24 octobre
Tous les câlins (All the hugs)
La première fois que Robin l'avait pris dans ses bras, Gilles avait cru fondre contre sa poitrine tellement ce geste était tendre, aimant, chaleureux, si différent de tout ce qu'il avait vécu en huit ans, depuis la mort de sa mère.
Robin sentait bon, en plus, malgré l'odeur de poussière et de sueur qui s'était naturellement collée à tout le monde dans ce camp dévasté. Il était chaud, aussi, et le jeune homme avait eu tellement froid dans les geôles du Shérif qu'il avait l'impression que ce câlin lui redonnait enfin la vigueur que les rayons du soleil, à sa sortie, n'étaient pas parvenus à lui insuffler. Il n'avait pas du tout envie que son frère le lâche et, heureusement, Robin n'avait pas l'air de le vouloir non plus. Il était encore accroché à son visage tandis qu'il discutait avec les autres et il le laissa faire quand Gilles ne résista pas à l'envie de se pencher à nouveau pour s'appuyer un peu contre lui.
La nuit venue, comme il faisait froid et qu'ils n'avaient pas de couvertures, son frère l'invita à venir se serrer contre lui pour dormir. C'était normal et logique de faire ça et le jeune homme en profita pour enrouler ses doigts dans le tissu de la tunique de Robin et se blottit contre son dos. Ou bien sa cuisse, selon les mouvements nerveux de l'archer qui émergeait parfois du sommeil pour réfléchir à son plan, trop angoissé par les événements du lendemain. Dans ce cas-là, comme il voyait bien qu'il avait réveillé Gilles à ses mouvements lents et paresseux, il lui posait la main sur la nuque pour l'inviter à se rendormir, la joue sur sa cuisse.
Gilles avait vraiment adoré cette tendresse. Mais, au soir de leur victoire contre le Shérif, il se demandait déjà si ces câlins allaient se reproduire aussi souvent qu'il en avait envie. Robin était doux, gentil, il avait eu l'occasion de s'en rendre compte durant les mois écoulés, mais il n'avait probablement pas autant besoin d'affection que lui… Et puis, de toute façon, qui dans ce monde passait de longues minutes à faire des câlins à son frère ?
Robin, évidemment. Robin était totalement de ceux-là et, alors que Gilles faisait une pause loin du bain de foule, assis dans un tas de foin odorant avec une couverture rêche près de lui (le traumatisme de ses blessures, infligées par le fouet du Shérif, lui donnait froid par intermittence), l'archer s'approcha et lui sourit.
« Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il en se penchant un peu. Tu te reposes après la bataille ?
-Oui, répondit le jeune homme un peu timidement. Mais je crois que cette fête, ces danses et ces chansons m'ont bien plus épuisé que les combats contre les hommes du shérif !
-C'est vrai qu'ils ne sont pas très dégourdis, remarqua son frère en riant. Tu trembles un peu. Tu as froid ?
-Non, c'est juste mes blessures qui me font un peu mal.
-Tu t'es battu comme un beau diable, j'ai pu le constater. Et tu as un direct impressionnant ! »
Gilles rit un peu. Il l'observa ensuite dans la lumière du jour qui déclinait. Il ne se lassait vraiment pas d'être son frère; Robin était si brave, si joyeux et si gentil, ça lui faisait tellement plaisir de se trouver en sa compagnie. L'archer le considéra un instant aussi, sourit de nouveau et proposa :
« Une petite étreinte pour nous remettre de nos émotions ?
-Quoi ? Tu me ferais un câlin maintenant ? Vraiment ? s'étonna le jeune homme.
-Bien sûr ! s'esclaffa son frère. Est-ce que tu ne m'as jamais vu étreindre Duncan sans aucune raison au campement ? Ou ébouriffer les cheveux de Petit Loup, poser une main affectueuse sur le bras d'Azeem ou de Petit Jean ?
-Si, mais…
-Allez, viens là. »
Robin s'assit dans la paille et attrapa Gilles par la taille pour l'installer sur ses genoux. Puis, il le serra contre lui et se renversa en arrière pour s'appuyer confortablement contre leur matelas de foin. Le jeune homme resta figé un instant puis se blottit contre la poitrine chaude et moelleuse de son frère. Et, comme il l'avait souhaité, son aîné resta là à l'étreindre un très long moment, la main caressant doucement son épaule et le menton dans ses cheveux, à lui raconter des choses drôles et tendres.
À partir de là, Gilles ne craignit plus de demander des câlins à Robin. Il était vraiment aimant et il paraissait en avoir besoin, lui aussi.
Au tout début de leur fraternité, quand le jeune homme souffrait encore terriblement de ses années de solitude, il allait se nicher dans ses bras au moins tous les trois jours sans aucun autre but que rester contre lui et profiter de son odeur si apaisante et de la chaleur de ses bras.
Quand il était malade, il pouvait être sûr que son frère allait venir se pencher sur lui et explorer son visage de ses mains pour vérifier l'étendue de sa fièvre, puis le serrer dans ses bras pour le soutenir sans se soucier de savoir s'il était contagieux. De toute façon, disait-il, il ne pourrait pas se résoudre à abandonner son cadet et lui rendrait régulièrement visite pour voir s'il allait bien, donc les risques de maladie seraient hauts quand même, donc autant lui apporter tendresse et réconfort.
Quand Robin était déprimé, Gilles trouvait toujours un moyen de se ménager une petite place dans le cocon de noirceur et de déprime qu'il s'était créé et l'invitait à venir se blottir contre sa poitrine pour se sentir un peu mieux. Ça ne réglait pas, évidemment, les problèmes de son frère, ses amis et ses parents qui étaient morts, ses responsabilités de cousin du roi qui pesaient sur ses épaules bien plus que sur celles de son cadet, ses disputes parfois très dures avec Marianne, surtout avant la naissance de leur deuxième enfant, ses doutes en tant que père… Mais les câlins de son frère lui rappelaient qu'il n'était pas seul et qu'il y aurait quelqu'un qui l'aimerait toujours, quoi qu'il puisse faire.
Quand Robin était heureux, il venait souvent se coller à son frère pour partager sa bonne humeur avec lui.
Quand Gilles était blessé, il demandait souvent à son aîné de s'assoir derrière lui dans le lit et de le tenir dans ses bras, son dos appuyé contre sa poitrine, pour trouver du réconfort dans sa présence et l'amour qu'il lui transmettait.
Quand Gilles avait l'impression d'être un mauvais père, il allait parfois se blottir dans les bras de son aîné pour retrouver la sensation d'être apprécié qui lui faisait parfois encore défaut, même après tout ce temps, et il attendait que ses mots doux et ses baisers dans les cheveux lui redonnent confiance en lui.
Quand Robin n'était ni malade, ni blessé, ni triste, ni spécialement heureux, il surgissait parfois derrière son frère pour lui faire un gros câlin. Sans aucune autre raison que l'amour qu'il lui portait et qui lui donnait envie de le serrer dans ses bras. Parce qu'ils étaient frères tous les deux et que le jeune homme, puis l'adulte qu'il était devenu, était l'une des plus belles choses qui lui étaient jamais arrivées.
Et Robin ne se privait pas pour faire des câlins. C'était bien pour ça qu'il avait été exactement celui dont Gilles avait besoin, à l'époque et aujourd'hui encore.
