Chapitre 26 — Là où tout se finira

Hôtel, Upper East Side, New-York, États-Unis, 2030. Le lendemain matin.

Cela faisait longtemps que ses nuits n'étaient plus aussi reposantes qu'elles ne le furent par le passé.

Si les souvenirs de Warka la laissaient relativement tranquille désormais, s'étant bien raréfiés, c'était son corps qui avait décidé de prendre le relai de son esprit pour continuer de la tourmenter autrement. Soit c'était son dos qui se rappelait à son bon souvenir, surtout les jours de froid et de pluie, en lui évoquant les rhumatismes qu'elle lui avait infligé avec ses aventures et ses rares accidents de travail, soit c'étaient ses poumons qui faisaient des siennes en la laissant à bout de souffle ou en lui laissant une douleur lancinante et brûlante dans son torse. Ça passait toujours, mais c'était assez pénible.

Il faisait bon dans la chambre de l'hôtel, ni trop chaud ni trop froid. Une brise assez agréablement fraîche parcourait l'air environnant. Cela l'étonnait un peu de la part d'un deux étoiles, d'ailleurs.

Par réflexe et les yeux encore fermés, Adélaïde voulut saisir sur la table de chevet, à tâtons, la fiole contenant le remède qui la soulageait, un temps, de ces maux que portaient la maladie qui l'achèverait.

Sa main ne se referma que sur du vide. Perplexe et à moitié assoupie, la professeure grommela entre ses dents et se retourna aussitôt pour accroître la portée de ses doigts, sans davantage de succès.

Fleury ouvrit paresseusement ses paupières, étonnée par la douceur de la luminosité de la pièce. Généralement dans les chambres qu'elle réservait pour de courts déplacements, c'était tout ou rien. La douceur crème des murs, impeccables, surprit son regard avant même de remarquer l'agencement du mobilier. Cela ne correspondait en rien à la disposition de la chambre qu'elle avait réservée.

La professeure allait prendre appui sur l'un de ses coudes pour se redresser lorsqu'elle entendit un souffle assez discret dans le sens opposé, de plus en plus proche. Elle n'eut cependant pas le temps de réagir avant qu'un bras ne vienne se poser au niveau de sa taille et y demeurer, l'entourant. Sa perplexité crût lorsqu'elle perçut un corps allongé près d'elle, contre lequel la gardait le bras concerné.

L'archéologue ne paniqua pas. Lointain était le temps où elle n'était qu'une vierge effarouchée. C'était plus déstabilisant qu'inquiétant, d'autant plus que cela faisait des années qu'elle dormait seule.

Les traits froncés, Adélaïde prit le temps de réfléchir un peu pour rassembler ses souvenirs de la veille.

Elle avait atterri à New-York. Elle s'était rendue au centre-ville, au quartier des affaires. Elle avait rendu visite à Godric, ce qui n'avait pas été une mince affaire. Il l'avait amenée dans son bureau pour qu'ils puissent discuter au calme. Ils avaient discuté et bu. Elle avait beaucoup parlé… et pas mal bu.

Ce qu'il ne laissait qu'une possibilité, dans l'état dans lequel elle s'était réduite à se laisser aller ainsi.

La franco-britannique essaya d'incliner légèrement sa tête pour essayer de regarder par-dessus son épaule. Les cheveux blonds désormais ébouriffés étaient, indubitablement, familiers et identifiables. Elle avait assez confiance en lui et en elle pour savoir qu'il ne lui aurait rien fait dans un tel état.

Avec un sourire amusé, elle songea en son for intérieur que ce ne serait pas les filles de son âge qui manqueraient. Ses lettres avaient été très révélatrices à cet égard, puisqu'il ne s'en était jamais caché.

Il ne restait plus que le plus difficile à faire, à savoir s'extraire de cette situation, pour se lever et attraper sa montre à gousset qu'elle voyait posée sur une petite table fixée au mur de son côté du lit.

Malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à atteindre l'objet de ses convoitises, ne réussissant pas à se défaire de sa prise. Le jeune homme encore endormi n'était pas décidé à la libérer. Á peine avait-elle attrapé la montre à gousset qu'il l'avait ramenée auprès de lui avec douce fermeté.

- Hm… qu'est-ce tu fais ? Arrête de gigoter autant. Il est bien trop tôt, soufflait-il mécontent.

Plutôt que de relâcher sa prise, il resserra au contraire son bras autour d'elle. Allongé contre son dos, il posa sa tête près de son épaule. La force dont il faisait preuve autant que la conscience de sa morphologie corporelle lui fit prendre conscience d'à quel point il avait grandi en refusant, treize ans plus tôt, de continuer à prendre la potion de Jouvence au terme de la sixième Guerre du Graal.

Il avait refusé de lui en donner les raisons. Sa haine envers son lui-même Archer plus âgé semblait s'être mue en un mépris envers ce dernier, son jugement étant un peu plus clément envers Caster.

Plus les années s'étaient écoulées, plus Fleury avait l'impression de voir leurs traits se confondre.

Il n'avait rien perdu de sa confiance en lui, au contraire. Sans doute la voie qu'il s'était choisie, celle d'un autoentrepreneur autodidacte qui supervisait des start-ups prometteuses et florissantes, devait y jouer. Derrière son agacement et son impatience, Adélaïde savait qu'il était un peu moins arrogant que ses aînés et un peu plus humble. Il était conscient que du fait qu'il soit devenu plus « humain », il était aussi plus empathique et de fait, moins protégé par la distance et l'autorité royales.

Toutefois, les rares fois où il lui en avait parlé en privé, il ne semblait pas trop regretter son choix.

L'archéologue se rendit cependant compte qu'elle avait été réveillée par une douleur aux poumons. Adélaïde essaya une nouvelle fois de décaler gentiment mais fermement son bras afin de se frayer un chemin vers son sac posé sur un sofa proche d'une grande baie vitrée voilé par d'épais rideaux. La professeure se rendit bientôt compte que son jeune ami avait passé une jambe autour de la sienne et l'empêchait ainsi de se mouvoir davantage. Il eut d'ailleurs tôt fait de la ramener près de lui avec son bras, qui l'entourait de nouveau. Elle l'entendit lui souffler à l'oreille d'une voix basse et grave.

- Ne m'oblige pas à utiliser un sort. Je suis déjà assez fatigué comme ça.

- J'ai mal, j'ai besoin d'une fiole dans mon sac. Je dormirais mieux si je n'ai plus mal.

- Oh, si ce n'est que ça.

« Si ce n'est que ça » ? Ce n'est pas lui qui devait supporter la douleur chronique, clairement ! Adélaïde allait protester lorsqu'elle le sentit bouger. Elle ferma les yeux lorsqu'une brève et intense lueur dorée familière éclaira la pièce une paire de minutes. Lorsqu'elle les rouvrit, elle entendit un léger « pop » propre au bouchon à l'ancienne que l'on retirait. Elle eut à peine le temps de distinguer qu'il tenait une petite fiole d'or dans sa main alors qu'il se penchait pour l'approcher de son nez.

- Tiens, inhale-moi donc cela. Tu vas t'endormir très vite et sans aucune douleur.

Le parfum de la concoction la frappa tout de suite. Une senteur florale ? Elle n'eut pas le temps de s'y attarder car la préparation était si puissante qu'elle l'assoupit et qu'elle s'endormit sans un bruit.

Elle dormait à poings fermés et ne vit pas le sourire satisfait typique d'un travail bien fait alors que Godric refermait et fit disparaître le flacon comme il était apparu, avant de se rendormir à son tour.


Warka, sud de l'Irak. Année 2030. Une semaine plus tard.

La semaine de repos et de détente que lui avait proposé avec force Godric n'avait pas été une mauvaise chose, même si elle ne l'admettrait pas ouvertement devant le concerné. Le jeune PDG s'était visiblement très bien organisé et s'était arrangé pour se mettre en congés… enfin, autant qu'il en fût capable au vu de sa grande implication dans la gestion de ses affaires, qu'il ferait alors à distance.

Tout était très bien arrangé. Un peu trop bien anticipé au goût de Fleury, comme s'il était bien informé.

Néanmoins, avec le peu de temps qu'il lui restait devant elle, elle n'avait pas eu l'envie de lui en tenir rigueur. Il en allait de même pour le partage du très grand lit. Il ne faisait aucun geste déplacé, dormait tranquillement tant qu'elle se tenait elle-même tranquille, et tous deux appréciaient la compagnie.

Et puis, ce n'était pas comme si des années plus tôt, une même situation ne s'était pas déjà présentée.

Sillonnant une nouvelle fois New-York, elle avait pu compléter le peu de change qu'elle avait prévu – moins d'une semaine – pour l'équivalent de deux ou trois semaines de voyage. Puisqu'ils voyageraient à deux visiblement, elle devait prévoir un équipement plus adapté pour cette excursion.

Car c'était comme cela qu'elle comptait le faire passer. Une dernière excursion, un retour aux sources.

Les ruines de l'antique capitale sumérienne se tenaient encore debout, par un miracle pour lequel Adélaïde n'aurait su comment remercier les dieux. Bien sûr, plusieurs bâtisses avaient souffert des tirs et des explosifs des extrémistes qui avaient tenté de les détruire, afin d'effacer toute trace du passé et de priver d'une partie de leur culture les descendants, d'intellect sinon de sang, de cette civilisation.

En comparaison, la visite à Fatima à Samawa avait été une tâche beaucoup plus simple pour Fleury.

Les années avaient émoussé la colère et la rancœur de l'épouse de Karim à son égard. Elle l'avait tympanisée en arabe, Adélaïde avait encaissé les critiques qu'elle estimait justes et répondu à celles qui l'étaient moins dans la même langue. Le chagrin de la perte d'un proche et surtout sa propre traversée récente d'un deuil similaire avait commencé à adoucir l'ire de sa vieille amie, si bien qu'elles avaient fini par pleurer l'une dans les bras de l'autre, partageant une douleur similaire. Elles étaient toutes deux conscientes qu'elles ne recouvreraient jamais leur proximité passée, mais voulaient jusqu'au bout réparer leur amitié fragmentée et fragilisée par l'attaque terroriste.

En branche d'olivier, Adélaïde avait enfin pu lui rendre la montre à gousset de Karim, qu'elle avait gardé soigneusement toutes ces années dans l'optique de la lui retourner dès qu'elle le pourrait. La photographie qui était cachée était restée dans son écrin. Un silence religieux accompagna ce geste.

Ils passèrent quelques jours en leur compagnie, dans le réconfort et une cordialité très appréciée.

Il était assez amusant pour elle de repenser à la façon dont les enfants de Karim étaient attirés par Godric, réclamant sans cesse son attention et l'invitant à se joindre à leurs jeux. Le concerné, bien que parfois agacé, avait fait preuve d'une patience et d'une bienveillance qu'elle avait rarement vu chez lui en dehors de ses interactions avec Emily, Fiona et Suzaku, surtout quand ils étaient enfants.

Fatima n'avait pas manqué d'être intriguée par lui et de lui demander qui il était et d'où il venait. Afin de ne pas l'inquiéter plus que de raison, Adélaïde s'en était tenue à la version officielle et l'avait présenté comme un enfant qu'ils avaient adopté avec Waver peu après l'incident de Warka. Cela avait surpris l'épouse de Karim, mais elle n'avait pas cherché à en savoir davantage. Fleury avait néanmoins constaté au cours des deux semaines qu'ils passèrent avec eux, qu'elle observait toujours avec une certaine méfiance Godric et n'était jamais à l'aise quand ce dernier posait les yeux sur elle.

Les marques de la guerre internationale qui avait eu lieu dans la région étaient encore nombreuses. Bagdad en portait les marques les plus fortes, tandis qu'à Samawa ils étaient relativement plus tranquilles, ainsi proches du bord de l'Euphrate. Adélaïde devait admettre que partager ce dernier voyage avec quelqu'un lui procurait un apaisement auquel elle n'était pas du tout attendue.

L'enthousiasme qui commençait à vaciller depuis la mort de Waver et, pire encore, de l'annonce des résultats du laboratoire d'analyse, avait repris de l'aplomb et rendait à ses alentours leurs couleurs. Aussi était-elle reconnaissante à son ancien équipier de bataille royale d'avoir réussi à la piéger de la sorte envers et contre son propre mauvais caractère, sa lassitude et la dépression qui la rongeait.

Il était parfois difficile de l'associer au jeune roi qui l'avait accompagnée pendant la Guerre du Graal maintenant que, comme Emily, il avait grandi. Ses traits se rapprochaient de plus en plus de ceux de Caster, même si Rin et Waver les associaient plus à ceux d'Archer. Adélaïde s'était cependant bien gardée de lui en faire la remarque, sachant pertinemment que Godric ne le prendrait pas très bien.

Oui, il avait changé. Tous deux avaient changé, à leur manière. Et pourtant, quoiqu'en disait les autres, la professeure arrivait toujours à débusquer quelque chose dans sa façon de parler et de se comporter qui le distinguaient d'eux. Quelque chose de propre à ce jeune Archer avec qui elle avait fini par tisser un lien fort, qui avait fleuri sous une autre forme après la fin de leur contrat de cette Guerre du Graal.

Nombre de leurs proches ne pouvaient s'empêcher de le rapprocher du tyran qu'ils avaient confronté. Emily et Suzaku, encore innocents, ne voyaient eux que la figure de grand frère qu'ils avaient connue. Adélaïde, elle, entrevoyait parfois chez lui le gamin facétieux, résolu, caractériel mais juste qui lui avait tendu la main à Warka, et ainsi l'avait tirée hors des ombres des ruines et des bras de la mort.

Ce même gamin qui était resté à ses côtés, en dépit de tout, à chaque difficulté qu'ils avaient croisée.

Ce gamin blessé par sa faiblesse d'alors, qu'elle avait porté sur son dos face à une magicienne implacable. Ce gamin tantôt patient tantôt impertinent. Ce gamin qui, en dépit de sa jeunesse, s'était toujours surpassé et avait fait appel à des trésors d'ingéniosité pour la protéger à plus d'une reprise.

Ce gamin qui l'avait attrapée par le bras et l'avait entraînée à sa suite chaque fois qu'elle avait vacillé. Ce gamin qui l'avait motivée à remettre en question ses propres limites afin de pouvoir les dépasser.

Ce gamin qui avait le potentiel d'égaler son alter-ego Caster et qui avait tout l'avenir devant lui.

- Uruk appelle Adélaïde. Tu viens ou tu veux vraiment qu'on y passe la nuit à la belle étoile ?

- Autant éviter, répliqua aussitôt la concernée. Les nuits sont vraiment fraîches dans le désert !

Leur guide les avait menés jusqu'aux portes de l'ancienne cité en ruines, contre une bourse généreuse. La région était encore peu sûre, même si les informations n'avaient pas rapporté le risque d'une attaque prochaine. Après tout, le feu pouvait continuer de couver sous des cendres encore chaudes.

Quelque part, derrière son impatience, cela la faisait sourire d'entendre presque la jeunesse de Godric.

Elle se sentait plutôt de bonne humeur, et partageait un peu son expectative. Bien sûr la peur ne rôdait jamais bien loin ainsi nichée dans ses entrailles, mais elle n'avait pas l'intention de reculer maintenant.

Ce paysage lui avait manqué, plus qu'elle ne l'aurait cru possible. Sa majesté dépouillée, son atmosphère particulière, ses vestiges qui, défiant le temps et les conflits humains, se dressaient encore.

- J'ai déjà dû te le dire, mais ça me navre que tu aies à le voir dans cet état. Les extrémistes ont fait des dégâts. Je suis impressionnée par le simple fait qu'il ait survécu en partie à la roquette.

- Que crois-tu ! C'est de la belle pierre et de la belle ingénierie. Ce n'est pas comme vos tours de béton et de verre, montées en quelques mois et qui ne tiennent pas la route.

- D'autant plus que tu as conçu pas mal de ces bâtiments dont le palais, je me trompe ?

- J'aurais pu être architecte en effet, si je n'avais pas été roi, acquiesça avec fierté Godric.

C'était l'un des avantages qu'il avait trouvés par l'obtention du Graal et du vœu qu'il lui avait présenté. Il n'avait guère été bavard sur les circonstances de cette discussion avec l'incarnation du Graal, donc Adélaïde n'avait jamais connu les termes exacts de son souhait ni si Gil Caster avait pu avoir le sien. Affranchi des chaînes du Trône des Héros et des Guerres du Graal, il pouvait mener sa vie comme il l'entendait. Le bougre avait même réussi à ne pas perdre ses pouvoirs, à son évidente satisfaction.

L'Association des mages en avaient eu des sueurs froides, mais contre toute attente de leur part, le jeune garçon avait mené une vie tranquille auprès de Waver et elle et n'avait pas fait d'histoires. Il n'avait pas cherché à conquérir le monde ou au moins l'Irak. Non, il s'était joué de leurs attentes.

La vie plutôt anonyme sous l'identité qu'ils lui avaient créée auparavant, Godric Gilderoy Kingsley, lui convenait tout à fait. Sa seule exigence avait été de rester auprès de Waver et elle, ce qu'elle avait sans difficulté accepté ainsi que son époux. Malgré le souvenir tenace qu'avait laissé le grand Archer sur Waver, ce dernier avait fini par accepter que s'ils étaient issus de la même essence héroïque, ils étaient deux personnes aussi différentes que Caster et Godric. Cela avait pris pas mal de temps.

Godric s'était empressé d'étudier de nombreux domaines qui suscitaient son intérêt, tels que l'informatique, les jeux vidéo, les sciences politiques, l'histoire, le design urbain et l'architecture… et ne se privait pas d'apporter son grain de sel ainsi que ses propres commentaires, comme ici.

Elle regrettait pour le coup de ne plus avoir beaucoup de temps devant elle. Adélaïde s'admettait curieuse de le voir grandir et de voir l'homme qu'il deviendrait, dans un contexte plus apaisé. Elle garda cette pensée dans le silence de son esprit, un sourire paisible et un peu mélancolique aux lèvres. Elle comptait s'isoler et disparaître dans le désert pour mener son dernier acte à bien, une fois cette dernière énigme résolue, mais elle appréciait sa compagnie pour les derniers jours de sa propre vie.

Il n'aurait pas été très difficile de prendre la clé des champs qui l'emmènerait rejoindre Waver, Karim et les autres vers des cieux meilleurs, clé dont le verre tintait avec douceur au fond de sa veste. Était-ce une bêtise que de ne pas vouloir souffrir plus fort et plus longtemps ? Elle ne considérait pas comme une faute que de vouloir choisir quand et comment elle mourrait, une fois le moment venu.

Ils cheminèrent tranquillement au sein des ruines d'Uruk, tantôt dans un silence confortable, tantôt dans des discussions animées sur l'architecture et ce qu'il en restait. Lentement, ils parvinrent jusqu'au pied des vestiges du palais, assez amoché par les terroristes, la roquette et leur propre percée.

- En tout cas, le trou qu'on avait foré est encore là. La structure a été fragilisée mais je pense qu'elle devrait tenir pour notre passage, si on ne fait pas de folies. Tu es toujours partant ?

- Toujours.

- Très bien. Je sais que tu n'as pas besoin de conseils mais sois prudent lors de la descente. Les roches ont détruit l'escalier et risquent d'être glissantes. Je passe en éclaireur. Des objections ?

- Aucune, tant que je suis là.

Tiens ? Godric était devenu moins loquace alors qu'ils étaient revenus à la case départ. C'était là où ils s'étaient rencontrés… sous ces sables et ces roches blanches qui, eux, semblaient intemporels. Il n'y avait aucune raison de croire qu'il puisse lire ses pensées comme il l'avait pu par le passé. La guerre du Graal qui les avaient associés était achevée, et avec elle s'était terminé le lien qui les avait unis en tant que Master et Servant. C'était en tout cas ce qu'elle avait retenu des ouvrages et des discussions qu'elle avait pu avoir avec Rin, Waver et Shirou, même si le cas de God était particulier.

Le seul autre cas connu n'avait été autre que son lui-même plus âgé de classe Archer. Et en dehors des défunts prêtre Kotomine et de feu le père de Rin, nul ne l'avait assez connu pour le savoir.

Plus de dix ans plus tôt, le jeune Gil lui avait proposé qu'ils retournent un jour à Warka pour qu'elle dépoussière les ruines et pour qu'il s'occupe du cas des incultes violents. Elle était parvenue à noyer le poisson avec le temps et les combats, sachant la proposition déraisonnable bien qu'assez tentante.

Elle n'était pas assez bonne pour pardonner aux extrémistes, mais pas assez folle pour les y risquer.

Non, ils les ignoreraient. Plutôt que cette lutte sans fin, elle préférait qu'ils profitent du voyage.

Prudemment, l'archéologue se faufila dans l'ouverture qui leur donnait accès aux entrailles des vestiges du palais. La présence de la rocaille et du sable en plus des vastes rochers de calcaire rendait la progression difficile, faisant protester son mauvais genou quand l'inclinaison était trop accentuée. Adélaïde serra les dents cependant et refusa avec obstination d'en faire montre au jeune homme. Il y allait de sa fierté et de sa dignité de progresser sans son appui, aussi longtemps qu'elle le pourrait.

Les rares points positifs au saccage des terroristes étaient les minces ouvertures nouvelles qui s'étaient fissurées entre certaines roches, rendant l'air un peu plus respirable et les lieux un peu plus visibles.

Le teint de la professeure était assez pâle. Elle n'améliorait certainement pas son espérance de vie si mince en faisant tant d'efforts, mais au moins elle profitait du moment jusqu'au bout. Ce n'étaient pas que la maladie et la longue marche qu'ils faisaient qui prêtaient à son visage une couleur aussi blême, ni rendait sa respiration plus saccadée, ni trembler légèrement ses mains et ses jambes.

Adélaïde ne niait plus son traumatisme, comme elle ne voulait plus le fuir. Non, elle voulait faire face à sa peur afin de s'affranchir de ce regret tenace, de cette culpabilité qui rongeait son esprit.

Fleury ne voulait pas que Warka ne rime qu'avec le terrorisme. Elle voulait que ses ruines, son histoire et sa culture lui rappellent cette passion et cette curiosité qui avaient rythmé sa vie d'archéologue.

Le seul regret qu'il lui resterait serait de ne pas avoir pris le temps et eu le courage d'y revenir avec Waver et Emily. Ce rêve, étouffé par sa frayeur tenace, était désormais dissipé dans les nuées du passé.

Á plusieurs reprises elle manqua de glisser. Á chaque fois la main de Godric avait rattrapée son bras.

Au terme de leur descente risquée, alors qu'il attendait qu'elle ait récupéré son souffle et son énergie pour poursuivre leur exploration improvisée, Fleury s'était tournée vers lui. Son visage pâle aux traits émaciés, aux joues rougies par l'effort et au front perlé de sueur s'était éclairé d'un large sourire, sincère, chaleureux et reconnaissant. Ses yeux clairs avaient repris de leur éclat et de leur vivacité.

Adélaïde ne lui en voulait pas d'avoir chamboulé ses plans. Elle le remerciait juste d'être là, avec elle.

Le découragement qui l'avait frappée depuis la mort de Waver commençait à se dissiper un peu. Elle resterait sur sa résolution, mais Adélaïde honorerait cette ultime énigme que Caster lui avait lancée, tout comme elle partagerait ce voyage et cet instant présent avec son ancien équipier et plus jeune ami jusqu'à ce que leurs chemins se séparent quand ils remontreraient des ruines de son ancien palais.

L'énigme hantait son esprit, avec une clarté qu'elle n'avait pas perçu depuis des années. C'était aussi grisant que d'enfin redécouvrir un paysage jusque lors dissimulé par d'épaisses vapes de brouillard.

Ils revinrent vers la petite pièce inconnue, dont elle eut le plaisir de voir que le mécanisme fonctionnait toujours avant qu'elle ne le reverrouille de nouveau. Ils le parcoururent dans un silence confortable, comme s'ils se baladaient dans les couloirs d'un lieu familier plutôt que dans les vestiges d'une cité.

Au fil de ses réflexions intérieures, leurs pas les ramenèrent finalement vers la vaste salle d'audience.

Une fois de plus, elle fut frappée par sa grandeur et son état de conservation, malgré les circonstances. Si son mobilier n'existait plus, l'ossature de son architecture avait survécu, envers et contre tout. Il lui suffisait de fermer les yeux un instant pour y projeter, en pensée, les visions passées associées à cet espace que le jeune Archer et Caster avaient tenus, chacun, à lui partager lors de rêves partagés.

Ces marches qui séparaient le trône de l'espace prévu pour recevoir les visiteurs, cet espace ouvert qui laissait passer le jour, l'air et la chaleur au-dessus et derrière l'imposant siège du pouvoir royal. Même ainsi dénudés, dépouillés de leurs atours, une froide majesté imprégnait encore ses pierres. Les quelques fresques qui avaient survécu, bien qu'abîmées par le temps, étaient comme un écho de leur grandeur avant que ne les frappe leur décadence, leur brutale chute qui les frappa lors du Déluge.

Comme après un trop long sommeil, son esprit commençait à se réveiller et à s'élancer en chasse d'indices. Godric restait pour sa part un peu en retrait, sans mot dire et le visage impassible. Elle pouvait cependant sentir son regard pourpre vif qui restait posé sur elle et suivait ses déplacements.

Le roi ne comptait pas l'aider et cela lui convenait tout à fait. Il la gardait juste à l'œil, avec attention.

- « Là où tout a commencé » et « là où tout se finira ». Je ne vois pas d'autres endroits possibles. C'est forcément quelque part par ici. Je doute que ce soit la petite pièce adjacente à ce que je pense être la salle d'audience, ce serait trop évident, commenta Adélaïde d'une voix songeuse.

- Á ton avis ? Une « petite pièce » où tu as trouvé un stylet et les traces d'une bibliothèque. Ça ressemble à un bureau non ? Mon bureau, en l'occurrence, répliqua God en secouant la tête.

Elle ne saurait dire s'il était plus amusé qu'ennuyé par le fait qu'elle n'avait pas identifié le rôle de cette pièce, insignifiante en apparence et pourtant ô combien centrale pour eux, à plus d'un égard. Ses yeux rivés sur les murs qu'elle inspectait avec attention et minutie ne lui permettaient pas de voir son expression, elle ne pouvait se fier qu'au ton de sa voix. Elle approuva de la tête, concentrée. Cette réponse, qui l'avait tant frustrée tant elle avait été proche de la trouver avant qu'elle ne s'échappe, lui semblait moins prioritaire. Elle le remerciait en silence néanmoins d'avoir confirmé sa théorie.

- Qu'est-ce qui a pu m'échapper et qui ne le devrait pas ? Si c'est bien ici, il y a forcément un élément qui devrait m'alerter. Je connais ces lieux, j'ai eu le temps de les arpenter. Pas autant que toi sans nul doute, mais assez normalement pour que ça me saute aux yeux, reprit-elle.

Elle s'arrêta brusquement, figeant son regard sur le pan de mur qu'elle observait. Les sourcils froncés, la professeure regarda avec grande attention les caractères qui s'offraient à sa vue et l'intriguaient. L'une de ses mains gantées vint effleurer avec délicatesse les inscriptions gravées, respectueusement.

- Tiens, c'est étrange. Ces graphèmes n'étaient pas là à mon dernier passage, pas plus que ces morphèmes. Je m'en serai souvenue auquel cas. Et cette encoche… a une forme intéressante.

- N'est-ce pas ? Une forme aussi familière… étrange, pas vrai ? Il y a peut-être un sens à ce qu'elle soit là. Peut-être que ce roi prévoyait des choses à l'avance, lança God d'un ton railleur.

Voilà une marque d'impatience qui ne lui ressemblait pas. Quelle mouche l'avait donc piqué ? Elle n'avait pas eu l'impression de dire des inepties, juste de réfléchir à voix haute. Essayait-il de l'aider ou bien cherchait-il à la provoquer ? Fleury décida de répliquer dans son dos en feignant d'être vexée.

- C'est ça, moque-toi de moi tant que tu le peux !

- Excuse-moi de vouloir mettre un peu d'humour dans ce monde de sérieux, se prit-il au jeu.

- Je plaisante. Si mon sens de l'humour se mettait à défaillir, il ne me resterait plus grand-chose.

- C'est vrai. Ce serait là une pure tragédie.

Il restait trop peu de temps pour se vexer pour si peu… et puis, elle n'était pas certaine qu'il s'agisse totalement de la plaisanterie de sa part. Sa légère moquerie semblait confirmer ses suspicions. L'énigme en elle-même ne lui semblait plus très complexe désormais… vers quoi la menait-elle ? Adélaïde n'en avait aucune idée et, pour la première fois depuis longtemps, retrouvait l'enthousiasme de la recherche de réponse. L'agacement aussi peut-être un peu, mais elle se sentait revivre un peu.

Sans un mot, la professeure glissa l'une de ses mains sous la chemise qu'elle portait. Ses doigts gantés attrapèrent la chaîne dorée qui ne quittait jamais son cou et l'extirpèrent avec douceur de sous le tissu.

Dans la paume de sa main gauche reposait bientôt une clé d'or pur. Son pommeau, lié à la chaîne, n'était pas lisse mais creusée à plusieurs endroits, sillons qui allaient jusqu'à sa garde reluisante. La clé en elle-même était d'une forme carrée curieuse, ciselée de part et d'autre de motifs étranges.

Godric la lui avait confiée sous l'apparence d'un cartouche, juste avant le combat contre Rin et Ishtar. Gilgamesh n'avait pas voulu la récupérer, la laissant sous sa bonne garde aux côtés de son énigme.

Aucun d'entre eux n'avait voulu lui expliquer ce qu'elle était. Elle était un mystère dans ce Mystère.

Le doute n'était plus permis. Les encoches dans le mur semblaient correspondre en tout point à la clé. Il n'y avait plus qu'un moyen de le vérifier et de voir ce que Gilgamesh lui voulait par-delà le Graal.

Adélaïde en arrivait à cette conclusion lorsque l'archéologue fut surprise de sentir les bras de Godric envelopper ses épaules. Elle ne l'avait pas entendu s'approcher derrière elle. Son jeune ami raffermit juste assez sa prise afin de l'étreindre contre lui. Elle ne pouvait pas voir son expression puisqu'il était placé dans son dos, mais la professeure pouvait entendre son léger sourire à travers sa voix.

- Tu m'en voudras sans doute un peu, mais comme tu me l'as dit toi-même, on peut être de temps en temps un peu égoïste.

Son ton était plus posé qu'à l'ordinaire, derrière sa grande confiance en lui. Il ne prenait plus la peine de garder son masque d'impertinence un brin arrogante. Pourquoi, restait la grande question. Bien sûr, il baissait un peu sa garde quand ils étaient seuls et lui permettait de le voir plus tel qu'il était derrière ses murailles. Il lui faisait confiance, et réciproquement. Cela avait été le socle de leur amitié.

Même si comme d'habitude, il ne retenait que ce qui l'intéressait. Une ombre de sourire aux lèvres, la professeure ne chercha pas à rompre cette étreinte. C'était un moment aussi rare que précieux.

- Allons Godric, pourquoi devrais-je t'en vouloir ?

- Tu comprendras quand tu comprendras. Et à l'occasion, tu pourras me remercier aussi dans tes prières. On ne se reverra pas avant un bon bout de temps, mais je penserai bien à toi.

- Je le saurai quand je le saurai, hein. Ça faisait un bail que je ne l'avais pas entendue, celle-là.

- Ça te manquait, avoue. J'espère que cela ne te manquera pas trop.

Avec un léger rire et une dernière tape amicale sur son bras, son jeune ancien équipier et ami la libéra et lui fit signe d'avancer. Comprenant qu'il n'éclairerait pas davantage sa lanterne, Adélaïde laissa un sourire errer sur ses lèvres et s'avança. Une étrange magie se dégageait de ce mur, plus prégnante à chaque fois qu'elle s'en approchait. C'était sans doute risqué mais il n'y avait qu'un moyen de le savoir. Il lui restait encore trop peu de temps pour reculer maintenant. Tant qu'elle le pouvait encore…

D'un geste délicat, elle glissa la clé qu'ils lui avaient confiée des années plus tôt dans la serrure.

Les graphèmes et morphèmes s'illuminèrent d'une couleur dorée, qui les connectaient à la clé. Une lueur diffuse gagna de plus en plus le mur, émanant de la serrure et des caractères inscrits sur le mur.

Á l'instar d'une barrière, une puissance ancienne vint effleurer sa présence et sonder sa magie. D'abord inquiète d'avoir activé quelque mécanisme dangereux ou d'avoir mal compris l'énigme, Adélaïde fut étonnée de voir que l'énergie magique ne lui fit aucun mal et se diffusa bien assez vite.

Une fontaine de lumière en jaillit avec une intensité si forte que la professeure en fut aussitôt aveuglée. L'archéologue ne voyait plus rien. Elle ne pouvait plus bouger. Aucun son n'échappait à ses lèvres.

Une peur sans pareille l'avait saisie lorsque la lumière finit par l'envelopper toute entière.


Lieu inconnu, date inconnue

Ce sommeil inattendu était, contre toute attente, agréable. Elle n'avait jamais imaginé que la mort puisse être plaisante et apaisante à ce point. On lui avait toujours parlé d'un tunnel qui menait vers la lueur d'une autre aventure, d'enfers terrifiants, de cieux plus cléments ou d'abysses très glaciales. Tout était calme dans ce clair déluge qui l'avait saisie, cette vague de lumière qui l'avait submergée, c'était comme si elle nageait ou plutôt, elle flottait, ballotée dans un océan de silence et de sérénité. La première perception qui vint l'extraire de cette paisible langueur fut une sensation fraîche et aqueuse, comme la caresse d'une légère ondée printanière. Elle n'était pas déplaisante pour autant.

Elle ne s'attendait cependant pas du tout à ce que ce voile réconfortant se dissipe comme il était venu.

Pas plus d'ailleurs que d'avoir l'impression de tomber littéralement dans le vide ! Adélaïde ouvrit aussitôt les yeux. Elle eut à peine le temps de remarquer les murs clairs et flous qui l'entouraient avant de percuter une surface plutôt souple qui vint amortir sa chute. Sonnée quelques instants, le pressant besoin d'air lui fit instinctivement prendre appui sur l'une de ses mains pour gagner la surface.

Qui n'était pas très loin d'ailleurs, elle ne devait pas être dans des eaux à grandes profondeurs.

Par les dieux, elle venait de dégringoler une cascade ou quoi ? C'était déjà un miracle qu'elle ne se soit pas brisé le cou ! L'eau avait été salvatrice pour le coup… c'était étrange qu'elle soit chaude. Maintenant qu'elle y pensait, des parfums plutôt envoûtants semblaient embaumer la place. Cela ne correspondait pas tout à fait à l'image que la professeure s'était faite de l'Au-Delà, dans tous les cas.

Des femmes étaient paniquées, tout autour d'elle. Fleury n'avait pas la moindre idée de ce qu'elles disaient, même si certaines syllabes lui évoquaient vaguement quelque chose. C'était une véritable cacophonie, ces femmes habillées à l'orientale ne comprenaient pas un traître mot de ce qu'elle disait.

Elle n'était pas sortie de l'auberge à ce rythme. Ce problème de traduction était assez embêtant.

- … prêtresse aux cheveux de feu !

- La voilà, après si longtemps !

« Prêtresse aux cheveux de feu » ? Cela ne lui disait absolument rien. Elle ne connaissait aucune figure qui puisse correspondre à cette description, et pourtant elle en avait étudié, des folklores ! Il devait sans doute il y avoir une erreur sur la personne. Elle n'avait rien d'une prêtresse avec son pantalon, sa chemise et sa veste, et ses cheveux n'avaient clairement plus leur flamboiement passé.

En dépit de ses essais infructueux, ayant l'impression d'entendre un anglais rugueux, l'archéologue tenta une nouvelle fois d'engager le dialogue avec ces femmes qui ne lui étaient pas familières.

- Euh… désolée mesdames. Je suis un peu perdue. Pourriez-vous m'aider ?

- Bien sûr prêtresse ! On vous amène au roi.

- Au roi, dîtes-vous ? Demanda Adélaïde très perplexe alors que deux femmes l'entraînaient à leur suite avec un air enjoué qu'elle avait du mal à comprendre.

- Bien sûr ! Le roi vous attend depuis si longtemps, commenta la plus jeune des deux dames.

Cela faisait de moins en moins sens. Peut-être était-ce sa tête qui commençait à tourner ? Si c'était un rêve, il était pour le moins très étrange. Quelque chose pourtant lui semblait familier, comme des échos qui résonnaient sur les flancs de la montagne de ses souvenirs… pourtant, noyés dans la brume.

- Vous… vous comprenez ce que je dis ? Je n'arrivais pas tout à l'heure à vous comprendre.

- Bien sûr, nous connaissons votre langage ! Le roi nous apprend tous les langages, y compris ceux des contrées lointaines comme l'an-gle-ais. C'est important, répondit l'aînée.

Leur vocabulaire était simplifié et leur prononciation assez rocailleuse, mais elles s'exprimaient plutôt bien. Trop bien d'ailleurs pour des personnes que sa tenue avait étonnées, au vu de leur confusion. Les deux femmes – assez jolies d'ailleurs – lui pressèrent un peu le pas alors qu'elles l'entraînaient à leur suite à travers un dédale de couloirs. Mal à l'aise, Adélaïde pouvait sentir les regards de gardes armés à l'ancienne posés sur elle, critiques ou trop insistants, sur ses vêtements sans doute trempés.

Essayant de distraite son esprit de ce sentiment de honte persistante, Adélaïde préféra concentrer son attention sur leur chemin et sur l'architecture de l'immense bâtiment qu'elles parcouraient. La pierre était d'un blanc éclatant et laissait entrevoir de temps à des autres des dorures splendides et des motifs magnifiques, qui une fois de plus lui rappelaient d'autres qu'elle avait vus dans des musées étrangers.

Une immense salle s'offrait à ses yeux, baignant dans la lumière naturelle qui échappait à son extrémité à ciel ouvert. Un trône particulièrement grand obscurcissait à peine son éclairage, sous des voiles qui apportaient un ombrage sans doute apprécié par son propriétaire. La salle était particulièrement fréquentée, une foule assez dense y était réunie et une longue ligne se dessinait.

Elle reconnaissait l'homme qui y était assis, ses yeux incarnats rivés vers un soldat qui lui parlait.

Adélaïde se figea. Ce n'était pas possible et puis… elle ne pouvait pas décemment se présenter comme ça ! Essayant de racler sa gorge pour se ressaisir malgré sa nervosité, elle se tourna vers ses guides.

- Le roi a l'air très occupé. Peut-être serait-il plus sage de passer le voir un peu plus tard ?

- Au contraire, prêtresse ! Il nous a toujours dit que vous seriez une priorité, répliqua la cadette

- Il serait mécontent qu'on ne vous ait pas tout de suite amenée à lui, lui confia l'aînée.

Elle pouvait autant lire le respect que la crainte dans la voix et le regard des suivantes. Car elle n'avait plus de doute, il devait s'agir de suivantes au vu de leurs propos et de leurs tenues. D'un côté cela ne l'arrangeait pas pour sa dignité… de l'autre, cela ne l'étonnait pas de la part du concerné. Un mince sourire lui échappa. Aux portes de la mort qu'elle était, elle n'aurait pas d'autre occasion de le saluer.

L'archéologue concéda ainsi en acquiesçant de la tête. Autant ne pas perdre un temps précieux.

Sans se soucier de la longue file qui attendait à quelques mètres du trône, les deux suivantes la prirent à chaque bras et fendirent le rassemblement, ignorant les regards curieux des uns ou la confusion des autres. Adélaïde ne comprenait pas ce qu'ils disaient, bien que des sonorités lui étaient familières.

Il n'empêche que le sobriquet de « Prêtresse aux cheveux de feu » l'interpellait toujours autant… ainsi que la manière dont plusieurs habitants d'Uruk s'écartaient à son approche, respectueusement.

La prêtresse aux cheveux bruns – la fameuse Siduri, sans nul doute – se tourna vers elle avec un air intrigué et réprobateur avant de se poser sur la professeure, tout aussi confuse. Son expression s'éclaira aussitôt et, le sourire aux lèvres, se tourna vers le roi qui était assis sur l'immense trône.

Siduri indiqua aux suivantes de la rejoindre, le roi d'Uruk posant ses yeux pourpres sur Adélaïde. Un sourire satisfait aux lèvres, Gilgamesh l'interpellait d'une voix forte et chaleureuse.

- Bienvenue, prêtresse ! Je t'attendais.

[FIN]