CHAPITRE 12
Escorter une Sibylle Trelawney mise avec succès sous Oubliette allait se prouver être une tâche ennuyeuse et fatigante. Et c'était aussi assez difficile, car ils devaient le faire aussi discrètement que possible, afin de ne pas éveiller quelque soupçon que ce soit. Tout soupçon aurait voulu dire des questions importunes et les questions auraient voulu dire des réponses; des réponses qui, par les chemins tortueux que prenaient les rumeurs pour voyager, pourraient atteindre la mauvaise personne et leur donner à tous beaucoup d'ennuis. Lestrange avait effacé la mémoire que Sibylle avait d'avoir vu le crâne et les mémoires des quatre autres élèves de l'avoir entendue le dire. Il avait choisi cette solution parce qu'il ne voulait pas jeter de sort de mémoire sur "son" groupe de cinq, préférant qu'ils se souviennent de tout ce qu'ils avaient vu et entendu ce soir là. Mais considérant qu'il y avait toujours le risque que l'un d'entre eux laisse accidentellement glisser un mot à propos de la tentative de suicide manquée de Sibylle, il préférait laisser ce souvenir collectif particulier inchangé. Après avoir achevé sa tâche, Lestrange leur avait fait promettre solennellement à tous que l'incident ne serait jamais mentionné à qui que ce soit d'autre, qu'il soit professeur, élève ou parent. Cela devait rester leur secret. Sibylle avait été reconnaissante, car elle n'avait pas attendu avec impatience le fait d'être dénoncée au Directeur, et le reste d'eux, moins que désireux être soumis à une longue interrogation par Dumbledore, s'était aussi aisément soumis.
Severus, Lucius, Owen, Clarissa et Heather agirent comme gardes du corps de Sibylle à tour de rôle. Lorsque les vacances de Pâques furent arrivées, ils étaient si irrités qu'ils se disputaient constamment entre eux. En plus d'être extrêmement désagréable, la tâche de surveiller leur réticente personne à charge empêchait aussi Lucius, Severus et Clarissa --- car ils avaient décidé de garder ce petit détail intéressant pour eux trois --- d'enquêter sur ' l'affaire Lupin', comme ils l'appelaient. Chaque fois que l'un d'entre eux se trouvait dehors après le couvre-feu, il ouvrait l'œil pour apercevoir soit Remus soit Madame Pomfresh, mais la chance ne les favorisa jamais. Si Severus n'avait pas eu la consolation de son soutien hebdomadaire avec Professeur Lestrange, il aurait cédé à la frustration.
Vendredi matin, avant que les vacances de Pâques ne commencent, ils étaient tous assis pour le petit déjeuner, leur humeur encore plus maussade que d'habitude. C'était en partie en raison du fait que les enseignants commençaient à parler d'examens de fin d'année, de révision et de contrôles surprises "pour les aider à comprendre où étaient leurs points faibles" --- Severus trouvait cela un moyen assez euphémique de le dire; "faire de leur vie un enfer" aurait été bien plus exact --- et c'était aussi en partie dû au temps : pendant un mois entier, il avait alternativement plu et neigé, de telle sorte que les terrains de l'école étaient maintenant une masse amorphe, noirâtre brune, sur laquelle les bottes de Hagrid laissaient des empreintes profondes jour après jour. On pouvait clairement les voir depuis les fenêtres de la bibliothèque et des salles de classe. Hagrid était le seul qui aille dehors régulièrement et de temps en temps Professeur Chourave devait s'y aventurer pour empêcher ses serres et les plantes précieuses qu'elles contenaient d'être inondées.
Severus, qui allait très rarement dehors, était néanmoins frustré par la pure impossibilité de le faire, s'il en avait senti le désir. Mais sa frustration n'était rien comparée à la détresse de Clarissa et Lucius. Ils voulaient s'entraîner, être dehors dans l'air froid, frais. Cependant, comme les rangs des élèves de Poudlard avaient été décimés par une épidémie particulièrement violente de grippe, Madame Pomfresh avait imploré le Directeur de repousser les deux matchs suivants de Quidditch jusqu'à ce que le temps s'améliore. Considérant que l'infirmière était proche de l'épuisement total et que l'Infirmerie était si pleine de lits qu'il restait à peine assez de place pour se déplacer entre eux, Dumbledore avait été d'accord. Pas de match, pas d'entraînement, pas de promenade. Ils devaient rester à l'intérieur. Serpentard n'était pas la seule maison où les caractères s'enflammaient vite à ce moment-là. Les enseignants étaient aussi affectés par un manque général de vitalité et donc les retenues pleuvaient sur les élèves, les points de maison fondaient plus rapidement qu'un Sort de Gel sous le souffle ardent d'un Magyar à pointe et la situation pouvait généralement être décrite par le simple mot 'moche'.
En outre, tout le monde et surtout les professeurs, était toujours sous le choc de la frappe de Voldemort contre les McKinnons. Même Dumbledore semblait tendu et cela était quelque chose. D'une certaine manière, son sourire constant semblait avoir disparu avec le soleil et l'effet que cela avait sur les élèves et le corps enseignant était considérable. Il était étonnant que Poudlard dépende à ce point du Directeur. Lestrange, qui aurait dû simuler la tension et l'irritabilité, afin de ne pas apparaître suspicieusement de bonne humeur quand tous les autres étaient abattus par la perte de l'une des familles de sorciers les plus en vue de Grande-Bretagne, n'avait aucune difficulté à se fondre dans la masse. L'insécurité à propos de Sibylle, dont la présence lui donnait probablement l'impression d'être assis sur une bombe à retardement en marche, avait usé ses nerfs et il n'avait pas l'air mieux que le reste de ses collègues.
Severus mâchait avec indolence une tranche de jambon--- même l'alimentation semblait d'une façon ou d'une autre avoir perdu sa saveur avec l'averse constante à l'extérieur --- et observait la table de Gryffondor où une autre bataille rangée semblait être sur le point d'éclater entre Londubat et Pettigrow, quand les Hiboux arrivèrent dans la Grande Salle. Leur arrivée était d'habitude une source d'attente collective, car il y avait toujours quelqu'un qui recevait une missive intéressante ou du moins savoureuse de chez soi. Ces semaines passées cependant, personne n'avait été impatient de recevoir lettre ou colis, car ils étaient livrés par quelque nuage d'orage hululant. La quantité d'eau que les plumes de cent hiboux pouvaient contenir et lâcher par la suite sur les élèves assis dessous était incroyable. Inutile de dire que les places près des portes--- habituellement les plus attirantes, car elles étaient loin de la Grande Table --- étaient maintenant celles que tout le monde évitait avec inquiétude. Quand les hiboux arrivaient au bout lointain des tables, la plus grande quantité de l'eau avait déjà été éclaboussée sur ceux qui avaient été assez malheureux pour avoir des chaises près de l'entrée. Avec un réflexe rapidement acquis, tout le monde plongeait sous les tables--- Severus pensait que de la Grande Table cela devait avoir l'air assez amusant --- et attendait que les fardeaux des hiboux ne fussent déposés. Alors, il y avait les inévitables lamentations quant aux toasts détrempés et au porridge arrosé et finalement tous s'occupaient avec leurs enveloppes et leurs papiers d'emballage.
Levant lentement la tête, faisant attention de ne pas se heurter la tête sur le bord en bois, Severus entendit Sibylle dire "Maintenant ça c'est une surprise! Mes parents veulent que je rentre à la maison pendant les vacances de Pâques!"
"Surprise en effet," fit remarquer Tabitha, enlevant soigneusement une plume détrempée de sa tasse de thé, "On présumerait plutôt qu'ils sont heureux de te laisser là où tu es. Il est déjà assez dur pour eux d'avoir à supporter ta présence pendant les vacances d'été." Depuis l'incident du duel, la haine mutuelle des deux filles avait atteint des niveaux stupéfiants.
Sibylle ne dit rien, mais quand elle étendit le bras devant son ennemie jurée pour montrer la lettre à Mathilda, elle renversa le gobelet de jus de citrouille de Tabitha, de telle sorte que le devant de ses robes dégouttait du liquide gluant et orange. "Oh, désolée!" dit-elle avec un sourire faux, qui ne resta pas longtemps sur son visage, parce que Tabitha lui avait déjà saisi les cheveux.
Tandis que les deux filles criaient et s'écorchaient, Lucius murmura à Severus "C'est étonnant le nombre de jurons qu'elles peuvent connaître, n'est-ce pas ?" Alors tous les deux se penchèrent en arrière, souriant et appréciant le spectacle. Cela devint particulièrement intéressant quand Barty Croupton, leur préfet, essaya de séparer le paquet criant et reçut--- peut-être pas entièrement par accident --- un dur coup de coude sur le nez. Impossible de dire à qui il appartenait.
Lestrange en avait évidemment vu assez. Il se leva rapidement de sa place à la table des enseignants et marcha à grands pas vers ses élèves, l'air furieux. Croupton, tenant toujours ses mains sur son visage sous le regard fixe des yeux grands ouverts de Mathilda Reynolds, fut grossièrement écarté de son chemin. Profitant d'un moment de calme relatif, puisque Tabitha avait attrapé certains des longs colliers ornant les robes de Sibylle et, avec une torsion élégante de son bras, les avaient transformés en dispositif d'étranglement, Lestrange les saisit toutes les deux par les cheveux et les sépara de force. A présent, la Grande Salle était devenue complètement silencieuse, et le cliquetis de centaines de morceaux de lapis lazuli, d'améthyste et d'agate frappant le sol de marbre fut clairement audible. Pendant quelques instants, un silence sans respiration régna sur la Grande Salle, le cliquetis des gouttes de pluie lourdes sur les vitres imitant le son des pierres sur le sol, mais alors le bourdonnement des conversations reprit de nouveau, car la scène était maintenant terminée et personne n'était intéressé par l'écoute des réprimandes de Lestrange --- ils savaient tous bien trop bien ce à quoi les sermons des enseignants ressemblaient.
Les visages des deux filles étaient rouges et griffés, Tabitha avait une écorchure, longue et moche, courant de sa tempe gauche au coin de sa bouche et sur le nez de Sibylle, les marques d'ongles pointus étaient clairement visibles : quatre à gauche et une sur le côté droit. Respirant toujours lourdement, elles se fixaient furieusement, mais n'osaient pas faire d'autre mouvement, surtout parce que les mains de leur Directeur de Maison avaient toujours une ferme prise sur leurs cheveux.
Lestrange ne semblait pas avoir la plus légère intention de lâcher bientôt, au contraire : il enveloppa les longues mèches noires et brunes autour de ses mains une fois, faisant tressaillir les deux filles et, les tirant encore plus loin l'une de l'autre de telle sorte qu'elles étaient maintenant placées à sa gauche et à sa droite, il dit à Severus "M. Rogue, expliquez ce qui a causé cette altercation …peu digne ."
Severus, qui avait été perdu dans ses pensées, se demandant si voir Tabitha se battre comme un chat enragé était très excitant pour le professeur et étant arrivé à la conclusion que cela l'était probablement, se reprit et expliqua. Quand il mentionna la lettre que Sibylle avait reçue, la rappelant à la maison pour les vacances de Pâques, les yeux de Lestrange se rétrécirent très légèrement.
"C'est," dit Lestrange, après que Severus eut fini son rapport qui fut confirmé par les signes de têtes de tous les autres, "ridicule. Vous vous approchez de la fin de votre quatrième année et devriez montrer l'exemple aux plus jeunes élèves. Particulièrement en des temps où tout le monde est nerveux et sous pression. J'enlève cinquante points à Serpentard-" tout le monde tressaillit "-et trois soirées de retenue pour chacune d'entre vous. Vous, Mlle Trelawney-" et il tira les cheveux de Sibylle plutôt fort, lui emplissant les yeux de larmes "-irez voir Hagrid pour un nettoyage approfondi de la Volière et quant à vous, Mlle Al Faruk-" Severus pensa que la saccade qu'il donna à ses cheveux était beaucoup plus douce "-vous ferez la vôtre avec moi." Severus était sûr d'avoir entendu un reniflement de Malfoy. Il avait eu raison.
"M. Malfoy, puisque vous semblez avoir détecté un côté plein d'humour à cet événement déplorable, je suggère que vous accompagniez ces deux délinquantes et votre préfet à l'Infirmerie. Et si j'entends quoi que ce soit à propos d'une autre éruption d'agression pendant que vous vous y rendez, soyez sûrs que cela coûtera cinquante autres points à Serpentard."
Lucius se leva, l'air très boudeur et fit signe à ses trois camarades de le suivre. Comme il était de l'autre côté de la table et ainsi incapable de les empêcher de se jeter à la gorge l'un de l'autre avant qu'ils atteignent la porte, il tint sa main droite dans une des poches de ses robes où Severus savait qu'il rangeait sa baguette. Severus ne douta pas une seule seconde qu'il les stupéfierait, de peur qu'ils ne fassent perdre encore cinquante points à Serpentard.
Quand le groupe eut finalement quitté la Grande Salle, il revint à son petit déjeuner avec un soupir, seulement pour voir Mathilda en larmes à cause du "pauvre Bartemius."
"Oh, arrête-ça, Mathilda!" dit il d'un ton rogue, "Ton Barty adoré a juste été abasourdi par une fille --- est-ce que cela ne te dérange pas du tout ?"
Ignorant la tirade de Mathilda en défense du préfet, il chercha un morceau de toast non trempé, le couvrit d'une quantité généreuse de gelée de gingembre et le mâcha en silence, essayant de calculer s'il y avait quelque chose d'autre derrière la lettre de Sibylle --- la réaction de Lestrange semblait indiquer quelque chose de ce genre.
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Lucius arriva à leur première leçon à temps. "Ils n'ont pas même osé se regarder," chuchota-t-il à Clarissa et Severus, s'asseyant entre eux et ignorant volontairement le Professeur Binns qui flottait tout juste à travers le tableau pour entrer dans la salle de classe. "Aussitôt que nous avons été dehors dans le Hall, j'ai menacé les mettre sous un sort de ligotage complet et de les faire rebondir jusqu'à la Tour d'Aesculape, s'ils essayaient de faire quoi que ce soit d'autre que respirer et marcher."
Severus rit sous cape. "As-tu aussi étendu ta menace à notre estimé préfet ?"
"Bien sûr. Seulement il ne pouvait pas protester, parce que son nez était tellement gonflé qu'il était bouché et qu'il devait utiliser sa bouche crasseuse pour respirer. Donc il a préféré le silence à la suffocation."
"M. Malfoy, si ce que vous avez à dire est si urgent que cela ne puisse pas attendre jusqu'à la fin de ma leçon, vous soucieriez-vous de le répéter pour que tout le monde puisse l'entendre ?"
"Bien sûr, Monsieur," répondit Lucius de son ton insolent et traînant habituel, et il se leva et se tourna pour faire face à la classe. "J'ai le plaisir d'annoncer à quiconque est présent dans cette salle de classe que Mlles Trelawney et Al Faruk n'ont pas répété leur comportement agressif sur le chemin de l'Infirmerie. De plus, je vous informe que M. Croupton, notre estimé préfet, a le nez cassé-" Mathilda poussa un petit cri perçant "-mais est actuellement entre les mains expertes de Madame Pomfresh. Fin de l'annonce."
Il salua et la classe rit et applaudit. Heather conjura un bouquet de roses et le lui jeta. Lucius l'attrapa élégamment, salua de nouveau et s'assit. Le teint fantomatique de Binns avait changé de son gris-perle habituel à une nuance sale de blanc.
"M. Malfoy, je ne tolérerai pas une telle exposition de manque de respect-"
"Oh, mais monsieur ---" Lucius, lui aussi, pouvait faire de grands yeux de chiot s'il le voulait seulement " - vous m'avez explicitement demandé de dire à haute voix ce que j'avais chuchoté à Severus. Donc j'ai fait ce qui m'avait été dit de faire. Si j'avais été conscient du fait que nous devions interpréter les ordres de nos enseignants au lieu de les suivre-"
"Silence!" cria Binns. "Un mètre vingt de parchemin sur le Comte de Monte Cristo, à remettre-"
"Excusez-moi, Monsieur," l'interrompit Severus, à peine capable de ravaler un sourire, " ne serait-ce pas plutôt Cagliostro ?"
Binns, qui avait terriblement du mal avec les noms, sembla perplexe. Lucius prit le fil où Severus l'avait laissé, pour l'utiliser dans un but moins noble et certainement contraire à celui d'Ariane. S'ils étaient couronnés de succès, Binns allait être tellement perdu dans le labyrinthe qu'il se pourrait qu'il oublie la punition. Ce n'était pas la première fois qu'ils jouaient ce jeu et tous les deux étaient assez sûrs que cela marcherait. "Ou était ce Casanova ?" demanda Lucius d'un air songeur, "quoique je ne sois pas sûr qu'il ait été Comte …"
"Non, il ne l'était pas. Ou peut-être avez-vous voulu dire Copernic, Monsieur ?"
"Mais Monte Cristo commence par un M, Rogue. Donc cela ne peut pas être Copernic. Monsieur, mettiez-vous l'accent sur Monte ou sur Cristo ? Car si c'était Monte-"
"Oh, mais si c'était Monte, sûrement que Professeur Binns voulait dire Montesquieu, n'est-ce pas, Monsieur ?"
"Mais alors Montesquieu n'était pas un Comte. Pas même un Baron, si je me souviens bien."
"Les français n'ont pas de Barons, Malfoy."
"Qu'entends-tu par ' les français n'ont pas de Barons ? Monsieur, avez-vous entendu cela ? Rogue prétend qu'il n'y a pas de Barons en France --- ne nous avez-vous pas raconté cette histoire intéressante à propos du Baron de Mirabeau et du rôle crucial il a joué à la cour française ?"
"C'était le Comte de Mirabeau, M. Malfoy," dit Binns, extrêmement heureux qu'un de ses élèves se rappelle de son anecdote favorite, "je le connaissais personnellement, le vieux. Vous ai-je déjà raconté l'histoire de notre débat intéressant …"
C'était bien sûr exactement là où ils avaient voulu l'amener. Tandis que Binns flottait dans la salle de classe, bourdonnant sur son échange d'avis fortement intéressant avec le Comte de Mirabeau, Lucius et Severus se sourirent et retournèrent à leur passe-temps favori de s'ensorceler la plume l'un de l'autre à écrire des obscénités au lieu des notes qu'ils prenaient.
~~~~ * ~~~~
Quand ils descendirent déjeuner samedi, le plafond enchanté montrait que la pluie s'était arrêtée et au dîner, les visages des élèves étaient baignés dans les nuances roses d'un coucher du soleil glorieux. L'humeur générale était montée considérablement et Severus vit même que les filles McKinnon, qui s'étaient montrées aux heures des repas avec des yeux rouges et gonflés depuis leur perte tragique, souriaient timidement à Malfoy et McNair, qui s'étaient dirigés à la table Serdaigle pour continuer leur parade de séduction.
"Encore un semaine et le fruit sera prêt à cueillir," dit Lucius d'un ton pratique, s'asseyant à gauche de Sibylle. Severus avait pris place à son côté droit et en face d'eux, Nott et Stuart Wilkes flanquaient Tabitha. Durant leur marche de la salle de classe de Binns à celle de McGonagall l'autre matin, ils avaient décidé unanimement qu'il serait mieux de garder les deux strictement séparées, du moins jusqu'à ce que Sibylle soit partie, ce qui allait arriver dimanche.
"Ainsi quand exactement projetez-vous de profaner la Semaine Sainte ?"demanda Severus, "Sera-ce Vendredi de Fornication ou Samedi de Sexe-fou ?"
"Exusez moi ?" dit Sibylle, visiblement piquée par leur conversation, "Il y a une femme assise entre vous, au cas où vous ne l'ayiez pas remarqué."
"Oh, désolé, Sibylle," dit Lucius autour d'une bouchée énorme de bifteck, "j'ai toujours pensé que les libellules étaient asexuées. Je devrais réviser mes leçons de zoologie, on dirait.--- Hé, Sev, que dirais-tu d'une petite sortie à balai après dîner ?" Il indiqua le plafond. "On dirait que le temps a finalement décidé de s'améliorer pour de bon. Si nous nous envolons directement de la porte d'entrée, nous ne nous couvrirons pas de boue."
"Mmh," fut tout ce que Severus put répondre, parce que sa bouche était pleine de légumes. Il avala et dit "je suis flatté par ton invitation, Malfoy, mais pourquoi ne demandes-tu pas à Clarissa ?"
"Elle est de service ce soir," répondit Lucius, roulant ses yeux et indiquant Sibylle d'un geste.
"Oh, mais je pourrais venir avec vous," aventura-t-elle.
"Non, tu ne le pourrais pas," dit Lucius d'un ton rogue, "Tu serais capable de te précipiter à bas de ton balai, juste pour nous embêter. Alors, quelle est ta réponse, Rogue, ou dois-je t'envoyer une invitation officielle sur peau de dragon dorée ?"
"D'accord, d'accord. Je suis dans un tel besoin d'air frais que je supporterai même ta compagnie, sur un balai de plus, juste pour en avoir un peu."
Et donc ils retournèrent à la Salle commune avec les autres et en bas au dortoir des quatrième-années pour aller chercher leurs balais. Lucius regarda son SL Mercure affectueusement ---bien sûr qu'il avait un balai de collection, le meilleur que l'argent de papa pouvait acheter, pensa Severus, revêche --- tandis que Severus saisit négligemment le vieil Étoile D'argent qu'il avait hérité de son père. Leur sortie était quelque part dans la zone grise ---un gris virant au noir, à dire vrai --- entre ' Jamais Explicitement Interdit, parce qu'Aucun Élève Sensé n'Aurait Eu une Telle Idée ' et ' Cinquante Points En Moins à Serpentard Et Une Semaine de Retenue Pour Etre Sortis Sans Permission ', donc ils firent d'abord rétrécir leurs balais pour qu'ils tiennent gentiment dans leurs poches et ensuite Severus répéta le Sort d'Invisibilité, cette fois-ci avec sa propre baguette. Ils se glissèrent jusqu'à la Salle commune, faisant attention de ne pas rentrer dans qui que ce soit et se placèrent des deux côtés de la porte, attendant que quelqu'un entre ou quitte la pièce.
Ils avaient de la chance, car dix minutes plus tard, Nott grogna qu'il avait faim. Severus, qui l'avait vu dévorer trois parts de tourte au bifteck-et-foie avec des pommes de terre rôties et des fayots, fournissant ainsi une base suffisamment solide pour la tarte à la mélasse, la bagatelle, la tarte aux pommes et la glace qui suivirent, porta sa main droite à sa gorge et fit un semblant de vomir très convaincant. Lucius sourit. Ils se glissèrent à l'extérieur derrière le corps solide de Nott et se dirigèrent silencieusement vers le Hall d'Entrée. Il était complètement vide. Ils contrôlèrent le plafond --- pas de fantôme. Severus étendit sa main vers l'énorme poignée de la porte d'entrée, mais Lucius le retint. Il tira sa baguette et jeta un sort assourdissant sur la porte, ce qui était une excellente idée, car elle grinçait terriblement. Faisant à Malfoy un signe de tête reconnaissant, Severus jeta un coup d'œil au hall une dernière fois, puis appuya sur la poignée et ouvrit la porte, seulement de quelques centimètres, assez pour qu'ils puissent s'y glisser.
L'air était merveilleux, frais et craquant, avec une très faible note de terre de printemps humide. La sensation était enivrante et Severus remarqua que cela avait le même effet sur Lucius. Il était difficile de ne pas céder à la tentation de se comporter comme des première année après la première chute de neige. Mais comme ils étaient des quatrième années honorables, ils agrandirent seulement leurs manches à balai, montèrent et décollèrent.
Lucius était très bon en vol et Severus savait qu'il valait mieux ne pas essayer d'imiter ses manoeuvres à glacer le sang, se contentant de quelques plongées "pas trop raides", tandis que Malfoy essayait évidemment tout ce qui était en son pouvoir pour s'empêcher d'avoir quinze ans la semaine suivante. Après un moment cependant, il se calma et rejoignit Severus, indiquant la Forêt Interdite. C'était beaucoup plus du goût de Severus. Ils avaient volé au-dessus du lac, où ils pouvaient être sûrs que personne ne les remarquerait du château au cas où le sort cesserait de faire effet --- mais maintenant ils montèrent haut dans le ciel étoilé et filèrent vers les arbres imposants de la forêt, évitant la cabane de Hagrid. Une fois que la distance entre eux et à la fois le château et le logement de Hagrid fut suffisante pour garantir qu'ils ne seraient pas dérangés, ils redescendirent, pour presque toucher les cimes des arbres de leurs pieds. Quelque temps, ils fixèrent simplement vers le bas à travers les branches et les feuilles, essayant d'avoir un aperçu de ce qui se passait au-dessous. Mais le fourré était trop serré pour que leurs yeux puissent le pénétrer. Donc ils continuèrent vers le bout lointain du bois où ils savaient qu'il y avait une clairière.
Encore à une distance de quelques centaines de mètres de leur but, Severus pensa entendre quelque chose, quoiqu'il ne puisse pas en être entièrement sûr --- le bruit du vent fouettant ses cheveux et ses oreilles était trop fort. Donc il se rapprocha du côté de Lucius et le poussa au bras de son doigt, pour attirer son attention. Lucius regarda autour de lui et Severus articula 'Stop! ', arrêtant son propre balai. L'autre garçon fit de même et maintenant Severus pouvait l'entendre clairement : c'était un son comme le tintement de cloches minuscules de verre, si aigu que cela ne pouvait pas être lointain des ultrasons. "Qu'est-ce que c'est ?" chuchota-t-il à Lucius.
"Je ne sais pas. Allons voir. Baguettes sorties ?"
Severus hocha la tête et tira sa baguette, s'accrochant au balai de sa seule main gauche. Ils continuèrent, plus lentement et un peu plus haut qu'auparavant. Quand ils furent plus proches de la clairière, ils virent un éclat argenté, ou plutôt un rougeoiement faible, émanant de quoi qui soit là sur le sol. Ils se regardèrent, déconcertés et continuèrent leur approche.
La clairière était grossièrement circulaire et couverte par de l'herbe basse. Et sur la douce surface verte, des centaines et des centaines de petites lumières argentées se déplaçaient. Les deux garçons atterrirent au sommet d'un énorme tilleul et regardèrent vers le bas avec une crainte admirative. "C'est la danse des Elfes des bois," chuchota Severus. "Cela veut dire qu'aujourd'hui-"
"-c'est la première pleine lune du printemps. Étonnant, non ?"
C'était la toute première fois, Severus en était sûr, qu'il avait vu Malfoy sourire. Un sourire véritable, pas un petit sourire satisfait ni un sourire moqueur. Mais aussi la beauté poétique du paysage était tout à fait irrésistible. Cela le rendit heureux d'une façon très étrange, différente de l'extase brusque qu'il avait ressentie après ses découvertes sur Lord Voldemort. Ce sentiment était beaucoup plus physique, profond dans ses tripes, où un des dispositifs bourdonnants de Dumbledore semblait avoir miraculeusement été implanté. Après presque huit semaines d'irritation tendue, c'était une oasis de paix béate. Ils restèrent sur leur arbre, immobiles, regardant avec ravissement les mouvements des minuscules silhouettes, écoutant leur chanson mystérieuse, et…existant. Se délectant du plaisir de respirer de l'air frais et d'être seulement deux garçons de quatorze ans, se promenant de nuit.
Aucun d'entre eux ne savait combien de minutes ou d'heures étaient passées, quand la chanson des Elfes s'apaisa et le rougeoiement de leurs yeux fut éclipsé par une autre lumière, plus forte, mais moins vivante. Les deux garçons levèrent la tête pour voir l'orbe d'argent de la pleine lune monter lentement sur les cimes des arbres. Les Elfes avaient disparu, de retour dans leurs terriers cachés profondément dans la Forêt Interdite et le silence régnait de nouveau. Le sentiment d'avoir été rejetés de quelque refuge céleste et obligés de retourner dans le temps et l'espace était péniblement intense. "C'est l'heure de rentrer," murmura Lucius et il enfourcha son balai, prêt à démarrer.
"Attends!" siffla Severus , "je renouvelle le sort, à tout hasard."
Ils volèrent vers le château en silence. Enveloppé dans le clair de lune, ce dernier semblait étrangement irréel, comme s'il flottait au-dessus de la terre. La lune montait rapidement, et les ombres jetées par les arbres semblaient raccourcir à chaque seconde. Elles diminueraient de plus en plus, jusqu'au point de leur extension minimale et ensuite commenceraient immédiatement à grandir de nouveau et cela rendait fou, pensa Severus, cela crispait le cerveau que d'essayer d'imaginer ce point…il était là, mais il était aussi imaginaire, comme la frontière séparant le passé et l'avenir, comme 'le maintenant', qui défiait la vitesse de la lumière ou n'importe quelle vitesse, en fait, car si vous essayiez de le saisir, il appartenait déjà au passé …
Quand Lucius le poussa du coude, il tomba presque de son balai. Ses yeux scintillant d'excitation, Malfoy pointa vers le bas. Il y avait une ombre, mais ce n'était pas celle d'un arbre. Et…elle se déplaçait. N'obéissant pas au progrès de la sphère d'argent dans le ciel. Elle se déplaçait parce qu'elle appartenait à une personne. Une personne courte, légèrement dodue qui se dépêchait de remonter la pente vers le château. ' Pomfresh ? ' articula Severus et, avec sa main droite, fit un point d'interrogation en l'air. Lucius hocha vigoureusement la tête et tendit sa main droite, en poing, son pouce indiquant le sol. Severus se tapa le front de l'index droit, demandant ainsi silencieusement si Lucius était devenu complètement fou, mais le visage de l'autre garçon était éclairé d'un sourire malveillant et donc Severus haussa les épaules et le suivit vers le bas.
C'était en effet Madame Pomfresh; ils pouvaient entendre sa respiration lourde en planant environ à deux mètres cinquante au-dessus d'elle. Elle marchait vers la porte d'entrée, mais au lieu d'atteindre l'escalier y menant, elle tourna à droite et plongea dans l'ombre profonde du mur du château. Après avoir tourné deux coins, elle avait atteint une petite porte en bois, qu'elle ouvrit par un sortilège murmuré. L'infirmière se glissa à l'intérieur et ils entendirent le clic de la clenche se remettant en place quand elle ferma la porte derrière elle. Le cœur battant, ils se regardèrent. Lucius fit signe à Severus d'atterrir de regarder la porte, mais cette fois, Severus refusa proprement. Maintenant ce fut le tour de Lucius de hausser les épaules de défaite et donc ils firent demi-tour, couvrirent la petite distance jusqu'à la porte d'entrée, firent rétrécir leurs balais et retournèrent à l'intérieur.
