23 octobre

Du point de vue d'une personne extérieure (POV outsider)


C'était un homme qui avait décidé de traverser la forêt de Sherwood parce qu'il ne craignait pas les bande de hors-la-loi de Robin des Bois, contrairement à nombre de bourgeois comme lui. Il se revendiquait, en outre, comme étant un grand intellectuel qui aimait découvrir toutes les singularités de son temps et il était généralement bien accueilli dans les divers endroits où il se rendait.

À la frontière naturelle que constituait la rivière traversant la forêt, Petit Jean ne l'aurait sans doute pas laissé passer comme ça mais, heureusement pour lui et pour sa bourse modérément garnie selon les périodes, Robin des Bois était de sortie ce jour-là. Il était en train de plaisanter et de rigoler avec les nombreux paysans qui composaient sa bande, installé au bord de l'eau. Il avait été intrigué par sa mise, par son histoire et son projet de découvrir toutes les particularités de leur Angleterre moderne et il l'avait invité à venir avec eux à leur campement.

Le voyageur avait pu découvrir une manière de vivre étonnante. Les hommes qui avaient encore maille à partir avec la justice vivaient là, avec leurs épouses et leurs enfants pour la plupart, et bénéficiaient de la houlette du noble Robin des Bois, le meilleur archer d'Angleterre, et sa dame. Celle-ci ressemblait véritablement à une noble apparition de la forêt, avec sa grâce et ses boucles châtains-rousses. Tous les deux, ils dispensaient gaieté et vertu sur la communauté forestière toute entière.

Tout le monde semblait beaucoup les admirer; ils buvaient littéralement leurs paroles. L'intellectuel remarqua malgré tout, qui se détachait, un jeune homme de même pas vingt ans et qui paraissait tout le temps leur tourner autour. Il était blond, joyeux, alerte et il envoyait constamment à Robin des Bois des piques et des petites tapes que l'invité d'honneur ne comprenait pas.

« Viens ici, finit par lancer le chef, souriant, en essayant d'attraper son comparse quand il passa près de lui.

-Il te faut plus d'allant, riche damoiseau, ricana l'intéressé en s'esquivant. »

Le voyageur observa leur manège, étonné, et l'oublia presque tandis que la soirée avançait. Jusqu'à ce que Robin des Bois cramponne soudain son compagnon par la taille et le force à s'assoir à côté de lui, sur sa gauche (puisque sa droite était occupée par Dame Marianne).

« Je te tiens, lança-t-il avec fierté.

-Qui te dit que ce n'est pas exactement ce que je voulais que tu fasses, rétorqua le jeune homme, à moitié assis sur ses genoux.

-C'est toi qui me le dis, répondit Robin des Bois. Je reconnais cette tentative de sauver les apparences entre mille. »

Le voyageur le vit se tourner vers lui et lancer :

« Avez-vous entendu parler de Gilles l'Écarlate ? C'est lui. Il a beaucoup de caractère mais ses chansons sont vraiment très belles et il est sincèrement adorable.

-Je ne suis pas adorable, se défendit l'intéressé.

-Si, tu es même tellement adorable que ça me donne envie de te serrer dans mes bras. »

L'archer mit aussitôt sa déclaration à exécution et ramena le jeune homme contre lui pour l'étreindre fort et l'embrasser dans le cou malgré ses couinements de protestation.

« J'entends qu'il soit un chansonnier talentueux, mais est-ce une raison pour le laisser vous tourmenter ainsi ? s'étonna le voyageur.

-Quoi ? Mais non, répondit Robin des Bois, tout aussi surpris. Je le laisse faire parce c'est mon petit frère. »

Gilles l'Écarlate profita de sa distraction pour se redresser en poussant un grognement d'effort. Rouge, échevelé, il foudroya Robin des Bois du regard et lui tira la langue. Celui-ci lui sourit, loin de s'émouvoir, et rapprocha sa joue de la sienne pour qu'ils puissent considérer leur invité d'un seul regard. L'écart d'âge imprimait clairement sa différence sur leurs traits, le visage de Robin des Bois était plus marqué et celui de Gilles l'Écarlate plus innocent, mais ils avaient définitivement quelque chose de similaire dans le regard. Dans le sourire aussi, qui était aussi charmeur chez l'un que chez l'autre. Leurs cheveux blonds avaient pareillement la couleur du miel dans les rayons du soleil.

À la lumière de cette révélation, le voyageur comprit un peu mieux pourquoi un lien invisible, indescriptible mais bien présent, semblait unir les deux hommes et les relier quoi qu'ils fassent. Ils étaient frères et ils semblaient plus proches l'un de l'autre que toutes les paires qu'il avait eu l'occasion de voir dans sa vie. Il suffisait de voir comme Robin des Bois se pencha ensuite en direction du feu de camp à ses pieds pour attraper un pilon de poulet bien gras dans les braises et le tendre à son frère. Lequel n'était d'ailleurs toujours pas descendu de ses genoux.

« Merci, répondit le jeune homme, narquois. Mais tu ne devrais pas hésiter à te servir, toi aussi.

-La nourriture est rare, rétorqua Robin des Bois. Je ne veux pas que tu meures de faim.

-Moi non plus, répliqua son cadet en fronçant les sourcils.

-Mange, tu es encore en pleine croissance ! »

Et le jeune home consentit à manger la viande, sachant à quel point c'était important pour son frère. Et ils passèrent le reste de la soirée à discuter et à rire et, à la fin, à cause de leur excès d'hydromel, ils s'écroulèrent littéralement l'un contre l'autre en pleurant de rire. Le voyageur visita encore un peu le campement des hors-la-loi en compagnie de Dame Marianne et, quand il repassa au même endroit, Robin des Bois et Gilles l'Écarlate étaient encore là, endormis, blottis l'un contre l'autre sous une couverture. Leurs vêtements respectivement verts et rouges illustraient leurs différences de caractère et tranchaient l'un avec l'autre, mais l'homme avait la certitude que ça ne pourrait jamais empêcher deux frères de s'entendre. Il avait été particulièrement touché par la complicité et la tendresse qui se dégageaient d'eux.

Il comprenait mieux, aussi, pourquoi Gilles l'Écarlate n'était pas le bras droit de Robin des Bois : il était déjà son double.