veut paraître guéri, mais c'est dur à vivre. (Elle souffla de frustration.) Désolée, je me plains, alors que ce n'est pas moi qui ai un problème.
— Bien sûr que si, tu en as un. Le soutenir n'est pas une partie de plaisir. Tu as le droit de te plaindre, tes amis sont là pour ça.
— Merci Nino, merci pour tout ce que tu fais.
— Bah, c'est mon meilleur pote, je ne vais pas le laisser tomber. À bientôt, Marinette.
La semaine suivante, le jour où Adrien devait consulter, Nino était présent quand Marinette arriva à l'appartement. Adrien avait le visage fermé et la jeune femme comprit que Nino était resté pour lui faire un compte rendu du rendez-vous, et que ce n'était pas au gout de l'intéressé.
Après les salutations d'usage, Nino livra :
— Le médecin a confirmé le diagnostic de dépression. Il a prescrit des médicaments et conseillé des séances de psychothérapie.
Marinette hocha la tête silencieusement. Elle ne savait pas quoi dire et quoi faire pour ne pas alourdir le poids que devait supporter Adrien. Nino précisa les modalités du traitement et l'importance de le suivre régulièrement. Marinette songea qu'Adrien devait détester l'idée qu'elle le surveille et qu'elle n'avait pas non plus envie d'endosser ce rôle. Des ajustements difficiles se profilaient dans leur relation.
Ayant délivré son message, Nino les laissa, non sans avoir jeté un regard d'encouragement à la compagne de son ami. Il était conscient que ce qui allait suivre ne serait pas facile. Quand Marinette revint dans le salon après avoir raccompagné Nino à la porte, elle s'assit près d'Adrien et fit remarquer :
— Je suis TDAH et j'ai fréquemment des crises d'angoisse. Ce n'est pas comme ça que tu me vois, pourtant. Je reste Marinette, même quand je perds pied et que je réagis de manière irraisonnée. De la même manière, tu ne seras jamais mon petit ami dépressif. Tu es Adrien, celui que j'aime depuis des années, que j'ai appris à mieux connaître et à encore mieux aimer, celui qui a été mon formidable partenaire. Rien ne pourra jamais effacer ça.
Adrien avait la mâchoire serrée et les yeux baissés. Quand il les releva, Marinette constata qu'ils brillaient de larmes.
— Je déteste être comme ça, confia le jeune homme. Je ne veux pas être une loque !
— Ce n'est pas ce que tu es, Adrien. Il t'est arrivé beaucoup de choses, ces dernières années. Tu as perdu ta mère bien trop tôt, ton père n'a pas su te donner la tendresse dont tu avais désespérément besoin, tu t'es retrouvé livré à toi-même à dix-huit ans à peine et, maintenant, tu apprends que ton père, ta seule famille, a été ton pire ennemi. Et je ne parle même pas du fait que pendant tout ce temps, tu t'es fait repousser par celle dont tu étais tombé amoureux. Il y a de quoi aller mal, franchement. Que tu aies tenu jusqu'à maintenant est déjà extraordinaire.
— N'empêche, je n'aimerais pas devoir me supporter, comme tu dois le faire.
— Ces dernières semaines, tu as assuré. Mais, comme je te l'ai déjà dit, ce qui compte pour moi, c'est comment tu te sens. C'est pour ça que j'insiste pour que tu sois pris en charge. Pour que tu retrouves ta joie de vivre. Que tu ne fasses pas semblant.
— Mince, fit Adrien d'un ton d'autodérision. Je pensais que j'étais meilleur comédien que ça.
— Si je n'avais pas dû régler mes propres problèmes, je m'y serais sans doute laissée prendre. Après, je comprends que tu n'aies pas forcément envie de me montrer les aspects de toi que tu n'aimes pas. Si tu préfères partager ça avec Nino, cela me va.
— Je ne peux pas le solliciter davantage que je ne l'ai déjà fait. Je l'ai déjà assez ennuyé.
— C'est pour ça qu'on va voir des professionnels, Adrien. Pour se décharger sur des personnes formées, pour qui nous ne sommes que des patients.
— Je suppose que je vais devoir retourner voir Phénicia, fit Adrien visiblement résigné.
— Elle ou quelqu'un d'autre, confirma Marinette. Mais il est hors de question de faire tourner notre vie autour de ton traitement, ajoute-t-elle avec force. On va prévoir des sorties et une virée pour les vacances de Pâques, une soirée avec les copains… Dis, des cours de danse, cela ne te dirait pas ?
— De danse ?
— Rock, samba, tango…
Marinette vit avec joie la commissure des lèvres d'Adrien se relever.
— Tu me laisserais mener, ma Lady ?
— Je serai bien obligée, Chaton.
— J'ai hâte d'essayer !
La thérapeute de Marinette consulta son carnet d'adresse et donna le nom d'un de ses collègues.
— Je pense qu'il serait bien pour vous, Adrien, expliqua-t-elle au téléphone. Je me suis assurée qu'il avait de la place dans son agenda. Il vous prendra si vous indiquez que vous venez de ma part. Je ne lui ai pas dit votre nom ni rien vous concernant. Sentez-vous libre d'aller ailleurs si c'est ce que vous souhaitez.
— Je vous remercie. Je vais tenter avec lui.
Marinette vit Adrien se rendre à son premier rendez-vous sans entrain. Il en revint, cependant, bien plus convaincu que la fois précédente.
— Ça s'est bien passé, consentit-il à révéler. Je crois que ce qui me bloquait avec la tienne, c'est qu'elle était déjà au courant de tout. Elle m'avait demandé de lui décrire la situation pour avoir mon point de vue, mais je savais que tu lui avais déjà tout raconté. Avec le nouveau, je peux choisir ce que je vais lui révéler ou non. Je me sens plus à l'aise.
— Je comprends.
— Globalement, je fais comme toi au début. Je change les circonstances pour ne rien révéler de nos secrets, tout en faisant comprendre la situation. J'ai simplement expliqué que j'avais découvert que mon père avait fait quelque chose de malhonnête, que je désapprouvais fortement.
— C'est bien si cela te convient. Mais tu sais que tu peux tout dire, si tu en ressens le besoin.
— Ce n'est pas le cas pour le moment. Et pour être franc, cela m'inquiète quand tu dis ce genre de choses. Où est passée l'héroïne totalement parano sur nos identités ?
— Elle a pris conscience des ravages psychologiques que peut déclencher une situation qu'on croit maîtriser. Je parle de moi, Adrien, pas de toi.
— Je comprends, mais ça me fait bizarre quand même.
— Tu préférais quand j'avais des principes immuables ?
— Dans un sens, c'était rassurant.
— Pour tout te dire, moi aussi je préférais avoir des certitudes, c'était plus reposant. Mais bon, on mûrit, on évolue.
— Ouais, on peut le dire comme ça.
— Les dix-huit mois qui viennent de s'écouler ont été violents, mon minou, reconnut-elle. Mais bon, c'est comme ça, on fait de notre mieux.
— Comme on l'a toujours fait.
— Exactement. T'avoir à mes côtés est précieux, mon chaton. Ça aurait été mille fois plus dur sans toi.
Il lui prit la main et confia :
— Tout seul, je serai encore au fond du trou.
Marinette le serra contre elle et conclut :
— Maître Fu savait ce qu'il faisait en nous choisissant comme partenaires.
Les semaines suivantes, sous l'effet conjugué du traitement, de la psychothérapie et de leur volonté de se livrer à des activités positives, l'état d'Adrien s'améliora grandement. Le couple avait suivi un stage de danse de salon durant la semaine de Pâques, puis profité des jours fériés de mai pour partir quelques jours en Normandie. À leur retour, ils avaient organisé une soirée avec les amis du collège et dîné à de nombreuses reprises avec Alya et Nino.
Marinette se réjouissait de voir Adrien s'épanouir de nouveau. Il lui confia même, un soir, que ses pensées négatives devenaient rares et qu'il n'avait plus l'impression d'être un poids pour ses amis. Il n'avait jamais révélé ses sombres pensées à Marinette, qui fut attristée par ces confidences, sans en être surprise.
Début juin, cependant, Adrien revint très contrarié de l'une de ses séances.
— Mon psy veut absolument me faire dire que j'ai été un enfant maltraité, fit-il savoir d'un ton profondément agacé. Je suis quand même le mieux placé pour savoir que ce n'est pas le cas.
Marinette émit un son qui ne l'engageait guère. Adrien insista :
— Enfin, tu le sais, toi, qu'il ne me faisait pas de mal.
— Il ne te battait pas, non, lâcha-t-elle.
— Donc on est d'accord, je n'ai jamais été maltraité, persista Adrien.
Marinette hésita. Elle n'était pas formée pour une analyse psychanalytique et n'était pas certaine de trouver les bons mots pour sortir Adrien de son déni. Cependant, discuter avec son compagnon l'avait plusieurs fois aidée à accepter ce dont Phénicia tentait de lui faire prendre conscience. Elle était en outre persuadée que tout le passif entre Adrien et Gabriel avait joué dans l'épisode dépressif dont il avait souffert. Il fallait qu'il s'y confronte pour comprendre ce qui le minait.
— Pour toi, c'était un bon père ? questionna-t-elle alors, veillant à garder un ton neutre.
— J'ai des choses à lui reprocher, mais pas de la maltraitance, s'obstina Adrien.
— Tu n'as pas été physiquement malmené, admit Marinette. Mais la négligence est une forme de maltraitance. Il ne mangeait pas avec toi, ne pensait pas à fêter ton anniversaire et ne s'intéressait pas à ce qui comptait pour toi.
— Il travaillait beaucoup !
— Mes parents tiennent une boutique de sept heures à vingt heures, six jours par semaine, lui rappela-t-elle. Il y a trois heures de travail avant l'ouverture et une heure après. Cela ne les a jamais empêchés de me parler tous les jours, de manger avec moi et de s'intéresser à ma vie.
— Il n'ont pourtant jamais réalisé que tu étais Ladybug ou que tu souffrais d'hyperactivité, tacla Adrien.
— Tout imparfait qu'ils soient, je sais qu'ils m'aiment et qu'ils m'aimeront quoi que je fasse, répliqua Marinette, blessée par ce rappel. Peux-tu en dire autant ?
Les deux amoureux se toisèrent avec colère, avant de réaliser ce qu'ils venaient de dire. Ils se prirent dans les bras en s'excusant.
— Je suis désolé, je ne voulais pas dire du mal de tes parents, ils sont formidables, assura Adrien.
— Non, c'est moi. Je comprends qu'il soit douloureux pour toi de remettre en cause les liens qui t'unissent à ton père. Je n'aurais pas dû parler comme ça.
— En fait, tu as raison sur toute la ligne. C'est moi qui résiste à ceux qui veulent m'aider, se désola Adrien. Je suis impossible !
— Ne dis pas ça. Ce que tu es en train d'entreprendre est très dur, rappela Marinette. Moi aussi, j'ai eu du mal quand j'ai réalisé que, si ma vie était compliquée, c'était parce que mon cerveau ne marchait pas bien. Et puis on s'y fait et on apprend à vivre avec.
— On n'a pas le choix.
— Effectivement. Pour ton père, je n'ai pas voulu dire qu'il ne t'aimait pas. Ce que je lui reproche, c'est de ne pas t'avoir donné la certitude qu'il t'aimerait, même si tu n'étais pas un fils parfait.
— Tu penses vraiment qu'il m'aime un peu quand même ? demanda Adrien d'une petite voix.
— Je pense que oui, Adrien. La question est : a-t-il tenté de te rendre heureux ?
— Sans doute pas, soupira Adrien. Mais c'est mon père.
— Personne ne te demande de le renier, Chaton, dit doucement Marinette. C'est normal que tu l'aimes et que tu veuilles prendre sa défense. Je pense que ton psy veut te faire réaliser qu'une grande partie de tes problèmes ne viennent pas de toi, c'est tout.
— Et toi, cela ne te dérange pas que je puisse encore être de son côté ? Après ce qu'il a fait ?
Marinette haussa les épaules.
— En tant que Ladybug, ce qui compte, c'est qu'il ne soit plus un danger pour Paris et que les Miraculous soient en sécurité. Et puis ne mélange pas tout. On parle de ta relation familiale.
Adrien resta un moment silencieux avant d'avouer :
— En fait, je… Ce n'est pas parce qu'il a été le Papillon que je lui en veux. C'est parce qu'il a passé plus de temps à tenter de faire revenir sa femme morte qu'à s'occuper de son fils vivant. C'est ça qui m'a fait crier sur Nathalie. Et aussi parce que tout ce qu'elle a invoqué comme argument pour me convaincre de ne pas le dénoncer, c'est de rappeler qu'il m'avait donné de l'argent.
Marinette reprit Adrien dans ses bras.
— Cela ne veut rien dire. Elle devait être en train de paniquer.
— C'est compliqué pour moi de parler de mon père avec quelqu'un d'autre. Je lui ai dit que j'avais découvert qu'il était un escroc, que je désapprouvais des choses qu'il avait faites. Mais… je ne suis pas certain d'arriver à faire comprendre à quel point cela m'a bouleversé.
— Il est probable qu'il le ressente à la manière dont tu en parles, mon petit chat. Il n'a pas besoin de connaître les véritables raisons pour adapter sa démarche. Mais si c'est trop dur, on peut espacer tes séances. Il n'y a pas d'urgence, tu vas bien en ce moment.
— Non, je veux en finir. Et puis, je ne veux pas qu'il reste sur cette idée que mon père me faisait volontairement du mal.
Adrien revint le visage fermé de la séance suivante, mais ne fit aucun commentaire sur ce qui s'y était dit. Il se contenta d'être d'une humeur massacrante, au point que Marinette fut soulagée quand il se saisit de la console de jeu pour passer ses nerfs. Deux semaines plus tard, elle eut l'occasion de discuter en tête-à-tête un court moment avec Nino.
— Ça a l'air d'être coton, en ce moment, avec le psy, fit remarquer le meilleur ami d'Adrien.
— Il t'en a parlé ?
— Oui. Adrien était super remonté contre lui, l'autre jour. Il continue à y aller ?
— Il rentre furieux à chaque fois, mais il y retourne.
— Tu crois qu'il va réussir à accepter l'idée que son vieux était déjà ravagé à l'époque et qu'il traitait son fils comme un chien ?
— Je ne sais pas, soupira Marinette. Ce qui est certain, c'est qu'il en bave.
Marinette était déroutée par la manière dont la thérapie d'Adrien se déroulait désormais. La sienne n'avait pas toujours été facile, mais c'est contre elle-même qu'elle avait eu l'impression de se battre plutôt que contre sa patricienne. Adrien, par contre, était très critique envers celui qui le suivait, soutenant que le thérapeute était aveuglé par ses préjugés et qu'il ne comprenait rien à la spécificité des personnes hors norme comme l'était Gabriel.
— Vous croyez que c'est la bonne personne pour lui ? s'inquiéta-t-elle auprès de Phénicia.
— Marinette, il n'est pas rare qu'une thérapie passe par un moment de confrontation. Quand on vient nous voir, c'est qu'il y a un problème, et c'est rarement simple de le résoudre.
— Mais cela ne s'est pas passé ainsi pour moi. Cela va-t-il venir ?
— Pas nécessairement. Vous n'aviez pas de conflit à résoudre. Vous cherchiez des explications et de l'aide pour gérer vos crises d'angoisse. J'ai pu vous donner les deux, donc tout s'est passé calmement. Parfois, vous n'étiez pas convaincue par mes propositions, mais elles ne vous ont jamais mise mal à l'aise. Ce que vous apprenez actuellement, c'est à être plus bienveillante envers vous-même. Ce n'est pas un sujet de confrontation.
— Je vois. Donc, c'est normal qu'Adrien soit en colère.
— En tout cas, cela montre qu'il aborde un vrai problème. Il ne faut pas forcément que cela aille trop loin. Peut-être n'est-il pas prêt à regarder la vérité en face. Ce qui compte, c'est qu'il comprenne qu'il peut s'écouter et être lui-même, sans que cela le coupe de ceux qu'il aime.
— Bah, c'est certain qu'il montre davantage ses humeurs qu'avant. C'est pas le jour où il a sa séance qu'il faut lui demander quelque chose !
— Comment le vivez-vous ?
— Je me dis que cela va passer. On a plein de bons moments ensemble, ce n'est pas grave s'il est à grommeler dans son coin de temps en temps. Je sais que sa thérapie est importante.
— Marinette, un des buts de son suivi est de lui permettre de s'affirmer auprès de ses proches. Cela implique davantage de conflits et de remises en question. Etes-vous prête à l'accepter sur le long terme ?
Marinette prit le temps d'assimiler ce que Phénicia lui exposait. Adrien n'allait pas seulement aller mieux, il allait évoluer. Il ne redeviendrait jamais comme avant.
— Je pense… dit-elle lentement, que je suis capable de m'adapter, même si c'est moins facile. Je n'ai jamais été habituée à en faire qu'à ma tête. Chez moi, il y avait des règles, certaines imposées par mon père, d'autres par ma mère. Je connais les contraintes de la vie en famille.
— Il n'y a pas de raison que cela se passe mal, confirma Phénicia. Simplement, il vaut mieux que vous soyez consciente de ce qui vous attend, pour ne pas être prise de court ou déçue.
En rentrant chez elle, Marinette repensa à ce qui était ressorti de la conversation. Adrien ne serait plus jamais le garçon avec lequel elle avait emménagé. Celui qui avait été habitué à garder ses désirs pour lui, de peur d'être rejeté par ceux qu'il aimait s'il apportait la contradiction. Quel aspect de leur vie cela allait-il impacter ? À quel point cela modifierait-il l'équilibre qu'ils avaient trouvé ? Dans quelle mesure était-elle capable d'accepter ce changement ?
Elle songea soudain qu'elle s'était peut-être trop avancée en prétendant qu'elle allait s'adapter. Dans la relation Ladybug - Chat Noir, elle n'avait pas réellement fait preuve de patience et de compréhension envers son partenaire. Elle l'écoutait rarement quand il la contredisait. Elle n'en faisait qu'à sa tête, et il n'avait d'autre choix que de s'incliner. S'il n'acceptait plus de se soumettre à ce schéma, qu'allait-il advenir de leur relation ?
Le cœur de Marinette battait très fort dans sa poitrine et elle sentait son souffle devenir court. Elle s'arrêta, cherchant un mur pour s'appuyer.
— Vous vous sentez mal, Mademoiselle ? demanda une passante.
— Je… ça va aller, prétendit Marinette en tentant de reprendre le contrôle de sa respiration.
— Il y a des places assises à l'abribus là-bas, si vous avez besoin.
Marinette remercia et suivit le conseil. Elle s'affala sur l'étroite banquette du mobilier urbain en songeant qu'elle était quand même une bien mauvaise petite amie pour faire une crise d'angoisse à la pensée que son compagnon allait se conduire comme un égal, désormais. Cela ne l'aida pas à se sentir mieux et elle s'empressa d'appliquer ce qu'elle nommait sa "procédure d'urgence". Respirer avec le ventre et démonter une à une toutes les pensées négatives qui l'avaient envahie.
Adrien avait déjà commencé à évoluer depuis plusieurs mois et leur relation s'en portait très bien. En tant que héros, il avait plusieurs fois fait connaître son désaccord, et ils avaient réussi à gérer correctement la situation. Les besoins d'Adrien ne seraient pas nécessairement éloignés des siens. Ils auraient davantage de discussions, mais pas forcément des disputes. Finalement, cela lui permettrait de mieux se connaître et de trouver des manières de fonctionner qui leur correspondaient à tous les deux. À terme, cela leur permettrait de consolider leur couple.
La crise passa et Marinette poursuivit son chemin. Elle se sentait mieux, mais un fond d'angoisse persistait. Elle n'était pas certaine d'être celle dont Adrien aurait besoin à l'avenir. Son compagnon devait changer en profondeur pour desserrer l'étau dans lequel son éducation avait emprisonné ses rêves et sa personnalité. A contrario, elle n'avait jamais tenté de modifier sa personnalité en suivant sa thérapie. Elle apprenait au contraire à l'accepter et à la gérer au mieux. Elle allait devoir se prendre en main et évoluer pour suivre la trajectoire de celui qui partageait sa vie. Allait-elle être capable de s'adapter au nouvel Adrien ?
Elle était encore dans ses questionnements quand elle arriva à l'appartement. Adrien s'y trouvait, en train de ranger le linge qu'ils avaient lavé et pendu la veille. Il lui sourit en la voyant, avant de remarquer son air chiffonné.
— La séance a été difficile ? s'enquit-il.
— Un peu, avoua-t-elle.
Il lâcha le pantalon qu'il était en train de plier et vint la prendre dans ses bras. Le soulagement qu'elle ressentit fut immédiat. Elle se blottit contre lui, songeant qu'elle avait totalement sous-estimé le réconfort et l'apaisement que leur apportait ce simple contact. Elle se sentait tellement plus sûre d'elle et de ses capacités quand il la serrait contre lui. Pour se rassurer totalement, elle souffla :
— Adrien, si un jour tu me dis ce que tu souhaites ou ce que tu ressens et que je ne t'écoute pas, promets-moi de ne pas penser que tu as tort. Dis-moi plutôt d'arrêter d'être égoïste et têtue.
— Mais tu n'es ni l'un ni l'autre, ma princesse.
— Je l'ai souvent été envers Chat Noir, rappela-t-elle. Et je l'ai à chaque fois regretté quand il était trop tard. Tu n'as pas à accepter que je te brime de cette manière.
— Je ne me suis jamais senti contraint par toi, au contraire, affirma Adrien. Je sais que je me suis replié sur moi-même après avoir vu mon père, mais ce n'était pas ta faute. C'est moi qui ai été incapable de me saisir de la main que tu me tendais et qui t'a rendu la vie difficile. Tu n'as rien à te reprocher.
— Mais je ne suis pas parfaite, ni toujours patiente ni toujours en capacité d'écouter, tenta de se faire comprendre Marinette. Si quelque chose va mal entre nous, tu dois considérer la possibilité que c'est de mon fait et pas forcément du tien.
Adrien l'embrassa sur le somment du crâne avant de demander :
— De quoi as-tu peur exactement, ma Lady ?
— De ne pas être à la hauteur de celui que tu es en train de devenir, avoua Marinette.
Adrien prit du recul pour planter ses yeux dans les siens.
— Le travail que je fais sur moi me concerne, ce n'est pas à toi de le gérer. Mon psy m'a fait prendre conscience à quel point je m'appuie sur toi et combien cela pourrait te peser. Je dois apprendre à trouver en moi les ressources pour me battre. À la prochaine crise, il est hors de question que je t'ignore pendant des semaines et que j'oblige Nino à me traîner chez le médecin. Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas à toi de t'inquiéter de la manière dont je vais vivre nos incompréhensions, mais à moi de savoir prendre du recul à ces occasions.
— C'est un peu ce que je disais, réalisa Marinette.
— À la différence que tu ne dois pas culpabiliser si tu n'arrives pas toujours à être "à la hauteur". Il est normal que tu ne me donnes pas constamment ce dont j'ai besoin. Je dois aussi apprendre à gérer les reproches que je reçois. Ne pas me sentir rejeté quand on me dit que je ne fais pas ce qu'il faut. Ne pas vouloir me conformer à tout prix aux attentes des autres. Accepter que je puisse avoir tort sans me trouver complètement nul pour autant. Ce n'est pas en gardant pour toi tes critiques et tes mouvements d'humeur que cela m'aidera. Je dois apprendre à gérer les situations normales.
— Il vaut mieux y aller progressivement, tu ne crois pas ?
— Pas si tu t'épuises à me tenir à bout de bras. Je veux construire sur le long terme avec toi, et tu dois te ménager.
— Il faut qu'on trouve le bon équilibre, formula Marinette. Je préfère éviter de me retrouver dans le même état d'épuisement nerveux qu'en février, mais je souhaite que tu puisses quand même t'appuyer sur moi quand tu en as besoin. Ce que tu as entrepris est difficile, c'est normal que tu aies besoin d'un point d'ancrage sur lequel tu peux compter.
— Je suis confiant, la libellule. On a l'habitude de faire des miracles, ensemble. On va y arriver.
oOo
Le chapitre suivant a pour titre "Libération". Ce sera le dernier chapitre. Dans cette attente, dites-moi ce que vous pensez de celui-ci !
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