30. Un peu trop proche
J'aurais dû suivre mon propre conseil et attendre quelques minutes avant de reprendre la route de la maison, mais j'étais impatiente d'échapper aux autres mères au portail. Annie avait semblé sentir mon humeur. Elle était devenue un peu turbulente quand les autres mères nous avaient encerclées. Son mécontentement visible m'avait permis de l'utiliser comme excuse pour partir. Alors que je m'éloignais, j'avais entendu Amanda et quelques autres mères commencer à faire des spéculations progressivement plus folles quant à la véritable signification du message de Harry.
"AT, ça pourrait être un nom d'arme, non ?" avait demandé Amanda. J'avais eu la même réflexion moi-même.
Mon imagination explosait comme un tournoiement d'étourneaux poursuivis par un épervier. J'étais incapable de m'arrêter de spéculer sur ce que j'avais entendu. À plusieurs reprises durant le trajet vers la maison, je découvris que la voiture déviait sur la droite de la chaussée. C'était une bonne chose que les routes de la vallée soient calmes et qu'il n'y ait personne roulant en sens inverse.
A-T – Auror Tué ? Portoloin d'Urgence ? Je savais qu'il y avait plus à ce mystère que Harry ne m'en avait dit. Y avait-il un élément international ? Du trafic d'êtres humains ? J'essayais de me souvenir de ce que l'acronyme A.U.R.O.R signifiait – Agents d'Unification du Renseignement dans les Organisations Régionales – c'était ça. Rattachés aux services qui s'occupaient d'Anti-Terrorisme. Malgré ce qu'il m'avait dit, ce ne pouvait être qu'une simple affaire de meurtres. Tout le monde avait également arrêté de parler de Greyback. Peut-être que Harry était réellement un espion, peut-être qu'il avait un hélicoptère qui l'attendait à l'aéroport, peut-être qu'il était réellement James Bond – James Bond avec une femme et trois enfants.
Je me trouvais toujours dans une sorte de stupeur quand je me garais dans l'allée de Lintzgarth. Quand j'essayais de déverrouiller la porte de ma cuisine, je découvris que mes mains tremblaient. Repensant à mon trajet retour, je fus horrifiée de découvrir que la plus grande partie n'était qu'un flou. Je ne pouvais m'en rappeler qu'à peine quelques bribes je ne pouvais même pas me souvenir si j'avais passé de la musique pour Annie. Ma conclusion, que je l'avais fait, était simplement basée sur le fait qu'elle ne s'était pas plainte.
Quand nous entrâmes dans la maison, j'aidais Annie à retirer ses chaussures, la portais dans le salon et l'installait par terre avec ses jouets. Mon esprit ressassait toujours les événements de la matinée, incapable de se poser. J'essayais d'être joyeuse pour le bien-être de ma fille ce n'était pas facile. Peu importe à quel point j'essayais d'enfermer les événements du portail de l'école dans une boîte, le couvercle refusait obstinément de rester fermé.
Les mots étaient toujours les premiers à revenir voleter à ma conscience. La voix emplie de chagrin de Martha, dont les tentatives pour rester détachée et professionnelle avaient échoué, me revenait en tête, me déprimant et me perturbant.
'L'équipe de Polly !'
'Seulement trois vies détectées.'
'Polly, Dennis et Trudi avaient l'apprentie… Mademoiselle Cattermole… avec eux.'
Qui, me demandais-je, était l'AT, l'Auror Tué ? L'un de ces quatre était-il mort ? Comment Martha et – Anne, c'était le nom – pouvaient être certaines seulement quelques minutes après l'alarme ? À quel point les autres étaient-ils blessés ?
'Les quatre membres de l'équipe de Polly sont manquants, apparemment ensevelis sous le bâtiment.'
Pas Dennis, par pitié, pas Dennis, priais-je, repensant à la fête des Potter et à la longue conversation que Mike et moi avions eu avec Dennis et la lourdement enceinte Lesley. Joyeux, fou de voiture petit Dennis, le plus normal des amis de Harry et Ginny, il ne pouvait pas être mort ce serait impossiblement cruel.
Plus je ressassais sur cette pensée en particulier, plus je m'enfonçais dans la tristesse et la culpabilité. Qui étais-je pour décider, pour prier pour une vie avant d'autres ?
Polly, la Gothique impétueuse et lourdement maquillée que j'avais rencontrée lors de notre première sortie piscine avec les Potter, était étrange et un peu déstabilisante, mais elle avait été assez amicale à sa façon impertinente et excentrique. Je ne pouvais supporter l'idée de vouloir sa mort à la place de celle de Dennis.
La même chose était vraie pour Trudi Corner. Je lui avais à peine parlé pendant la fête parce qu'elle m'était apparue combative et agressive. Mais même si je ne l'avais pas directement appréciée, elle avait un mari. Que je l'ai appréciée ou qu'elle m'ait parue digne de confiance ou non, Trudi était immatérielle. Si Trudi était morte, alors son mari aux cheveux longs, l'expert informatique, Michael – un homme qui partageait son prénom avec mon mari – serait veuf. Cette idée était tout aussi insupportable.
Cela laissait l'apprentie dont je n'avais jamais entendu parler, Mademoiselle Cattermole. Étais-je vraiment le genre de personne qui pourrait souhaiter la mort d'une jeune apprentie, uniquement parce que je ne la connaissais pas ? Des larmes commencèrent à se former dans mes yeux.
Lançant ses bras autour de mes jambes, Annie me ramena vertement à la réalité du moment. Elle me fit presque basculer. Je m'étais tenue au milieu du salon, fixant un abyme d'anxiété. La puissante matérialité de la tentative d'Annie de me réconforter me hissa hors du gouffre.
"Là, là, Manman," me dit-elle. "Est quoi le p'oblème ? Dis-moi de tout et je ferais aller plus mieux."
Je baissais les yeux vers ma fille et souris. Elle pouvait sentir que quelque chose n'allait pas et essayait maladroitement d'utiliser les mots de réconfort qu'elle avait entendu de si nombreuses fois sur mes lèvres. Je la soulevais et l'étreignis.
"Je vais bien, Annie," lui assurais-je. "Maman est juste un peu inquiète. Un des amis du Papa de James est peut-être… blessé… donc je vais mettre les informations pendant quelques minutes, d'accord ?" dis-je.
"D'accord Maman."
Je m'assis sur le canapé. Annie se hissa à côté de moi, se faufila sur mes genoux et se mit en charge de me serrer contre elle. C'est avec énormément de trépidation que j'allumais la télé sur la chaîne BBC News. La femme assise derrière le bureau des informations parlait avec un correspondant politique du British National Party. Le texte défilant au bas de l'écran ne parlait que de FTSE 100, de Barbara Windsor et de guerres à l'étranger. Je regardais et attendis plusieurs minutes, mais les reportages se poursuivirent et le bandeau défilant ne changea pas. Il n'y avait aucune mention de la moindre mort, ou même d'un bâtiment effondré à Sheffield. Il n'y avait rien non plus à propos des meurtres de Sheffield. Après dix minutes à ne voir aucune nouvelle qui m'intéressait, Annie commença à s'agiter et j'éteignis la télé.
"À quoi tu veux jouer ?" lui demandais-je en la soulevant de mes genoux et la posant par terre. Je me laissais glisser du canapé pour la rejoindre.
"Vais chanter pour Manman," annonça-t-elle.
Je ne pus m'empêcher de sourire. Je chantais souvent pour elle quand elle était triste, elle faisait donc de même pour moi. Malheureusement, dans sa tentative pour me réconforter, Annie décida de chanter 'Felton Lonnen'. Je dus l'arrêter. Je savais que si sa petite voix allait jusqu'à 'Je préférerais perd' toutes les vac' que d'perdre min amour,' j'allais fondre en larme. Même si la chanson était simplement une lamentation pour un enfant perdu – qui est retrouvé dans la plupart des versions que j'avais entendu – et pas une histoire de mort, je savais que même cela serait trop pour moi.
"Je vais t'apprendre une nouvelle chanson," lui dis-je. "Ça s'appelle 'The Water of Tyne' et c'est à propos d'un gars qui vit d'un côté d'une rivière alors que sa blonde vit de l'autre côté."
Tout en parlant, j'eus une idée. Peut-être que ce serait un bon moment pour que ma fille m'entende jouer. Chanter avec Annie aiderait, mais j'avais besoin de plus. J'avais besoin d'arrêter de penser, me concentrer sur la cornemuse m'avait toujours apaisé et me forçait à oublier mes inquiétudes. Alors que je regardais le petit visage enthousiaste d'Annie, je décidais que le moment était venu.
Avant d'être mariés, Mike se vantait fièrement en disant que j'avais de très nombreux talents. Il m'avait fallu des années pour le persuader d'arrêter de m'embarrasser comme ça. J'avais une poignée de médailles de natation, mais rien au niveau national je savais chanter juste, mais je n'étais pas précieusement Adele ou Amy Winehouse et j'étais une joueuse de cornemuse honorable, mais je n'étais pas Katryn Tickell. En vérité, j'étais une personne ennuyeuse et très ordinaire. Malgré tout, j'avais besoin de quelque chose pour m'occuper l'esprit. L'alternative était de faire de la pâtisserie, mais Annie voulait chanter.
"Je reviens dans une minute, Annie," lui dis-je.
Me précipitant à l'étage, je tirais le tabouret de ma coiffeuse jusque devant l'armoire. Grimpant dessus, je soulevais délicatement le sac de la cornemuse qui était sur le dessus de l'armoire, soufflait la poussière dessus et éternuait.
"À tes souhaits," cria Annie depuis le rez-de-chaussée.
"Merci Annie," répondis-je.
À ma grande surprise, la simple anticipation fut suffisante pour me remonter le moral. Alors que je descendais du tabouret, je pouvais sentir le sourire sur mon visage. Henry avait été terrorisé par la cornemuse quand il était bébé il se mettait à pleurer à chaque fois que j'essayais de jouer. Je l'avais mise de côté. Elle était restée sur le dessus de l'armoire pendant au moins trois ans. Espérant qu'Annie serait plus réceptive que son frère et priant de n'avoir pas oublié comment jouer, je descendis le sac. Ma fille semblait déjà avoir l'oreille plus musicale que son frère, j'espérais donc qu'elle apprécierait mes efforts.
"Est-ce que tu sais ce que c'est ?" demandais-je à Annie en revenant dans la pièce. J'ouvris le sac et en sortit la cornemuse. Prenant le soufflet, je le pressais délicatement plusieurs fois avant de passer la ceinture autour de ma taille. Le sac bougea et les tuyaux gémirent.
"Non, Manman."
Elle secoua la tête et m'observa avec curiosité placer le soufflet sous mon coude et essayer d'attacher la ceinture. Annie ne fut pas perturbée par le soupir triste émanant des tuyaux. Moi, en revanche, fus horrifiée de découvrir que je fixais la ceinture un cran plus loin que celui que j'avais toujours utilisé, et même celui-ci était un peu serré. J'avais grossi durant les années passées depuis la dernière fois que j'avais joué. C'était la faute d'Annie.
"On appelle ça un Smallpipe, Annie, ou une cornemuse Northumbrienne," lui dis-je.
Plaçant le sac sous mon coude gauche, je commençais à pomper le soufflet du droit. Le sac commença à se remplir et le bourdon entama le gémissement attendu. Annie observait dans un silence fasciné tandis que je continuais à pomper le soufflet. Dès que je le pus, j'appliquais une pression sur le sac et mis mes doigts sur les tuyaux.
Malgré ma promesse de lui apprendre 'The Water of Tyne', je me découvris jouant Bobby Shafto. Annie la reconnut immédiatement. Enchantée par la musique, elle se mit à chanter immédiatement. Nous passâmes la matinée à chanter et à jouer. À l'heure du déjeuner, elle commençait mémoriser les paroles de 'The Water of Tyne'.
Pendant que je préparais le déjeuner, j'allumais la télévision de la cuisine et écoutais les informations. Une fois de plus, il n'y avait aucune mention des meurtres de Sheffield dans les titres. Quand Annie et moi nous assîmes pour manger, les nouvelles étaient passées par les crimes et la politique – tant nationale qu'internationale – et avaient fini de couvrir les guerres étrangères pour passer aux histoires d'intérêt locales. Nous mangions toujours quand les informations se conclurent sans signalement d'explosion ou de bâtiment effondré, ni de mention de la moindre mort. Il n'y avait eu aucune citation des meurtres précédents ou de progrès dans l'affaire.
Il semblait que, depuis le dernier double meurtre, les assassinats de Sheffield avaient complètement disparus des informations nationales. Harry m'avait dit que quelqu'un avait été arrêté, mais il n'y avait pas non plus eu de mention de cela. Peut-être que personne n'était mort, peut-être que le message du matin pour Harry n'était qu'une erreur, une fausse alarme ou peut-être même que mes plus folles spéculations étaient avérées et que tout était totalement classifié et gardé secret.
Quand les informations locales débutèrent, je me demandais si cette histoire avait été reléguée là. J'étais presque sûre qu'il y avait un moyen d'accéder aux autres journaux régionaux, autres que l'édition du 'Nord-Est et Cumbria', mais cela impliquait d'allumer l'ordinateur et d'aller sur internet. Ce serait une perte de temps, m'assurais-je intérieurement. Tout ce qui était associé aux meurtres de Sheffield était certain de finir dans les informations nationales.
Pendant que les informations locales continuaient, je m'interrogeais sur le quatrième nom, 'l'apprentie, Cattermole'. Pourquoi auraient-ils emmené une apprentie dans une situation dangereuse ? Peut-être parce que ce n'était pas censé être une situation dangereuse.
Je laissais Annie m'aider à ranger les assiettes dans le lave-vaisselle et me demandait que faire. J'avais joué de la cornemuse bien assez longtemps, probablement trop longtemps. Les muscles de mon épaule m'indiquèrent qu'il était temps de ranger l'instrument. Chanter et jouer de la cornemuse m'avait remonté le moral, mais ça suffisait comme ça.
Pendant que l'après-midi s'écoulait, mon angoisse bouillonnait à l'arrière de mon esprit. Je commençais à trépigner. À trois reprises, je saisis le téléphone pour appeler Ginny. À chaque fois, je reposais le combiné sans composer le numéro. Si Ginny voulait me contacter, elle avait mon numéro. Pourquoi n'avait-elle pas appelé ?
Sa remarque de l'après-midi précédent, 'Il ne m'appelle pas avec des mises à jour pendant la journée, tu sais,' refit finalement surface. Était-il possible qu'elle n'en sache pas plus que moi ? Était-il possible qu'elle en sache moins ? Mes inquiétudes continuèrent de s'amplifier et je craquais. Il était trois heures moins dix, quelques minutes seulement avant mon départ ordinaire pour aller chercher Henry à l'école. Si Ginny ne savait rien, si Harry ne lui avait pas parlé, je devais l'avertir de la réception qu'elle allait certainement avoir au portail. Prenant le téléphone, je composais son numéro.
Quand elle répondit, je ne la laissais pas parler. Elle avait à peine fini de dire "Bonjour Jacqui" quand je l'interrompis.
"Je me mets en route pour aller chercher Henry," lui dis-je. "Je ne sais pas si Harry te l'a dit, mais il est parti après un appel d'urgence ce matin."
"Je sais, Jacqui." Elle semblait abattue, mais j'avais prévu mon action, je tins donc ma curiosité en laisse et poursuivit.
"Je ne sais pas ce qui se passe. Je peux récupérer James pour toi. J'ai dit que si vous aviez besoin d'aide – si vous avez besoin de n'importe quoi – vous n'avez qu'à demander. Comme je l'ai dit, je ne sais pas ce qui se passe, mais l'appel que Harry a reçu ce matin a été très public. J'étais juste à côté de lui et la plupart des mères étaient à proximité. Après son départ, elles voulaient absolument savoir ce que j'avais entendu. Si tu vas chercher James, tu vas faire face aux interrogations des autres mères.
"J'aurais à y faire face à un moment, Jacqui," dit Ginny. Elle essayait d'avoir sa force ordinaire, mais sa protestation n'avait pas sa passion habituelle.
"Je sais, mais tu n'as pas à le faire ce soir," dis-je. "Si tu veux repousser les inquisitions d'une journée, je ne te le reprocherais pas. Je peux récupérer James pour toi. Ce serait le mieux. Ça protégerait Al et Lily, et aussi James au passage, de la foule."
Il y eut un silence.
"Tu es toujours là ?" demandais-je. "Je vais devoir partir dans pas longtemps, donc…"
"Toujours là." Sa voix n'était guère plus qu'un murmure. J'attendis sa décision.
"Étant donné ce qui s'est passé, je ne veux pas de questions, pas aujourd'hui," admit Ginny. "Ça me perturberait, et les enfants aussi. Tu es sûre que ça ne t'ennuie pas ?"
"Absolument pas," lui assurais-je. "Aucun problème, Ginny. C'est à ça que servent les amis, non ?"
"C'est le cas, merci." Elle semblait assez reconnaissante. "Je vais mettre la bouilloire en route dans environ une demi-heure. Ça fera du bien d'avoir quelqu'un à qui parler. C'est…"
"Je ferais mieux d'y aller, Ginny," l'interrompis-je à nouveau. "Je ne veux pas être en retard pour récupérer les enfants, et puis, moins j'en saurais, moins j'en aurais à dire aux autres. Comme ça je ne serais pas retardée. À tout à l'heure."
"Merci beaucoup, Jacqui. À tout à l'heure."
Ginny savait quelque chose, c'était évident. Je me promis de ne pas la questionner. Pas même quand je ramènerais James chez lui, me dis-je fermement. Si elle ne me donnait pas d'elle-même les informations, je ne lui demanderais pas.
À l'instant où je raccrochais, je réalisais que je n'allais pas pouvoir simplement rouler jusqu'à l'école, récupérer les garçons et conduire à nouveau jusqu'à Drakeshaugh comme je l'avais imaginé. Je n'avais pas de siège auto pour James, que pouvais-je faire ? Tout en attachant Annie dans son siège, j'improvisais un plan. Une fois qu'elle fut bien installée dans la voiture, je me précipitais dans la maison, pris sa poussette et la mis dans le coffre.
Plutôt que de rouler tout le chemin jusqu'à l'école, je me garais sur le parking du château, mis Annie dans sa poussette et la poussais rapidement jusqu'à la grille de l'école. Je n'arrivais que quelques instants avant la sonnerie, et mon arrivée essoufflée sans voiture fut remarquée par les autres mères. Je repoussais les questions concernant l'affaire de Harry en indiquant honnêtement que je n'avais rien appris depuis le matin et que Ginny m'avait demandé de récupérer James.
Il était évident qu'Amanda, au moins, ne me croyait pas. Elle sous-entendit que le fait que je sois arrivée à pied signifiait que j'avais marché depuis Drakeshaugh. À mon plus grand étonnement, Mary intervint pour moi.
"Je suis sûre que si Jacqui savait quoi que ce soit, elle nous le dirait," tonna Mary. Elle semblait aller bien mieux que l'après-midi précédent. Se frayant un chemin au milieu de la foule, elle me tendit mon vieux ciré usé. "Pas exactement glamour, mais il m'a protégé du vent pendant que j'attendais, merci," dit-elle.
"Il n'y a pas de quoi," dis-je. "Comment va la voiture ?"
"Bien mieux," me dit-elle. "Ah, voici Helen, au-revoir !" Son dernier mot était classique de l'ancienne Mary. Cela signifiait 'la discussion est close' et cela fonctionna. J'étais arrivée si tard à l'école que les enfants commençaient déjà à sortir l'au-revoir de Mary fut mon opportunité de fuite.
"Je te ramène à Drakeshaugh, James," lui dis-je alors qu'il cherchait sa mère aux alentours. "Parce que ta maman est occupée."
"Où est la voiture ?" me demanda Henry.
"Elle est plus loin sur la route, au parking du château," lui dis-je. "On va marcher jusqu'à Drakeshaugh, parce que je n'ai pas de siège auto pour James."
"Marcher ?" demanda Henry. Je sentis les récriminations monter.
"Je marche toujours pour aller à la maison," lui rappela James. "Pac'que ma maman l'a pas de voiture, t'souviens ?"
Ce fut la fin des protestations de Henry. Il haussa les épaules et son imagination prit le dessus. "Où on va, Jamie ?" demanda-t-il. "On va chasser un ours ?"
"On va chasser un ours !" confirma James.
"Est-ce que vous avez entendu cette histoire aujourd'hui ?" leur demandais-je.
"Ouais," confirmèrent-ils en trottinant sur la route devant moi.
"Reste sur le bord de la route, Henry," ordonnais-je. Il zigzaguait sur la route sans aucune considération du danger potentiel.
"C'est c'que Maman elle m'dit toujours aussi," dit sagement James. "S'non les voitures elles vont viendre et nous écrabouiller."
"C'est exact, James," dis-je. "On doit faire attention aux voitures, hein ?"
Les garçons étaient joyeux et Henry était visiblement excité d'aller à Drakeshaugh. Bien qu'ils aient été toute la journée à l'école ensemble, ils semblaient toujours capables de trouver des choses à se dire. Leur vitesse fluctuait énormément, tandis qu'ils détalaient avec excitation loin devant moi, traînaient pour marcher et s'arrêtaient pour examiner quelque pierre couverte de mousse, un mouton au loin ou une toile d'araignée qui avait retenu leur attention. J'alternais constamment entre les faire ralentir et les pousser à accélérer.
C'était la seconde fois que je marchais depuis l'école jusqu'à Drakeshaugh, un trajet que Ginny faisait chaque jour. Je découvris rapidement que, bien que la montée ne soit pas importante, pousser Annie dans la côte vers le parking du château n'était pas chose aisée. Ginny avait une poussette double elle poussait à la fois Al et Lily plus d'un kilomètre et demi depuis sa maison et revenait ensuite avec James. Il n'était pas étonnant qu'elle soit en bonne forme physique.
Je ne l'étais pas, et il me fallut bien plus longtemps que je n'avais prévu pour atteindre le chemin menant à Drakeshaugh. Il restait encore un demi kilomètre jusqu'à la maison de James, mais au moins nous étions à l'abri loin de la route. Pendant que j'ouvrais la barrière, James emmena Henry pour passer par l'espalier de bois à côté.
"Moi, moi," exigea Annie, indiquant du doigt les garçons qui se tenaient alors en haut des marches.
"La barrière s'ouvre," lui dis-je. "Et je pense que ces marches sont un peu hautes et raides pour une petite fille." Je pensais aussi qu'elles étaient un peu raides pour les garçons, mais ils avaient déjà atteint le sommet, il n'y avait donc aucune utilité à leur dire quoi que ce soit.
"Pas vrai," discuta-t-elle. Il était alors trop tard. Je l'avais poussé à travers la barrière et la laissait se refermer. Les garçons descendirent et nous rejoignirent sur le chemin, mais elle continua de se plaindre.
"Ce n'est plus très loin maintenant, Annie," la rassurais-je. "On est presque à Drakeshaugh. On verra bientôt Al et Lily.'
La première partie du chemin était aussi raide que la route, mais faire avancer la poussette chargée sur le gravier glissant demandait encore plus d'effort. Par chance, je n'avais pas avancé de plus de cent mètres depuis la barrière quand James cria "Moman !" et commença à agiter furieusement les bras.
Ginny n'était pas entièrement apparue au sommet de la bosse sur le chemin. Tout ce que je pouvais voir était sa tête et ses épaules, bien qu'il soit évident à sa posture qu'elle tenait Al et Lily par la main. Alors que James et Henry couraient pour les rejoindre, Ginny lâcha ses deux plus jeunes. Annie les vit et ses protestations augmentèrent.
"Descendre, descendre, descendre," exigea-t-elle, tirant sur sa ceinture.
Je mis le frein à la poussette, la libérais et la regardais détaler derrière les garçons en criant " 'tendez moi !" à ma surprise, ils le firent.
Ma charge s'allégea considérablement, je les suivis sur le chemin. Ginny avait ralenti. Quand les enfants se rencontrèrent, elle était plusieurs mètres derrière eux. Je regardais, au-dessus des têtes des enfants, l'espace qui me séparait de mon amie. Elle était silencieuse et ne souriait pas. Alors que je regardais ce visage accablé, je sus que, malgré l'absence de toute mention aux informations, le message initial de Harry avait été exact.
"Il y a du jus de pomme qui vous attend, et du cake aux fruits." La monotonie de sa voix, que j'avais discernée au téléphone, était pleinement évidente lorsque Ginny s'adressa aux enfants. "C'est par terre dans le salon. Un pique nique à l'intérieur."
Couinant joyeusement, ils coururent tous vers le haut du chemin. Ginny parvint à adresser un faible sourire et un salut murmuré à mes deux quand ils la dépassèrent. Cinq voix criant et couinant joyeusement s'évanouirent au loin devant nous, mais quand je me rapprochais de Ginny, ses yeux cernés de rouge me racontèrent une autre histoire.
Lâchant la poussette, je fis un pas en avant et ouvrit les bras. "Je crois profondément aux étreintes," lui dis-je. "J'en ai même offert une à Harry ce matin."
"Il l'a accepté ?" demanda-t-elle.
Je hochais la tête.
"Il ne le fait pas souvent," dit-elle anxieusement. "Il devait en avoir besoin." Son sourire fugace trahit son immense angoisse. Je suspectais que la plus grande partie était pour son mari.
"Horrible nouvelle," observais-je.
Ginny me serra fermement. "Polly," dit-elle. Mon cœur manqua un battement. "Elle a survécu à la Bataille. Onze ans… Les Aurors – le bureau de Harry – n'avait perdu personne depuis mai quatre-vingt dix-huit." Me relâchant, elle me regarda droit dans les yeux. "Désolée," ajouta-t-elle, essuyant une larme de ses yeux. "J'ai été avec les enfants toute la journée. Ça a été dur."
"Je sais," admis-je. "Tu aurais dû m'appeler, Ginny. J'ai été inquiète moi aussi. Comment vont les autres ? Quelqu'un –Martha– a dit qu'il y avait quatre personnes impliquées. Polly, Dennis, Trudi et une apprentie appelée Cattermole. C'est pas bien de ma part, je sais, mais j'ai été agitée presque toute la journée, priant que ce ne soit pas Dennis. Mais plus important encore, comment vas-tu, et comment va Harry ? Il avait l'air effondré ce matin quand il a reçu l'appel."
Ginny me serra de nouveau contre elle. "Merci de le demander. Harry ne va pas bien. Il le prend mal, il se blâme lui-même il le fait à chaque fois." Elle secoua la tête, abattue.
"Il s'en soucie, Ginny," dis-je. "C'est évident. Et toi aussi ! Le monde est toujours difficile pour les gens qui ne s'en fichent pas. Qu'est-ce que je peux faire pour aider ?"
"Rentrons et prenons un thé," dit Ginny. "On pourra en discuter à l'intérieur. Nos enfants nous échappent." Elle indiqua d'un geste le chemin vers le portail de sa maison. Les enfants en étaient très proches.
"D'accord." attrapant la poussette d'Annie, je peinais à rester à son niveau.
"Polly a… protégé… les autres," me dit Ginny alors que nous nous pressions derrière les enfants. "Dennis et Ellie Cattermole vont bien, Trudi a quelques fractures, mais rien de sérieux."
"Des fractures c'est déjà assez sérieux," observais-je.
"Je ne sais pas ce que tu as entendu, Jacqui," me dit Ginny. "Martha – c'est la secrétaire personnelle de Harry – m'a appelé de matin pour me dire ce qui se passait, mais à ce moment-là ils avaient sauvé les survivants. Je n'ai pas encore réussi à parler à Harry. Personne, même pas Martha, n'a pensé à me prévenir que l'appel de Harry avait été entendu. Ils font tous face à une pression énorme. Si j'avais su que tu étais inquiète…"
"Harry a bien plus à se soucier que sa bête vieille voisine trop curieuse," la rassurais-je. "Mais tout le monde devant l'école a entendu l'alarme retentir, Ginny code noir, Porte au loin d'urgence : c'était clairement une sorte de code. Et ensuite Harry a appelé Martha. Elle lui a dit que… que quelqu'un avait été tué, mais à ce moment-là elle ne savait pas qui."
Ginny posa une main réconfortante sur mon bras. "Et tu t'es inquiétée toute la journée que ça puisse être Dennis."
"Je ne voulais pas que ce soit qui que ce soit !" Bien que j'essaie de protester, je sentis la nécessité d'avouer totalement. "Mais, surtout, je ne voulais pas que ce soit Dennis. Je me suis inquiétée toute la journée, en pensant à Lesley. Ils m'ont semblé être un couple si charmant, et elle est tellement enceinte, et c'est…" Les mots me manquèrent. "Je ne veux pas dire que Polly est…"
"Perdre quelqu'un est terrible," me dit Ginny avec compréhension tandis que nous passion le portail et entrions dans la cour de graviers de Drakeshaugh. "Mais un presque père comme Dennis aurait été bien pire, et je pense sincèrement que Polly aurait été d'accord."
Devant nous, James réussit à ouvrir la porte et les enfants s'engouffrèrent dans la maison de Ginny. "Essuyez vos pieds !" hurlais-je.
"Aujourd'hui, je me moque des sols sales," me dit doucement Ginny. "Est-ce que tu pourrais surveiller les enfants, s'il te plaît. Je vais préparer du thé et ensuite je vais appeler Harry."
