27 octobre
Retrouvailles (Reunion)
Robin n'était pas certain d'être capable, actuellement, de changer de position ou même de penser à faire autre chose que rester blotti dans les bras chauds de Lord Locksley.
Il avait conscience que la situation était complètement bizarre et absurde. Il n'avait plus adressé la parole à son père sans laisser échapper des grognements entre ses dents depuis l'âge de douze ans (presque treize). Il en avait désormais trente-et-un… et voilà que l'homme mûr qu'il était se retrouvait niché dans ses bras apaisants, les larmes presque aux yeux alors qu'il se souvenait enfin à quel point il avait l'aimé lorsqu'il était enfant.
« Je… Je ne sais pas quoi te dire, Robin, lança Lord Locksley avec un filet de voix. Je… J'ai toujours su que tu reviendrais, mais je ne pensais pas que tu me retournerais aussi changé…
-Je n'ai pas vraiment changé, Père, répondit enfin le jeune comte d'une voix tremblante. J'ai juste… retrouvé la vraie valeur des choses de la vie, comme lorsque j'étais enfant…
-J'espère quand même que tu es toujours un grand garçon. »
Il y avait un rire dans la voix du maître des lieux et Robin s'écarta pour le regarder. Son père était ému, ça se voyait à son visage légèrement rouge et à ses yeux scintillants comme des étoiles, mais il n'avait pas perdu la gentillesse et l'indulgence qui le caractérisaient tant.
« Vous m'avez manqué, Père, souffla enfin l'ancien Croisé, libérant son cœur d'un sacré poids, en portant ses mains dans le creux de ses clavicules pour s'accrocher encore plus à lui.
-Tu m'as beaucoup manqué aussi, Robin, répondit Lord Locksley en lui caressant la joue. Plus que je pourrai jamais l'exprimer…
-Je sais… Je suis tellement désolé de vous avoir infligé tout ça… »
Le comte n'était pas hypocrite; il ne prétendit pas que ce n'était rien et que tout était déjà oublié mais il se pencha de nouveau pour le reprendre dans ses bras. Robin y resta blotti avec bonheur, savourant cette odeur chaude et rassurante qui lui rappelait sa petite enfance.
L'archer finit par prendre en considération Azeem, qui attendait sans rien dire derrière lui depuis qu'ils étaient entrés dans le manoir. Il fallait qu'il le présente à son père, d'autant plus que son ami devait être aussi affamé que lui et qu'il devait craindre, plus que tout, de se faire insulter, chasser, voire pire, de ce pays qui était hostile au sien. Il ne pouvait pas savoir à quel point Lord Locksley était ouvert aux autres et tolérant.
Ce fut avec un sourire plein d'amitié que le comte accueillit le Maure, hésitant presque à lui mettre la main sur l'épaule comme l'aurait fait Robin. Mais, finalement, considérant lui aussi les appréhensions que pouvaient nourrir Azeem, il se ravisa et se contenta de l'inviter à pénétrer plus avant dans leur demeure.
« Les amis de mon fils seront toujours les bienvenus chez moi, dit-il. Je suis sûr que vous avez énormément de choses à raconter et, en attendant, j'aimerais que vous m'accompagniez jusqu'à la salle à manger pour profiter d'un repas bien mérité.
-Je vous remercie pour votre hospitalité, répondit Azeem, en souriant, de sa belle voix grave. C'est un plaisir de rencontre le noble père du Chrétien.
-Plaisir partagé, mon ami. »
Les trois hommes passèrent à table, où le maître des lieux fit servir une série de mets tous plus délicieux les uns que les autres. Il y avait un succulent ragoût de mouton et d'herbes de saison, des oies fourrées aux cèpes, des légumes, de la truite fumée, des pâtisseries comme dessert. Robin et Azeem n'avaient pas autant mangé depuis si longtemps (six ans pour l'Anglais) qu'ils faillirent bien en verser quelques larmes. Malgré la politesse qui était de mise, ils ne racontèrent donc rien pendant la majeure partie du repas, se contentant de savourer ces goûts exquis, la chaleur du feu dans la cheminée et la possibilité de pouvoir enfin se délasser dans un endroit tranquille et accueillant.
Les deux évadés commencèrent à parler à partir de l'arrivée des délicieuses truites fumées. Ils commençaient à être un peu rassasiés et ils avaient désormais faim de paroles, faim de se libérer du poids de la captivité et du difficile voyage qu'ils avaient effectué. Ils durent, bien sûr, se concentrer sur le principal mais ça suffit à émouvoir Lord Locksley.
« Je ne pourrai jamais assez te remercier, dit-il, d'avoir permis à mon fils de s'échapper de ces prisons, ami Azeem.
-C'était la moindre des choses, répondit humblement le Maure, après l'acte de bonté dont il a fait preuve. »
Au bout d'un moment, il demanda à son hôte la permission de se retirer pour se reposer dans n'importe quelle pièce qu'il jugerait bon de lui indiquer.
« Bien sûr. Je vais immédiatement te faire préparer une chambre, déclara le maître des lieux en se levant de son siège. »
Pendant qu'il accompagnait Azeem, Robin flâna un long moment dans les couloirs de l'étage. Il était difficile de dire avec des mots à quel point il était ému de se retrouver ici. C'était comme s'il n'était jamais parti; tous ses souvenirs, ses rêves, ses aspirations d'enfant et d'adolescent rejouaient dans sa tête.
« Ta chambre non plus n'a pas changé, annonça son père en arrivant derrière lui. À part que le lit est fait. Tu ne te donnais jamais la peine de le faire, n'est-ce pas ?
-Et ce ne sont pas les Croisades qui m'ont plus incité à le faire, plaisanta Robin en souriant. Même si j'ai regretté chaque jour toutes les choses auxquelles je refusais de me confronter par orgueil ou par bêtise.
-Je suis vraiment désolé que tu aies dû endurer tout ça. J'aurais dû mieux te protéger de ta propre folie…
-J'étais en âge de décider moi-même de mon destin, Père. »
Presque sans se consulter, le père et le fils se dirigèrent vers les appartements du jeune noble. Comme quand il était petit, Robin s'allongea sur le lit et blottit sa tête sur ses genoux de Lord Locksley, lui racontant par le menu tout ce qu'il avait fait depuis six ans. Et même avant, car ils n'avaient guère plus rien partagé depuis qu'il avait douze ans. Tout au long de ses histoires, son père lui caressa tendrement les cheveux, le front et les joues, incapable d'exprimer avec des mots à quel point il était heureux.
Quel bonheur d'être de retour à la maison.
