Petit mot de l'auteure : ce texte pour le 193e défi de bibliothèque de fiction : Votre personnage va en forêt et joue avec les feuilles mortes
Robert s'était toujours targué d'être une bonne personne ou, tout du moins, d'essayer de l'être. Il essayait ainsi d'être le plus juste possible, de traiter avec respect ses employés, d'aider les autres quand il le pouvait. Généralement, il retirait de ce comportement une grande satisfaction. Toutefois, aujourd'hui, Robert regrettait fortement d'avoir voulu être serviable.
Un peu plus tôt dans la matinée, il avait en effet proposé à Edith, Tom et Mary de s'occuper des enfants : les deux derniers étaient cloués au lit à cause d'une mauvaise grippe, quant à sa cadette, elle avait une maquette à terminer. Les trois adultes étaient donc dans l'incapacité de s'occuper de leurs enfants alors qu'une promenade en forêt leur avait été promise. Devant leurs mines si déçues, Robert s'était proposé en remplacement.
- Cela me fera du bien de marcher un peu dans le domaine, avait-il rétorqué aux airs soucieuses des parents. Et puis, si ma chère Cora veut bien m'accompagner, nous serons deux pour trois enfants. Cela devrait aller.
- Je serai ravie de passer du temps avec mon tendre époux et mes chers petits-enfants, avait répondu la dame de Downton.
L'affaire avait ainsi été réglée et, sitôt le repas de midi avalé, les cinq compagnons s'étaient engagés dans le jardin. Robert avait prévu un petit tour dans la forêt avoisinant le domaine, ce que la joyeuse troupe avait validé.
Au début, tout se passait plutôt bien : les trois enfants s'amusaient avec les plantes, couraient un peu sans jamais vraiment s'éloigner et l'exercice le plus sportif constitua à empêcher Marigold d'effrayer Sybil avec des insectes morts.
Les choses se compliquèrent lorsqu'ils pénétrèrent dans la forêt. Robert avait craint que les enfants ne soient effrayés par le lieu, ainsi Cora et lui avaient-ils prévus mille explications rassurantes sur la faune et la flore environnant. Toutefois, les lieux eurent un effet inverse sur les enfants : ils devinrent complètement galvanisés. La forêt était en effet tapissée des feuilles mortes, que l'automne avait fait tomber des arbres. Celles-ci ornaient alors la terre d'une veste aux couleurs chaudes. Devant cette vision de toute beauté, Cora fit un sourire, en écho à celui de Robert.
- Regardez les enfants, montra-t-elle du doigt. Je suis que vous avez hâte d'être à Noël, mais quand nous voyons de si belles choses, l'attente ne vaut-elle pas le coup ?
Les enfants hochèrent sagement la tête. Néanmoins, ils durent être moins touchés que leurs grands-parents puisque dès que Cora eu terminé de parler, ils se mirent à... sauter à pieds joints dans les feuilles mortes. Rapidement, ils commencèrent une bataille de feuilles, s'amusant à se pousser dedans ou à s'envoyer des projectiles végétaux.
Robert et Cora en restèrent médusés.
- Reprenez-vous, voyons ! houspilla le patriarche gentiment. Est-ce là une vraie manière de se comporter, à votre avis ?
- Pour être heureux, oui ! répondit alors avec malice Sybbie.
- Oui, l'âne, grand-maman, venez jouer avec nous, renchérit Morigold.
Georges lui fut plus direct : il envoya une petite poignée de feuilles sur ses grands-parents. Cora et Robert échangèrent alors un regard, décrétant silencieusement qu'ils ne pouvaient laisser passer un tel affront.
- Vous allez voir ce que vous allez voir ! Gronda alors Cora.
Les deux adultes se lancèrent alors dans la bataille. Les trois enfants s'unirent alors pour lutter contre leurs nouveaux ennemis. Le combat dura de longues minutes, ponctuées de rires, jusqu'à ce que Robert ne trébuche sur une branche dissimulée par le manteau de feuilles. L'âge lui ayant fait perdre son équilibre, il tomba à la renverse.
- Robert ! Vous allez bien ? S'inquiéta Cora en se précipitant aux côtés de son époux.
- Tout va bien, répondit Robert, un peu sonné. Plus de peur que de mal.
Pour rassurer les enfants, il fit un grand sourire en montrant ses mains qui avaient amortis la chute.
- Je ne saigne pas, vous voyez ?
- Tu veux un bisou magique ? proposa Sybbie. Pour être sûr.
- Pour être sûr, je veux bien. On est jamais trop prudents.
La petite vint alors lui déposer un petit baiser sur la paume, rapidement imitée par ses cousins. Le rituel terminé, Robert se releva, souriant :
- Nous devrions rentrer, maintenant. La pluie ne va pas tarder et le dîner non plus.
Les enfants furent déçus, mais retrouvèrent bien vite le sourire quand ils entendirent la proposition de leur grand-mère :
- Nous pourrons revenir faire une bataille, mais cette fois-ci de neige. Cela vous plairait-il ?
À en juger les cris de joie des petits-enfants, l'idée leur plaisait en effet. La petite troupe se mit alors en marche pour rentrer. Cora profita du fait que les enfants parlaient entre eux pour chuchoter à son époux :
- Vous allez réellement bien ? Ou était-ce un mensonge pour rassurer les petits ?
- Je ne vais pas bien, soupira Robert avant de reprendre d'une voix suggestive : Mais comment le pourrais-je ? Vous ne m'avez pas fait de bisou magique.
Le rire de Cora retentit alors dans la forêt.
- Oh, vous en aurez un, soyez-en assuré.
Robert ne put alors que sourire. Une après-midi à jouer avec ses petits-enfants, la sensation de retrouver ses joies d'enfance et maintenant la promesse des lèvres de sa femme ? Il ne pouvait qu'aller bien.
