CHAPITRE 20
L'esprit de Severus, d'habitude si rapide et plein de ressources quand il s'agissait de résoudre des problèmes, refusa simplement de marcher. Refusa d'essayer d'arrêter le tourbillon vertigineux des pensées qui n'arrêtaient pas de faire la course dans sa tête comme une tornade, refusaient l'entrée à la logique, suggéraient que peut-être tomber sur le sol en un tas sanglotant serait le meilleur pour lui. Esprit déloyal. Il lui faisait faux bond quand il en aurait eu le plus besoin. Alors il resta simplement debout où il était quelque temps, les yeux fermement fermés, les mains serrées en poings, combattant la forte envie de céder au désespoir, luttant contre les larmes formant un noeud serré dans sa gorge. Après un moment, il eut assez confiance en lui pour rouvrir ses yeux.
De nouveau, il regarda le tableau de sa mère endormie, le désordre dans sa chambre et la bouteille, lui souriant avec malveillance depuis la table de nuit où il l'avait posée. Il décida qu'il était mieux de quitter la pièce, de descendre et de nettoyer le désordre dans la cuisine. Il devrait le faire sans magie --- le Ministère n'allait pas être clément avec le fils de Marcus Rogue s'ils le détectaient à faire de la magie en dehors de l'école pendant les vacances. Lentement, il descendit l'escalier et prit une respiration profonde, qu'il retint en entrant dans la cuisine. Aussi rapidement que possible, il traversa la pièce et ouvrit la fenêtre. Les quelques premières respirations allaient tout de même être écoeurantes, mais l'air frais de l'extérieur aiderait à graduellement diminuer la puanteur.
Alors il fit un examen approfondi de la pièce. Quelle dommage qu'il ne puisse pas utiliser sa baguette seulement pour activer et désactiver les dispositifs de cuisine enchantés. Il ne désirait pas excessivement toucher l'alimentation, dans divers états de décomposition, qui était dispersée sur toute surface possible et impossible. Cela allait lui prendre beaucoup de temps pour ramener cette pièce depuis ce chaos à un état acceptable de propreté, mais du moins il serait capable de dormir ensuite. Donc il retroussa ses manches et se mit au travail. Maintenant il pouvait permettre à ses pensées de retourner errer à la scène en haut, car le nettoyage exigeait beaucoup d'activité physique et quelque pensée de base, toutes les deux fournissant une sorte de cadre solide pour son esprit vagabondant. Le ménage avait mis une laisse à ses songeries, leur permettant de se déplacer assez librement pour produire des résultats donnants satisfaction, mais pas assez loin pour s'approcher de l'abîme du désespoir. De temps en temps, les pensées tiraient durement sur leur laisse, obstinément, avec insistance, s'étranglant presque dans le processus, mais le ménage avait une ferme prise dessus et les empêchait patiemment de se précipiter la tête la première dans leur propre ruine.
Comment avait-elle mis les mains sur ce maudit élixir ? Non seulement c'était une substance fortement illégale, mais il coûtait très cher. L'histoire de l'Elisir Di Ganimede pouvait être remontée jusqu'à la Grèce antique--- probablement même plus loin, mais les premières sources écrites dataient environ de 500 Av. J.C ---où les prêtres de Bacchus l'avaient utilisé pour leurs orgies. Il avait été perfectionné un peu plus tard par le Comte de Cagliostro, fabricant de potions et Magicien Sombre extraordinaire, qui avait légèrement changé la recette et lui avait donné son nom délicieux : Elisir Di Ganimede. Cela semblait inoffensif, vraiment, mais cela , pensa Severus, était une idée fausse et périlleuse. Car derrière ce nom se cachait le danger de l'accoutumance. L'état d'âme qu'il incitait en était un de bonheur total et d'optimisme, tout problème oublié, toute douleur partie sans une trace, mais cet effet était obtenu à un haut prix, car ceci était principalement dû à l'utilisation de larmes des Sirènes. Il y avait seulement quelques autres substances magiques, comme le venin de Basilic, qui avaient été sujettes à un commerce semblable et des restrictions d'utilisation. Cela et le fait qu'il restait seulement une petite population de Sirènes, dans une île incartable en Mer Ionienne en faisait l'un des ingrédients les plus cher du marché. Severus doutait grandement que sa mère ait été capable d'acheter l'élixir même dans l'allée des Embrumes. Ils vendaient un tas de substances illégales là-bas , mais il y avait certaines choses que même les marchands avides de la rue la plus mal famée de Londres préféraient tenir à distance.
Maintenant, il avait éliminé toute l'alimentation pourrie et avait accumulé les plats et les casseroles près du lavabo. Severus tira sa baguette et tapota l'évier, qui se remplit immédiatement d'eau chaude. Tandis qu'il ajoutait le savon, ses pensées retournèrent au problème harcelant. Il avait peu d'importance, en réalité, d'où exactement elle avait obtenu la drogue. Ce qui comptait plus était la question comment elle l'avait fait. Comment avait-elle été capable de payer cela ? Combien de temps l'avait-elle pris ? Il passa mentalement en revue leur échange assez maigre des lettres de l'année et demi passée. La dernière fois qu'il était rentré à la maison avait été pour Noël il y a deux ans. Avait-il remarqué quelque chose de peu commun alors ? Non, pensa-t-il, pas vraiment. Ses sautes d'humeur n'avaient pas été hors de l'ordinaire. Et certainement rien dans le genre des hausses vertigineuses et plongeons sans fond qui accompagnaient l'ingestion de l'élixir et le manque. Cela devait avoir commencé plus tard. Peut-être il n'y a pas si longtemps, car la dernière lettre qu'elle lui avait écrit était arrivée à Noël et n'avait pas montré de signes d'euphorie exagérée ou de désespoir noir. Mais même si elle avait développé cette accoutumance pendant seulement six mois, la situation était assez mauvaise. Et, pire, il n'avait pas un seul indice sur quoi faire. Nettoyer la cuisine était une chose, mais traiter avec une personne souffrant de manque sévère était non seulement dangereux, cela exigeait aussi des compétences professionnelles qu'il n'avait pas. Les Guérisseurs d'Âme à Sainte Mangouste prendraient mieux soin d'elle, mais alors de nouveau cela allait coûter beaucoup d'argent qu'ils n'avaient pas.
Malgré le travail horrible de s'occuper de viande et de légumes pourris, avec les moisissures et les larves, Severus dût admettre qu'il avait faim. Pas étonnant. La dernière fois qu'il avait mangé correctement avait été au petit déjeuner, il y a plus de quinze heures --- les deux ou trois chocogrenouilles dans le Poudlard Expresss ne comptaient pas. Seulement il ne restait plus beaucoup de nourriture, maintenant qu'il avait jeté tout ce qui semblait même vaguement suspicieux.
Mais il se rappela qu'il y avait eu une boîte de biscuits secs à l'air à moitié convenables, donc il se permit une courte pause et, après s'être lavé les mains à fond, il s'assit et en mangea quelques-uns. Il avait aussi soif, mais dut se contenter d'eau. Le casse-croûte lui prit seulement quelques minutes --- insipide comme c'était, cela ne provoquait pas de désir de s'attarder pour l'apprécier--- alors il se leva de nouveau et commença la dernière partie de son travail : nettoyer les meubles et le sol. Il était presque une heure quand il eut finalement fini. Son corps entier était douloureux et il était éreinté. La tentation d'aller simplement dormir, entièrement habillé et sans prendre de douche, était grande mais il résista. Quand il fut couché dans son lit peu après, douché et habillé d'un pyjama propre, sentant chaque noeud du vieux matelas appuyer péniblement sur ses muscles surmenés, il sentit le poids entier du désespoir se jeter sur lui de nouveau.
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Malgré toutes ses craintes et ses soucis, Severus dut braver les règles du Ministère le matin suivant. Mais il n'y avait simplement aucun autre moyen de garder la femme frénétique à distance que de lui jeter un sort de restriction totale. Pendant quelques minutes désespérées, il avait essayé de lui parler, de lui demander où elle avait obtenu la drogue, de discuter la question d'argent et un traitement éventuel à Ste. Mangouste, mais en vain. À moins qu'il n'ait voulu avoir le voisinage entier à leur porte, demandant si un meurtre avait été commis dans la maison des Rogues, il devait la faire taire et l'immobiliser efficacement. La rue dans laquelle ils vivaient était magique et protégée des Moldus après tout --- un des quartiers sorciers les moins à la mode de Londres --- Et ainsi peut-être que le Ministère ne surveillait pas de trop près tant qu'il n'y avait aucun signe de magie plus puissante ou sombre.
Pendant environ un quart d'heure, il attendit avec inquiétude qu'un hibou du Ministère délivre un avertissement officiel, mais rien n'arriva et donc il se sentit libre de continuer son processus de pensée. Il l'avait immobilisée. Jusqu'ici, bien. Mais le sort de ligotage ne durait pas une éternité. La seule méthode possible de la tranquilliser à laquelle il pouvait penser était de lui administrer une potion de sommeil très puissante, qui durerait pendant environ douze heures. La Goutte de Mort Vivant serait la plus adéquate de toutes. Il était quasi sûr, cependant qu'il devrait acheter tous les ingrédients, comme il n'y avait rien dans la maison. Bien qu'ils ne soient pas trop chers, il allait avoir besoin au moins d'un peu d'argent. Sans aucun espoir réel de découvrir quoi que ce soit, il fouilla la commode de sa mère où elle avait l'habitude de garder sa monnaie, mais c'était comme il s'y était attendu : il n'y avait que deux mornilles, rien de plus. Cela aurait été plus rassurant s'il n'avait rien trouvé du tout, parce que cela lui aurait laissé le faible espoir qu'elle ait pu choisir une autre place où garder ses pièces de monnaie. Avec les deux mornilles à leur place habituelle, il n'y avait aucune possibilité réaliste de trouver par hasard des trésors cachés ailleurs. Donc il devrait sacrifier quelques-uns du peu de bijoux qu'elle possédait. Une recherche approfondie des biens d'Aminta Rogue servit seulement à prouver ce qu'il craignait déjà : elle avait appliqué cette idée avant qu'il n'y pense lui-même. Le seul objet précieux qui restait était son alliance, qu'il ne voulait pas vendre. En plus du fait que les revenus auraient été maigres, cela semblait une chose incorrecte à faire. Évidemment, elle avait voulu la garder, alors qui était-il pour en décider autrement ?
Pas de bijou, alors. Donc il devrait faire un sacrifice réel, un qui lui ferait mal : il devrait vendre quelques livres. Bien que sa mère ait déjà fait de l'argent des volumes les plus précieux dans le passé, pour couvrir quelques besoins urgents que la pension arrangée pour elle par le Ministère n'avait pas été suffisante à couvrir, il en restait toujours assez. Il descendit, entra au salon --- il devrait le nettoyer aussi, pensa-t-il --- et traversa la pièce vers la porte qui menait à la bibliothèque. Un nom prétentieux pour la petite pièce, remplie d'étagères à livres. ' L'Entrepôt à livres' aurait été plutôt cela. Choisissant mentalement les volumes qu'il avait l'intention d'ammener à l'Allée des Embrumes, Severus ouvrit la porte --- et regarda fixement devant lui sous le choc.
A l'évidence, sa mère avait suivi les mêmes lignes de pensées que lui. En dehors des livres moldus, il ne restait plus grand chose. Tous les volumes qu'il avait lus et aimés --- pire encore, tous ceux qu'il avait aimés platoniquement car il ne les avait pas encore lus --- tous partis. Vendus à quelque marchand de l'Allée des Embrumes qui avait probablement eu beaucoup de mal à croire sa chance. Il était presque impossible de résister à l'attaque de larmes, à la fois de colère et de désespoir. Cela et une telle vague de haine qu'il aurait couru en haut et tué sa mère s'il n'avait pas été immobilisé par le choc. Cela lui prit une longue période de temps pour se calmer suffisamment et pouvoir regarder les restes. Là où il y avait eu plus de cinq mille tomes, magiquement contractés pour tenir dans le petit espace, il n'y en avait maintenant plus qu'à peine plus de cent, rétablis à leur taille originale. Desserrant lentement ses poings, Severus se rapprocha de la planche pour inspecter les titres. Et libéra un soupir de soulagement. Si qui que ce soit lui avait dit qu'un jour, il allait remercier les Dieux d'avoir une mère écervelée avec presque aucun goût, il aurait ri tout haut. Dans l'état des choses, il se sentait éternellement reconnaissant. Comme il était typique des personnes avec peu de raffinement ou pas du tout, elle avait choisi plus par l'apparence que par la qualité. Les pièces vraiment précieuses étaient encore là, presque toutes. Il serait suffisant de se séparer de l'une d'entre elles.
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Severus fut immensément soulagé de trouver un peu de poudre de Cheminette sur le manteau de la cheminée dans le salon. Non seulement il était à court d'argent moldu, mais la pensée d'avoir finalement besoin de répéter le voyage d'hier aurait été un peu trop pour ses nerfs déjà grésillants. Il avait abasourdi sa mère et aussi mis un sortilège de sommeil sur elle, de telle sorte qu'on puisse être sûr qu'elle reste là tranquille jusqu'à ce qu'il revienne. Sa course n'allait pas demander beaucoup de temps --- une heure peut-être, pas plus. Debout devant la cheminée, il donna au livre qu'il avait l'intention de vendre un dernier regard aimant, quelque chose qu'il ne ferait certainement pas en présence de M. Barjow. Alors il prit la plupart de ce qui restait de la poudre de Cheminette, la jeta dans la cheminée, qui fut immédiatement éclairée de flammes vertes, s'avança et appela "Barjow et Beurk."
Si le magasin de l'Allée des Embrumes n'avait pas toujours été un endroit d'humiliation, Severus l'aurait beaucoup apprécié. Bien qu'il préfère ne pas savoir d'où exactement venaient les objets exposés --- pas que Barjow lui eut dit, de toute façon, au cas où il aurait demandé --- ils étaient fortement intéressants. Il s'arrêta brièvement sur son chemin de la cheminée au comptoir, pour examiner un morceau de vêtement à l'air assez innocent étendu sous un couvercle de verre. Se penchant pour lire l'inscription sur une petite carte près de la manche gauche, il se rendit compte que c'était loin d'être inoffensif : En fait, c'était la chemise de nuit que Medée avait donné à la jeune épouse de Jason, Glaucé, comme cadeau de noces. Riant sous cape, Severus lit la ligne inférieure de la carte : "Ne pas toucher--- inflammable!"
" Bonjour, M. Rogue," entendit-il dire la voix de M. Barjow. L'homme possédait une capacité tout à fait étrange de se déplacer sans faire un seul bruit. "Quel plaisir de vous revoir. Une petite sortie de vacances ? Pour se délecter des joies de la liberté ?"
"Pas vraiment," répondit Severus, se retournant et serrant la main dégoûtante et poisseuse du sorcier. "Je suis ici pour affaires."
Découvrant ses dents plutôt pointues en ce qu'il pensait probablement être un sourire, Barjow lui fit signe de le suivre au comptoir. "Bien sûr, bien sûr," murmura-t-il, "c'est toujours un plaisir de faire affaire avec vous, M. Rogue. Comment va votre mère, si je peux prendre la liberté de poser la question ?"
Severus aurait aimé lancer quelques sortilèges bien choisis sur l'homme, mais répondit calmement "Je suppose que vous l'avez vue assez souvent ces mois derniers, M. Barjow. Mais elle va assez bien."
Barjow lui lança un regard étonné, que Severus crut être véritable. "Non, je n'ai pas vu Mme. Rogue depuis assez longtemps. Mais bien sûr je suis heureux d'entendre dire qu'elle va bien."
Maintenant c'était étrange, pensa Severus. Où aurait-elle autrement pu vendre les livres ? Pas que Barjow soit du tout mieux que ses camarades sorciers marchants ---il était aussi avide et injuste que les autres --- mais du moins ils se connaissaient depuis très longtemps, alors pourquoi avait-elle choisi un autre acheteur pour les livres ? Pas le temps d'y penser maintenant.
"En effet. M. Barjow, j'aimerais que vous jetiez un coup d'œil à cela," et il sortit le livre de sa poche, le réagrandit et le mit dans les mains de l'autre sorcier. Le livre avait pris un aspect étonnamment semblable à une griffe.
Barjow pouvait essayer de dissimuler sa surprise autant qu'il le voulait, mais il n'y réussit pas tout à fait. "Le Livre des Malédictions de Cantorbéry!" murmura-t-il, feuilletant le tome pour vérifier qu'aucune page ne manquait. "Maintenant ça --- voulez-vous le vendre ou le faire estimer ?"
"Je serais un peu idiot si je répondais vraiment à cette question, n'est-ce pas, M. Barjow ?"
"Et bien, oui, pour dire vrai. Alors, pour raccourcir une longue histoire, je vous en donnerais quatre-vingts galions."
Severus était assez sûr qu'il en valait deux cents, mais il savait assez bien que Barjow n'allait jamais lui donner cette somme. "Cent cinquante y ressemble plutôt."
Barjow passa une main dans ses cheveux graisseux. "Si vous avez l'intention de me ruiner, M. Rogue, vous auriez pu tout aussi bien mettre le feu à mon magasin. Quatre-vingt-dix."
"Bien sûr, mais alors j'aurais dû choisir un autre acheteur moins bien intentionné que vous, M. Barjow. Ce que, à propos, je pourrais considérer de faire de toute façon."
Les dents pointues se découvrirent de nouveau. "Disons cent alors."
Sans un mot, Severus tendit sa main pour reprendre le livre.
"Cent dix ?"
Severus secoua simplement la tête.
"Cent quinze, mais c'est mon offre finale."
"Cent trente, M. Barjow, ou la sensation de ce livre dans vos mains ne sera rien qu'un souvenir plaisant."
"C'est cent trente, donc," acquiesça le sorcier aux cheveux graisseux et ils se serrèrent la main.
L'argent lui fut remis dans une petite bourse en cuir; Severus serra à contre-coeur la main poisseuse pour la troisième fois et quitta le magasin, heureux d'avoir échappé à l'atmosphère sombre de l'intérieur. Il était très soulagé. L'argent, s'il était employé parcimonieusement, lui durerait assez longtemps, même s'il devait acheter les ingrédients de potions. Il était probablement mieux de les obtenir dans le Chemin de Traverse cependant, car c'étaient des substances parfaitement légales et on pouvait s'attendre à ce qu'elles soient moins hors de prix là-bas qu'ici dans l'Allée des Embrumes où l'argent des protections et des dessous de table pour des fonctionnaires réticents du Ministère étaient automatiquement inclus dans toute somme que les clients devaient payer, que ce soit pour un bout de ficelle ou une fiole de venin de basilic. Il avait déjà mis quelques mètres entre lui et le magasin, quand il s'arrêta et, après une inspiration soudaine, s'y rendit de nouveau.
"Oui ?" dit Barjow, le regardant fixement et soupçonneusement du comptoir.
"Désolé de vous déranger de nouveau, mais peut-être vous pourriez m'aider à résoudre un problème. Pensez-vous que n'importe lequel des magasins ici dans l'Allée des Embrumes vend ou serait capable de procurer de l'Elisir Di Ganimede ?"
L'expression de Barjow changea de méfiante à horrifiée, faisant un bref arrêt par soulagée, probablement parce qu'il avait pensé que Severus avait changé d'avis au sujet du livre. "M. Rogue, vous êtes bien trop jeune-"
"Je n'en veux pas pour moi, je le jure. Pour dire la vérité, je n'en veux ni pour moi, ni pour qui que ce soit d'autre. J'ai demandé par intérêt --- vous devez être parfaitement conscient," ajouta-t-il avec un petit sourire satisfait, "que je ne pourrais pas me le permettre de toute façon."
"Très peu de personnes le pourraient, M. Rogue. Mais juste pour satisfaire votre intérêt : non, je ne pense pas que n'importe lequel de mes… amis en vendrait ici. Pas par les temps qui courent. Le Ministère est devenu très ennuyeux depuis les , euh, tragédies."
"Je vois. Bien, merci, M. Barjow. Faire affaire avec vous était un plaisir, comme toujours." Petits mensonges pour lubrifier les engrenages des relations --- plus ou moins --- humaines, pensa-t-il. Comme il les détestait. Et les petits mensonges et les relations.
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Comme toujours le samedi, le Chemin de Traverse était plein de sorciers faisant leurs achats du week-end. Severus, qui détestait les foules, était heureux de seulement devoir passer chez l'apothicaire. Il acheta une grande provision d'Asphodele, d'Armoise, de Mandragore, de graines de pavot et quelques autres ingrédients dont il n'avait pas besoin pour le moment, mais ils étaient assez bon marché et servaient le but unique de distraire l'attention du commerçant du fait qu'il allait préparer de la Goutte du Mort Vivant. Heureusement, il lui vint à l'esprit qu'il avait aussi besoin de poudre de Cheminette. Quand toutes les fioles, enveloppes et sacs furent proprement empaquetés dans un assez grand colis, il demanda au commerçant la permission d'utiliser sa cheminée pour rentrer à la maison.
Tout semblait être dans l'état où il l'avait quitté. Severus posa le colis sur le divan dans le salon, monta s'assurer que sa mère dormait toujours à poings fermés, renouvela le sortilège de sommeil et retourna en bas pour déballer les ingrédients qu'il avait achetés. Tous les récipients étaient intacts et il les aligna sur la table de cuisine. Ceux dont il n'avait pas besoin furent stockés dans un des buffets. Considérant qu'il venait de relancer le sortilège, il pouvait risquer un voyage à l'épicerie en bas de la rue avant de se mettre au travail. C'était nécessaire, car il n'y avait littéralement rien à manger --- il avait terminé les biscuits le matin et avait extrêmement besoin de thé fort et d'un vrai petit déjeuner. La pensée qu'il rencontrerait probablement des gens qu'il connaissait ne le mettait pas à l'aise, mais il n'avait pas d'autre choix, à moins de vouloir mourir de faim ou d'entreprendre un autre voyage par Cheminette.
Donc il quitta la maison, clignant des yeux dans le soleil brillant et, comme il le pensait, inopinément joyeux, marcha les quelques mètres jusqu'à chez l'épicier et se prépara à faire face à la vieille sorcière bavarde qu'il connaissait depuis que lui et sa mère avaient emménagé ici. Plus que les commentaires habituels de combien il avait grandi et de combien il ressemblait à sa chère mère, il redoutait les questions inévitables quant à la santé et l'emplacement de celle-ci. Se donnant mentalement une secousse approfondie, Severus redressa les épaules, souleva son menton d'un air provoquant et entra dans le magasin.
"Eh bien, si ce n'est pas Severus Rogue! Comment vas-tu, mon cher garçon ? Je ne t'ai pas vu depuis si longtemps, cela doit faire …"
"Deux ans," Severus fournit l'information nécessaire, espérant que cela aiderait à abréger le processus.
"Deux ans! Comme le temps passe vite! Et tu as grandi, par les boules de Merlin-" Severus s'étrangla "-et si grand, et bien, tu es beaucoup plus grand que moi maintenant! Tu es à Poudlard, n'est-ce pas ? Cinquième année ?"
"Non, j'ai juste fini ma quatrième année."
"Oh, alors tu sembles plus vieux que tu ne l'es en réalité, Severus! J'aurais juré que tu avais déjà seize ans-"
"Non," l'interrompit Severus, "En fait, j'aurai quinze ans en novembre. Maintenant, Mme. Weatherby, j'ai besoin-"
"Quinze ans! Seulement quinze ans! Qui pourrait le penser ? Oh, comme le temps passe vite! Et je suis sûre que tu as une petite amie, n'est-ce pas ?" demanda Mme. Weatherby avec un sourire qui était plus sale que conspirateur.
Severus resta momentanément ahuri. C'était une tournure qu'il ne s'était pas attendu à ce que la conversation prenne. Malheureusement, il n'y avait aucune autre épicerie alentour, donc il devait rester, autrement il serait simplement parti. "Mme. Weatherby, même si j'avais une petite amie, je n'en parlerais pas," dit-il donc d'un ton glacial, "Alors si nous pouvions s'il vous plaît passer aux affaires d'achat-vente ?"
La commerçante loquace semblait très insatisfaite, mais retourna à sa place derrière le comptoir, marmonnant quelque chose d'inintelligible au sujet des jeunes sorciers irrespectueux. Cependant, elle ne posa pas de nouvelle question et donc Severus quitta le magasin dix minutes plus tard, portant deux grands sacs de papier --- elle aurait pu jeter un Sortilège d'Imponderabilis sur eux pour lui, mais ne l'avait bien sûr pas fait pour se venger--- contenant assez de nourriture pour le week-end et le début de la semaine suivante. Le souvenir de l'orgie de nettoyage d'hier soir était encore trop frais chez lui pour avoir acheté autre chose que du pain, du fromage, des fruits et du thé. La viande et les légumes étaient certainement hors de question pendant les quelques jours suivants, pensa-t-il mécontent, non seulement à cause des associations désagréables cependant .Il n'avait presque aucune expérience avec les sortilèges de cuisine et encore moins d'inclination à se donner la peine de les étudier.
Quand il se fut finalement installé à table dans la cuisine avec une tasse de thé et un sandwich au fromage, il se creusa la tête sur que faire ensuite. D'abord, il allait préparer la potion pour sa mère. Puis il rangerait le reste de la maison. Et ensuite, il devrait entrer en contact avec quelqu'un pour demander de l'aide, car il n'était que trop bien conscient de sa propre incapacité à traiter avec la situation. Il lui restait quatre-vingt-dix-huit galions dans la bourse en cuir que Barjow lui avait donné. C'était suffisant pour lui permettre de regarder l'avenir en face sans grand soucis, parce qu'il n'allait pas avoir besoin de quelques articles chers que ce soit, pendant les quelques semaines suivantes. Mais il ne pouvait pas traiter sa mère avec la potion somnifère pendant deux mois et même alors, la nécessité de faire des projets pour la période de temps après ses vacances surgirait tôt ou tard. Sans parler des achats indispensables avant que l'école ne commence de nouveau : il devrait acheter des nouvelles robes d'école, des manuels, du parchemin, des plumes, et caetera. En supposant que les quatre-vingt-dix-huit galions durent jusqu'à la fin du mois d'août, le reste --- s'il restait quelque chose --- ne couvrirait de loin pas les dépenses. Severus décida de commencer le travail réel d'abord. Ensuite, il pourrait avoir un déjeuner tardif et peser ses possibilités pour obtenir de l'aide.
C'était un déjeuner très tardif, plutôt un dîner de bonne heure. Sa mère était inconsciente et le resterait jusqu'au matin suivant, car il lui avait fait avaler une assez grande dose du breuvage . Pas que cela ait été facile. Au contraire, dès le moment même où elle s'était réveillée, les symptômes de manque avaient pris possession d'elle, plus violemment que le matin. Mais il avait réussi à lui faire avaler le liquide. Le nettoyage de la maison avait été du gâteau, en comparaison. Éreinté, il s'était assis à table dans la cuisine de nouveau et, entre deux bouchées de sandwich au fromage et de pomme, il observa oisivement quelques enfants jouant dans la rue. Ils chevauchaient des balais-jouets et étaient à l'évidence engagés dans une version plus simple de Quidditch sans Cognards et avec un Vif d'Or volant à une vitesse très modérée. La génération suivante d'idiots fous de sport, pensa Severus ironiquement. Comme s'il n'y avait pas de problèmes plus urgents dans ce monde.
En parlant de problèmes : il devait en venir à une décision quant à qui il devrait demander l'aide très rapidement, car l'idée lui était venue que tant que sa mère était sous l'influence de la potion, elle ne pouvait ni manger, ni boire, mais qu'il était également impossible de faire arriver quoi que ce soit dans son estomac tandis qu'elle était éveillée. Vers qui devait-il se tourner, alors ? Dumbledore était une possibilité plus que tentante, mais il ne voulait pas être endetté envers le Directeur. Il garderait cette option comme une dernière brindille à laquelle s'accrocher si tout le reste échouait. M. Malfoy le secourrait certainement s'il le lui demandait, mais cela voulait dire que Severus devait admettre sa faiblesse et sa pauvreté et accepter la charité. Bien sûr, les Malfoys savaient qu'il était pauvre, mais prier pour recevoir de l'aide différait fondamentalement d'accepter un cadeau. Pas Malfoy, alors. Les Rosiers, peut-être ? Mais qu'allait dire Clarissa ? Il doutait beaucoup --- non, s'il était honnête avec lui-même, il savait qu'il était impossible de lui cacher quelque information que ce soit s'il demandait de l'aide à ses parents. Sa situation économique déplorable était une chose, mais admettre que sa mère avait vendu la moitié de la maison pour donner satisfaction à son accoutumance à une drogue illégale était hors de question.
Severus enterra sa tête dans ses mains, sentant le désespoir reprendre le dessus. Dieux, comme il avait horreur d'être pauvre et de dépendre de la bonne volonté d'autres personnes! Un instant, il resta dans cette position, essayant de réunir ce qui restait de ses esprits et de son assurance pour trouver une solution au problème. Un son de battements d'ailes et un doux bruit sourd sur la table le firent sursauter de peur et de surprise. Un hibou était entré par la fenêtre ouverte, un grand animal avec des plumes grises et de grands yeux oranges. Le regard qu'il lui lançait semblait être quelque part entre sévère et désapprobateur, mais c'était évidemment une illusion créée par les touffes de plumes au-dessus de ses yeux, ressemblant à des sourcils épais froncés de colère ; car quand il tendit sa main--- un peu timidement, parce que le bec de l'oiseau était grand et pointu --- l'animal se précipita plus près de lui et mit sa tête dans sa paume de main. Severus se réprimanda mentalement d'être si enfantin, mais il ne pouvait rien y faire : La sensation d'une caresse véritable et tendre était si accablante qu'il commença presque à pleurer.
Quelque temps, il caressa les plumes du hibou. L'oiseau semblait apprécier cela, car il hulula doucement et se dandina pour se rapprocher encore plus de lui, jusqu'à ce que l'inébranlable regard fixe et orange soit seulement à quelques centimètres de ses propres yeux. "Voudrais-tu quelque chose à manger ?" demanda-t-il et le hibou émit un autre petit hululement qui pouvait être interprété comme "Oui, s'il te plaît." Donc Severus se leva et alla chercher une banane, la pela et la découpa en tranches épaisses qu'il mit dans un bol. Il remplit un autre bol d'eau et les posa tous les deux devant l'oiseau. "Je suis désolé," dit-il, "mais il n'y a pas grand chose dans la maison. Je sais que tu aurais préféré de la viande crue ou du jambon, mais avec l'expérience d'hier … De toute façon, peut-être daigneras-tu prendre juste un peu de banane, simplement pour changer."
Le hibou en prit un morceau et le trouva à l'évidence à son goût. Severus lui fit un large sourire et était si absorbé par le fait de l'observer manger qu'il oublia complètement que l'oiseau n'était probablement pas venu pour une visite d'amitié, mais pour faire une livraison. Et en fait, il y avait un colis posé sur la table. Curieux, Severus le prit et essaya de déchiffrer sa provenance. "Oncle Ettore ?" murmura-t-il, "Pourquoi enverrait-il un colis à mamma ?" Il arracha l'emballage et découvrit ainsi une petite boîte en bois, d'environ dix-huit centimètres sur vingt-cinq et peut-être huit centimètres de haut. Elle était fermée par des clous, et donc il dut aller chercher un couteau pour essayer de forcer le couvercle. Après quelques tentatives, ce dernier cèda finalement. Précautionneusement, il enleva une couche de velours, puis une autre et sous la troisième il y avait---
Severus avala. Il avait vu cette bouteille, ou plutôt sa copie fidèle, dans la chambre à coucher de sa mère. Seulement celle-ci était pleine et il y avait une note posée dessous. Il la retira, la déplia et lit :
Chère Aminta,
Je suis désolé que celui-ci ait pris un peu plus de temps pour arriver, mais Ferralino n'a pas reçu la livraison dans les temps (en raison du besoin soudain du Ministère d'apparaître compétent et incorruptible, puisque le Messagero Magico a récemment publié certains faits très compromettants sur l'Affaire Brindisi). Tu peux renvoyer le livre avec ce hibou. N'exagére pas avec l'Elisir et fais attention à toi!
Ton
Ettore
La forte envie d'exploser en un accès de rire hystérique était accablante. Pendant une des visites de ses parents italiens, il y a très longtemps, il avait entendu--- par qui, il ne s'en rappelait plus --- que l'Oncle Ettore, le cousin de sa mère, avait développé un intérêt inhabituellement grand dans la bibliothèque des Rogues et avait même réprimandé sa cousine Aminta d'avoir vendu certains des volumes à un vulgaire sorcier-marchand au lieu de les lui avoir offerts. Il semblait qu'il ait atteint son but après tout. La bibliothèque d'Ettore Alighieri devait avoir grandi considérablement. Seulement maintenant Severus n'avait plus à penser plus longtemps à qui il allait demander de l'aide. Son oncle serait probablement un peu stupéfait de recevoir une lettre de son neveu au lieu d'un livre de sa cousine, mais il devrait décharger sa responsabilité, après tout les problèmes que Severus avait actuellement étaient aussi de sa faute, du moins jusqu'à un certain degré.
Le hibou le regardait avec attente et Severus lui fit un sourire faible. "Juste un moment de patience," lui dit-il, caressant les plumes grises de nouveau et il se leva pour chercher un bout de parchemin et une plume dans le salon. Puis il se ravisa et alla les chercher de son propre coffre, comme cela du moins il ne devrait pas gaspiller son temps à ce qu'il s'attendait être une fouille inutile. De retour dans la cuisine, il vit avec satisfaction que l'oiseau avait fini la moitié de la banane et il se servit du reste tout en réfléchissant ce qu'il allait écrire exactement. Le regard du hibou était hypnotisant, mais cela ne l'aidait pas à penser. Après un moment cependant, il dévissa le couvercle de l'encrier, y plongea la plume et écrivit :
Cher Oncle Ettore,
Comme vous vous en êtes peut-être déjà rendu compte, ma mère me cause beaucoup d'ennuis que je suis incapable de résoudre tout seul. Considérant que votre "aide" active nous a mis elle et moi dans ce pétrin, puis-je vous demander de venir en Angleterre pour m'aider à nous tirer d'ennui. À moins que vous ne le fassiez immédiatement, elle pourrait mourir, car je me déclare incapable de faire face à son accoutumance et à ses crises de manque.
vôtre
Severus
Cela devrait faire l'affaire, pensa-t-il. Dites à un italien qu'un membre de sa famille est en grave danger et il se précipitera à son côté immédiatement. Il roula le parchemin et l'attacha avec un morceau de ficelle. "Préfères-tu le porter dans ton bec ou dois-je le lier à ta jambe ?" demanda-t-il au hibou, qui l'avait observé attentivement tout ce temps. Ce dernier tendit son pied droit. "Très bien alors," dit-il et il noua soigneusement le long fil fin autour de celui-ci. Il n'aurait rien aimé mieux qu'étreindre l'animal, mais résista à la tentation, car il lui aurait seulement fait mal. Donc il dut se contenter de passer sa main sur les plumes douces une dernière fois avant de lui dire de voler jusqu'à chez lui. Le hibou hulula comme pour dire "Oui Monsieur!" décolla et se glissa par la fenêtre. Se sentant subitement très petit et seul, Severus alla à la bibliothèque chercher un livre qu'il pourrait lire jusqu'à ce que ce soit l'heure de se coucher.
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Rien ne pouvait être plus indifférent à Severus que la bande entière des Alighieris et donc il n'avait aucun souvenir clair de ce à quoi son oncle ressemblait. Quand Ettore Alighieri fut debout sur le seuil de sa maison mardi soir cependant, il le reconnut immédiatement.
Bien que la famille ait été originaire de Florence au début, elle avait lentement mais sûrement été poussée vers le nord par les vents des changements politiques et des intrigues. Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, les Alighieris se situaient principalement à Turin et Bergame. De nos jours, il n'en restait plus beaucoup, en partie parce que la famille n'avait jamais été bénie --- ou maudite, selon le point de vue --- par une fertilité abondante et en partie parce que beaucoup d'entre eux avaient été des disciples ardents du Sorcier Sombre Grindelwald et ainsi avaient été impitoyablement persécutés, pourchassés et exécutés après sa chute. En outre, la séparation entre les branches de Turin et de Bergame était assez stricte, de telle sorte que les deux groupes se réunissaient seulement lors d'occasions importantes, oubliant temporairement leurs conflits omniprésents et mesquins. En tant que vrais italiens jusqu'à la moelle de leurs os, les Alighieris considéraient seulement ceux qui portaient leur nom comme vrais membres de la famille, ce qui signifiait que, après le mariage, les filles devenaient bientôt sans importance et étaient laissées à l'attention et au soin de leurs nouvelles familles. Dans la plupart des cas, leurs enfants ou petits-enfants n'avaient pas de contact avec la famille de leurs mères d'origine.
Ettore avait toujours été le cousin favori d'Aminta. Elle n'avait ni frère ni soeur et avait passé la plupart de sa jeunesse avec lui et sa soeur Letizia. Severus se rappelait distinctement de la tante Letizia, qui était morte il y a quelques années--- peu avant son quarantième anniversaire --- dans un accident de balai. Elle avait été rousse, un phénomène assez commun en Italie du nord et surtout en Lombardie, vive et extrêmement adroite à attraper son petit neveu, l'entraîner dans des étreintes importunes et le couvrir de baisers mouillés, à l'ail. L'oncle Ettore n'avait à l'évidence pas été si intéressé par le petit Severus, autrement il aurait imprimé une image plus vive sur la mémoire du garçon. Il était roux aussi, comme Severus le voyait maintenant, quoique ce soit plus un brun clair avec un reflet rougeâtre, augmenté par la lumière du soleil qui rentrait par la porte ouverte. Il n'y avait rien remarquable chez lui --- il était seulement légèrement plus grand que son neveu, assez trapu plus à cause de la graisse que des muscles, avait des mains pleines de tâches de rousseur aux doigts courts, des yeux bruns et un nez aquilin, le nez des Alighieris dont Severus avait hérité. Quand il sourait, il devenait visible qu'il avait un trou entre ses dents de devant. Il semblait avoir un tas de dents, plus que les trente-deux habituelles, elles étaient d'un blanc presque aveuglant et il les montrait beaucoup, car il souriait presque toujours . Severus se demandait si les muscles de ses joues ne lui faisaient pas mal ou ne lui donnaient pas de crampes avec l'effort constant. Il lui rappelait un membre de sa propre maison, un certain Gilderoy Lockhart, qui avait reçu son diplôme il y a deux ans --- le garçon avait continuellement aveuglé les yeux de tout le monde par ses sourires éblouissants. Il avait aussi été très stupide, quelque chose qui ne pouvait pas être dit d'Ettore Alighieri.
Soudainement, Severus se sentit un peu embarrassé de la lettre assez péremptoire qu'il avait écrit à un homme de plus de trois fois son âge --- son oncle était dans la fin de sa quarantaine --- et n'était pas sûr de ce qu'il devait dire exactement. Il se décida pour "Bonsoir, Oncle Ettore." Pas original, mais approprié, pensa-t-il.
C'était le signal pour l'autre homme de rentrer, saisir la main de Severus dans les deux siennes, la secouer, regarder son neveu, la secouer de nouveau, le regarder de nouveau et finalement, le tirer dans une étreinte. Tapes dans le dos, serrement sur sa poitrine, tapes sur le dos, embrassade des joues, poignée de mains. Un rituel dont le caractère repoussant était seulement surpassé par sa longueur. Enfin, cela sembla être fini et Severus émit un soupir de soulagement, qui fut pris pour un signe de désespoir total.
"Maintenant, maintenant, mon cher garçon," dit l'oncle Ettore, enroulant son bras autour des épaules de Severus et le guidant vers le salon, "Ne sois pas si abattu. Je suis sûr que nous trouverons une solution. Raconte-moi tout."
