CHAPITRE 2
Etre le dernier descendant d'une famille de sang-purs ne signifiait pas nécessairement que vous nagiez dans l'or. Dans le cas des Malfoys, si. Les Notts pourraient remplir la Grande Salle de Poudlard jusqu'au plafond avec leur or, s'ils le voulaient. Les Al Faruks avaient le monopole des Tapis Magiques pour la Grande-Bretagne et l'Irlande --- Pas ce que l'on appellerait des pauvres, non plus. Beaucoup d'autres n'étaient pas riches, mais très aisés. Aminta Rogue ne l'était pas.
Marcus Rogue, son mari défunt, était mort quand leur fils Severus avait à peine deux ans et l'avait laissée avec rien d'autre qu'un petit enfant, une énorme bibliothèque dont elle devait vendre les pièces ayant le plus de valeur et une très mauvaise réputation. Marcus Rogue. Sorcier brillant, un des esprits les plus fins à avoir jamais étudié à l'école de Sorcellerie et de Magie de Poudlard, avec le score encore inégalé de dix-huit A.S.P.I.C.s. Retenant son souffle, le monde de la science magique attendait qu'il décide laquelle des nombreuses offres de travail il daignerait accepter. Mais Marcus Rogue n'avait aucune intention de s'enterrer vivant dans un laboratoire à l'âge dix-huit ans. Il ne sentait non plus aucune inclination à remplir ses poumons de la poussière des bibliothèques avant de s'être amusé autant qu'il le pourrait de la vie. Et ainsi, quand les Enragés de Bristol furent à la recherche d'un Poursuiveur environ trois mois après la réception de son diplôme, il participa aux sélections et éclipsa tous les autres prétendants.
Avant que la Fortune ne catapulte Marcus Rogue dans leurs rangs, les EBs n'avaient pas été plus qu'une équipe de Quidditch un peu en dessous de la moyenne, vêtue de brillantes robes vertes ornées par un poing fermé. Après que leur nouveau Poursuiveur les ait éclairés avec succès sur la possibilité d'appliquer l'Arithmancie au développement de nouvelles stratégies, ils montèrent jusqu'au sommet de la Ligue de Quidditch Britannique en pas plus que sept mois et Marcus Rogue fut invité à jouer Poursuiveur pour l'Équipe Nationale de Grande-Bretagne. Il semblait que rien ne puisse jamais l'arrêter. Le 14 mai 1939, un Cognard prouva que cela n'était rien de plus qu'une illusion.
Une coïncidence de circonstances particulièrement désagréables mena à une paralysie permanente de la jambe droite et ainsi à la fin brusque de sa carrière de Quidditch. Même avec dix-huit A.S.P.I.C.s, avoir snobé la communauté scientifique entière était impardonnable et donc, à l'âge de vingt-neuf ans, Marcus Rogue se trouva avec un pied raide et aucun travail. Tardivement, le Ministère de la Magie lui offrit une position très inférieure de chercheur, qu'il dut accepter, à moins de vouloir mourir de faim. À l'âge de trente ans, il était un homme aigri, se disputant constamment avec ses supérieurs et à peine toléré par ses collègues. Il commença à boire plus qu'il n'était bon pour sa santé.
En 1957, le Ministre italien de la magie fit une visite formelle à son collègue anglais. Étant donné les pauvres compétences notoires des italiens quand il s'agissait de langues étrangères, il devait être constamment accompagné par un membre du personnel de l'Ambassade italienne, qui devait traduire les baratins infinis des diplomates. Après quelques heures de ce travail ennuyeux, elle avait mal aux pieds et à la tête et elle demanda une pause courte qui fut accordée à contrecœur. Aminta Alighieri était assise sur un banc dans la cour du Ministère, massant ses pieds et souhaitant que la journée puisse se terminer rapidement, quand Marcus Rogue, qui retournait de sa pause déjeuner, vit la jeune femme et en tomba immédiatement amoureux.
Leurs sentiments étaient mutuels. Ils se marièrent deux mois plus tard et, un froid matin de novembre 1958, naquit leur fils Severus. Aminta aurait dû retourner en Italie peu de temps après leur mariage, mais avait bien sûr préféré remettre sa démission au Ministère italien de la Magie. Son mari ne gagnait pas beaucoup, mais c'était assez pour vivre plus ou moins confortablement. Malheureusement, la situation de Marcus au travail devenait de plus en plus insupportable et le plus souvent il cherchait de la consolation dans les distillats à forte teneur en alcool de M. Ogden. Finalement, le 27 octobre 1960, il était si ivre qu'il versa accidentellement une pinte entière de sang de dragon dans un chaudron plein de potion Deflagratus et fit ainsi sauter le laboratoire de recherches entier du Ministère de la Magie. Lui et deux autres personnes étaient morts sur place; trois autres subirent des blessures sévères.
En regardant l'affaire entière d'un point de vue objectif, il était évident que le Ministère avait été plus que généreux, payant à sa veuve une petite pension et ne posant aucune revendication sur la propriété de son mari défunt. Mais Aminta Rogue n'était pas objective. Elle blâma le Ministère et le détesta du fond de son cœur. Et elle transmit cette haine à son fils.
Le patron de Marcus Rogue était né Moldu et le ministre de la Magie lui-même était un métis. Ainsi Severus Rogue fut élevé dans la haine du Ministère et de tous ses représentants --- du Ministre au dernier sorcier de commission--- de l'autorité en général, des Sang-de-Bourbe et des métis, et de ceux qui étaient riches et couronnés de succès. Il y avait peu de gens que Severus ne détestait pas. Cette attitude ne l'aida pas à se faire beaucoup d'amis et donc il passa la plupart de son temps à la maison, dévorant avidement la bibliothèque de son père, se jurant qu'il utiliserait tout ce qu'il apprenait des livres contre le système qui avait provoqué sa condition présente de pauvreté. Quand il commença son éducation magique à l'âge de onze ans, il aurait pu facilement défier la plupart des septième année en duel et gagner.
Il fut réparti à Serpentard avec cinq filles, Sibylle Trelawney, Tabitha Al Faruk, Clarissa Rosier, Heather Avery et Mathilda Reynolds----et quatre garçons---Lucius Malfoy, Stuart Wilkes, Cedric Nott et Owen McNair. Tous étaient des sang-purs et il n'y avait pas un seul d'entre eux qui ne portât une rancune profonde envers le Ministère. Cela effaça facilement le défaut qu'avaient certains d'entre eux d'être riches.
Pas que Severus les ait particulièrement appréciés, mais il prit conscience bien trop tôt qu'être un Serpentard signifiait qu'il devait rester collé aux autres Serpentards, sinon par amour, du moins pour protection. Donc les dix jeunes sorciers formaient une équipe qui ne devint pas moins redoutable par le fait que pendant leur cinquième année, leur Directeur de Maison, St Jean Lestrange, qui était aussi le Professeur de Potions à Poudlard, devint l'amant de Tabitha Al Faruk. Tant qu'aucun autre membre du corps enseignant ne les attrapait, l'exemption de punition leur était aussi bien que garantie---Tabitha y veillait.
Il était clair depuis le tout début que les choses n'allaient pas se passer sans à-coup entre les Gryffondors et les Serpentards de la première année de 1969. Sirius Black, fils d'un couple d'Aurors en vue nés de parents moldus. James Potter, le fils d'Harold Potter, médisorcier légendaire qui avait inventé le sortilège d'Oubliettes et d'Olympia Georgopoulos, descendant d'une des plus vieilles familles sorcières de la Grèce. Deux étoiles. Les enfants chéris de Poudlard. Charmants, intelligents et … moitiés-moitiés. Riches et couronnés de succès. Pour des raisons diverses, ils étaient la cible idéale pour leurs condisciples de Serpentard, qui n'avaient aucune difficulté à inclure Remus Lupin et Peter Pettigrow, les meilleurs amis de Potter et Black, dans leurs railleries et harcèlement incessant des étudiants Gryffondors.
Severus Rogue était très conscient du fait qu'il n'appartenait pas vraiment au groupe. Trop profond était l'abîme qui le séparait des gosses riches qui recevaient des colis de la maison au moins une fois par semaine, portaient des robes conçues spécialement pour eux et retournaient à l'école après les vacances pleins d'histoires d'endroits exotiques et de passe-temps. Ils parlaient de gens qu'il ne connaissait pas et quand Malfoy prononçait une phrase apparemment incompréhensible avec une intonation légèrement changée et ce regard significatif, paupières à demi fermées et sourcils haussés --- tout le monde riait, à part Severus, qui n'avait aucune idée du sens sous-jacent et évidemment amusant.
Si les Gryffondors---et le duo Potter-Black en était un exemple --- embrassaient leurs pairs moins fortunés avec un esprit de chevalerie médiévale qui les contraignait à "protéger la veuve et l'orphelin", comme Malfoy avait l'habitude de l'exprimer, la société Serpentard était essentiellement basée sur le Darwinisme : posséder n'importe quelle qualité considérée utile pour le groupe avec une quantité dépassant la moyenne garantissait la survie. Que cette qualité soit la beauté, l'argent, l'influence, l'intelligence ou la force physique pure était sans importance, à condition qu'elle soit non seulement utilisée pour la réalisation de buts individuels, mais aussi, si nécessaire, mise à la disposition du groupe. C'était un équilibre subtil de crainte, de haine, de respect et de prudence qui assurait le fonctionnement de l'interaction sociale compliquée de Serpentard. La fidélité était pour les Poufsouffles, la chevalerie pour les Gryffondors et l'étude pour l'amour de l'étude était volontairement laissée aux Serdaigles.
Severus avait compris cela plutôt rapidement et avait constaté que cela lui convenait parfaitement. Il voulait étudier et être laissé en paix, autant que possible. Son statut social et son apparence ne tentaient aucun d'entre les autres, mâle ou femelle, à chercher sa compagnie à moins que ce ne soit absolument nécessaire, mais ses compétences et son intelligence lui accordaient leur protection.
Pendant les vacances, Severus devait retourner à la maison, et rester avec sa mère. Sa mère. S'il y avait quelque chose de profondément ambigu dans sa vie, c'était son rapport avec Aminta Rogue. L'aimait-il ? Peut-être, à supposer que Severus Rogue soit capable d'amour. Un chien aime-t-il son maître ? Un chaton aime-t-il sa mère ? Présumer que les animaux peuvent ressentir quelque chose comme l'amour est stigmatisé comme de l'anthropomorphisme, devant être considéré avec une indulgence souriante seulement chez les enfants et les vieilles dames solitaires. Les sentiments de Severus envers sa mère étaient, cependant, plus apparentés à ce qu'un jeune animal pourrait ressentir pour celui qui lui avait donné naissance qu'à ce qui est généralement caractérisé comme de l'amour. Une caractéristique de Serpentard, et assez typique à cela. Mère voulait dire abri, protection, nourriture et accomplissement des besoins de base. Mais cela signifiait aussi le poids de son amour protecteur à l'excès, écouter ses péroraisons constantes, traiter avec son instabilité psychique et, par-dessus tout, cela signifiait pauvreté.
À Poudlard, tout le monde portait des robes noires --- certaines d'entre elles de meilleur tissu, certes, mais toujours entièrement noires et de coupe plus ou moins semblable --- tout le monde était assis à la même table, mangeait la même nourriture excellente, écoutant les mêmes professeurs. Les tentures des lits étaient de la même couleur et du même matériau, indépendamment du fait que Lucius Malfoy ait des rideaux de soie noire brodée de fils de platine à la maison, ou qu'à la maison, Severus Rogue dût dormir dans un vieux lit de fer forgé sur un matelas grumeleux. D'une certaine manière, ils étaient tous égaux et il était facile d'oublier qu'ils venaient de milieux différents. Jusqu'à ce qu'ils doivent rentrer à la maison. Il devait aller à la maison. Chez sa mère.
Mère voulait dire pauvreté, nourriture italienne préparée sans soin --- avec énormément d'ail, que Severus détestait --- les bons jours et un morceau de fromage et un gros morceau de vieux pain les mauvais. Les mauvais jours étaient plus fréquents, parfois en l'absence de l'argent ou simplement parce qu'Aminta Rogue était trop profondément en dépression pour se donner la peine de cuisiner.
Pendant sa première année, il avait été un peu nostalgique, après tout, il n'avait jamais été habitué à vivre en compagnie de beaucoup d'autres gens. Mais aussitôt qu'il eut absorbé les règles de vie et de survie dans le Repaire du Serpent, il n'eut plus besoin de la protection maternelle et devint de plus en plus réfractaire à l'idée de revenir pour deux longs mois en été. Il essaya de persuader le directeur de le laisser rester, mais Albus Dumbledore ne se laissait pas convaincre.
Albus Dumbledore. Une autre source de sentiments ambigus pour le jeune Severus Rogue. Il pouvait sentir la bonté et il pouvait sentir la puissance qui se cachait derrière. La puissance était quelque chose qu'il avait appris à respecter, loin d'être docile, il était juste assez circonspect et intelligent pour ne jamais sous-estimer les capacités des autres. La bonté en revanche … cela rendait incertain. Il voulait la mépriser, l'écarter comme une naïveté stupide, mais ne réussissait pas tout à fait. Il était facile d'appeler Dumbledore un vieil imbécile confiant --- son épithète la plus commune parmi les Serpentards---mais vraiment tromper cette confiance était une histoire très différente. Cela pouvait vous donner un sentiment de supériorité pendant quelques moments passagers, mais à la fin, le scintillement de ces deux yeux bleus intenses vous faisait douter d'avoir vraiment gagné. Severus voulait le détester, mais se trouva incapable de le faire. Chaque fois qu'il essayait de détester le Directeur, il avait l'impression d'être un chien enragé, mordant la main qui essayait de le caresser par folie irrationnelle.
Le dilemme d'être déchiré entre son sentiment du devoir, lui disant qu'il devait rester avec sa mère et le désir de ne pas retourner à la maison lors de sa troisième année, lui fut épargné quand Lucius Malfoy l'invita à passer les vacances d'été au Manoir Malfoy. Severus pesa à fond sa décision avant de finalement accepter. Il pouvait détester l'environnement moins que modeste de sa propre maison, mais il redoutait également la splendeur qui l'attendrait à l'hôtel particulier prestigieux de la vieille famille. À Poudlard, ses robes minables et son manque de compétences sociales étaient plus que rattrapées par ses performances, mais il ne savait que trop bien que Julius Malfoy, le père de Lucius, était une personne arrogante, snob qui tenait la richesse et le pedigree dans au moins une aussi haute estime que la noblesse de l'intelligence. Enfin, la tentation vainquit l'agitation et il accepta. Comme il l'avait prévu, il reçut une longue lettre de sa mère, regrettant de ne pas voir son fils précieux jusqu'au Noël suivant, mais dégouttant de fierté quant aux connexions qu'il avait faites.
La générosité des Malfoys n'avait pas été limitée à Severus, mais étendue à Clarissa Rosier et aussi Narcissa Lestrange, la nièce de leur Directeur de Maison, qui allait à l'école à Beauxbatons. Ainsi, Severus s'attendait-il à de plaisantes vacances --- la présence des deux filles allait empêcher Lucius de concentrer son attention sur lui, ainsi il y aurait plus qu'assez de temps pour s'enterrer dans la bibliothèque de la famille, dont il avait entendu les plus merveilleuses descriptions. En fait, l'été 1972 fut non seulement une période plaisante, mais aussi hautement importante, car elle eut une influence très décisive sur sa vie.
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Appeler un tel bâtiment un manoir était un euphémisme, pensa Severus. Palais aurait été plus approprié. Un palais très sombre, cependant. Pas en pierre de sable ni en granit, qui aurait été suffisamment sombre. Du basalte. Une masse noire, dont la noirceur était encore plus renforcée par les collines environnantes, éclatant d'un vert délicieux et le jardin de fleurs rempli de boutons de toutes tailles et couleurs imaginables, la plupart d'entre eux n'étant pas des plantes natives d'Angleterre. Le château de Klingsor. Les ressemblances s'arrêtaient là, car Severus doutait que Julius Malfoy ait jamais voulu se joindre aux Chevaliers du Saint Graal.
Ils avaient pris le Poudlard Express avec tous les autres élèves, jusqu'ici tout avait ressemblé aux deux ans passés, mais du moment où ils eurent quitté le train, les choses avaient pris une tournure irréelle. Pas besoin de réduire sa valise, pas de trajet en Métro, ni de descente à Hounslow Ouest, après avoir observé les bâtiments entourant le Métro devenir de plus en plus crasseux, pas d'attente devant la maison, passée à combattre son inquiétude et sa forte envie de partir en courant, aucune odeur accablante d'ail quand il avait finalement décidé d'entrer, pas de "Figlio mio!", d'étreinte écrasante, de larmes, de papier peint terni, de carpette usée, de porcelaine ébréchée …
Au lieu de cela, un portauloin. Remis à eux par un jeune homme roux légèrement nerveux, dont le manteau noir avec deux M d'or brodés sur les coins de son col haut indiquait clairement qu'il était fonctionnaire du Ministère. Arthur Weasley.
"Poufsouffle ?" demanda Severus à voix basse.
Lucius rit du nez. "Non, Gryffondor. Amoureux des moldus. Je te parie dix galions qu'il s'attardera ici pendant des heures, à les observer. Père..."
"Je ne savais pas que ton père travaillait pour le Ministère," l'interrompit Severus, avec des sourcils froncés, "ne m'avais-tu pas dit que..."
"Un Malfoy ne travaille pour personne." Mantra des Malfoy. "Mais de temps en temps, il donne de l'expertise scientifique, s'ils prient assez bien. Le Bureau de la Régulation des Créatures Magiques, tu sais. Alors s'il a besoin de quelqu'un pour faire une commission mineure pour lui, ils dénichent quelqu'un de leur personnel inférieur. Quod erat demonstrandum. Quoique je doute que celui-ci soit jamais autre chose qu'inférieur."
Clarissa gloussa d'appréciation. Lucius inclina la tête avec condescendance vers le jeune sorcier du Ministère et fit signe à Clarissa et Severus de toucher le gobelet en bois grossièrement taillé qui avait été métamorphosé en portauloin. En voyant les sourcils interrogativement levés de Severus, il expliqua "Les rumeurs disent que c'est le Saint Graal, ce qui est bien sûr un non-sens. Mais il a été dans notre famille depuis toujours et puisque la souche familiale française des Malfoys est près de Mont Ségur, il est du moins probable que ce … euh, cette tasse ait été autrefois en possession des Templiers. Mes ancêtres ont donné un, eh bien, coup de main à la destruction de l'ordre. Et utiliser le gobelet comme le portauloin de la famille est une touche agréable, ne pensez-vous pas ? Venez maintenant, ou nous serons en retard pour le dîner."
Il tapota le gobelet de sa baguette pour l'activer --- une sensation comme d'être brusquement tiré vers l'avant à grande vitesse, un tourbillon de couleurs et un atterrissage plutôt mouvementé. Puis le Manoir. Le soleil se couchait déjà, baignant tout de douces lumières rouge orange, seuls les murs noirs semblaient être immunisés à la couleur, l'absorbant avec leur noirceur inexorable.
Les trois adolescents se mirent sur leurs pieds, soulevèrent leurs coffres par lévitation --- "Nul besoin de se donner la peine avec les règlements du Ministère ici," avait répondu Malfoy à la question inexprimée de Severus --- et se dirigèrent vers la porte d'entrée. Une porte était une porte. Ou du moins c'était ce que Severus avait toujours pensé. Bien sûr, il y en avait de toutes formes et de toutes tailles, bien que surtout en bois ; même la grande entrée du château de Poudlard était faite de bois, colossale, oui, taillée joliment, oui, mais cela …
Quatre mètres cinquante de haut et presque autant large, à deux battants et ... noire. Aucune surprise là. Pas de bois cependant, mais de métal, de fer peut-être ? Severus ne pouvait pas le dire. Elle représentait les cercles de l'enfer, comme Dante les avait décrits, vus d'en haut comme si le visiteur était un oiseau volant haut au-dessus du paysage infernal, intouchable par les bras des pêcheurs étendus vers lui de douleur et peut-être de repentir. Car les silhouettes se déplaçaient, répétant constamment leurs châtiments, encore et encore.
"Et c'est ce qui attend notre très chère Sibylle," dit Lucius avec un sourire de dédain, désignant les silhouettes des voyants dont les têtes avaient été retournées complètement et remises sur leur corps en sens contraire, de sorte qu'ils trébuchassent vers l'arrière, incapables de voir ce qui se tenait devant eux. Ils rirent.
La partie gauche de la porte s'ouvrit sans bruit vers l'arrière et un Elfe de Maison, ayant l'air même plus minuscule dans cet encadrement colossal, salua profondément, son long nez, qui ressemblait à un crayon de papier, brossant le sol. "Bienvenue, Maître Lucius," fit-il d'un cri aigu, "Bienvenue Mlle Rosier, bienvenue M. Rogue. Le dîner est servi dans quinze minutes, alors je vous montrer vos chambres et vous vous rafraîchir un peu-"
Lucius lui donna un coup de pied bien visé, l'envoyant voler quelques mètres en arrière et siffla "Moins de conversation, Dobby, ne te souviens-tu pas ?"
Se ruant sur ses pieds et redressant la taie d'oreiller très usée qu'il portait, l'elfe lui lança seulement un regard craintif et les précéda en haut.
Les chambres … chambres ? Des appartements, plutôt, étaient merveilleux. Severus hocha la tête quand Lucius lui dit qu'il frapperait à sa porte dans dix minutes, puis il entendit la porte se refermer et se permit de laisser tomber le masque de réserve qui avait été de plus en plus difficile à tenir en place pendant les dernières minutes. Un sourire de satisfaction se diffusa sur son visage, tandis que ses yeux étaient toujours grands ouverts avec un étonnement effrayé. La chambre dans laquelle il était entré était un salon confortable avec des étagères à livres et un petit bureau placé dans une des niches de fenêtre. Réfrénant la forte envie de regarder les livres tout de suite, il se donna juste assez de temps pour assimiler les couleurs et la texture des meubles, une élégance austère dans les nuances de mousse verte et de brun-miel d'une vieille noix polie --- avant d'ouvrir la porte menant à la pièce suivante. La chambre à coucher. Surmontée par un lit à colonnes, encore plus grand même que celui dans lequel il dormait à l'école, qui était déjà bien trop grand pour lui. Avec hésitation, il toucha les draps. Lourd satin soyeux, couleur d'aiguilles de pin, exhalant un parfum faible d'herbe et … quel était cet arôme sous-jacent, faible, mais encore reconnaissable ? Feuilles de noix, légèrement caustique, une odeur pure, chaste … Les rideaux et le ciel de lit étaient de velours, vert foncé aussi, leurs bords lourdement brodés d'un modèle de serpents s'entrelaçant. Serpentard …
Deux portes de chaque côté du lit, conduisant à une petite garde-robe et à une salle de bains pour laquelle un empereur romain aurait tué. Du marbre vert et blanc crème, des robinets dorés ou peut-être en or massif … vraisemblablement ce dernier, pensa-t-il. La garde-robe contenait plusieurs lots de robes. Exactement à sa taille. Faites pour lui. Il avala. S'il y avait une chose qu'il détestait, c'était d'être à la réception de la charité. Pas qu'il dût jamais être à l'autre bout, mais cela … Derrière les robes, des chemises. Des pantalons. Tentation, en un mot. Il resta debout là, rongeant ses ongles, pesant sa fierté contre son désir de sentir le tissu sur sa peau, frais et calmant, luxueux. Finalement, le désir vainquit et il échangea rapidement ses propres vêtements contre une paire de pantalons noirs, une chemise blanche et des robes noires simples. Se regardant de haut en bas, il fut satisfait de ce qu'il voyait, à part pour ses chaussures. Rapidement, car Lucius viendrait le chercher à n'importe quelle seconde maintenant, il prit sa baguette et prononça un sortilège embellissant. Cela tiendrait quelques heures, assez pour garder une image digne pour ce soir. Il venait de finir, quand il entendit Lucius taper à la porte, appelant son nom.
"J'arrive!" répondit-il. Et Lucius et Clarissa lui donnèrent un regard appréciatif, les yeux de Clarissa s'attardant un peu plus longtemps que nécessaire et ensuite ils descendirent l'escalier.
"L'elfe m'a dit que nous avons un autre invité pour le dîner ce soir," dit Lucius, "quoique que cette stupide créature ne se soit pas rappelé son nom. J'espère seulement que ce n'est pas l'une des connaissances les plus ennuyeuses de père --- vous savez, quelque professeur de l'Institut d'Avalon …"
"Mais cela pourrait être très intéressant," risqua Severus, obtenant seulement deux reniflements au lieu d'une réponse. "Et … euh, n'as-tu pas invité une autre fille ? La nièce de Lestrange ?"
"Toujours à la recherche de filles, n'est-ce pas, Severus ?" répondit l'autre garçon avec un petit sourire satisfait. "Elle est déjà arrivée, juste pour ton information. Et elle n'est pas pour toi, marque mes mots, ou tu pourrais avoir de grands ennuis."
"Je suis pétrifié," répondit Severus sèchement et avant que Lucius puisse dire quoi que ce soit, ils étaient déjà parvenus au salon, où quatre personnes étaient assises, apparemment immergées dans leur conversation. Trois têtes blondes et une noire, la blonde vers la blonde et la noire vers la blonde, très proches l'une de l'autre, murmurant.
Ayant passé le seuil le premier, les deux autres jeunes sorciers dans son sillage, Lucius se racla sa gorge et dit "Bonsoir." Cela amusa plutôt Severus de voir que la plus grande part de l'arrogance détachée habituelle de son ami était partie quand il avait regardé l'homme qui avait levé la tête et s'était levé de sa chaise.
Julius Malfoy était dans le début de sa quarantaine, grand et bien bâti, avec des cheveux d'un blond sombre et une barbe bien coupée. La seule ressemblance saisissante qu'il avait avec son fils était les yeux. D'un gris pâle et d'acier. Durs. Pas aussi froids que ceux de Lucius cependant. Mais beaucoup plus pénétrants, pensa Severus, des yeux omniscients, un peu comme ceux de Dumbledore, mais sans la lueur bénigne. Tandis que le père serrait d'abord la main de son fils avant de le tirer dans ses bras, Severus se demanda oisivement si Malfoy Junior avait hérité ses cheveux blonds pâles et son bâti mince de sa mère ou de quelque ancêtre un peu plus éloigné … Sa mère. Oh Dieux dans le ciel et dans l'Hadès, sa mère! Une nymphe lunaire. La créature la plus belle sur laquelle il ait jamais posé les yeux. Yelena Malfoy se leva de sa chaise et se déplaça gracieusement vers la porte, pour saluer ses deux jeunes visiteurs. Grande, androgyne, avec les cheveux qui semblaient être faits de platine fondu et … ses yeux! Un bleu et un vert. Essayant désespérément de tirer brusquement ses yeux loin du corps souple dont chaque mouvement était visible sous les couches multiples de ses robes en mousseline de soie, Severus se rappela vaguement Lucius lui dire que sa mère était bulgare. Il avait oublié de mentionner, cependant que cette femme était en partie Vélane.
Yelena salua Clarissa avec un baiser léger sur la joue puis se tourna vers son autre invité, lui souriant et agitant une main aux attaches fines devant ses yeux. Le charme disparut, du moins en partie et Severus se sentait encore stupéfié, mais par-dessus tout très embarrassé. "Ce n'est pas grave," dit son hôtesse d'une voix douce, argentée, "Cela arrive à tout le monde. Vous vous y habituerez. Bienvenue au Manoir Malfoy."
Alors ce fut son tour de saluer le père de Lucius, qui le regarda d'un air approbateur, à l'évidence son fils lui avait parlé des prouesses universitaires de Severus. Narcissa Lestrange fut présentée --- c'était une jolie fille avec une expression assez arrogante --- et finalement, l'invité aux cheveux bruns se leva paresseusement de sa chaise où il était resté pendant la cérémonie d'accueil, son dos tourné à la porte. Il était grand, au moins trente centimètres de plus que Severus et Lucius, avec des cheveux lisses, noirs tombant bien plus bas que ses épaules, minces et raides et d'une beauté étrange, presque féminine. Son trait le plus remarquable était ses yeux, si sombres qu'ils semblaient noirs, mais avec une lueur rouge frémissante. Mettant une main sur l'épaule de Julius, il dit "Maintenant, Julius, qui ai-je le plaisir de rencontrer ce soir ?"
Malfoy présenta d'abord son fils, la fierté de sa voix très évidente et ensuite Clarissa et Severus. "Le fils de Marcus Rogue, je suppose que vous vous souvenez de lui." L'invité hocha la tête, souriant. "Et voici," annonça Malfoy, "un de mes amis que vous aurez le plaisir de voir ici assez souvent. Lucius, Severus, Narcissa, Clarissa, je vous présente Lord Voldemort."
