Chers lecteurs,
Cette aventure que j'ai partagée avec vous s'achève avec ce chapitre 26...Enfin, elle s'achève provisoirement puisque je n'ai pas l'intention d'en rester là...
Mais avant d'écrire la suite que je mijote déjà, j'ai d'autres projets qui, je l'espère, verront le jour bientôt.
Je vous remercie de votre lecture, tant ceux qui m'ont laissé des reviews, toujours appréciées plus que je ne saurais l'exprimer, que ceux qui ont lu dans l'ombre.
Si vous n'avez guère été nombreux, vous avez largement compensé la quantité par la qualité!
Si certains d'entre vous pouvaient "fêter ça" en laissant une dernière petite review, je dois dire que cela me comblerait de joie.
À part ça... AVERTISSEMENTS! VIOLENCE! PERVERSION! HORREUR! CRUAUTÉ! SEXE!

Les deux femmes, l'une héritière légitime d'une puissante famille royale, l'autre souveraine auto-proclamée, se font face quelques instants, dans un silence lourd.

Mary-Margaret, les poings serrés, les narines frémissantes, les pupilles étincelantes, se rapproche de Regina, au point que la sorcière recule d'un pas. Elles sont strictement de la même taille, mais les talons de la reine lui confèrent quelques centimètres de plus.

Emma sort de sa paralysie après dix secondes de stupéfaction, et, oubliant la douleur qui continue à se rappeler à son bon souvenir, s'interpose. Prenant sa mère aux épaules, c'est elle qu'elle décide de repousser, sans brutalité.

« Maman ! » commence-t-elle, la voix si rauque qu'elle doit s'interrompre et s'éclaircir la gorge. Snow est tirée de sa torpeur. Peut-être l'usage du terme « maman » y est-il pour quelque chose. C'est la seconde fois, aujourd'hui.

Oubliant apparemment totalement la magicienne, elle se tourne vers son enfant, tend une main vers son visage. Mais la princesse a un brusque mouvement de recul, qui emplit de larmes les yeux de l'ancienne chef d'état.

La petite brune, lentement, baisse le bras. Son regard quitte un instant sa fille battue, suit avec une tristesse infinie sa propre dextre éconduite.

Puis, replongeant les yeux dans ceux de sa progéniture, elle dit d'une voix bouleversée :

- Ma petite Emma…tu vas venir au loft, d'accord ? Il y a de la place pour toi. Tu dormiras dans la chambre de Neal. Nous allons parler de tout ça.

Les sourcils de la jeune femme se relèvent jusqu'à ses boucles dorées.

- Mais…qu'est-ce que tu racontes ? Il n'en est pas question.

La voix de l'infante Blanche-Neige monte désagréablement dans les aigus.

- Ma chérie…J'ai tout entendu. Martinet ! Férule ! Canne ! C'est pour ça, évidemment, que tu as du mal à t'asseoir, à prendre Neal sur tes genoux. Ça fait combien de temps qu'elle te…qu'elle te frappe ?

Snow s'essuie les yeux, du revers de la main, avec une rage exaspérée, si bien que, au milieu de sa panique contrariée, la sauveuse ressent également une certaine empathie. Elle peut s'identifier à celle qui l'a expédiée à travers le temps et l'espace, par le truchement d'une armoire magique. Que ferait-elle, de son côté, si elle apprenait tout à coup que Camille maltraite Henri ?

« Tu es une femme battue, Emma ! Tu es victime de violence conjugale ! »

Le shérif secoue doucement sa tête blonde, butée, opiniâtre.

Mais la voix de basse de Regina vient changer la donne.

- Snow, ça suffit. Tu ne comprends pas la situation et Emma n'a visiblement pas envie de parler de ça.

Tout à coup, l'attention de l'héritière du royaume est détournée, et se braque totalement sur celle qui fait subir des violences à sa couvée.

Encore une fois, Mary-Margaret se rapproche, regarde la magicienne sous le nez.

- Toi, tu n'as pas voix au chapitre, tu entends ? C'était pour ça, le philtre d'amour, en réalité, hein ? Tu lui as fait subir un lavage de cerveau ? C'était pour la rendre plus malléable ? Je parie que tu as fini par parvenir à le lui administrer ! Combien de fois ? Combien de fois tu as battu ma fille ?

La jeune mère crie, à présent. Les larmes dégoulinent, sur ses joues pâles. Et elle continue. Sa voix stridente monte à chaque phrase.

- Qu'est-ce que tu lui fais subir ? Qu'est-ce qu'il y a, sous ses vêtements ? Sous son pantalon ? Sous ses manches longues ?

Faisant sursauter ses deux interlocutrices, la maîtresse d'école tape du pied.

« Je veux savoir ! » hurle-t-elle.

« Qu'est-ce qui se passe ici ? » demande une voix masculine. Le couple lève les yeux. Mary-Margaret se retourne, si vite qu'elle manque de perdre l'équilibre, pour découvrir son époux, qui s'avance lentement vers les trois femmes, les mains dans les poches, une expression circonspecte, pleine d'appréhension, sur le visage.

Le prince désigne la porte et s'excuse. « Désolé. Je sais que ce sont les toilettes des dames. J'ai hésité à entrer mais on commence à vous entendre dans le restaurant. Je me suis inquiété. Heureusement, Henri et Camille s'occupent de Neal. Camille leur met la pâtée à Mario Kart… »

« David ! » crie l'institutrice. Puis, réalisant qu'en effet, sa voix haut perchée doit traverser les minces cloisons, que faire participer à cette conversation son fils de huit ans, son petit-fils et sa fiancée, Granny et Ruby, plus les quelques clients du diner, n'est pas de la meilleure politique, elle baisse considérablement le ton. Se rapprochant de son mari, elle le saisit par le coude. La voix tremblante, se hissant sur la pointe des pieds pour lui parler à l'oreille, elle murmure : « Notre fille est battue par cette sorcière ! »

Dire que le père attentionné change de couleur est si peu dire ! Il ne songe pas, apparemment, à remettre en question les accusations de sa femme, ni à lui demander d'où elle tient ces informations. Peut-être tout se met-il en place, tout devient-il intelligible. Lentement, son regard céruléen se braque sur sa fille. Il ouvre la bouche sans dire un mot. Sa main gauche se pose d'elle-même sur l'épaule de Snow et la presse doucement, comme pour affirmer : « Je m'occupe de tout. » Ensuite, ses yeux limpides se fixent sur la reine.

Son expression se métamorphose, avec une lenteur terrifiante. Un masque de rage, fulminant, s'installe.

Puis il fond sur la mairesse, en sifflant entre ses dents : « J'aurais dû insister pour que ce peloton de soldats te fasse la peau ! »

Regina est absolument incapable de voir un homme se jeter ainsi sur elle, en proférant des menaces, sans réagir. Ses belles mains se braquent vers son jeune beau-père, et une petite flamme dansante apparaît, au creux de chacune de ses paumes. Ce que voyant, le shérif se jette devant sa maîtresse. « Arrête ! » hurle-t-elle. Aussitôt, les deux foyers magiques s'éteignent. La reine baisse les bras, contemple l'amour de sa vie, le regard empli de regrets.

Emma se retourne, rageuse, larmoyante, crie à ses parents : « Vous allez arrêter ce cirque, tous les deux, vous m'entendez !? Celui qui touche à ma compagne, je ne lui parlerai plus jamais de ma vie ! »

« Maman ! » Henri vient de faire son apparition. Il entre dans les modestes commodités, devenues à présent très étroites pour accueillir tant de monde, s'avance avec hésitation. Pourtant, ses yeux, semblables à ceux de sa mère comme à ceux de sa grand-mère, reflètent une profonde détermination. D'un coup d'œil, il comprend que la discorde règne. Et ses iris vertes se braquent sur celle à qui il a depuis le début, envers et contre tout, accordé une confiance sans faille.

« Dis-moi ce qu'il y a, maman. J'ai entendu des cris. Ne t'inquiète pas, j'ai compris qu'il valait mieux éloigner Neal. Camille l'a emmené chez le glacier. Je les rejoindrai dès que je pourrai. Dis-moi ce qu'il y a. C'est toi que je croirai. »

Après une hésitation, la princesse se précipite sur son fils, le prend affectueusement aux épaules. « Ne les écoute pas, d'accord, gamin ! » Elle désigne d'un coup de tête le couple Charmant, comme toujours côte à côte. David ne menace plus directement Regina mais il continue à lui décocher des regards farouches. Snow tremble de tout son corps. Elle ne quitte pas sa fille des yeux.

« Ta mère…ta mère adoptive m'aime. Elle prend soin de moi. Tu l'as bien vu, hier. Tout le reste n'est qu'une suite de malentendus. » Le jeune homme se penche, pour jauger, derrière sa mère biologique, ses grands-parents. « Qu'est-ce qui vous prend ? » demande-t-il à brûle-pourpoint. Mary-Margaret ouvre la bouche pour répondre. Mais la voix de baryton de la reine fige tout le monde. « Tes grands-parents veulent se mêler de notre vie sexuelle, Henri. »

Telle une bande de mannequins de cire, les cinq protagonistes s'immobilisent. Chacun réagit à sa manière. Regina jauge ses beaux-parents d'un regard accusateur. Lorsque ses prunelles noires tombent sur sa compagne, elles s'emplissent d'inquiétude, mais elle adresse à son fils une expression désolée, qui semble plutôt implorer pardon.

Le visage d'Emma a effectué une de ces fluctuations chromatiques dont elle seule a le secret. Cramoisie, le front toujours constellé de sueur, elle contemple ses bottes. Snow ne semble pas du tout convaincue par l'explication improvisée. Les poings serrés, la posture menaçante, prête à en découdre, elle toise la mairesse. David, lui, a radicalement changé d'expression. La gêne se lit sur son visage, comme si elle y était en quelque sorte tatouée. Quant à Henri, il a à peine rosi. Il fronce les sourcils d'un air dubitatif.

Finalement, c'est le prince charmant qui rompt le silence. « Mary-Margaret, » dit-il, « on devrait peut-être simplement… » Mais la dirigeante légitime du royaume de la Forêt Enchantée tape à nouveau du pied, ce qui fait encore une fois sursauter tout le monde. « Non, David ! Non ! » Elle se tourne vers son mari. « Contrairement à ce que ce…comment il s'appelle ? Dismey ? … a voulu raconter sur moi, je ne suis pas une idiote née de la dernière pluie. Je n'ai pas épousé un type que je ne connaissais pas, juste à cause de son sourire. Je sais ce que c'est que le sexe et le désir ! » Elle désigne Emma du doigt, la montrant à son père. « L'état de notre fille n'a rien à voir avec des jeux dans la chambre à coucher. Elle a du mal à bouger. Elle boite. C'était bien sûr pour ça qu'elle avait l'air si tourmentée… » Se tournant vers son enfant, elle s'interrompt, s'approche d'elle à grands pas, lui saisit les mains, les lève à hauteur de son visage.

Regina a réagi d'une sorte de feulement sauvage. Se dirigeant vers sa compagne et sa belle-mère, elle cherche à repousser cette dernière. Snow n'attend pas d'être écartée. Elle s'éloigne d'elle-même, mais dit à la princesse : « Ma chérie ! Regarde tes mains ! » Emma dirige machinalement son regard vers ses paumes. Les traces de sang y sont toujours visibles. « Oups… » murmure-t-elle, et, réalisant que, accaparée par la situation, elle a fait l'impasse sur les principes de base de l'hygiène, elle se dirige vers le lavabo et se lave à la hâte.

Celle que la tradition a surnommée un peu hâtivement « la plus belle de toutes » la suit, collant à ses talons. « Tu n'as pas tes règles, n'est-ce pas ? Ça n'a rien à voir ! Ce monstre t'a blessée. Qu'est-ce qu'elle t'a fait ? » Le shérif, les larmes aux yeux, secoue la tête. La situation semble si inextricable ! Mary-Margaret saisit sa progéniture à l'épaule, la secoue légèrement, cherchant à la faire réagir. « Ma chérie ! Ce n'est pas normal, enfin ! Il faut que tu te réveilles ! Tu souffres du syndrome de Stockholm ! » « Oh ! Snow, par tous les dieux ! » s'écrie Regina, « Tu as encore lu « Psychology today »? »

Au milieu de cet imbroglio, la voix d'Henri, étonnamment calme, semble tout apaiser. « Bon…Voilà comment je vois les choses », commence-t-il. Ses deux mères et ses grands-parents se tournent tous quatre vers lui, comme s'il était le seul à pouvoir offrir une issue.

- Tout d'abord…

Il s'adresse à sa mère blonde.

- M'man…Comme je te l'ai dit, c'est à toi que je fais confiance, aujourd'hui comme toujours. Mais je pense tout de même qu'une petite explication est nécessaire.

Son regard clair embrasse la totalité de l'auditoire.

- Personnellement, je n'ai aucune…mais vraiment aucune… envie d'entendre parler de la sexualité de mes mères.

Un frisson le parcourt.

- Quand je parle d'explication, c'est plutôt en pensant à Grand-mère et Grand-père. Eux, ils en ont besoin.

L'écoutant religieusement, les quatre protagonistes acquiescent, quasiment de concert. Le jeune prince sans couronne ni sceptre désigne la porte des toilettes.

- Par contre, vous devriez sortir d'ici. Pour le moment, ça va…il n'y a qu'un client à part nous, et il est trop occupé à se saouler pour faire attention à vos vociférations. Mais l'après-midi s'avance et ça ne va pas tarder à se remplir. Trouvez-vous un endroit tranquille.

Encore un quadruple hochement de tête.

- De mon côté, je vais rejoindre Camille et Neal chez le glacier. Nous allons nous occuper du petit jusqu'à ce que l'un d'entre vous le récupère. On peut retarder un peu notre retour à Boston.

Cette suggestion, en revanche, fait bondir Mary-Margaret.

« Pas question ! C'est moi qui vais le récupérer. Tu entends, Henri ? Tu restes avec lui. Tu ne le laisses pas seul plus longtemps avec Camille. Et tu ne le remets qu'à moi… Ou à David… » ajoute-t-elle après un instant de réflexion.

Le regard du jeune homme se pose tout d'abord sur Regina, qui baisse brièvement les yeux. Cela fait mal, bien sûr. Tout le monde sait que Snow ne lui a jamais accordé beaucoup de confiance, ce qui est d'ailleurs réciproque, mais au nom de la concorde familiale, il lui est arrivé de veiller sur Neal. Cependant, la reine a suffisamment de jugeote pour réaliser que la méfiance actuelle de sa jeune belle-mère est de bonne guerre.

En revanche, lorsqu'Henri, juste après s'être assuré de l'état d'esprit de la souveraine, jette un œil sur sa mère biologique, il comprend à quel point elle est affectée par l'oukase de l'ancienne chef d'état. Ce n'est pas la première fois que Mary-Margaret lui interdit formellement de prendre son petit frère en charge.

Que faire, pourtant ? Rien, avant l'indispensable conseil de famille.

Le jeune prince se contente donc de faire un signe de tête à sa grand-mère. Puis, comme toute la situation lui semble peu claire, il se dirige en une enjambée vers l'orpheline et la serre dans ses bras. Au profond chagrin de celle qui a changé ses couches, elle est la seule qu'il embrasse. En quittant les toilettes du diner, il se contente de jeter à sa mère adoptive : « Tu me tiens au courant, maman ! »

Le quatuor reste dans les commodités quelques instants, se regardant à tour de rôle en chien de faïence. Puis, lorsqu'il semble vraisemblable qu'Henri ait quitté le restaurant, Snow saisit son mari par le bras et l'entraîne vers la sortie, non sans avoir adressé à Emma un « On se retrouve dehors, ma chérie… » tremblotant, ainsi qu'un regard plein de haine, destiné à son actuelle belle-fille, ancienne belle-mère.

Après quoi, elle quitte les toilettes à grands pas, entraînant un prince charmant de plus en plus mal à l'aise. La sorcière se rapproche prudemment de l'être aimé, pose une main sur son épaule, cherche son regard. « C'est horrible… » murmure Emma, les yeux baissés. En voyant quelques larmes couler sur les joues pâles, la reine se demande, l'espace d'un instant, si elle parle de la douleur, qui continue certainement à la tourmenter, sous son pantalon. Mais les pupilles brillantes, en remontant et en s'enfonçant dans ses prunelles, la ramènent à la réalité. Leur secret a été découvert. « C'est ma faute, ma chérie…Je suis désolée. J'aurais dû me douter qu'elle allait me suivre. » chuchote-t-elle. La sauveuse secoue vivement la tête, regarde la porte des toilettes. « On devrait y aller… » dit-elle, ce à quoi la magicienne acquiesce à contre cœur.

Les quatre convives, comme par un accord tacite, enfilent en silence vestes et manteaux, sortent par la porte arrière. Regina (il semblerait que ce fait soit entendu) paie la totalité de l'addition, sous le regard interloqué d'une Ruby qui se demande visiblement comment un repas d'anniversaire a pu conduire à une ambiance aussi tendue.

Lorsque la sorcière débouche dans l'allée, encombrée de poubelles, elle a un moment d'affolement. Personne en vue. Le temps est gris. Storybrooke est généralement paisible, pour ne pas dire morne, par ces températures automnales. Mais des éclats de voix, le timbre hautement reconnaissable de Snow, lui font comprendre que la famille Charmant s'est simplement éloignée. Se fiant à son ouïe, la magicienne retrouve le trio dans une ruelle encore plus étroite. Il s'agit d'une venelle qui passe derrière les maisons. Pas de fenêtre. Seulement quelques portes dérobées. La conversation n'a pas pu attendre que les interlocuteurs parviennent jusqu'au loft. De toute façon, elle-même n'a aucune envie de se retrouver piégée dans l'antre de Mary-Margaret. Et il est hors de question que le manoir serve de terrain au conseil de guerre.

L'infante tient sa progéniture aux épaules, malgré la non-négligeable différence de taille, la secouant légèrement. Les larmes aux yeux, elle prononce, presque sans suite, les mots « violence conjugale », « mérite », « respect », « syndrome de Stockholm ». David, lui, se tient tout près du duo mère-fille, sans savoir quoi faire. Son regard bleu passe de l'une à l'autre. Quand la divine monarque fait son apparition, il la regarde avec méfiance.

Regina est assaillie d'émotions. L'être aimé est très pâle. Des rigoles humides souillent son beau visage. Elle souffre, moralement bien sûr, mais aussi physiquement, c'est un fait. Elle a parlé d'infection. La déshabiller et juger de visu de la gravité de la situation est urgent.

S'approchant à grands pas, la sorcière se plante à côté des deux autres femmes, juste en vis-à-vis du prince charmant. Elle songe à s'interposer mais se ravise. Après tout, Snow ne fait aucun mal au shérif, et ce genre de mouvement ne susciterait vraisemblablement que violence, retardant encore le retour au manoir.

Alors, elle se décide pour l'attaque verbale. « Mary-Margaret, lâche-la ! » Le visage poupin se tourne vers elle et se mue instantanément en masque de haine. « Tu es gonflée, de me dire ça ! Tu es un monstre ! Tu ne la toucheras plus jamais, tu entends ? »

La reine déglutit. Sa gorge est une zone désertique, douloureuse. Faire usage de ses pouvoirs, en ce moment précis, est si tentant ! Mais elle se contente d'articuler posément : « C'est à Emma d'en décider ! » Les deux parents tournent la tête, exactement de concert, et fixent cette jeune femme de leur âge, qui est leur enfant.

La princesse se dégage des mains de sa mère d'un coup d'épaule. Snow tente brièvement de la retenir mais a le bon sens de ne pas insister. La sauveuse se dirige vers sa maîtresse, enroule la taille parfaite du bras droit, se colle contre elle, enfouit son visage dans son cou, ce qui l'oblige à se tasser quelque peu sur elle-même. L'idée de les téléporter toutes deux chez elles, d'un geste, traverse l'esprit de la puissante enchanteresse. Mais elle renonce aussitôt. Il faut d'abord finir cette discussion, sans quoi le couple infernal reviendra tambouriner à la porte du manoir, encore et encore…En désespoir de cause, ils alerteront peut-être d'autres habitants, et alors…D'un coup de tête opiniâtre, la belle brune chasse ces pensées déplaisantes, choisit de n'avoir recours, pour l'instant, qu'à son éloquence.

S'adressant aux Charmants, qui regardent d'un air à la fois effaré, navré et furieux, leur fille et sa compagne, elle leur dit, tout d'une traite : « Emma est une adulte ! Elle fait ses propres choix. Toute l'argumentation politique du monde ne changera rien au fait que vous l'avez abandonnée à la naissance. Cela vous a fait perdre tout droit de décision, à l'époque et a fortiori pour la suite. » Le couple réagit, chacun à sa façon. Un éclair d'une douleur extrême traverse le regard du prince. Avec une émotion trouble, la souveraine le voit courber un bras, arrondir sa main droite, comme pour tenir avec précaution un crâne minuscule, et effectuer un mouvement de balancier, fait pour bercer un nourrisson. Mary-Margaret a un brusque sursaut, comme si elle avait reçu une gifle. Mais elle réplique.

« Je me suis déjà expliquée mille fois ! NOUS… » (en criant ce pronom, l'infante saisit avec autorité le bras de son époux, qui tressaille, semble sortir de sa torpeur) « nous sommes déjà expliqués mille fois. C'était dans l'intérêt suprême de mon peuple, de TON peuple, Emma ! » Cette dernière phrase est adressée, ou plutôt aboyée, en direction de la sauveuse, que Regina sent se blottir plus encore contre son flanc. Elle resserre sa prise, sur l'élue de son cœur, lui communique sa présence protectrice. Le visage d'ange est terré contre son cou mais la jolie tête blonde est accessible. L'ensorceleuse, sans quitter son ennemie des yeux, dépose un baiser aimant sur le crâne doré. Il vaut mieux laisser l'écervelée s'enfoncer autant que possible. Snow poursuit : « Et nous savions que ton destin allait te protéger, ma chérie. Que quelqu'un allait te trouver, que tu serais recueillie. Et… »

« Tu l'as livrée en pâture à un millier de tortionnaires, de violeurs et d'affameurs. Voilà à qui tu as permis de la recueillir. » interrompt la magicienne.

Emma réagit en enlaçant sa dominatrice, de ses deux bras, en la serrant plus encore contre elle, en pressant davantage son visage dans le cou cuivré. « Regina. Nooonnn… » gémit-elle.

Madame le Maire caresse l'épaule robuste, le dos musculeux, à travers la veste. « Je suis désolée, ma chérie. Ce n'est pas pour trahir ta confiance. Il vaut mieux qu'ils se rendent compte. »

David devient pâle comme un mort. « De violeurs… ? » Ses yeux, déjà hantés, deviennent fiévreux et traqués, se fixent sur sa fille. « Emma… ? » commence-t-il d'une voix blanche. La reine sent que l'élue de son cœur se recroqueville encore un peu plus dans son étreinte. Mais la voix haut perchée de Blanche-Neige intervient, une fois encore. La petite femme brune a légèrement blêmi, elle aussi. Pourtant, elle continue à lutter, comme pour repousser ce qu'elle refuse de savoir.

« Ma chérie…Je sais que les séjours en foyer n'ont pas été faciles pour toi. Et…et je me doute que la prison, ça a dû être dur, mais…tu ne devrais pas la laisser dire des horreurs pareilles… »

« C'est la vérité. » murmure Emma sans se retourner, toujours blottie contre sa maîtresse.

Le silence se fait, dans l'allée grise.

Au bout de quelques secondes, Snow demande, la voix tremblotante. « Qu'est-ce que tu as dit, ma chérie ? » Le regard de Regina passe de sa belle-mère à son beau-père, tâchant, avec sa perspicacité coutumière, de jauger l'état d'esprit de chacun. Il est clair que le prince charmant a entendu. Son visage est un masque de souffrance. Dans son âme simple, le remord cent fois ressassé de s'en être remis au jugement de son épouse, d'avoir abandonné son enfant à son triste sort, doit être en train de le tourmenter d'une manière inédite. « Elle a dit que c'était vrai, Mary-Margaret ! » explique-t-il, sans doute dans le but d'épargner à l'enfant martyre de devoir se répéter. D'une façon assez paradoxale, son bras quitte celui de son épouse, s'enroule autour de ses épaules, l'enlace et la serre contre lui. « Je ne voulais pas la mettre dans l'armoire. Je n'aurais pas dû t'écouter. » dit-il.

Un silence, extraordinairement dense et chargé de douleur, s'installe. Le vent s'est levé. Hormis les rafales de plus en plus violentes, aucun bruit n'est perceptible, autour des quatre protagonistes. Regina se demande brièvement si Henri et Camille se débrouillent avec Neal. Étant donné les conditions climatiques, ils doivent être les seuls clients, chez le glacier.

David s'essuie les yeux avec rage, suivi de près par sa moitié, qui baisse la tête et se met à renifler, provisoirement vaincue. La détresse du couple n'émeut en aucun cas Sa Majesté. Mais lorsqu'elle sent que le long corps de sa bien-aimée, toujours blotti contre elle, se met à trembler, sanglotant discrètement, ses yeux s'humidifient. Le visage adoré, pressé contre son cou, se relève légèrement, pour murmurer à son oreille. La mairesse écoute avec attention. Lorsque le shérif repose sa face d'ange contre sa peau, elle déclare, à l'intention des Charmants. « Emma demande que vous n'en parliez pas à Henri. » Le prince hoche immédiatement la tête. « Snow, je sais que la discrétion est une notion très floue pour toi » ajoute Regina, « mais j'ose espérer que, dans ce cas précis, tu feras un effort. »

L'ancienne chef d'état plisse les yeux avec une certaine animosité, mais déclare, à l'intention de sa fille. « Tu peux être tranquille, ma chérie. Nous ne lui dirons rien. »

Puis, comme si le bref échange lui avait servi de tremplin, elle reprend la bataille.

« Mais rien de tout ça ne justifie que tu frappes notre enfant, Regina ! Au contraire, si elle a tant souffert, c'est une raison de plus pour qu'elle soit respectée et bien traitée à présent. »

La souveraine ne se démonte en rien. Sa précieuse princesse toujours serrée contre elle, elle répond d'une voix posée :

« Pour la troisième fois aujourd'hui, c'est une adulte. Je ne te demande pas de comprendre mais tu dois respecter son intimité…notre intimité. Même devant un tribunal, ta requête ne passerait pas. Car les gens ont le droit d'avoir la vie sexuelle qu'ils se sont choisie. »

L'argument est fallacieux, Madame le Maire le sait. Il ne s'agit que de bluff. N'importe quelle cour, n'importe quel médecin tiquerait, devant l'état mental et physique de sa fonctionnaire. Mais la meilleure défense est l'attaque.

« Et vous n'avez pas honte, de vous offusquer de la façon dont nous vivons notre vie, alors qu'en plus d'être responsables de son abandon et de ses innombrables souffrances, vous avez-vous-même torturé votre enfant ? »

Les sourcils du shérif-adjoint se froncent, exprimant la perplexité avec tant de candeur que c'en est presque comique. « Mais de quoi parles-tu ? » articule Mary-Margaret.

Triomphante par anticipation, la magicienne s'explique : « Il y a plus de sept ans, vous lui avez décrit par le menu la façon scandaleuse dont vous auriez aimé l'élever. Vous lui avez même brossé en détails la cérémonie du banc des enfants royaux, et la manière dont, selon vous, elle aurait écopé de cette ignoble punition. Vous pensez vraiment que c'est anodin ? Que cela ne l'a pas fait souffrir ? Cette conversation, qui n'en était d'ailleurs pas une, la hante encore ! »

Emma resserre sa prise puissante, autour du corps de sa bien-aimée. Elle a fini de protester, ayant compris que rien n'empêchera sa compagne de déballer son sac. Mais Sa Majesté sent, à travers les nombreuses couches de vêtements, l'accélération presque alarmante des battements du cœur princier.

Les visages des Charmants ont pâli, dans une stupéfiante gémellarité. Il est évident, en tout cas, qu'ils se souviennent tous deux de ce honteux épisode.

« Emma, » commence David, « je suis désolé. Je ne sais pas ce qui m'a pris ce jour-là. J'ai compris trop tard…Je te demande pardon. Et d'ailleurs… » Il se racle la gorge. Sa voix se casse. « Depuis…depuis que Neal est né, surtout…j'ai compris…j'ai réalisé à quel point ces…ces façons de faire sont mauvaises. » Cette fois, il s'interrompt, baisse la tête, a un sanglot profond, qui secoue sa poitrine d'homme. « Ma mère m'aimait. Je n'ai aucun doute là-dessus. Mais elle a eu tort de me battre. Ce n'est pas sa faute. Tout le monde le faisait. Si nous avions eu l'opportunité de t'élever dans la Forêt Enchantée, nous aurions certainement agi comme nous te l'avons dit, ce soir-là. Et nous aurions eu tort. Nous aurions été des monstres…Le soulagement que j'éprouve, à la pensée que Neal est né dans un autre monde, qu'il a pu échapper à ça…Je ne peux pas l'exprimer. Je n'ai pas, je n'ai jamais eu les mots… » Un soupir déchirant. Enfin, le père fautif conclut : « Pardon, ma puce…Et pardon pour tout ce que tu as souffert. »

Regina est prise d'un fulgurant sentiment de pitié. De respect aussi. Le shérif-adjoint n'a jamais dit « nous », n'a jamais inclus son épouse, en évoquant ses erreurs passées. Il a assumé entièrement sa responsabilité.

L'élue de son cœur, plus que jamais ramassée, écrasée contre sa poitrine, a évidemment tout entendu. L'oreille royale, plus affûtée encore qu'à l'ordinaire lorsqu'il s'agit d'écouter sa bien-aimée, perçoit un « Je te pardonne papa » murmuré d'un filet de voix. Comme il n'y a pas la moindre chance pour que le couple ait entendu, elle se fait traductrice. « Ta fille dit qu'elle te pardonne, David ! » Le prince charmant ouvre la bouche mais ne parvient à émettre qu'un son rauque, entre le raclement et le sanglot. Il se détourne, baisse le regard, pour qu'on ne le voit pas pleurer.

D'un simple coup d'œil, Madame le maire réalise que les choses ne seront pas aussi simples avec Snow. Cette dernière a les larmes aux yeux, elle aussi. Mais elle continue à lui jeter des regards haineux. Elle a réagi au discours de son mari en serrant les poings et les mâchoires. Soudain, elle explose.

« David ! » s'écrie-t-elle. « Comment peux-tu dire que nous sommes des monstres, enfin ? » Désignant la reine d'un doigt accusateur, elle s'exclame, encore plus fort : « C'est elle, le monstre ! »

Dans un mouvement totalement inattendu, Emma se détache de l'étreinte de sa maîtresse, se retourne. Son beau visage exprime tout à la fois le chagrin, la honte et la colère. Ce que voyant, l'ancienne chef d'état avance d'un pas, vers sa progéniture maltraitée.

« Ma chérie, je suis désolée, moi aussi. Ton père a raison, nous n'aurions pas dû te raconter tout ça. Et nous aurions sans doute eu tort, de t'élever comme nous l'aurions fait, si tu étais née dans la Forêt enchantée. Mais nous t'aurions aimée, de tout notre cœur ! Nous aurions agi pour ton bien… »

Un rire très bref, méprisant, échappe à Regina. Mary-Margaret ne lui jette qu'un coup d'œil distrait, revient aussitôt à sa fille.

« Enfin… » se reprend-elle maladroitement, « nous aurions pensé agir pour ton bien. Ces valeurs sont relatives, ma puce…L'éducation, c'est subjectif. Tu le sais. »

« Je sais, » interrompt la sauveuse, « tu as raison. » S'adressant à son père, elle explique patiemment, les poings serrés, les joues rouges et humides. « Papa. Vous n'auriez pas été des monstres. Seulement des produits de votre milieu. Comme nous le sommes tous, d'une façon ou d'une autre, je suppose. » Le regard d'émeraude se pose à nouveau sur Snow. « Mais… » poursuit-elle d'un ton plus âpre, « ça ne change rien au fait que ce que vous m'avez dit, ce soir-là, était profondément insensible. » La bouche poupine de la princesse Blanche-Neige s'ouvre, pour répondre, pour justifier l'injustifiable, très certainement. Mais, au grand soulagement de tous, elle se ravise, visiblement au prix d'un gros effort, déglutit, puis prononce péniblement ces mots. « Je sais, ma chérie. P…pardon. » C'est la première fois qu'elle parvient à formuler des excuses, sans autre, sans argumenter en quoi le sens commun lui donne indubitablement raison. Au bout de quelques secondes de silence, elle ajoute : « Et je suis vraiment navrée pour…ce que tu as vécu. Je ne savais pas. Tu ne m'as jamais rien dit. »

Regina, dont le visage de pythie s'était adouci, change à nouveau d'expression. Elle s'écrie : « Mary-Margaret ! Tu ne vas tout de même pas parvenir à suggérer que c'est de sa faute ! Tu ne comprends donc pas à quel point il est difficile pour elle de parler de tout ça ? Cela lui a pris des mois avant de commencer à s'ouvrir, alors que nous vivions déjà ensemble… » Snow réagit au quart de tour. De chagrins et mortifiés, ses traits arrondis redeviennent durs. Ses lèvres se serrent, dans une expression fielleuse. « Je n'ai jamais dit ça ! J'ai essayé de l'interroger mais rien ne venait. Et d'ailleurs, il faudrait voir à ne pas oublier que, si nous avons dû la mettre dans l'armoire magique, c'est à cause de toi, espèce de… » Elle cherche ses mots quelques instants, puis se décide pour l'évidence : « …sorcière ! »

Emma bondit. Au lieu de s'avancer vers sa génitrice, elle recule de quelques pas et se place juste entre la magicienne et ses parents. Le vent se déchaîne. Il fait de plus en plus froid. La sauveuse, fait étrange compte-tenu des pouvoirs de sa concubine, la protège du rempart de son corps.

« Snow, ça suffit ! » crie-t-elle. « Je t'interdis d'insulter Regina ! Elle n'est pas un monstre. Pas plus que vous. » Des pensées fugitives, nombreuses, fulgurantes, traversent les méandres complexes de l'esprit de la reine. Les abominables sévices endurés par sa dulcinée, conséquence de sa malédiction, la nature de ceux dont elle a pâti dans son enfance, effet involontaire de ses propres expériences, les tortures, au mieux hebdomadaires, qu'elle lui fait subir pour son plaisir égoïste, les horribles meurtres qu'elle a commis, il y a moins de trois mois…

« Et elle me fait plus de bien que personne ne m'en a jamais fait ! » continue Emma. La petite brune, toujours flanquée de son bellâtre, fronce les sourcils. « Du bien ? Mais de quoi parles-tu enfin ? Ma chérie…tu boîtes…tu souffres…Tu es pâle, anxieuse, tes traits sont tirés. Elle ne te fait que du mal, voyons ! » La sauveuse a un mouvement de tête nerveux, presque équin.

« Tu n'as rien remarqué, n'est-ce pas ? Tu n'as jamais vu, quand nous étions colocataires, les canettes de bière ? Les bouteilles de whisky que je planquais sous mon lit ? Tu n'as jamais trouvé mon haleine suspecte ? » David et Mary-Margaret, de concert, ont un petit mouvement de recul stupéfié. « Je…c'est vrai, que tu as tendance à boire un peu trop, mon ange…mais…je n'ai jamais voulu t'ennuyer avec ça. » murmure Snow. « Elle perd du terrain » songe la reine avec une sombre satisfaction.

Tout à coup, Emma avance vers ses parents, et la pensée absurde qui traverse l'esprit de Madame le Maire n'est autre que : « Elle va partir avec eux. Ils vont me l'enlever. Je vais la perdre. » L'infante semble avoir eu la même idée, pour elle pleine d'espoir, car ses petites mains blanches se tendent vers son enfant. Mais le shérif repousse le geste, sans acrimonie, et continue à parler de sa voix rocailleuse. « Elle prend soin de moi. Physiquement et moralement. Quand vous m'avez retrouvée, vous n'avez vu en moi que la sauveuse. D'ailleurs, c'est tout ce que vous avez toujours vu en moi. Dès avant ma naissance. C'est pour que je revienne vous sauver, vous et votre peuple, que vous m'avez expédiée dans ce monde. C'est au nom d'une prophétie que vous m'avez laissée seule, alors que j'étais âgée de cinq minutes ! » La rage et le chagrin déforment à présent les traits du joli visage. Les larmes ont recommencé à couler et la princesse s'essuie les yeux du dos de la main. David et Mary-Margaret la contemplent sans rien dire. L'émotion est palpable, semble colmater l'air glacé de la petite ruelle.

« Tu voulais que je te raconte ma vie, maman ! » continue-t-elle. Le mot « maman » fait irruption presque comme un reproche. « Mais tu avais l'air de penser que ce serait normal, amusant, plein d'anecdotes. Comment pouvais-je te dire la vérité ? Comment pouvais-tu être naïve à ce point ? » Elle s'étrangle, baisse la tête, sanglote quelques instants. Regina, à l'instar de ses jeunes beaux-parents, a la gorge serrée. L'envie de prendre l'être aimé dans ses bras est impérieuse, presque irrésistible. Mais il faut en finir, lui permettre de tout sortir.

« Maintenant, c'est fait ! Je vous ai tous sauvés de la malédiction ! Alors arrêtez de me voir comme un être indestructible, parce que s'il y a bien une chose que je suis, c'est détruite !» Le dernier mot claque dans le vent sibérien du Maine. Le silence qui suit semble mettre en emphase les points d'exclamation.

Le couple reste coi. Peut-être les Charmants sentent-ils que ce n'est pas tout à fait fini. Et en effet, la voix enrouée s'élève à nouveau, bravant la tempête. La jeune femme désigne sa compagne, derrière elle. « Regina est la seule à me voir telle que je suis. Autrement que comme la sauveuse, venue sur terre uniquement pour protéger les autres. Sans elle, je ne sais pas si je serais capable d'affronter mon passé. Et d'ailleurs… » elle hésite un instant, puis semble se jeter à l'eau. « D'ailleurs…comment n'as-tu jamais réalisé que c'est de force qu'elle a épousé ton père, Snow ? » La mairesse a un haut-le-corps. Elle s'attendait à tout sauf à ça. Malheureusement, ce n'est pas terminé. « Un mariage forcé…tu sais ce que ça implique ? Je parie que tu l'as toujours vue comme une intrigante, une ambitieuse qui voulait devenir reine… » Un coup de plus dans l'armure de la princesse Blanche-Neige ! Mary-Margaret devient encore plus pâle. Son regard vert se pose sur celle qui fut sa belle-mère avant de devenir sa belle-fille, sans compter la mère adoptive de son petit-fils. « Elle avait dix-sept ans ! » hurle soudainement Emma. « Ma chérie, je t'en supplie, arrête ! » s'exclame la sorcière. Sans paraître entendre, l'orpheline poursuit sur sa lancée. « Elle n'a jamais voulu devenir reine ! Elle a épousé ton père de force ! Et c'était un satyre, tu entends ? »

Un bruit derrière elle. Comme un sanglot, hoquetant et horrifié. Mais, dans l'état où elle se trouve, Emma n'enregistre pas la réaction de sa concubine.

« Elle voulait épouser Daniel ! » continue à crier la jeune femme. « Et elle l'a perdu à cause de toi ! Tu te rends compte de ce que ça lui a coûté, de te pardonner ? » D'une voix blanche, l'ancienne chef d'état répond : « J'avais dix ans. » Cette réplique toute simple arrête net le discours de l'enfant martyre, qui regarde durant quelques secondes le visage bouleversé de celle qui ne l'a jamais élevée. Elle s'adoucit graduellement. Son faciès angélique se détend peu à peu, passant d'un masque de colère froide à une expression chagrine, désappointée. « C'est vrai… » réplique-t-elle finalement. « Tu as raison. Tu avais dix ans et ça excuse tout. Mais Regina était une enfant, elle aussi. Et elle a été contrainte d'épouser un vieil homme pervers et brutal. » Les cheveux courts de l'institutrice flottent légèrement dans le vent d'automne, lorsque celle-ci secoue obstinément la tête. « Oh si, maman ! » poursuit presque à regret la sauveuse. « Il ne t'a jamais montré sa face cachée, parce que tu étais sa fille chérie et qu'il t'aimait. Et je sais que tu l'aimais de tout ton cœur. Cela doit être très difficile à entendre, mais il a été ignoble avec elle, un tortionnaire… » Derrière sa dulcinée, la souveraine n'a plus la force de réagir. Elle baisse la tête, dans un mélange de honte et de rage. « Elle était une enfant terrifiée, longuement martyrisée par sa mère, endeuillée par la mort de son fiancé… » poursuit Emma. « …et rien de tout cela ne l'a empêchée de te protéger, envers et contre tout… » elle se mord les lèvres, puis se force à conclure, par honnêteté, sans doute : « jusqu'à ce que tu sois une adulte. »

Invaincue, Snow relève la tête, serre les poings. « Et là, elle a lancé tous les tueurs du royaume à ma poursuite ! » achève-t-elle avec ironie. Elle laisse flotter cette dernière phrase quelques instants, dans l'air glacé de la ruelle. Ni Emma, ni Sa Majesté, ni le shérif-adjoint ne trouvent apparemment quelque chose à ajouter. Prise d'un dernier doute, Mary-Margaret fronce les sourcils. « Et qu'est-ce que tu veux dire par « me protéger » ? » demande-t-elle. « Elle t'a évité le banc des enfants royaux. » répond le shérif. L'enseignante a un sursaut, suivi d'un mouvement de recul. Un air de récognition passe furtivement dans son regard, qui se pose sur la magicienne.

Cette dernière semble s'être reprise quelque peu. En deux enjambées, elle se rapproche de l'élue de son cœur, lui prend doucement les épaules. « Ma chérie… » murmure-t-elle sans prêter la moindre attention à ses beaux-parents. « …rentrons. Tu vas prendre froid. » « Ah ! Mais non ! » s'écrie Mary-Margaret en se rapprochant elle aussi de sa fille. Elle semble à vrai dire prête à la tirer d'un côté pendant que la reine l'entraîne de l'autre. « Pour que tu puisses la maltraiter encore ? Jamais de la vie. »

David, qui a gardé le silence depuis plusieurs minutes, suivant l'échange houleux comme un match de tennis, comptant peut-être secrètement les points, intervient. En fait il a suivi son épouse pas à pas, comme s'ils étaient attachés par une cheville. Il lui pose à présent une main sur le bras. « Snow… » murmure-t-il. « Écoute. Je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Allons récupérer Neal… » Le nom de son fils semble avoir un impact sur l'institutrice, qui vacille visiblement dans ses certitudes. Vive comme l'éclair, Regina en profite. « Mary-Margaret ! Tu t'es assez ridiculisée comme ça, tu ne penses pas ? » Mais c'est l'intervention d'Emma qui, finalement, change la donne. « Maman ! » dit-elle d'une voix claire. « Comme tu as peut-être fini par l'entrevoir, il s'agit de notre sexualité. Ça s'appelle la vie privée. Tu dois respecter la mienne. »

Déterminée, Regina enlace sa compagne, la serre contre elle, vérifie que son sac est solidement accroché à son bras. Les Charmants connaissent fort bien ces préparatifs. La magicienne s'apprête à un sort de téléportation. L'infante a encore un mouvement en direction du couple mais David la retient avec douceur, et elle capitule, pour le moment.

« À bientôt, ma chérie. » murmure le prince. Ses beaux yeux sont à nouveau embués de larmes. Il semble craindre de ne plus jamais voir sa fille. « Je suis désolé…pour tout… » ajoute-t-il dans un souffle. « On en a pas fini ! » lance la maîtresse d'école à Sa Majesté, d'un ton hargneux. En une fraction de seconde, son visage se métamorphose. C'est à son enfant qu'elle adresse ces derniers mots : « Ma petite Emma ! Je suis désolée, moi aussi. Je sais que j'ai eu des torts, de grands torts envers toi. Mais je veux que tu te souviennes que ton père et moi, nous ne sommes qu'à un coup de téléphone de distance, si tu as besoin d'aide. Et surtout, que nous t'aim… »

L'orpheline abandonnée n'a pas le loisir d'entendre la dernière syllabe. Un nuage. Quelques tourbillons. Elle se retrouve débout, au milieu de la chambre conjugale, toujours lovée dans l'étreinte de la mairesse.

Les deux femmes demeurent dans cette position, quelques instants. Puis, le sac-à-main de la sorcière tombe au sol. Cela fait sursauter Emma, qui en pousse un petit gémissement douloureux. Aussitôt, la mère de substitution endosse son rôle d'infirmière. Enfermant encore un peu plus sa protégée dans ses bras, elle dépose un baiser sur sa joue, lui chuchote à l'oreille : « Mon ange, tu vas te déshabiller et je vais t'examiner, d'accord ? Tu as parlé d'infection… »

« Elle ne s'arrêtera pas là… » la coupe le shérif. Son visage est d'une blancheur alarmante, ses yeux hantés. Bien entendu, Regina n'est pas beaucoup plus tranquille. Mais l'important est de rassurer la petite. Autant rationaliser. « Ma puce ! Tant que tu ne portes pas plainte, elle ne peut rien faire, voyons…Tu connais la loi aussi bien que moi. » La princesse secoue la tête avec entêtement. « Ce n'est pas ça qui va l'arrêter…Elle va te harceler. Si elle décide d'en parler, qu'est-ce qui se passera ? » Le corps souple est affreusement crispé, tétanisé. La souveraine doit fouiller, réfléchir intensément pour trouver de nouveaux arguments. « Ton père est shérif-adjoint, mon trésor. Lui aussi connaît les lois…du moins on peut l'espérer. Il a plus de jugeote, on dirait. Pour être honnête, je n'en aurais pas juré mais il a l'air de comprendre mieux qu'elle… » La divine monarque ne peut empêcher les pensées parasites de fuser dans son esprit et d'embarrasser son discours. « Comprendre quoi ? » songe-t-elle. « Que je torture leur enfant pour mon plaisir ? Qu'elle se laisse faire pour être sûre de rester indispensable? Sûre de continuer à être aimée ? »

À force de caresses et de paroles rassurantes, la puissante sorcière parvient à convaincre sa concubine de se laisser déshabiller. Elle s'assoit sur le lit, lui ôte ses bottes, son jean et sa culotte, la soutenant avec précaution pour qu'elle ne trébuche pas en extirpant ses jambes fuselées de son pantalon. Mais au moment où elle lui demande avec douceur de s'étendre, Emma enlève son pull. « Ma chérie, » murmure Madame le Maire en la voyant se défaire également de son débardeur, « ce n'est pas nécessaire. » « J'ai envie d'être nue en face de toi. » répond l'enfant trouvée. Cette déclaration, pleine d'une sincérité ingénue, contracte la gorge de l'enchanteresse, achève de la convaincre que l'heure est grave, que c'en est peut-être fini de cette vie à deux, saturée de bonheur…pour elle, du moins.

L'elfe dévêtue, à la chevelure dorée et à la peau diaphane, veut s'étendre sur le couvre-lit mais son amante la prend de vitesse, soulevant la couette, afin de lui offrir le plus grand confort possible. Malgré son bouleversement, empreint de désespoir, Emma soupire de plaisir en sentant sous son ventre, contre sa poitrine, la douceur des draps. Son long corps se détend avec une soudaineté renversante, faisant prendre conscience aux deux femmes de l'inconcevable tension qui l'habitait.

Les yeux perçants de la mairesse cherchent avec une grande inquiétude à évaluer l'état des petites fesses martyrisées. Les stries sanguinolentes, laissées par le martinet, sont toujours là. Chaque plaie est bordée de minuscules arêtes bourgeonnantes, rouges et suintantes. L'aspect luisant de la chair ne laisse aucun doute. Il y a bien une infection. Il ne s'agit là que du processus normal de cicatrisation. Et, compte tenu de la violence des coups reçus, on pourrait juger qu'Emma s'en sort très bien. Mais ce serait méconnaître ses pouvoirs de guérison.

« Tu as raison, mon ange. » explique Regina de sa voix la plus rassurante. « Il y a bien de l'inflammation…et un peu d'infection. »

Devant le haut-le-corps affolé de sa dulcinée, la reine s'empresse d'ajouter : « Mais ce n'est rien de grave, vraiment. Je vais te mettre de la crème antiseptique. Je peux même te donner un remède contre la fièvre, histoire de ne prendre aucun risque. Il vaut mieux que je n'utilise pas la magie. J'ai déjà un allaitement et un sort de téléportation à mon actif, aujourd'hui…»

La princesse nue se tord le dos, pour prendre appui sur une main et faire face à sa compagne. « Mais…mes pouvoirs ! Pourquoi le martinet ? Ça n'a aucun sens ! » Cherchant à transmettre une tranquillité d'esprit qu'elle-même est loin d'éprouver, la souveraine caresse une joue pâle, puis les cheveux fins et dorés. « Ma chérie…j'ai fait mes recherches quand nous nous sommes lancées dans…nos jeux…quand tu m'as parlé de tes capacités exceptionnelles. Cela n'a rien à voir avec l'instrument utilisé. C'est un peu comme mon overdose de magie. Ton pouvoir a été trop sollicité. Il finit par s'épuiser, c'est normal… »

Un calme relatif envahit les traits de la sauveuse. L'explication semble la convaincre qu'au fond, l'état de son corps n'a rien de bien inquiétant. Elle baisse les yeux sur sa propre croupe, ce que sa grande souplesse lui permet de faire assez facilement. Les plaies semblent moins luisantes qu'elle ne le craignait, la rougeur moins maladive. « Je pense quand même que la guérison a commencé…J'imagine que, sur quelqu'un de normal, ce serait pire. » dit-elle. Regina déglutit. Bien entendu, une femme ordinaire qui subirait ce que subit Emma se serait retrouvée à l'hôpital à plusieurs reprises. Et les forces de l'ordre s'en seraient mêlées depuis longtemps.

Mais il est temps de soigner sa protégée.

Alors que la mairesse oint soigneusement les fesses rondes de pommade désinfectante, ce qui fait naître un feu sous sa robe, la sonnette de la porte d'entrée retentit. Emma saute véritablement, effectue un tour sur elle-même, atterrit assise, nue comme un ver, sur le lit, sans se soucier de ses blessures ni de tacher les draps d'onguent. Ses grands yeux affolés se fixent sur ceux de sa concubine. La souveraine n'est pas beaucoup plus tranquille. Mary-Margaret a-t-elle réuni une horde de villageois, venus l'accuser de torturer leur shérif ? Armés de fourches et de pioches, la traqueront-ils jusqu'au bord de mer, telle la créature de Frankenstein, pour la forcer à se jeter à l'eau ?

« N'y va pas ! » la supplie la princesse. La magicienne répond d'une caresse tendre, dans les mèches dorées, mais se lève et descend posément les escaliers.

En tombant sur Henri, les mains dans les poches, l'air soucieux mais empreint d'un certain flegme, Regina soupire de soulagement. Elle l'avait presque oublié. Désignant la minuscule Toyota de location, garée juste devant l'allée, il dit de sa voix claire : « Camille va prendre le volant pour les premiers kilomètres. Comme elle vous avait déjà fait ses adieux, elle préfère rester dans la voiture. Pour être honnête, je suis un peu bouleversé. Grand-père et Grand-mère sont venus récupérer Neal et ils étaient dans tous leurs états, surtout Grand-mère ! »

Le temps s'est vaguement calmé mais le vent, toujours impétueux, ébouriffe les cheveux du prince.

La reine hoche la tête. « Je m'en doute, mon chéri. » Le jeune homme l'observe, de bas en haut. Son expression est assez difficile à déchiffrer. « J'espère que tu sais ce que tu fais, maman. En tout cas, je te préviens que la hache de guerre est déterrée ! »

À ce moment précis, Emma surgit, poussant même légèrement la sorcière afin de s'imposer dans le cadre de la porte. Henri fronce les sourcils en voyant qu'elle est en robe de chambre, en début d'après-midi. Mais sa mère blonde se jette à son cou, le serre dans ses bras, l'embrasse sur les deux joues. « Ne t'inquiète pas, gamin ! Je t'assure que tout va bien. Et rien de tout ça ne te concerne. » Le jeune homme répond à l'étreinte, murmure : « Si tu le dis… » mais jette un coup d'œil circonspect à la maîtresse de maison, par-dessus l'épaule robuste de la sauveuse. Après avoir embrassé loyalement Regina, il tourne le dos, s'engouffre dans la voiture. Camille démarre, non sans avoir adressé aux deux femmes un geste d'adieu. Madame le Maire ne peut s'empêcher de penser que son fils doit être soulagé de partir. Qu'il vive sa vie ! Qu'il s'instruise ! Qu'il profite de son amour tout neuf ! C'est ce qu'il a de mieux à faire.

Avant même que le moteur de la petite voiture ne soit devenu inaudible, elle enlace sa princesse, la tire en arrière, afin de pouvoir refermer la porte sur elle. Sans lui adresser le moindre reproche (il est bien normal qu'ayant entendu la voix de son fils unique, elle soit descendue pour l'embrasser une dernière fois), la sorcière conduit son amante dans la chambre, la déshabille à nouveau, achève de prendre soin d'elle. Puis, comme l'être aimé frotte son corps nu contre le sien en lui chuchotant « Fais-moi l'amour ! » si près de son oreille que cela fait voleter le duvet vaporeux, sur ses tempes, la belle brune s'exécute, avec tendresse et passion.

Dès le lendemain, le postérieur d'Emma a retrouvé un aspect rassurant. Si la peau est encore un peu rouge, les meurtrissures sont pratiquement guéries. Comme le temps est de plus en plus épouvantable, l'enfant trouvée profite aussitôt de son merveilleux cadeau d'anniversaire, passant toute la matinée à courir sur le tapis, puis à soulever des poids. Son acharnement finit par inquiéter Sa Majesté, qui fait une intrusion dans la salle de sport, vers midi, pour inviter sa dulcinée à venir se sustenter. En s'approchant de la leg press, sur laquelle le shérif, les jambes à l'horizontale, sue et ahane, elle écarquille des yeux immenses. Sa compagne a déjà presque atteint la limite de poids. « Ça suffit, mon ange ! » déclare-t-elle de sa voix la plus autoritaire, tempérée cependant par le mot d'amour. « Tu vas te faire une tendinite ! » Le timbre puissant de la magicienne peine cependant à couvrir le vacarme du hard rock, sur lequel la sauveuse aime à se défouler.

Obéissante, Emma pose prudemment un pied au sol, puis l'autre, se saisit de la télécommande commodément placée dans le boitier fourre-tout, coupe le son. Elle est en sueur. Son soutien-gorge de sport, songe la reine, met merveilleusement en valeur sa petite poitrine ferme. Alors que la jeune femme, sans quitter la machine, s'affaire à étirer ses cuisses puissantes, Regina désigne, avec un petit sourire en coin, les gants de boxe, négligemment jetés au sol. « J'ai essayé aussi le sac de sable. » explique la jeune femme avec un haussement d'épaules. « Il est parfait. Tout est parfait. » « Tant mieux, mon trésor. » répond la souveraine.

En se relevant, prête à prendre une douche et à se préparer pour le déjeuner, la princesse, après avoir enlevé et rangé ses protections, se saisit de son téléphone, placé lui aussi dans le compartiment de plastique qui accompagne chaque équipement, se met à rechercher quelque chose. Comprenant à demi, la mairesse attend patiemment qu'elle ait trouvé ce qu'elle veut lui montrer. Avec un regard désolé, l'ancienne détenue tend son portable vers sa maîtresse. Un message de Snow. « Ma chérie, il faut qu'on parle ! Passe au loft demain, quand tu auras terminé ton service. » Après avoir glissé l'appareil dans sa poche de jogging, la jeune femme interroge sa concubine. « Qu'est-ce que je dois faire, d'après toi ? » Anxieuse, les sourcils froncés, la divine monarque réfléchit. Se décidant, elle finit par avouer. « Elle m'a envoyé un message, à moi aussi. » Les yeux de jade s'écarquillent. Sortant également son téléphone de la poche de son élégant pantalon-tailleur, Regina fait lire à sa bien-aimée le message suivant. « Ne crois pas que je laisse tomber ! Tu n'as pas fini d'entendre parler de moi. »

Emma soupire profondément. « Viens manger, ma puce ! Tu as besoin de prendre des forces. » conclut la magicienne. En se relevant, la jeune femme émet un petit geignement, presque imperceptible…mais pas pour son amoureuse compagne, bien entendu. En la voyant se frotter doucement l'arrière-train, la reine se lèche les lèvres, la regarde avec fascination. L'enduire encore de crème juste après le déjeuner, puis lui faire consciencieusement l'amour.

La semaine se déroule sous la menace constante de cette épée de Damoclès. En désespoir de cause, l'orpheline se rend chez ses parents, dès le lundi soir, écoute à contrecœur le discours justement tracassé de Snow. Une fois de plus, son petit frère est absent et elle déplore d'avoir encore perdu une occasion de jouer avec lui, sans pouvoir donner tort à sa mère. Éloigner les enfants, pour les protéger du monde corrompu des adultes, est la meilleure des politiques. Si seulement quelqu'un avait pu agir ainsi avec elle !

Mary-Margaret se heurte aux mêmes arguments butés, au front de taureau que lui oppose l'amour absolu de son enfant perdue, pour sa dangereuse compagne. Cependant, l'infante ne peut éviter de remarquer qu'aucune gêne ne semble plus entraver les mouvements de la princesse, ce qui, malgré elle, la rassure. Peut-être n'y a-t-il pas urgence au point où elle l'avait envisagé. Un travail de sape, obstiné et minutieux, est possiblement la meilleure stratégie. Mais, d'une façon ou d'une autre, l'institutrice est décidée à arracher sa fille aux griffes de la méchante reine. Emma s'en rend parfaitement compte, essaie de savoir si la maîtresse d'école a l'intention de s'ouvrir de ses craintes à quelqu'un, mis à part David. Snow ne répond pas clairement. Mais le shérif, extrêmement perspicace et dotée d'une pénétration psychologique naturelle, que des décennies de mauvais traitements et de périls en tous genres l'ont amenée à développer, comprend que ce n'est qu'une question de semaines, voire de jours. Sa génitrice lui donne le temps de la réflexion, mais n'acceptera en aucun cas que la situation perdure.

Regina, de son côté, se met à recevoir plusieurs menaces quotidiennes, au point qu'elle envisage de bloquer les messages de son interlocutrice, ce que sa protégée l'encourage à faire. Mais un vieux précepte de gouvernance, « garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus près » l'en empêche.

Cependant, les invectives triviales et sans créativité de Mary-Margaret l'atteignent à un point qu'elle n'aurait pas cru possible. Le qualificatif de « sorcière », venant de celle qui a provoqué la mort de l'homme qu'elle voulait épouser et par ricochet son mariage forcé, accompagné de tant de souffrances et d'humiliations, devient véritablement une insulte. Les oukases telles que « Ne t'avise pas de toucher à un cheveu de ma fille ! » la ramènent obstinément à ce qu'elle est devenue, une diabolique force de la nature, assoiffée de sang. Et les menaces explicites (« Tu ne perds rien pour attendre ») la terrorisent au-delà de tout.

Elle a regardé avec Henri, lorsqu'il était petit, les films de Disney, y compris les plus classiques. La version américanisée et très avant-guerre de leurs aventures, à l'héritière légitime du royaume de la Forêt Enchantée et à elle-même, l'avait déjà beaucoup perturbée à l'époque. Cette vieille harpie hideuse, difforme et répugnante, censée être son avatar, constitue bien entendu un affront, un blasphème même. Et la traque par les nains, jusqu'à la falaise, lui est toujours restée en tête. Le petit en avait fait d'affreux cauchemars ! Pas étonnant que le film, en 1937, ait été classé « Enfants non admis ». Il faut être fou pour croire que les hurlements d'agonie de la mégère, les doigts ligneux des arbres déchirant la robe de l'héroïne, la transformation quasiment démoniaque, puissent ne pas traumatiser un petit garçon de cinq ans !

À présent, la scène finale lui revient jusque dans son sommeil. Elle voit nettement les sept petits hommes, Leroy en tête, avec sa haine tenace, la poursuivre. En fait de falaise, les abords de Storybrooke ne manquent pas de promontoires. Tous donnent sur la mer, particulièrement glacée et tempétueuse en cette saison. Elle revoit également la foule des citoyens en colère, venue la menacer jusque devant chez elle, lorsque le sort noir avait été brisé. La sinistre posture fulminante de Whale, lorsqu'il l'avait prise au collet. L'odorat de la mairesse, déjà développé en temps normal, semblait avoir été décuplé par la peur, et elle avait perçu, venant du médecin, des effluves très suspectes…celles de l'excitation masculine. Les dieux savent ce qui se serait passé si Emma n'était pas intervenue alors !

Mais aujourd'hui…si Snow décide d'ameuter la ville, c'est justement pour défendre et venger leur sauveuse que les habitants se jetteront sur elle.

La méchante reine, dont les nuits étaient devenues particulièrement paisibles et réparatrices, depuis la vie commune avec l'être aimé, revit les affres de l'insomnie. Lorsqu'elle parvient à s'assoupir, d'abominables cauchemars la tourmentent. Ce n'est plus la jolie blonde qui se réveille en sursaut, le regard fou, couverte d'une sueur aigre, mais la souveraine.

Le shérif endosse avec amour le rôle de protectrice, de consolatrice. Mais que faire, lorsque, à la faveur de la nuit, l'ombre de Cora revient torturer une petite fille sans défense ? Lorsqu'un vieil homme lubrique viole, bafoue et brutalise une jeune reine de dix-sept ans ? Et jusqu'à la servante aux mains si douces, qui ressuscite pour abuser d'une enfant, sous couvert de tendresse et de compassion.

Regina, en émergeant de ces insupportables rêves, serre contre elle l'objet de son affection, caresse le dos nu, à la peau de velours, sanglote dans les cheveux d'or, tout en se disant que le répit est passager, illusoire. Ce n'est qu'une question de temps, avant que Snow ne passe à l'attaque. Bientôt, toute la ville sera au courant de sa dépravation.

La belle brune s'efforce pourtant de rester disponible pour sa dulcinée, dont l'état l'inquiète bien plus que le sien. Le visage d'ange porte les stigmates d'une épouvantable angoisse, les traits tirés, le sourire forcé. Emma continue à travailler diligemment, à manger, à téter les seins fastueux de sa maîtresse, à faire du sport, à dessiner, à écouter les lectures de la reine et à la séduire avec constance, mais le cœur n'y est plus.

La situation met Sa Majesté dans un tel état de fébrilité qu'elle en a en permanence les mains qui tremblent. L'équitation serait un dérivatif bienvenu mais le temps rend la fréquentation du manège impossible. Une chose est sûre : son désir pour l'être aimé ne pâtit en aucune manière des circonstances. Bien au contraire !

Jeudi, en fin de soirée, les deux amantes profitent d'un moment d'accalmie sur le canapé du salon. L'épais volume de David Copperfield trône sur la table basse, un élégant marque-page placé en plein milieu. Regina a hésité à lire à sa bien-aimée les tristes aventures de cet orphelin, presque aussi maltraité par la vie qu'elle, mais l'humour de Dickens, ses incroyables galeries de personnages hauts en couleurs, ravissent la princesse.

Madame le Maire caresse tendrement les cheveux blonds. La belle tête ambrée est placée sur ses genoux, le visage appuyé sur son ventre. Secrètement, la magicienne compte les minutes, espérant fiévreusement qu'Emma déclare enfin la soirée finie, attendant avec avidité de pouvoir enfouir ses mains, sa bouche, entre les cuisses blanches et frémissantes.

Soudain, la chère voix rauque résonne. « Demain, on est vendredi, Majesté ! » La souveraine se mord les lèvres. Mary-Margaret, agacée sans doute, tant par le manque de réaction de sa progéniture que par les fins de non-recevoir de la mairesse, n'a cessé de l'abreuver de messages implacables, aujourd'hui. Elle en avait presque oublié l'échéance. « Oui, ma poupée. » répond-elle. Sans quitter sa place, le nez toujours pressé contre son giron, la blonde dryade s'enquiert, à sa façon gauche et hésitante. « Que…qu'est-ce…enfin tu veux quoi ? » Sans vraiment savoir pourquoi, la reine rétorque. « Attends dans le couloir, nue, à vingt heures. » Emma a comme un sursaut. Elle se redresse, en appui sur sa hanche droite, son faciès angélique placé devant celui de sa compagne, à quelques centimètres à peine. L'air effaré, elle demande : « Toute nue ? » Le visage de vestale n'affiche aucune expression. « Oui ».

L'étreinte, ce soir-là, est brève. Et il s'en faut de peu qu'elle ne soit brutale. Regina souffre, dans son âme. Les cauchemars l'assaillent à présent presque dès qu'elle ferme les yeux. Ils deviennent parfaitement insupportables. Après avoir fait jouir sa partenaire sans ménagement, trois doigts durement enfoncés dans son sexe étroit, elle lui intime de s'étendre sur son estomac, s'agenouille elle-même, assise sur ses talons, s'installe dans cette position entre les cuisses écartées, la saisit aux hanches, la harponne, la tire vers elle, de façon à ce que le ventre plat repose sur ses jambes, le périnée plaqué contre son aine, la croupe à portée de mains. Elle commence par farfouiller sans la moindre précaution le vagin sensible, tout en frottant une fesse.

Emma sait ce qui l'attend. Depuis plusieurs mois, les fessées sont devenues une part ordinaire de leurs ébats. Un accord tacite semble stipuler que les cravaches, férules et autres martinets ne servent que le vendredi. Par ailleurs, la reine, en semaine, se contient de manière évidente, se contentant d'asséner quelques bonnes claques sur la chair blanche, de façon à rougir la peau sans jamais la marquer durablement. Ce soir, Sa Majesté lève les deux mains au-dessus du fessier offert, les laisse planer quelques instants, puis se lance dans une brossée étrange. Une main régalienne, puis l'autre, tombe sur un puissant muscle glutéal, avec un bruit d'applaudissement. Le rythme est soutenu, comme si elle jouait du tam-tam. La jeune femme se mord les lèvres jusqu'au sang, prend appui sur ses coudes, la tête entre les bras, s'efforce de respirer profondément, de ne pas laisser la panique l'envahir. La divine monarque s'arrête de frapper, aussi brusquement qu'elle avait commencé, ne laissant dans son sillage qu'une collection d'empreintes de main cramoisies, écarte amplement les fesses brûlantes, se penche.

Lorsque la porte de la chambre s'ouvre, le lendemain soir, c'est avec une féroce âpreté. L'elfe blonde est nue, bien entendu, la souveraine, vêtue d'une simple robe de chambre. La requête de la reine, trouver sa victime en tenue d'Eve devant la porte, est une première. Cette nouveauté dans la perversion paralyse visiblement la sauveuse, qui évoque à sa compagne un de ces tableaux anciens intitulés « Vierge au bain » ou autre titre extrêmement tendancieux. Toute blanche, tremblante, vêtue de son unique chevelure, elle se tient sur une jambe, une cuisse passée au-dessus de l'autre, comme un essai pathétique de cacher son pubis. Les longs bras athlétiques sont croisés autour de la petite poitrine. Les yeux d'émeraude sont presque exorbités de terreur. La jeune femme, ainsi dévêtue et chancelante, provoque dans l'esprit royal une autre association d'idée. Un petit morceau de viande, tendre à souhait, prêt à être passé au grill.

Plutôt que de verbaliser ses volontés, Regina, fait totalement inédit, attrape sa victime consentante par le coude, la tire dans la chambre, ce qui la fait trébucher…et la jette avec violence contre le mur. Comme le faisait Léopold, en de pareilles occasions, elle claque la porte, aussi fort que possible.

Emma, les fesses contre la cloison blanche, s'y appuie également des deux mains. Sa peur est telle qu'elle ne songe plus à se couvrir, offrant à sa tortionnaire le spectacle de son corps. Ses seins, ses tétons dressés, non pas d'excitation mais de frayeur, son ventre vulnérable, ses cuisses galbées, son mont de Vénus, blond et doux.

Un éclair de lucidité semble traverser l'âme régalienne. Aussi, après avoir saisi sur le lit, tout prêt à servir, l'énorme ceinturon dont le shérif connaît si bien l'efficacité, la divine monarque laisse-t-elle passer quelques secondes, ses prunelles étincelantes plongées dans celles de son souffre-douleur, lui donnant l'opportunité d'articuler le mot de sécurité.

Mais l'ancienne détenue n'en est déjà plus là. Loin s'en faut. À l'image de sa dominatrice se superposent, en succession rapide, celles de nombreux bourreaux. Monsieur Jones, quand il défaisait calmement sa ceinture, tout en lui ordonnant de se déculotter et de se pencher en avant, les mains aux chevilles. Même à cinq ans, elle percevait confusément le caractère sexuel de ce geste, et redoutait à chaque fois que ce déshabillage partiel ne soit suivi d'autre chose. À présent, le fermier, une corde à la main, l'accule dans un coin de la cour, avec l'aide de ses fils hilares, tandis qu'aboie désespérément le chien, son seul allié en réalité. Celui qui aimait débouler dans la salle de bain sans prévenir, la surprendre nue, lui vociférer de vagues reproches, la frapper à l'aide d'une mystérieuse courroie, ayant peut-être anciennement servi à un cheval. Elle tombait très vite sur le sol glacé de la salle d'eau, y restait jusqu'à la fin de la raclée, ne tentant même pas de se protéger. Elle avait treize ans. Comment s'appelait cet homme ?

« Tourne-toi ». La voix profonde s'est faite sépulcrale. Alors qu'elle obéit machinalement, le nom du père d'accueil à la courroie lui revient. Monsieur Griffin. Mue par l'habitude, la princesse s'appuie sur le mur, se penche en avant, tend la croupe.

La vue de son jouet, du petit postérieur joufflu, encore rose des claques de la veille, en position servile et humiliée, fait basculer l'esprit confus de la souveraine. Léopold l'obligeait parfois à adopter cette posture. « C'est moi qui tiens le fouet maintenant, cher époux… » murmure-t-elle avant de prendre un fantastique élan et de frapper de toutes ses forces, en oblique, de haut en bas et de droite à gauche. Le hurlement désespéré qui éclate dans ses oreilles lui arrache un sourire méprisant. Elle-même faisait preuve de plus de dignité, de plus de retenue. Elle en est sûre.

Les coups se succèdent, sans interruption. Regina ne se donne la peine que de varier les plaisirs. Elle ne cingle jamais au même endroit, jamais de la même façon.

Une salve parfaitement horizontale vient croiser l'arrière des cuisses neigeuses, les balafrant d'une raie large et pourpre. Emma saute sur place, s'égosille de souffrance. Madame le Maire en rit de joie. Enfuies la culpabilité, la peur d'être démasquée, de devenir la proie de la vindicte populaire.

Cora avait une technique bien particulière, pour arracher la peau par surprise. Lâchant brusquement son arme d'une main, la reine la rattrape par la boucle, laisse traîner un instant le cuir à terre, lance son bras en arrière et vers le bas, très loin, prend quelques respirations, afin de gagner en élan. Sentant qu'aucun coup ne vient augmenter l'impensable souffrance qui la brûle et la mord, en-dessous de la taille, la sauveuse se tord le cou, jette un œil halluciné vers le monstre. « Comment oses-tu me regarder ? » rugit l'agresseur. Le visage livide se retourne vers le mur, si brusquement que l'orpheline se cogne le front. Le sourire de psychopathe, vertigineusement espiègle, s'élargit. Le bras hâlé part vers l'avant et vers le haut, avec une force prodigieuse. La bande de cuir rencontre le haut de la cuisse gauche, le pli qui sépare la jambe de la croupe, traverse toute une fesse. Concentrée, la reine continue le mouvement, faisant décrire à son instrument de torture un cercle complet, si bien que le ceinturon retombe dans son propre dos, la frappant à travers son peignoir, ce dont elle s'aperçoit à peine.

Le hurlement d'Emma est si assourdissant que la victime n'entend pas le bourreau articuler : « Qu'est-ce que tu dis de ça, maman ? »

La mairesse a également un rire bref en constatant que le sang a commencé à jaillir. Une ample écorchure sanguinolente, sur toute la surface atteinte. L'enfant trouvée s'appuie maintenant des deux bras sur la cloison, la tête dans les coudes. Elle sanglote bruyamment. Regina laisse passer quelques secondes, pour savourer cette musique, qui la grise et l'excite.

Une autre pensée, fulgurante. Léopold, lui, utilisait parfois non pas la lanière mais la boucle de métal. Surtout quand il avait bu. Regina ramène son arme devant elle, écoute distraitement le frottement du cuivre sur la moquette, tout en admirant le spectacle que lui offre son jouet préféré. De plus en plus penchée, pleurant dans ses bras croisés, arc-boutée sur le mur, la princesse tend diligemment son postérieur. Elle ne porte, sur son joli cul et ses cuisses de marbre, qu'une dizaine de marques. Mais elles sont particulièrement dévastatrices. Et la dernière lui a si plaisamment pelé le cuir. L'hémoglobine dégoutte paresseusement, sur toute l'étendue de l'écorchure luisante, glissant le long des jarrets.

En s'emparant de la lanière, la sorcière perçoit sur sa main une étrange sensation visqueuse et chaude. Le sang princier ! Baissant le regard, la perverse magicienne en profite pour recueillir de la paume une bonne dose de fluide poisseux, la porte à sa bouche, lèche avec gourmandise.

Son regard sombre, en remontant vers sa victime expiatoire, se porte sur le long dos, à la fois étroit et robuste. Toute cette surface vierge ! Léopold frappait là ! Et après tout, c'est l'endroit du corps où la peau est la plus épaisse. L'idéal, donc, pour étrenner la boucle…

Sans plus réfléchir, la reine imprime à son bras un mouvement ample et emporté. Un revers. En direction de l'échine.

Au moment précis où Emma prend conscience que quelque chose ne va pas, que tout est en train de basculer, une sensation indicible explose au milieu de son dos. Juste à gauche de sa colonne vertébrale. Du métal s'enfonce dans sa chair. Une brèche. Au moment où sa tortionnaire ramène son bras en arrière, où le fermoir d'acier s'extirpe avec un bruit obscène, la certitude qu'une portion de derme lui a été arrachée s'impose. La douleur est telle qu'elle ne peut pas crier. Son intégrité physique ! Si elle ne réagit pas, elle risque ses muscles, ses tissus. Il y a quelque chose à dire. Quelque chose, qui est censé tout arrêter. Cela se mange, non ?

Mais l'arme revient à la charge, cette fois vers la droite, et en bas, juste au-dessus des reins. La jeune femme sent avec netteté la tige de métal…l'ardillon…elle a appris le mot il y a peu, à la faveur d'une lecture…la souveraine prend si bien soin d'elle…de son esprit, de son corps…l'ardillon pénètre tout droit, traverse l'épiderme, lui chourine le râble. Quelqu'un est en train de lui faire très mal. En se retirant, l'aiguille de cuivre produit un bruit gargouillant, comme la chair foulée d'un poulet cru.

La sauveuse se retourne, pour faire face à l'ennemi. Elle voit flou. Mais l'accessoire, l'arme dont se sert contre elle un dangereux adversaire, se détache, sur fond de brouillard. L'instrument de torture s'élance vers elle, tombe cette fois en travers de son ventre, lisse et soyeux, cause une nouvelle blessure cuisante.

Regina réalise obscurément que l'être qu'elle est en train de châtier…elle n'est plus sûre de savoir de qui il s'agit mais qu'importe…la créature a forcément mérité ce qui arrive…ose se rebeller et lui faire face. Cette désobéissance la met dans une telle rage qu'elle ne dit rien, ne réplique que par un coup. Peu importe à présent où tombe la schlague, pourvu qu'elle tombe. Un nouveau mouvement d'arrachage, bien virulent, déchire la peau de l'abdomen, fait gicler le sang. Cora serait fière d'elle. Elle aussi sait châtier de la bonne manière. Quant à Léopold…il serait vexé, certainement, de voir qu'elle manie le fouet mieux que lui.

Emma, de son côté, ne sait plus où elle est ni qui elle est. À travers la brume opaque qui danse devant ses yeux vagues, elle ne perçoit que des images confuses. Mais son cerveau y pourvoie généreusement, relaye les figures manquantes.

Monsieur Jones enlève sa ceinture Cassie se précipite vers elle flanquée de quatre femmes aux mines patibulaires le fermier assis sur une meule ordonne à ses fils de la courber sur la barrière et de soulever sa jupe un père d'accueil rigolard s'approche une bouteille dans une main un entonnoir dans l'autre la clef tourne avec un bruit sec dans l'arrière-boutique du marchand l'assiette contenant son dîner un reste de purée moisie gît à terre la matière froide et collante mais comestible adhère au parquet sale une bande de drogués qu'elle ne connaît pas accoure et la plaque contre la poubelle qu'elle était en train de fouiller trois hommes elle a oublié le nom du fugitif elle était sur le point de le coincer elle a eu l'imprudence de pénétrer seule dans un immeuble pratiquement vide où elle l'avait vu entrer une porte s'est ouverte brusquement des mains l'ont attrapée l'ont tirée dans un appartement ils lui ont pris son arme l'ont jetée sur un canapé défoncé l'ont immobilisée seule contre trois elle n'a rien pu faire ils avaient un taser.

Le coup suivant s'abat sur les seins, atteignant simultanément les deux tétons. La douleur est si extraordinaire que la souffrance elle-même semble pousser un cri d'agonie. Un réflexe. La poigne vigoureuse de l'ancienne garante de caution s'empare du ceinturon, avant que la sorcière n'ait eu le temps de le ramener vers elle. Regina tire, fronce les sourcils. Quelque chose bloque. Elle regarde, se rend compte que la condamnée ose s'opposer à son châtiment. La rage la fait suffoquer. Jamais elle n'aurait fait preuve d'une telle audace, face à Cora.

« Lâche ça tout de suite ! Tu aggraves ton cas. Je verserai de l'eau salée sur tes plaies, quand j'en aurai fini avec toi ! » menace la terrible voix.

Emma, par automatisme, lâche la ceinture, si brusquement que la magicienne manque de tomber en arrière, ce qui décuple encore sa colère.

Sans se préoccuper le moins du monde de viser, semble-t-il, la Méchante reine projette son bras élégant à la verticale. La suite logique veut que l'arme de cuir s'abatte en direction du sol…en direction de la tête blonde…et le shérif a le temps de penser que cette fois, les dommages atteindront son visage…un de ses meilleurs atouts, dans cette vie si pénible !

D'eux-mêmes, ses longs bras se tendent, poignets vers l'avant. Et deux éclairs blancs jaillissent. Il y a très longtemps qu'elle n'a plus utilisé sa magie. La puissance de l'impact est foudroyante.

Regina n'a pas le temps de comprendre. Un choc terrible, en pleine poitrine. Le souffle coupé. La ceinture tombe au sol. La sensation d'être projetée en arrière, de choir horizontalement. Une collision. Non. Plusieurs. Dans le dos, la tête, les omoplates. Bris de verre. Un fracas assourdissant, qui se précipite dans ses oreilles, emplit la chambre jusqu'aux quatre coins, s'insinue entre les interstices des châssis, de façon à envahir l'univers. Des coupures, ou plutôt des centaines de minuscules estafilades, partout où sa peau n'est pas protégée par la soie de la robe de chambre. Et finalement, la chute, lourde et inélégante, au milieu d'un monceau d'éclats étincelants.

L'héritière légitime du Royaume de la Forêt Enchantée voit son bourreau, qui est aussi son âme sœur, éjectée par cette magie dont elle refuse depuis des années de se servir, atterrir en plein milieu du miroir sur pied, placé près de deux mètres derrière elle, et qui a maintes fois servi à sa dégradation. La glace vole en éclats. La sorcière tombe au sol, entourée de fragments cristallins.

À peine deux secondes plus tard, la belle brune se redresse sur les coudes, promène autour d'elle un regard effaré.

Des entailles sanguinolentes parsèment le visage de pythonisse. Les bras bistrés ont davantage souffert. Le sang coule. Des morceaux de verre tombent. La chevelure anthracite en est toute hérissée. Emma aperçoit un tesson, plus gros que les autres, fiché dans le crâne, près de l'oreille gauche. La blessure saigne abondamment, jusque dans le cou cuivré.

Les yeux désorientés de la souveraine se posent sur l'être aimé, porteurs d'une interrogation perplexe. « Ma puce ? » articule la voix rauque.

Emma est toujours debout, appuyée sur le mur, les genoux légèrement fléchis, nue comme un ver. Ses longs bras blancs sont encore en position, les poignets tendus en direction de la mairesse. Son ventre et son torse portent des stigmates ensanglantés, de larges écorchures, à vif. Le doux visage exprime une terreur sans nom, un indicible bouleversement. « Qu'ai-je fait ? » se demande-t-elle.

Une sensation de relâchement en bas du ventre. Une aspersion. Un liquide chaud éclabousse ses cuisses, dégouline sur ses jambes. Elle baisse les yeux. L'urine coule sur le tapis. La tache sombre commence à s'étendre.

La jolie bouche rose s'ouvre, formant un « O » stupéfait. La tête blonde se relève. La sauveuse regarde sa partenaire avec une expression horrifiée, constate que les pupilles noires sont fixées, elles aussi, sur la souillure humide, qui s'élargit.

Sans un mot, la jeune femme se précipite en direction de la fenêtre.

Regina n'a que le temps de se redresser, assise au milieu des éclats de verre et de l'encadrement de la psyché. « Ma chérie ! Non, ce n'est rien ! » hurle-t-elle.

Heureusement, l'elfe blonde, dans un état de terreur démente, issue de ses pires cauchemars, prend le temps de briser l'épaisse vitre d'un coup de coude. Son amante remerciera en secret les dieux, plus tard, qu'elle ne se soit pas précipitée tête la première.

« Chausson aux pommes ! » vocifère absurdement la reine.

Un nouveau fracas de verre brisé, encore pire que le premier.

La magicienne voit sa bien-aimée se pencher au-dehors, par l'ouverture qu'elle vient de créer, sans prendre garde aux tessons tranchants encore attachés aux châssis, qui lui entrent dans les épaules, les bras, les flancs. Les sens affûtés par la panique, sans doute, Sa Majesté, au moment où l'être aimé bascule dans le vide, afin d'échapper aux forces hostiles qui la menacent, voit dans les moindres détails les pauvres petites fesses, abominablement meurtries.

Puis, Emma tombe. C'est pour de bon cette fois. Heureusement, elle s'emberlificote quelque peu dans les rideaux, dans les épaisses tentures, qu'elle n'a pas pris le temps de tirer, les arrachant partiellement au passage. Cela ralentit la chute de quelques fractions de seconde, donnant à la puissante enchanteresse l'opportunité de réagir.

Sans crier, la reine se précipite vers l'avant, tombe à terre, sur le ventre, dirige ses belles mains, blessées par les débris du miroir, vers l'élue de son cœur en danger de mort, hurle « Retineo ». Un éclair violet.

« Cela a duré un instant de plus qu'il n'en aurait fallu. J'ai réussi à amortir sa chute. » pense Regina au moment où elle entend l'impact du corps qui s'écrase, deux étages plus bas.

Puis, elle s'affaisse, à bout de forces, s'étend de tout son long.

Dehors, aucun bruit. Cela lui fait si peur !

Par la fenêtre éventrée, elle entend d'abord des éclats de voix. Un cri de femme. Le timbre aigu de Madame Craigston, la voisine d'en face. Des portes qui claquent. Des aboiements. Des pas qui accourent. Un nouveau cri, plus mesuré. Puis « C'est le shérif ! Appelle le 911, Kyle ! Et…et apporte une couverture ! »

La souveraine, étendue sur le sol de sa chambre dévastée, écoute. « Ne la laissez pas toute nue dehors…elle ne le supportera pas. » murmure-t-elle à l'adresse de la chambre vide. Le vent glacé d'octobre, par la vitre brisée, se précipite dans la pièce, enveloppant Regina de ses froides privautés. « Dépêchez-vous ! Il ne faut pas qu'elle prenne froid… ».

Elle ferme les yeux juste avant que les larmes ne jaillissent. « C'est fini, ma poupée…Tout est fini…C'est mieux comme ça. »

Les bruits, devant sa maison, s'intensifient. Elle garde les paupières closes. Comme c'est puissant, le désespoir ! Elle avait oublié. Elle pense à Henri. Le reverra-t-elle jamais ?

Elle rouvre les yeux, sans vraie raison. Tiens, la coupure dans son poignet gauche a l'air plus grave qu'elle ne le pensait. Le sang coule à gros bouillon. Il faudra changer le tapis de toute façon…À moins que la populace ne brûle la maison…

Une sirène d'ambulance. « Pas trop tôt… » marmonne-t-elle. Dehors, les rumeurs, les cris épars ont augmenté. Cette bande de bouseux ont intérêt à l'avoir couverte !

Ce n'est qu'une question de temps avant que des infirmiers ou la police, ou les deux, n'entrent dans la chambre et ne la secourent. Son poignet lui fait très mal. Le sang jaillit de plus en plus vite. Elle ne voit presque plus. Et après ? Peu importe…

« Tu es en sécurité, ma puce. Tout ira bien, maintenant. » songe Regina juste avant de sombrer.

À SUIVRE…