Chapitre 47
-Jane ? Jane, par tous les Ases, merci, s'exclama Sif en accourant vers elle. Je m'en occupe, ajouta-t-elle à l'intention du groupe de serviteurs rassemblé protectivement autour d'elle. Dites à Thor que je suis avec elle. Et qu'on sera dans leurs quartiers.
-Oui, Dame Sif, murmurèrent-ils en cœur, la regardant s'accroupir auprès de la blonde avec inquiétude.
Plusieurs d'entre eux partirent en courant, tandis que les autres s'éloignaient légèrement, suffisamment pour leur garantir un peu d'intimité, mais sans pour autant rompre l'arc en cercle empêchant de potentiels curieux de s'approcher, ou apercevoir les deux femmes.
La loyauté des serviteurs à l'égard de Jane ne cesserait jamais d'ébahir la guerrière.
Mais là encore, c'était Jane.
Seuls les pouilleux et les envieux pouvaient la jalouser.
-Jane ? Jane, tout va bien.. Jane ? murmura-t-elle en s'accroupissant à côté de la blonde, recroquevillée contre le mur. Jane ? souffla-t-elle, en posant très doucement sa main sur son bras. Jane ? M'entendez-vous ?
-J..je..
Un sanglot échappa à la jeune femme.
-Je .. je ne me souviens pas..
Sif cligna des yeux.
Fendral n'avait pas eu le temps de tout lui raconter, à part que Jane s'était enfuie, et qu'elle risquait une nouvelle crise. La Misgardienne (était-elle toujours Misgardienne ? Cette question ne cessait de tarauder le groupe) semblait posséder tous ses sens, cependant, malgré son expression bouleversée.
-Tout ce que disait Fendral.. je ne.. c'est loin.. comme à travers.. un miroir.. C'est comme.. des morceaux.. des flashs.. Je.. J'ai peur.. Jane sursauta, avant d'attraper son bras, son expression terrifiée. Sif.. j'ai peur.. Je m'oublie.. Encore..
Peur. Si peur. Elle avait si peur. Voilà pourquoi elle n'avait pas voulu manger la Pomme, pendant si longtemps. Voilà pourquoi elle s'y était opposée, avec acharnement. Elle savait. L'ancienne elle savait. Elle avait entendu les avertissements, compris les paroles ambiguës d'Odin.
Et pourtant, elle avait fini par manger le Fruit.
Pourquoi ?
Pourquoi ?
L'amour.
La rage.
L'espoir.
Jane hoqueta, avant d'agripper son crâne à pleines mains.
-Sif.. Aide-moi..
L'immense porte de bois se referma avec force derrière eux, coup de tonnerre né non pas dans le ciel, mais de l'angoisse de deux femmes, se tenant l'une à l'autre.
Un cri échappa à Jane, avant que celle-ci ne s'effondre sur l'immense lit qu'elle partageait avec Thor.
Thor.
Où était-il ?
Elle..
Non.
-Je .. Ooooh.. Fait chier ! hurla-t-elle, furieuse.
-J… Jane ?
Sif la fixait, pétrifiée.
Malgré sa peur, elle se tenait debout, ses poings serrés.
Fidèle et courageuse, quel que soit le danger.
Jane sentit un sourire étirer ses lèvres, avant que celui-ci ne retombe.
-Je ne peux pas.. oublier.. mais je ne peux pas non plus .. me souvenir.. La Pomme.. refuse .. mais c'est moi ! Elle est une part de moi.. je peux la contrôler !
-Jane, je ne vous comprends pas, souffla Sif, paniquée.
-Je.. La Pomme.. C'est elle.. qui m'empêche.. de me souvenir.. mais je l'ai mangée, tu te souviens ? Elle est là.. en moi.. Jane cligna des yeux, et une vaguelette dorée traversa son regard. Je la sens… L'énergie, elle court en moi.
-Que.. Qu'est-ce que je peux faire ? murmura Sif, en venant s'assoir à côté d'elle. Pour vous aider ?
Elle n'était pas habituée à rester passive, ou immobile. Sif était une guerrière, une femme d'action et de feu. Si un problème existait, alors il avait une solution. Simple et concis, sans froufrou, tel avait toujours été son état d'esprit. Jane lui sourit, en même temps qu'une vague de chaleur la traversait, le souvenir de leur amitié se réveillant.
Aider.
Oui.
Analyser.
Expliquer.
Trouver.
-Tu as un parchemin ?
-Quoi ?
-Pour écrire ! Jane fronça les sourcils, un doute la traversant. Elle n'avait jamais vu la brune écrire. Tu.. sais écrire ?
-Evidemment que je sais écrire ! Pour qui me prenez-vous ? Une sauvage ?
Sif la fixait, outrée. Jane secoua la tête, en même temps qu'un léger rire lui échappait.
-Désolée. Tu en as ?
-Je vais en trouver, grommela la brune en se levant, avant de commencer à fouiller les tables environnantes.
Avec vigueur, elle saisit une plume et plusieurs rouleaux de parchemin, avant de s'asseoir à une petite table et la fusiller du regard.
-Dites-moi.
Jane cligna des yeux.
-Je n'ai jamais dit que tu devais écrire.
-Vous n'êtes pas en état d'aligner trois mots, vous pensez vraiment pouvoir tenir une plume ? Je ne vous ai jamais vu en utiliser une, de toute manière.
-Ah ? Jane la fixa, surprise. Ok.. Tu es prête ?
Le son d'une plume trouant un parchemin lui répondit.
Ok, elle avait vraiment vexé Sif.
Décrire.
Expliquer.
Catégoriser.
Analyser.
Jane avait toujours été brillante en sciences.
Parler l'apaisait, et la forçait à se concentrer.
La Pomme a peur. La Pomme panique. Son mécanisme de défense semble relativement simple, et pourtant extraordinairement puissant : faire oublier, tout, sans exception. Repousser, étouffer, jusqu'à ce que les nouveaux souvenirs prennent la place. J'imagine qu'une fois ces derniers acceptés, le processus s'apaise, permettant l'insertion complète du sujet dans le groupe social l'entourant.
Le problème est que je me souviens.
En partie.
Le processus est enrayé.
Comme ces vieilles cassettes VHS que l'on tente d'avancer trop vite. Vous savez, les bandes grises qui envahissent l'écran ?
… Je t'expliquerai, Sif.
Je perds la mémoire, et je me souviens du fonctionnement de cassettes VHS.
Je m'épuise seule.
A moins que ce soit la Pomme ?
Les Terriens ne sont pas faits pour vivre aussi longtemps que les Asgardiens : le liquide de la Pomme semble rebooter notre cerveau, pour nous aider, nous protéger.
Il fallait que je l'écrive, pour me souvenir.
Il faut que je me souvienne.
-Sif, souffla-t-elle en se passant la main sur le visage, interrompant la dictée en cours. Il faut que je me souvienne. Fendral.. Il .. Il a dit.. plein de choses.. J'ai forcément.. J'ai dû me laisser.. des notes.. Si j'en écris là.. je suis certaine.. J'ai dû le faire aussi, avant.. avant de manger le Fruit.
Les yeux de la guerrière s'agrandirent, avant qu'elle ne se lève précipitamment. Jane la dévisagea, avant de cligner des yeux en la voyant s'accroupir devant elle. La brune l'ignora, plongeant la main sous le lit.
-Que..
-Là ! Je savais.. je savais que ce devait être important.. Vous aviez demandé à la garder près de vous, au cas où.. et c'est là.. J'ai vu Hogun y placer des papiers..
-Quoi ?
Avec un cri de triomphe, Sif se redressa, ses mains tenant fermement une large malle en bois gravé.