Et comme convenu, la liste remise à jour des binômes qui ont participé à la Guerre du Graal de Paris.
* Adélaïde Fleury - Kid Gil/Gilgamesh (Archer/Caster)
* Waver Velvet / Lord El-Melloi II - Iskandar (Rider)
* Dorian Janson - Mystérieuse Héroïne X (Assassin)
* Sakura Matou - Médusa (Rider)
* Shirou Emiya - Chiron (Archer)
* Rin Tohsaka - Ishtar (Archer)
* Fiona d'Elvaren - Gilles de Rais (Saber)
* Evelyn d'Elvaren - Jeanne d'Arc (Lancer)
* Cédric d'Elvaren - Gilles de Rais (Caster)
* Agnès Dufors - Médée (Caster)
* Lucas Renoir - Charlemagne (Saber)
* Master Inconnu.e - Emiya (Assassin)
* Reika Sakamoto - Tohno Shiki (Assassin)
* Akito Sakamoto - Ryougi Shiki (Assassin)
* Master Inconnu.e - Bedivère (Saber)
* Master Inconnu.e - Tristan (Archer/Saber)
* Master Inconnu.e - Galahad (Shielder/Saber)
* Master Inconnu.e - Gauvain (Saber)
* Master Inconnu.e - Lancelot (Saber)
* Master Inconnu.e - Perceval (Lancer/Saber)
* Master Inconnu.e - Gareth (Lancer)
* Master Inconnu.e - Artoria Pendragon (Lancer/Rider)
Cela faisait presque un an que je bloquais sur le chapitre précédent, alors que toute la suite était rédigée. J'ai pris le temps de finir cette fanfic avec plaisir. J'espère que la lecture vous aura été aussi plaisante que l'écriture n'a été agréable pour moi. Sur ce, je vous laisse avec ce dernier chapitre et l'épilogue en deux parties qui arrive dans la foulée ! N'hésitez pas à laisser un petit commentaire, par MP ou commentaire, je veillerai à les lire avec attention.
Au plaisir de vous retrouver au détour d'une ligne,
Lenia41
Chapitre 24 — Le Sanglier de Cornouailles
C'était une idée absolument folle, qui exigeait qu'elle ait une confiance absolue envers son équipier.
C'était un stratagème dont elle avait été la victime une première fois lors du réveil de Caster au cours du combat contre Rin et Ishtar dans le parc des Buttes-Chaumont, qui lui avait sauvé la vie et dont l'activation reposait sur deux points : la volonté du Roi Sage et le recours à un artefact en particulier. Gilgamesh Caster avait une maîtrise plus avancée des portes de Babylone, dont il était capable de faire un usage moins orthodoxe que de simplement se servir dans ses vastes trésors en partie scellés. C'était aussi l'une des raisons pour lesquelles il n'avait pas souhaité récupérer l'étrange pendentif que Godric avait confié à l'archéologue avec, pour seule consigne, qu'elle devrait le porter sur elle. Elle ne savait pas ce que représentait exactement l'item, mais elle avait choisi de lui faire confiance même après avoir appris que le jeune Gil et Gilgamesh avaient mis en place la rouerie à ses dépens. Et pourtant, Adélaïde n'avait pas hésité à prendre le risque de reculer droit dans le portail auréolé d'un vif halo doré. Avant que l'obscurité ne la gagne tout à fait et que l'éclat d'or ne l'aveugle, elle eût le temps de voir la silhouette grandissante de la chevaleresse, véloce, à quelques sabots d'elle.
Plongée dans l'obscurité et désorientée, la professeure s'efforça de garder son calme et d'attendre.
Sa patience fût récompensée quand une vive lumière dorée apparut sous son nez, s'étendant assez pour qu'elle puisse l'engloutir entièrement. Une main gantée connue la saisit par l'avant-bras gauche et l'extirpa sans ménagement des ombres environnantes. Bien que surprise par la soudaineté du geste, Adélaïde se laissa emporter dans le mouvement et fit un grand pas en avant afin de ne pas tomber.
- Eh bien, en voilà une manière de se présenter devant moi. Déclara Caster avec raillerie.
- Mes salutations, Majesté ! Navrée pour cette apparence débraillée, je n'ai pas trouvé le temps de me rafraîchir. Répondit d'un ton à la fois bon enfant, plaisantin et soulagé la professeure.
- Hmpf, tu n'as surtout pas pris le temps. Enfin, tu as quelques circonstances atténuantes. Bois ça, ton travail n'est cependant pas terminé. Il est bien trop tôt pour songer à te reposer.
Adélaïde accepta de bonne grâce une petite fiole qu'il lui tendait. Le contenu de la fiole lui parût rafraîchissant et adoucissait la douleur qu'elle ressentait dans ses jambes et ses bras, tout en lui restaurant le mana qu'elle avait dépensée tout au long de cette interminable bataille finale. Sous son regard bleu-gris, elle vit déambuler d'un autre portail la silhouette équine et humaine du Roi des Chevaliers sur son destrier, dont le galop l'éloignait de leur propre position avant qu'elle ne fasse volte-face. Elle essaya bien de les charger une nouvelle fois, mais fut contrainte de dévier sa charge lorsque Gilgamesh Caster fit apparaître un puissant mur de flammes entre elle et eux, bientôt suivi de virulentes décharges de magie issues de bâtons ensorcelés qui dépassaient de portails apparus.
- Pour quelqu'un qui ose se prétendre être roi, il n'y a rien à en tirer. Elle est plus puissante, certes, mais ce n'est pas que la puissance qui fait d'un roi ce qu'il est. Á vrai dire, ce n'est guère plus qu'une ombre dévoyée du Roi des Chevaliers, dépourvue de réelle volonté.
- Assez coriace néanmoins pour mettre les autres à genoux, et ce n'est pas passé loin pour nous. Rappela Adélaïde en se rapprochant du Roi Sage, ragaillardie par ce qui devait être la panacée.
- Hmpf. Puisque le gamin a daigné me passer la main, je ne devrais pas trop m'ennuyer. Prends ça avec toi, je n'aurai pas de temps à te consacrer. Tu sais ce qu'il te reste à faire, prêtresse.
Adélaïde approuva de la tête avec un air résolu. Sa main rangea l'item que venait de lui prêter Gilgamesh, entouré d'un écrin de soie de qualité. Elle rouvrit ensuite le codex mystique dans ses mains et concentrant sa magie entre ses pages. Il lui restait en effet une dernière mission à accomplir s'ils voulaient triompher, le moment venu. Le Plan B était enclenché, ils le mèneraient à terme.
Une bonne heure plus tard.
Godric et Gilgamesh lui avaient confié une seule tâche, leur unique clé pour s'extirper d'une issue cauchemardesque. Adélaïde avait rangé le codex mystique de sa famille, se défendant avec ses seules connaissances et ses seuls talents. Elle serrait contre elle une mystérieuse tablette recouverte d'un fin écran de tissu en soie de qualité d'une main, tandis qu'elle aidait à tenir à distance la redoutable Artoria qui continuait de leur tenir tête. Le combat ne semblait pas en finir alors qu'il dévastait toujours un peu plus le parc du Champs de Mars et ses alentours immédiats. L'archéologue ne savait pas combien de temps tiendraient les barrières de diamants enchantés qu'elle dressait les unes après les autres, défendant le sommet de la Tour Eiffel qui représentait leur ultime forteresse à l'aide de son armée de golems. La professeure ne pouvait désormais plus compter sur l'appui de sorts de commandement, il ne lui restait plus qu'un. Elle était témoin du combat titanesque qui faisait rage entre le Roi d'Uruk et le Roi Lion, au-dessus du parc qui n'avait rien à envier au champ de bataille de Camelot. Les Portes de Babylone étaient ouvertes, révélant d'innombrables bâtons mythiques déversant leur pouvoir sur son adversaire afin d'écraser les boucliers runiques mis en place par le Master. Gilgamesh Caster restait debout, lance dans une main et tablettes dans l'autre, et commentait d'un ton digne et sévère.
- Il y a deux différences entre toi et moi. D'un, je suis un roi qui assume ma position. Et de deux…
La Lance de la Fin brandie par le Roi Arthur… non, par la Déesse Rhongomyniad, continuait d'étinceler sur sa lame d'un bleu de glace, annonciatrice de la « Lumière de la Destruction », dépourvue cette fois des treize sceaux qui bridaient jusque lors sa puissance divine et dévastatrice. Le Roi Lion toisait de ses yeux vert clair froids le Roi Sage, sans cesser d'incanter son Noble Phantasm.
- Je sais déléguer ! S'écriait Caster avant de sommer en pensée à Adélaïde - « Prêtresse ! »
C'est alors que l'archéologue, ensanglantée, redressa la tête vers la silhouette en contrebas du Roi Lion qui était fièrement dressée sur son destrier Dun Stallion quelques mètres au-dessus du Champs de Mars. Sa main libre écarta sans plus attendre l'écrin de soie qui recouvrait la tablette qu'elle tenait, et ses lèvres sèches s'écartèrent pour souffler les deux mots sumériens enseignés par Caster.
- Dup Shimati.
La tablette qu'elle tenait serrée entre ses doigts fût vite entourée par deux cercles, d'azur et d'or. Les craquelures qui meurtrissaient sa pierre consacrée s'embrasèrent de flammes dorées. Sa mâchoire crispée sous la douleur incendiaire qui enflammait ses circuits magiques et par la souffrance pure de ses mains meurtries par les flammes sacrées de l'artefact divin, Adélaïde restait debout elle s'évertuait à canaliser le flot tumultueux de magie, afin d'agir en tant que médium pour Caster. Répondant à leurs efforts conjoints, la Tablette de la Destinée vint faire face à la Lance de La Fin.
De longues minutes, l'Autorité Divine et la Rage de la Lance se toisèrent tels des vents contraires.
Á la surprise de Lancer, les flammes de la Tablette finirent par envelopper l'éclat de la lance sacrée, qu'elles avalèrent implacablement. Avant que le Roi Lion ne puisse se remettre de sa surprise, le Roi Sage n'hésita pas un instant et se téléporta aux côtés d'Adélaïde alors que la Tablette de la Destinée disparaissait dans l'un de ses sempiternels cercles d'or, tout en incantant.
- Écoutez ma voix, préparez les balistes ! Par mon ordre, préparez les flèches ! Utilisez mes trésors pour leur montrer la puissance qui protège Uruk ! Ma détermination inondera la terre ! Melammu Dingir !
Le paysage citadin parisien s'estompa pour laisser la place aux sables qui entouraient la fière Uruk dans son âge d'or. Dans cette illusion projetée par le Noble Phantasm de Caster, la Tour Eiffel avait laissé la place au palais du Ziggurat, au sommet duquel le Roi Sage et l'archéologue se trouvaient. Tout autour d'eux, sur les murailles, sur les tours, sur les toits des bâtisses, s'élancèrent des nuées d'or de pure magie tirées par les balistes consommant l'énergie des trésors des Portes de Babylone, qui représentaient l'ensemble du peuple d'Uruk qui vivait à l'époque du pic de sa gloire légendaire.
Le sifflement de la nuée de flèches d'or noya les clameurs du Roi Lion, qui se battait jusqu'au bout. Puis, l'archéologue distingua au loin les silhouettes de la déité et de son destrier qui chutaient vers le sol. Caster attendit plusieurs minutes, avant de les téléporter non-loin du point de chute de Lancer.
- Tu t'es bien battue, mais tu n'as pas assez diversifié tes stratégies. Tu l'as payé de ta vie.
La voix de Caster semblait distante à Adélaïde, alors qu'il n'était qu'à quelques pas d'elle. L'adrénaline était-elle retombée ? Était-ce la fatigue qui venait se rappeler à son bon souvenir ? La professeure l'ignorait, ses pensées d'autant plus confuses qu'une migraine lui rongeait le crâne. C'était comme si ses circuits magiques lui hurlaient leurs doléances après avoir été tant sollicités, sans doute même trop sollicités. Ses yeux clairs papillonnaient dans l'espoir d'éclaircir sa vision, alors que sa vue déclinait petit à petit. Sous son regard, la majestueuse silhouette de Lancer déifiée s'estompait petit à petit dans un éclat doré, ses yeux vert clair rivés dans ceux du Roi Sage. Ils n'étaient ni hostiles, ni amicaux, insondables comme la surface d'un lac niché au cœur de la forêt. Son armure était pourtant trouée, son manteau blanc réduit en charpie et souillé de sang, mais le Roi Lion ne perdait rien de sa noblesse, drapé dans son étrange, distante et inhumaine sérénité.
Adélaïde se distancia de leur conversation. Ses yeux bleus fatigués contemplaient, muets, leurs alentours dévastés. Si la Tour Eiffel avait été par miracle épargnée par la bataille sans fin, il n'en allait pas de même de ses alentours. Nombre d'arbres avaient été tordus, amputés ou même arrachés. Le tapis émeraude de verdure et les pierres brun clair des chemins du parc étaient rougis par le sang, humain et homoncule, au grès des corps qui gisaient ici et là. Il ne restait plus grand-chose des bâtiments alentours. Tout ce qui se trouvait dans le parc et dans les quartiers les plus proches de l'arrondissement avait été broyés et dévastés. Elle pouvait sentir l'odeur de la cendre et d'âcreté de la fumée alors que des feux rongeaient les ruines des bâtiments des environs et voulaient s'étendre à la verdure, aux arbres et aux carrés de fleurs. Au loin, elle entendait la sirène des ambulances.
- Ce chaos, cette horreur, cette dévastation se gravèrent en lettres de feu dans la mémoire de Fleury.
- Prêtresse. L'interpella la voix autoritaire de Caster à ses côtés.
Adélaïde secoua sa tête pour s'extirper de cette morbide contemplation et chasser l'épuisement. Gilgamesh se trouvait à quelques pas de là, ses yeux pourpres rivés sur quelque chose face à eux. Les yeux fatigués de la professeure suivirent son regard avant de se figer face à la scène devant eux.
Cela n'avait rien à voir avec la représentation d'une coupe de vin en or massif couramment répandue du Graal. Non, elle vit tout d'abord un immense pilier de matière sombre et de magie terrifiante, grouillait d'un liquide noir qui ne lui inspirait rien de bon. Souligné par les flammes des incendies alentours, l'apparition avait tous les traits d'une manifestation pure, incontrôlable voire démoniaque.
Une silhouette apparut à la place de la terrible manifestation, qui ne rassura guère la professeure.
- Fi… Fiona ? Demanda d'une voix étranglée l'archéologue, ses traits tirés et pâles.
Elle se rendit compte de son erreur alors que l'apparition s'était approchée d'eux. Si par sa taille et par sa stature elle lui rappelait l'adolescente à laquelle elle s'était attachée, ses traits n'étaient pas tout à fait les mêmes. Ils étaient délicats, mais son beau visage était plus rond et plus pâle. Ses cheveux blonds étaient légèrement bouclés, et ondulaient telle une cascade sur sa longue robe blanche liserée d'argent, tandis que sur son front était ceinte un diadème plutôt que d'une couronne royale. Ses yeux n'étaient pas bleus comme ceux de la petite Fiona, mais d'un bleu vert fascinant et perçant.
Inquiète, Adélaïde regarda autour d'elle et s'inquiéta de l'absence soudaine du Roi Sage. Où était donc passé Gilgamesh ? Le Roi d'Uruk était-il parti sans même qu'ils se disent proprement au revoir ?
- Mes félicitations pour votre survie ! J'ai le plaisir de vous annoncer que vous êtes la seule Master encore debout, et de fait la gagnante de cette sixième Guerre du Graal.
- Qui… qui êtes-vous ou plutôt, qu'êtes-vous ? Le Graal ? Demanda Fleury, prudente.
- Vous n'étiez pas très loin. Je suis le vaisseau du Grand Graal, une porte liée à la Racine de la Magie crée par les âmes collectées des nombreux Servants vaincus au cours de cette guerre.
L'archéologue avait beau avoir été informée de la nature de l'artefact par les récits de Rin, de Shirou et surtout de Waver, l'entendre dire dans la voix douce d'une jeune fille lui donnait froid ans le dos. Qui était-elle ? Quel était son lien avec Fiona ? Le sourire tranquille mais résolu de l'apparition lui indiqua, sans un mot, qu'elle n'aurait pas de réponse à ces questions-ci, alors qu'elle poursuivait.
- Comme vous le savez peut-être déjà, mais le Graal peut exaucer un vœu de votre choix.
- J'en ai été informée, oui. Où se trouve Caster d'ailleurs ?
- N'ayez crainte, il m'a déjà indiqué son vœu. Je vais d'ailleurs vous accorder quelques minutes.
- Attendez, qu'est-ce que vous entendez par là ? S'écria Adélaïde alors qu'elle s'estompait.
- Je reviens très vite vers vous, professeure. Promit l'apparition avec un léger rire.
Ses alentours s'étaient modifiés l'instant d'après. Elle ne se trouvait plus dans le quartier calciné du Champs de Mars parisien, mais sur une espèce de plateau de roche noire entouré par un ravin. La silhouette terrifiante du pilier ténébreux et de son contenu inquiétant était réapparue à l'horizon, tandis qu'une lueur incarnate projetait sur ses alentours une lumière sanglante, sinistre et glaçante.
- Tu as pris ton temps, mongrel. Commenta la voix du Roi Sage, sur sa gauche.
- Caster ! Qu'est-ce que…
* Je n'ai pas beaucoup de temps aussi vais-je aller à l'essentiel. L'interrompit Caster tout en s'avançant vers elle, la surplombant d'au moins une bonne tête et demie.
Il était certes moins intimidant que lorsqu'il siégeait sur son immense trône d'or dans le Ziggurat, mais il ne se délestait jamais tout à fait de cette noblesse qui caractérisait les souverains.
- J'ai changé d'avis sur cette guerre et à ton propos. C'était intéressant, et tu m'as bien servi.
- Caster…
- Sois fière du chemin que tu as parcouru.
- C'était un plaisir et un honneur de t'accompagner sur ce voyage. Oh et avant que je n'oublie…
Fleury retira avec délicatesse la chaîne et le cartouche en or que Godric lui avait confiés avant leur bataille contre Rin et la puissante Ishtar, avant de les poser sur sa paume qu'elle tendit vers le Roi Sage. Caster ne la quittait pas des yeux et referma les doigts de l'archéologue sur le précieux item.
- Garde-le avec toi, tu t'en es montrée digne.
- Gilgamesh ? Demanda Fleury avec perplexité.
Le Roi Sage effleurait du bout des doigts la joue d'Adélaïde, son regard incarnat à la fois perçant et indéchiffrable alors que Caster l'observait dans un silence contemplatif. Puis, sans crier garde, le contact délicat prit la forme d'une légère tape sur sa joue alors qu'il ajoutait d'un ton malicieux.
- Et ça, c'est pour que tu n'oublies pas ce que je t'ai appris !
Les bras croisés sur son torse, l'air satisfait et le rire aux lèvres, l'Esprit Héroïque restait digne alors que sa silhouette commençait peu à peu à s'effacer dans la pénombre écarlate du plateau de pierres. Adélaïde l'observa disparaître sans mot dire, son sourire chaleureux, ses yeux clairs embués de larmes qu'elle refusait de laisser couler. Il n'était jamais facile de faire ses adieux à un ami, alors deux…
Il y avait tant de questions que le jeune Gil et lui avaient laissées en suspens, mais ce n'était pas grave.
Le Roi d'Uruk était parti comme il était venu, drapé de sa dignité et enveloppé de ses mystères.
C'est ce moment que choisit l'avatar du Grand Graal pour réapparaître. L'archéologue se tourna vers elle, ses traits déterminés. Il lui restait une dernière formalité à accomplir avant un repos bien mérité.
Adélaïde avait enfin trouvé la réponse qu'elle cherchait, le vœu qu'elle adresserait au Saint Graal.
Manoir des Velvet, Londres, Angleterre. 2020. Six ans plus tard.
La professeure n'avait jamais pu oublier cette sombre finale de la bataille royale de la sixième Guerre du Graal. Si les sorts de commandement n'étaient plus visibles depuis près de six ans, les événements avaient laissé des marques sur elle, des cicatrices plus ou moins visibles. Elle comprenait mieux, désormais, pourquoi Waver avait été autant marqué par la première Guerre de Fuyuki.
Ils avaient certes pu éviter la catastrophe, mais le tribut de la victoire avait été des plus lourds.
Pas un jour ne s'écoulait sans qu'elle ne ressente sa propre frustration, sa propre impuissance. Comme à Warka, malgré sa victoire, en dépit de tous ses efforts… Fleury n'avait pas réussi à les sauver. Adélaïde n'avait ainsi pas pu sauver l'un de ses meilleurs amis, Lucas. Le professeur avait été vaincu malgré l'appui de Charlemagne, avant d'être froidement abattu par deux des homoncules au service de la mafia russe impliquée dans la conspiration, car trop proche de la vérité. Elle n'avait pas réussi à protéger l'une de ses étudiantes et son frère, Reika et Akito, morts dans les bras de l'un et de l'autre.
La petite Fiona avait perdu son père Cédric, un instigateur de cette Guerre, dans des circonstances traumatisantes avant de voir sa tante Evelyn se sacrifier aux côtés de Jeanne d'Arc pour les sauver, puis de perdre son « Grand Ami », le Saber Gilles de Rais, qui l'avait protégée à corps défendant. Adélaïde avait pu mettre à profit le vœu dont elle disposait en tant que gagnante de la Guerre du Graal, en demandant au Graal à ce que la survie d'Evelynn agonisante puisse être garantie. Hélas, la vie pouvait se montrer cruelle malgré toutes les meilleures volontés et la tante de Fiona, un an et demi après être sortie de son coma, avait perdu la vie dans des circonstances troubles. Adélaïde avait donné sa parole à Evelyn de prendre soin de sa nièce s'il venait à lui arriver malheur tant l'agent n'avait pas confiance en leur propre famille. Et même sans cette parole donnée, la franco-britannique aurait refusé d'abandonner Fiona à son sort. Après un temps d'acclimatation, Fiona avait fini par s'ouvrir à eux. Á leurs yeux, au-delà d'être une pupille au moins jusqu'à l'âge adulte, la jeune d'Elvaren était comme une deuxième fille. Fleury, à l'instar de Waver, avait fait de son mieux pour être présente pour elle tout en sachant bien qu'ils ne remplaceraient jamais les parents perdus par Fiona.
Ironiquement, ce drame avait resserré ses liens avec Waver, puisqu'ils se comprenaient mieux. Cette guerre lui avait fait prendre conscience de la fragilité, l'évanescence et de la préciosité de la vie. Cette expérience l'avait poussée à reprendre sa vie en main et à s'y impliquer davantage. Malgré les épreuves, leur couple avait tenu et s'était fortifié de jour en jour, jusqu'à se consolider par un mariage. Adélaïde avait fait le choix de réduire la fréquence de ses chantiers de fouilles archéologiques, et de s'investir autant dans sa vie familiale que dans ses cours à l'Académie des mages de Londres. Nommée à la tête de la chaire d'archéologie, elle s'était dévouée à la reconstruire en participant activement à ses activités, aux projets de recherche et à la coordination des stages des étudiants. Lentement, elle était parvenue à former et à fidéliser les héritiers de l'équipe perdue à Warka au sein de ses doctorants, jeunes chercheurs et chercheuses post-doctorants et futurs étudiants en Master. Leurs liens avec Rin et Shirou s'étaient consolidés et renforcés, et Adélaïde avait réussi à tenir sa parole en assistant à la naissance de leur fils unique, Suzaku, qui avait fêté cette année ses cinq ans. La petite famille vivait principalement à Londres, mais voyageait régulièrement sur le sol japonais.
Pour sa part, Dorian avait choisi de partir vivre en Irlande une fois ses études complétées avec brio. Adélaïde avait espéré pouvoir le garder à ses côtés pour le former en tant qu'adjoint pour prendre sa suite à la chaire d'archéologie, mais elle avait respecté son choix. Son ancien protégé enseignait désormais dans une académie de mages partenaire de l'Académie de Londres, située dans la partie sud de l'Irlande… mais il ne s'y était pas établi seul, sans grande surprise des étudiants du groupe de recherche, puisqu'il s'était fiancé avec leur comparse écossaise, Bridget. Le jeune couple avait eu un enfant, le petit Liam dont Adélaïde était la marraine. Son adorable et curieux filleul allait d'ailleurs sur ses quatre ans. Adélaïde avait pris une nouvelle élève sous son aile, Lilian Evans. D'un caractère calme, timide mais persévérant, Adélaïde essayait de l'aider à prendre confiance en elle. Fleury avait décidé de lui laisser une chance à la jeune fille, d'autant plus que Dorian la lui avait recommandée.
L'archéologue ne travaillait cependant plus à temps plein, afin de réserver du temps pour sa famille. Elle s'était arrangée de son mieux avec Waver pour être présents dans la vie de leur fille Emily, née un an après la fin de la sixième Guerre du Graal. La petite était désormais âgée de cinq ans et se révélait être une véritable boule d'énergie, intarissable curieuse qu'ils aimaient de tout leur cœur. Waver et elle veillaient aussi sur la jeune Fiona, qu'ils avaient accueillis à bras ouverts en leur sein.
Le son de petits coups toquant à la porte de sa chambre tira Adélaïde hors de ses réflexions. Se détournant du carnet sur lequel elle était en train d'écrire et le refermant d'un geste sec, elle annonça.
- C'est ouvert, vous pouvez entrer !
La porte s'écarta pour révéler la silhouette d'une adolescente revêtue d'un uniforme sobre. Adélaïde se détendit aussitôt et lui accorda un sourire chaleureux tout en se tournant vers elle.
- Bonjour Rosemary. J'ai cru comprendre que tu avais fini les cours plus tôt aujourd'hui.
- « Bonjour Madame. Oui, le professeur était absent. Je suis arrivée il y a deux heures, maître Gilbert m'a dit que vous étiez très occupée » Indiqua en langue des signes l'adolescente avec un sourire respectueux.
- Tu peux l'appeler père, si tu en as envie. Je suis sûre que cela lui ferait plaisir. Et tu peux m'appeler Adélaïde, tu sais. Commenta Fleury d'une voix chaleureuse et amusée.
Fiona s'était très tôt inquiétée du sort de la jeune fille qu'elle avait sauvée des griffes de l'incarnation de classe Caster de Barbe Bleue, seule survivante des crimes commis par son père. Après concertation, Adélaïde et Waver s'étaient informés avec leur réseau de relations du devenir de l'adolescente, avant de s'arranger pour lui offrir une situation plus calme et plus stable. Leur majordome, le vieux Gilbert s'était alors proposé pour la recueillir et la former à l'intendance d'une famille de mages, et avait demandé leur permission de proposer à la jeune fille cette possibilité. Avec l'accord de Rosemary, il l'avait adoptée officiellement comme sa fille, lui-même étant veuf et sans enfants pour lui succéder.
Waver et elle avaient veillé à ce qu'il traite bien la jeune femme, et Gilbert ne les avait pas déçus. La seule exigence avait été qu'ils apprennent tous la langue des signes pour faciliter la discussion, puisque les cordes vocales de l'adolescente étaient trop endommagées pour pouvoir être guéries.
- Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Reprit la professeure.
- « J'aimerai aller chercher Fiona à l'Académie, ses cours seront bientôt terminés et Maître… je veux dire Gilbert, avait un rendez-vous médical. Puis-je vous confier la garde d'Emily ? »
- Bien sûr ! Je te remercie de l'avoir gardée, j'ai pu avancer quelques dossiers. Tout se passe bien pour Fiona ? Elle est très débrouillarde mais j'espère que personne ne l'embête.
- « Tout se passe bien. Je ne manquerai pas de vous en aviser si c'était le cas. Et si quelqu'un venait à lui vouloir du mal, je lui ferai comprendre à quel 'point' c'est une mauvaise idée. »
Rosemary compléta ses signes d'un geste précis en frappant du poing la paume de son autre main. Adélaïde ne pût s'empêcher d'esquisser un sourire amusé et attendri. Rosemary avait pris très à cœur le bien être de Fiona, qu'elle protégeait comme le ferait une grande sœur. Les deux jeunes femmes étaient très proches, même si Fleury ne connaissait pas tous les détails de l'histoire.
- J'espère quand même que tu viendras m'en parler avant d'en arriver là… ou au moins juste après si la situation l'exige. J'ai confiance en ton jugement, Rosemary.
Adélaïde laissa une petite pointe de fermeté se mêler à ses propos. Elle lui faisait confiance bien sûr, mais cela impliquait également Waver et elle en tant que tuteurs de Fiona. Il ne fallait pas non plus ignorer les potentielles répercussions, surtout dans un nid de vipères tel que la société des mages. Certains étaient prêts à tous les coups bas possibles pour s'en prendre indirectement à la réputation de leur famille, et en particulier à Waver. Adélaïde comptait bien continuer à veiller au grain et à prendre soin de rappeler, d'une façon ou d'une autre, aux effrontés où se trouvait leur place. Si la professeure s'efforçait d'être un peu plus subtile avant de sévir, elle s'assurait que le message passe. Rosemary s'inclina pour indiquer qu'elle respecterait sa consigne et s'éclipsa après l'avoir remerciée silencieusement. Une paire de minutes plus tard, une voix claire l'appelait à pleins poumons.
- Mommy ! Mama !
- J'arrive ma chérie ! Lui répondit Adélaïde en se redressant, attendrie et fatiguée à la fois.
L'archéologue descendit l'escalier qui menait au rez-de-chaussée, où attendait avec un large sourire rempli de fierté Emily, ses yeux noirs pétillants d'excitation encadrés par des cheveux bruns nattés.
- Rosemary et moi, on a dessiné ! J'ai fait un beau dessin, viens voir !
- Oh ? Montre-moi cela, répliqua Adélaïde avec bienveillance en se penchant vers elle.
Tout sourire, sa fille lui tendit à deux mains une feuille de papier, ses yeux expectatifs. Adélaïde l'accepta et déplia avec précaution la feuille, avant de se figer en découvrant son contenu. Constatant la perplexité et l'inquiétude de l'enfant face à son silence, Fleury se ressaisit et esquissa un sourire rassurant. L'archéologue posa ses yeux clairs sur la petite fille et s'accroupit à sa hauteur.
- C'est un joli dessin, darling. C'est papa ici, je suppose ?
- Bah, oui ! C'était facile. Papa, c'est le plus fort et plus grand des papas ! Clamait la petite fille en ployant son bras avant de préciser. Même si là, c'est presque le plus grand.
Adélaïde ne pût retenir un large sourire affectueux et amusé envers l'enfant, dont elle ébouriffa brièvement les cheveux avec tendresse en libérant une de ses mains. Il lui tardait de raconter ça à Waver quand il serait revenu de sa longue journée à cheval entre l'Académie et le Conseil des Mages. Elle le connaissait assez pour imaginer sans mal la réaction du concerné. Il essaierait probablement de garder son sérieux quelques secondes, puis finirait attendri et prendrait Emily dans ses bras. Le dessin n'était pas encore très précis vu l'âge d'Emily, mais les traits essentiels étaient reconnaissables. Il lui était impossible de se tromper sur les quatre personnages présents sur le dessin d'Emily, et Fleury n'eût aucun mal à reconnaître la photographie dont l'enfant avait dû s'inspirer pour son dessin. La professeure décida d'aborder le sujet de façon ludique, afin de ne pas intimider leur fille.
- Ah oui, c'est un sacré colosse qui est là ! Il est plutôt imposant.
- Mais pas forcément méchant, il est juste puissant comme… comme un ours !
- Il a l'air formidable en effet ! Avec son petit compagnon, ils me rappellent un peu Goliath et David. Je t'ai raconté leur histoire, il me semble ?
- Oui, mais ce n'est pas pareil ! Eux ils ne disputent pas, enfin pas comme ça. Ils se chamaillent parfois, mais pas pour de vrai. C'est juste pour s'amuser ! S'exclamait joyeusement Emily.
- Je vois. Répondit Adélaïde en se mordant les lèvres pour se retenir de rire. Et là, c'est moi ?
- Oui ! Tu es petite comme moi, mais tu es la plus jolie et la plus forte des mamans !
- Tu me flatte mon ange, mais c'est gentil. Commenta avec douceur la professeure.
- Et puis tu sais, même si tu les caches, moi je les aime bien tes mains. Tu fais plein de belles et de bonnes choses avec tes mains, alors ceux qui disent que tu as des mains de sorcière, ils sont juste des idiots et des jaloux ! Je pense plutôt que tu as des doigts de fée, Mama.
Adélaïde pencha légèrement sa tête sur le côté, ses cheveux roux détachés effleurant ses épaules. Elle regarda avec attention Emily, dont la petite tête était légèrement baissée et ses poings crispés. La franco-britannique ne pensait pas que la petite fille serait aussi sensible aux commentaires désobligeants de certains parents quand elle la déposait à la crèche les jours où elle était à temps plein. L'archéologue déposa avec douceur le dessin sur le buffet le plus proche avant de s'accroupir de à la hauteur de l'enfant. C'était une discussion qu'elle avait prévu d'avoir avec elle, mais pas tout de suite.
- Et c'est tout ce qui m'importe, mon ange. Ce ne sont pas eux qui ont le droit de savourer les délicieuses crêpes à la française ou de jouer avec des figurines faites main, pas vrai ? Répliqua Adélaïde, en lui adressant un clin d'œil complice dès qu'Emily la regardait de nouveau.
Un jour, quand Emily serait assez grande, Adélaïde lui raconterait comment ses mains s'étaient retrouvées aussi abîmées, que ce soit lors d'une discussion mère-fille ou par le biais d'une lettre. La mage en avait écrit déjà un petit nombre à son attention, pour qu'elle comprenne des choses qu'elle n'avait pas été en mesure de lui expliquer à l'époque, à l'instar des cicatrices d'une Guerre du Graal. Emily n'était pas prête à entendre ce qu'il s'était passé lors de cette sixième guerre meurtrière. Adélaïde ne tenait pas à ébruiter les détails du combat final qu'elle avait mené aux côtés de Caster. Il y avait des secrets qu'elle emporterait dans sa tombe, et la Tablette de la Destinée qui avait brûlé profondément ses mains quand elle y avait recouru avec l'aval du Roi Sage était l'un d'entre eux. Il n'y avait que Waver qui connaissait la vérité, et elle savait qu'il ne trahirait pas sa confiance.
Il n'y avait pas que ses mains qui avaient été meurtries. Il n'y avait pas que son sens du toucher des mains qui avait été fortement amoindri. Certaines blessures étaient invisibles à l'œil nu. Ses circuits magiques avaient également été lourdement affectés par la surcharge de puissance spirituelle qu'ils avaient due tant bien que mal supporter et canaliser durant le combat. Si Adélaïde n'avait rien perdu de ses connaissances et de son savoir-faire de mage, elle n'était plus en mesure de produire des prouesses magiques comme par le passé. Son don avec la magie tellurique s'en était trouvé affaibli, et même les golems qu'elle façonnait n'avait plus l'excellence d'avant la finale. Blessée dans ses aptitudes de mage comme dans ses compétences pratiques d'archéologue, Adélaïde avait mis du temps à en faire le deuil. La présence de Waver, d'Emily et de Fiona l'y avait beaucoup aidée.
Elle ne regrettait pas ces sacrifices. Sans eux, Emily n'aurait pas été là pour éclairer leurs jours.
L'archéologue ne pouvait pas raconter ces horreurs à leur fille, elle était trop jeune. Tout ce qu'Emily savait pour l'heure était qu'elle s'était blessée par accident, et qu'il ne fallait pas qu'elle touche les plaques de cuisson ou tout autre objet ou élément très chaud au risque de se faire très mal elle aussi.
Pour faire plaisir à Emily qui dardait un regard noir sur ses gants, Adélaïde les retira et présenta ses mains nues à Emily, de dos puis en révélant lentement ses paumes irrémédiablement meurtries. La franco-britannique fût très touchée que leur fille prenne ses mains dans les siennes sans hésiter. Fleury la regarda avec tendresse avant de réunir les mains de l'enfant dans les siennes avec douceur.
- Allez, viens. Que dirais-tu de surprendre papa avec une soirée crêpes à son retour ? Si tu veux, tu peux m'aider à préparer les pâtes à crêpes.
- Oh oui ! On fera des crêpes salées en plus des crêpes sucrées ? Demanda avec espoir Emily, oubliant aussitôt ce qui la préoccupait.
- On appelle ça des galettes ma chérie, car elles sont faites avec de la farine de blé noir. Précisa avec amusement Adélaïde en soignant la prononciation du mot français pour aider Emily.
Adélaïde ria de bon cœur quand la petite bougonna en disant que c'était comme « tomato and tomato ». Quand elle faisait mine de bouder de la sorte, Emily tendait à faire la même moue que Waver.
Adélaïde emmena la petite fille se promener dans les grands jardins qui entouraient leur demeure, discutant joyeusement avec elle. Quand Emily s'émerveilla alors qu'elles s'approchaient d'une zone un peu plus reculée des jardins, qui étaient bien moins ordonnée que les autres parties, Adélaïde ne pût s'empêcher de sourire avec malice. La professeure d'archéologie pouvait presque entendre la voix bourrue d'Iskandar s'exclamer qu'il aimait ces jardins qui ressemblaient à un champ de bataille.
Sans doute les trouveraient-ils trop ordonnés maintenant ! Il n'y avait guère plus de traces de l'intense combat qui y avait eu lieu, grâce à leurs efforts conjoints et au solide coup de main du jardinier.
Néanmoins, avec amusement, la professeure avait remarqué que Waver avait laissé cette partie de leurs grands jardins telle qu'elle. Située au fond de leur propriété, cet espace regorgeait de fleurs sauvages et d'herbes un peu plus hautes que le reste. C'était, sans aucun doute, celui qu'elle préférait.
Un petit étang y était niché un peu plus loin, mais il ne faisait pas encore assez chaud pour qu'il soit trop envahi par les insectes et, surtout, par les moustiques qui devenaient un véritable fléau saisonnier. Adélaïde avait toujours aimé cet étang. Il n'avait certes pas le charme particulier de celui du manoir de Rin, typique de l'inspiration japonaise en la matière, mais sa simplicité était elle aussi apaisante.
Fleury était assise à quelques mètres de la berge, surveillant avec attention et affection la petite Emily qui trottait à droite et à gauche, jouant avec toute l'énergie et toute l'allégresse de son jeune âge. La professeure appréciait le calme de l'instant présent, savourant un moment de détente fort apprécié.
Un calme aussi rafraîchissant qu'il ne fut évanescent.
Une soudaine lumière aveuglante apparut au-dessus du lac, avec un fracas digne d'un coup de tonnerre. Contrainte de fermer les yeux sous la force de l'éclat, ses oreilles sifflantes, Adélaïde fût aussitôt sur ses pieds et appela avec inquiétude Emily, effrayée que sa fille puisse être en danger.
Une brume épaisse dorée l'empêchait de voir au travers de la nuée et lui dissimulait les berges du lac. Adélaïde se rua aussi vite qu'elle le pût vers l'endroit où elle avait vu Emily quelques instants plus tôt, traversant le brouillard saturé de magie aussi vite que ses jambes le lui permettaient.
L'enfant pour sa part s'était retrouvée assise sur l'herbe, ses yeux noirs curieux rivés sur l'étang.
Un garçon aux courts cheveux blonds, plus grand qu'elle, flottait au-dessus de l'étang du jardin, debout, les bras croisés. Il était revêtu d'un haut blanc, d'une grande veste noire à manches longues, d'un pantalon de toile vert émeraude et de baskets noires et blanches. Ses yeux rouges perçants regardèrent ce qui l'entourait, comme s'il cherchait quelque chose, avant de se poser droit sur Emily. Trop fascinée par l'apparition, la petite fille ne baissa pas les yeux, bien au contraire. Elle lui tendit les bras et ne tenait pas en place, tant elle était émerveillée. Emily déclara avec grand enthousiasme.
- Un génie ! C'est un génie !
Le « génie » s'avança alors dans sa direction, flottant toujours sur la surface de l'eau. Emily était très curieuse en voyant qu'il ne la quittait pas des yeux et semblait l'observer avec grande attention. Il s'arrêta face à elle, ses pieds effleurant l'eau sans jamais la toucher sous l'œil admiratif d'Emily. Le garçon finit par s'adresser directement à elle, avec un air à la fois curieux et très sûr de lui.
- On m'a déjà appelé comme ça par le passé donc tu peux le faire aussi, si tu veux. J'accepte aussi Majesté, Dieu ou Gil.
Il ne manquait pas d'air, mais cela amusait Emily plus qu'autre chose. Ce n'était pas le premier garçon qu'elle côtoyait qui faisait preuve d'une telle assurance, aussi n'allait-elle pas se laisser intimider ! L'étrange garçon se pencha légèrement vers elle avec un air important, bras croisés sur son torse.
- Et toi ? Qui es-tu, petit lutin ?
- Je ne suis pas un lutin ! Je suis une fille, et je m'appelle Emily. J'ai cinq ans ! Protesta vertement la petite fille tout en posant les mains sur ses hanches, un sourcil haussé.
- Je vois de qui tu tiens, toi. Commenta le génie non sans amusement avant de lui poser une nouvelle question. Ta maman est là par hasard ?
Emily le dévisageait avec curiosité. Il lui rappelait quelque chose, mais quoi ? Elle se souvint alors de la petite photo dans le salon, qu'elle avait trouvé sur un buffet et qu'elle avait voulu dessiner. C'était lui ! C'était le génie aux cheveux d'or qui jouait aux jeux-vidéos aux côtés de son papa et de sa maman avec le grand colosse aux cheveux de feu. C'est alors qu'elle entendit sa mère l'appeler.
- Emily ? Emily !
Un génie ! Mommy, il y a un génie qui est sorti du lac ! Il n'a pas d'épée ni de lampe, mais il est vraiment habillé comme un génie ! Comme celui de la photo ! Viens voir, mama !
La brume résiduelle de magie s'était enfin estompée lorsqu'Adélaïde avait rejoint les berges de l'étang, des cristaux nourris de magie dans l'une de ses mains. Inquiète pour le sort de sa fille, l'archéologue était sur ses gardes et prête à attaquer la moindre menace qui viendrait les menacer. Son cœur manqua un battement ou deux lorsqu'une voix familière l'interpella avec aplomb.
- Salut Adélaïde ! Je t'ai manqué ? J'ai trouvé ce lutin dans le jardin, je me suis dit que tu voudrais le garder.
- Je ne suis pas un lutin, je suis Emily !
La mage frotta ses paupières de sa main libre, avant de voir que l'image ne se troublait pas. Ce n'était pas une illusion. Un jeune garçon aux cheveux blonds et aux yeux incarnats se tenait au bord de la berge de l'étang, soulevant avec aisance dans ses bras la petite Emily qui riait et protestait à la fois.
- Godric, c'est toi ?
- En personne ! Répliqua son ami et ancien équipier spirituel.
L'air content de lui et enthousiaste, Godric déposa avec délicatesse Emily et la libéra, dévisageant l'archéologue avec malice et ses bras croisés dans le dos alors qu'Adélaïde attirait sa fille vers elle. Rassurée de savoir que ce n'était pas une menace, la professeure range les cristaux de magie dans un petit sac qu'elle mit hors de portée des mains curieuses d'Emily avant de poser les yeux sur Gil.
- Par les dieux, c'est bien toi ! Mais… qu'est-ce qui t'amène ici, comment tu es arrivé là ? Finit par lui demander Adélaïde une fois qu'elle fut un peu plus remise de sa surprise.
- Qui a besoin des dieux quand on m'a moi, rétorqua le jeune Gil d'un air rieur avant d'ajouter avec un peu plus de sérieux. Je suis venu te voir, pardi !
Évidemment… s'il y en avait bien un qui se permettrait de rire des règles, il fallait que ce soit lui !
Un sourire amusé se glissa sur les lèvres de la professeure, ses yeux clairs brillants d'émotion. Quand elle ne l'avait pas revu après avoir terminé sa propre entrevue avec l'esprit du Graal, la française avait supposé qu'il eût obtenu ce qu'il cherchait. Revoir le jeune Archer était une perspective qu'elle n'avait osé imaginer, résignée à son improbabilité. Une main toujours posée autour des épaules d'Emily, elle étreignit de l'autre le jeune garçon avant de poser sa main sur l'une de ses épaules.
- C'est bon de te revoir, mon jeune ami ! Tu as l'air en pleine forme, dis-moi. Alors, est-ce que tu as pu trouver ce que tu cherchais avec ce maudit Graal en main ? Lui lança Fleury.
- Maudit, maudit ! Rappelle-toi, c'est comme la magie. Il n'est pas bon ou mauvais en soi, il est ce qu'on en fait. Et puis, j'ai pu revenir après tout ! Ce n'est pas une bonne chose ? La reprit le jeune Archer avec un sourire un peu plus hésitant et un bel exemple d'yeux doux.
Il n'avait pas changé et était parfaitement conscient de son charme et de son charisme naturel, surtout sous cette apparence. Adélaïde n'y était plus très sensible depuis le temps qu'ils travaillaient ensemble, mais c'était plus fort que lui. Derrière la plaisanterie pourtant, la professeure sentait une pointe de nervosité peu habituelle chez lui. Alors, Godric n'était pas si sûr de lui cette fois ? Avait-il fait un pari risqué, comme il avait aimé parfois le faire ? Elle aurait pu le taquiner, en ne lui donnant pas tout de suite la réponse à sa question implicite, mais l'archéologue était heureuse de le revoir et se sentait de fait d'humeur magnanime. Elle répondit d'une voix un peu amusée mais sincère.
- Tu nous as fait une belle surprise, en effet. Tu connais déjà Emily, ma fille. Emily, je te présente Godric, un ami de la famille. Waver rentre un peu plus tard. En attendant, tu veux te joindre à nous pour préparer des crêpes et des galettes autour d'un chocolat chaud maison ?
- Voilà une offre que je ne peux pas refuser. Disons un maintenant, et un plus tard !
Son aplomb amusait toujours Adélaïde, qui secoua doucement sa tête avec le sourire aux lèvres. La nervosité qui l'avait gagnée par la peur que sa venue soit synonyme de menaces à venir s'était dissipée pour laisser place à la bonne surprise que représentait sa visite. Emily était totalement captivée par le jeune garçon qu'elle ne quittait pas des yeux et qu'elle assaillait de questions variées. L'archéologue se posait cependant beaucoup de questions : comment était-il revenu ? Il ne dégageait pas la même présence qu'avant, était-il encore un Servant ? Cela ne devait pas être que pour ses beaux yeux que le jeune roi était revenu, aussi espérait-elle qu'il lui donnerait au moins quelques petites explications.
Pour l'heure, ils étaient tous trois revenus dans la cuisine du manoir et s'attelait dans la joie et la bonne humeur à la confection des pâtes pour les crêpes sucrées et pour les galettes salées. Adélaïde remarquait bien le coup d'œil de Godric sur ses mains gantées, mais il ne fit aucun commentaire et la professeure n'avait pas non plus envie de s'y attarder davantage. L'odeur capiteuse et sucrée des pâtisseries françaises et du chocolat-chaud maison à l'ancienne embaumait tout à fait la pièce. Godric observait plus qu'il ne mettait la main à la pâte, mais il montrait une curiosité certaine à la cuisine et elle avait remarqué qu'il aidait parfois Emily en rectifiant ses gestes après avoir observé les siens. Fleury s'amusait à voir son comportement bien différent du garçon parfois impatient qu'elle avait connu, qui en présence d'un enfant faisait preuve d'une patience inattendue et qui se prenait au jeu. Cela ne faisait que renforcer l'enthousiasme d'Emily, qui voulait montrer à quel point elle était douée.
Ils venaient de mettre les saladiers des deux pâtes au frais et de finir la vaisselle lorsqu'Adélaïde entendit le mécanisme du verrou de la serrure de la porte d'entrée s'activer. Emily avait déjà bondi sur ses pieds et accourait vers le hall d'entrée alors qu'Adélaïde posait la guenille sur le bord de l'évier et rangeait le dernier ustensile qu'il lui restait, à savoir un fouet de cuisine. Godric était resté adossé contre un mur, afin de pouvoir garder un œil tant sur la petite fille que sur l'archéologue. La professeure de magie tellurique ôtait les gants pour la vaisselle pour remettre ses gants habituels tandis que le léger grincement de la vieille porte se faisait entendre, bientôt suivi de la voix de Waver.
- Adélaïde, Mily ! Je suis rentré !
- Papa ! Viens voir, il y a un génie qui est venu ! S'écriait Emily avec délice en anglais.
- Un… génie ? Répéta Waver, intrigué.
Emily n'avait pas pu tenir sa langue, avec sa spontanéité habituelle. Adélaïde cherchait encore comment aborder le sujet avec son cher et tendre, d'autant plus qu'elle n'avait pas eu le temps de demander à Gil comment il avait réussi son coup et ce qu'il comptait faire pour la suite. La professeure s'éloigna de la cuisine, suivie de près par Godric, pour gagner le hall d'entrée d'où Waver lui lançait.
- Dear, je t'avais dit de ne pas laisser traîner tes affaires, et encore moins des artefacts. On a aménagé un cabinet spécifiquement pour eux. Á ce rythme, il va falloir qu'on supprime une chambre. Commenta Waver en se tournant vers elle et tout en maintenant Emily dans ses bras.
Il se figea en remarquant la petite silhouette qui lui emboîtait le pas, d'abord intrigué puis clairement surpris. Adélaïde prit sur elle de ne pas relever la remarque sur l'organisation particulière de ses affaires et de lui rappeler qu'elle n'était pas assez irresponsable pour les laisser traîner avec Emily dans les parages. Avant qu'elle ne puisse prendre la parole, Godric lui dama le pion avec entrain.
- Ah tiens, mais qui voilà ! Salutations cher compagnon d'armes des champs de bataille virtuels et appréciateur des bonnes choses ! Did you miss me, pal?
- So much as you can't even imagine. Finit par répondre Waver d'un air résigné.
L'archéologue croisa bien le regard de Waver, qui lui demanda en silence des explications. Fleury haussa des épaules avec un léger sourire perplexe, indiquant qu'elle était tout aussi ignorante que lui sur le sujet. La professeure acquiesça en silence quand son cher époux lui précisa sans mot dire qu'ils auraient une solide discussion en tête à tête par la suite, détendue. Elle n'était pas du tout inquiète.
Après tout, Waver et elle avaient toujours su s'adapter aux situations qu'ils avaient rencontrées.
