Chapitre 25
" Où exactement as-tu passé tes vacances? Sur la face cachée de la Lune?" demanda Clarissa, regardant Severus qui avait pris le siège près de la fenêtre en face d'elle, avec des yeux grand ouverts. " C'était partout dans les journaux !"
" Je t'ai déjà dit que je n'ai lu aucun journal en l'Italie, ni anglais ni italien, " dit-il d'un ton rogue. Il était mécontent, parce que les événements de cet été---et à l'évidence ils étaient plutôt sensationnels---avaient atteint l'état de souvenir collectif parmi ses pairs tandis qu'il ne comprenait pas un seul mot. Cela gâtait le plaisir qu'il avait anticipé depuis qu'il s'était réveillé ce matin: de voir la gare, les rues et les immeubles tomber derrière lui, rentrer dans l'oubli, de plus en plus vite, la réalité confirmant ce qui était un simple sentiment ou une pensée jusqu'à ce moment. Il avait perdu la peau de l'enfance, et maintenant il était tiré hors de l'environnement de son enfance par la force de la locomotive et glissait vers son propre monde qu'il avait quitté avec tant de réticence il y a deux mois .
Maintenant les trois autres---Lucius, Owen et Tabitha---joignaient leurs efforts à ceux de Clarissa pour le mettre au courant des catastrophes qui avaient secoué la Grande-Bretagne, et non seulement la partie magique de sa population, jusqu'à ses fondations-mêmes. Il y avait eu deux attaques, la première d'entre elles dirigée contre un grand groupe de touristes moldus se dirigeant vers le château d'Urquhart. Comme à Poudlard, le site qui hébergeait l'université magique d'Urquhart était protégé par des protections repoussant les moldus de telle sorte que tout ce qu'ils voyaient était une ruine impressionnante. Suffisamment impressionnant pour traverser le lac l'entourant à bord d'un bateau, que les Mangemorts avaient détruit avec succès, noyant deux cents personnes dans le processus. Cette fois, personne n'avait survécu. La seconde attaque avait coûté au Ministère de la Magie deux de ses meilleurs Aurors. Severus ne fit pas vraiment attention, car il était trop occupé à savourer le sentiment de quitter la ville qu'il était venu à détester si profondément et de se réadapter à la compagnie de ses pairs. Pour le moment il ne pouvait pas y avoir de discussion véritable en tout cas car Tabitha était là et elle n'appartenait pas aux cinq élus de Lestrange, aussi paradoxal que cela semble.
Les taches grises de la métropole avaient laissé la place au vert, encore parsemé de signes de présence humaine, mais s'il déconcentrait un peu ses yeux, ils étaient réduits à de simples traces par la progression rapide du train. Du coin de l'oeil, il vit quelque chose de blanc bouger derrière la porte du compartiment. Cela et le silence soudain de ses compagnons lui fit tourner la tête pour regarder de manière plus approfondie. Même s'il avait saisi seulement un bref coup d'œil de la silhouette passante, ce fut suffisant pour le faire frémir de surprise. C'était loin d'un frémissement agréable, cependant.
" C'était un Auror!" dit-il, incrédule, plus à lui-même qu'aux autres.
" Oh il est si bon d'avoir quelqu'un pour déclarer l'évidence " gronda McNair , " Cela offre aussi un point de vue intéressant et rafraîchissant. Bien sûr que c'est un Auror, Rogue, ne les as-tu pas vu grouiller partout sur le quai?"
" Comme il est extraordinaire d'avoir quelqu'un qui manque évidemment d'intelligence humaine la plus basique, " répliqua Severus, " Si je les avais remarqués sur le quai je ne serais guère surpris d'en voir un maintenant ne crois-tu pas? Que faisaient-ils là de toute façon? Et pourquoi y en a-t-il un dans le train?"
" Ils sont probablement tous dans le train, " interrompit Clarissa, " parce que le ministère semble craindre que Lord Voldemort puisse attaquer le Poudlard Express."
Etait-elle folle? Pensa Severus, comment pouvait-elle mentionner---
Lucius, qui avait évidemment remarqué sa réaction, se jeta dans la brèche pour sauver la situation. " Clarissa, l'Homme de la Lune ne sait pas qui est Lord Voldemort, " dit-il avec désapprobation " Il a passé ses vacances parmi les hordes galopantes de l'Italie du nord ." Owen renifla. " Alors, juste pour t'en informer, " continua Lucius, en s'adressant à Severus, " Lord Voldemort est l'esprit derrière toutes ces attaques qui ont eu lieu jusqu'ici. Les McKinnons---"
"Oui, Malfoy j'ai compris l'idée générale, " le rembarra Severus qui avait maintenant regagné son sang-froid. "Mais comment le ministère l'a-t-il trouvé?"
" De la seule façon dont le ministère puisse le découvrir " dit Lucius avec un ricanement, " le coupable a écrit une lettre pour se déclarer coupable."
" Seulement Lord Voldemort ne semblait pas exactement ce que l'on appelerait repentant," dit Clarissa. " c'était plus une déclaration de guerre qu'autre chose."
Si Tabitha savait quelque chose au sujet de la dédication de son futur-amant---ou c'est ce qu'ils espéraient tous--- à la cause de Voldemort, elle ne le montra certainement pas. Mais alors, elle ne pouvait pas savoir qu'ils savaient, pensa Severus. Puis il se rappela de la lettre de Lucius. De toute évidence, les " grands plans" que Voldemort avait eu pour célébrer l'initiation de ses Mangemorts avaient été exécutés à la perfection.
" Est-ce que ce… quel était son nom déjà? Voldi---"
" Voldemort, " dit sèchement Lucius.
" Ah, oui. Ce que je voulais savoir était, est-ce que ce gars Voldemort a donné quelque raison que ce soit pour ses attaques?"
"Bien sûr que oui, " répondit Owen " Sa lettre au Ministre a été reproduite dans la Gazette du Sorcier, longueur complète et mot pour mot. Fondamentalement, il clamait que le monde des sorciers se retire de nouveau dans les limites auxquelles il appartient au lieu d'essayer de s'insinuer dans les bonnes grâces des moldus. Et qui plus est il veut évidemment mettre un terme aux mariages mixtes et garder les Sangs de Bourbe où ils appartiennent, lieu qui n'est certainement pas la communauté des sorciers."
" Cela ne semble pas trop mal, non?" commenta Severus en essayant d'ajouter une dose convaincante de surprise à son ton de voix. " c'est pourquoi il a choisi Stonehenge et Urquhart. Très approprié en effet. Et il a fait tout cela tout seul?"
" Maintenant ne sois pas idiot, " dit Owen d'un ton rogue, " comment une seule personne pourrait-elle s'attaquer à trois Aurors et en tuer deux en ce faisant?"
"Et bien," dit prudemment Severus " je suppose que si---"
" Quoi que ce soit que tu supposes, " le coupa Lucius "il n'a pas tout fait par lui-même. Dans sa lettre, il a fait référence à 'ses partisans'---bien sûr personne, et moins que tout le ministère n'a une idée de qui ils pourraient être mais il semble assez logique qu'il ne puisse pas déclarer une guerre contre le ministère sans l'aide de personne."
" Maintenant que tu y fais référence," dit Severus avec ce qu'il espérait être une inflexion pensive, " je me souviens que Maugrey---"
" On parle du diable, Rogue?"
Les têtes de tout le monde se relevèrent rapidement. La porte du compartiment s'était silencieusement ouverte et dans son cadre se dessinait Alastor Maugrey, regardant de l'un à l'autre d'une manière menaçante.
" Je ne crois pas au Diable, monsieur, " répondit froidement Severus, " et je doute beaucoup qu'il porterait du blanc s'il existait."
" Le diable vient sous de nombreux déguisements, Rogue. Ne soyez pas trop sûr de vous, cela pourrait se prouver nuisible."
"Je vous remercie pour votre aimable conseil, monsieur, " dit Severus, se faisant un visage innocent, " je garderai bien sûr cela à l'esprit."
Si l'Auror voulait lui jeter un sort, il dut restreindre son envie, car il y avait quatre témoins, qui avaient impatiemment suivi leur échange. " Ouvrez vos coffres, " aboya-t-il, au lieu de répondre, "Tous, et rapidement!"
Soudain, Severus se sentit très nerveux. Si Maugrey fouillait vraiment son coffre, il allait trouver les livres, ce qui n'était pas un des scénarios favoris de Severus. La voix fraîche de Lucius coupa court à la masse des pensées et des peurs qui menaçait de s'abattre sur lui comme un poids d'une tonne.
" Puis-je voir le mandat de perquisition, Monsieur."
" Quoi ?" gronda dangeureusment Maugrey ---mais il y eut un vacillement d'insécurité sur son visage.
Il avait été bref, mais Lucius l'avait vu aussi. "Le mandat de perquisition, Monsieur," répéta-t-il poliment, "A moins que ma mémoire ne me trompe---et je ne pense pas qu'elle le fasse,en fait-vous avez besoin d'un mandat de perquisition signé par le Ministre de la Magie pour vous autoriser à fouiller les affaires personnelles de qui que ce soit." Malgré le plaisir satanique que cet acte de persécution de Maugrey devait lui accorder, Lucius réussit à garder un visage impassible et sans émotion, avec seulement le plus petit indice d'un sourire poli jouant autour de ses lèvres. Le regard de ses yeux froids, d'acier trahissait quelque chose de pas trop apparenté à de la politesse, néanmoins.
Comme les trois autres, Severus resta silencieux, supposant que Lucius savait exactement ce qu'il faisait, car pas même lui n'était assez idiot pour jeter le gant à Maugrey à moins d'être sûr de pouvoir gagner.
" Je n'ai pas besoin d'un mandat de perquisition, Malfoy, "grommela Maugrey.
" Désolé de vous contredire, monsieur mais à moins que la Grande-Bretagne n'ait été déclarée sous loi martiale, ce qui je crois n'est pas le cas, vous n'avez aucun droit de fouiller nos coffres sauf si vous nous montrez ce document."
" Si vous croyez que votre père pourra vous sortir de la merde dans laquelle vous venez tout juste de vous mettre, mon garçon, laissez-moi vous dire que c'est une grosse erreur."
Loin d'être impressionné et résistant au regard de l'Auror d'une manière vraiment frappante, Lucius leva un sourcil. " Sur ma vie je n'arrive pas à imaginer dans quelle merde j'ai pu me mettre, monsieur, " dit-il. " vous connaissez certainement la loi mieux que moi, de sorte que je suppose que vous pourriez avoir conscience qu'il est plus probable que la personne qui aurait des ennuis est celle qui l'enfreint, pas celle qui la respecte. Ce qui, " et il donna un petit coup à une petite tache de poussière purement imaginaire sur la manchette impeccablement amidonnée d'une chemise d'un blanc aveuglant, " ne semble pas s'appliquer à moi dans cette situation particulière."
Quand les regards de Maugrey et Malfoy se rencontrèrent, l'atmosphère était si dense que Severus s'attendait presque à entendre un 'click'. La poitrine de l'Auror se souleva en une respiration profonde. " Très bien, M. Malfoy. Votre refus, lequel je suppose est valide pour tous vos petits amis ici---"
"Oh non, Monsieur, " dit Tabitha se décalant sur son siège de telle sorte que son chemisier à demi déboutonné révèle plein de peau blanche doucement courbée, encadrée par un ruban noir, " Cela peut être extrêmement embarrassant mais bien sûr vous pouvez fouiller dans mes robes et… euh, sous-vêtements---"
" La ferme!", aboya Maugrey. Son regard balaya le compartiment et vint se poser sur le panier de voyage d'Esmeralda qui était posé sur le sol à côté des pieds de Severus. " Qu'est-ce cela?" demanda l'Auror, ses yeux se rétrécissant suspicieusement.
" Mon chat."
Marchant par-dessus les pieds des autres---personne ne bougea ne serait-ce que d'une fraction de centimètre ---Maugrey avança difficilement entre les sièges vers la fenêtre. " Vraiment?" demanda-t-il, son ton presque soyeux, " maintenant ça c'est intéressant. Votre ch---"
Il étendit la main droite pour agripper le conteneur, mais trouva son poignet dans la poigne serrée de Severus. Du coin de son oeil, Severus vit la main de Lucius se faufiler vers la manche de la chemise, disposé à tirer sa baguette, si le pire devait arriver. Il savait bien sûr, qu'il n'était pas un adversaire de taille pour Maugrey en termes de force physique, mais à ce moment particulier, il n'aurait pas pu s'en soucier moins.
" Non!" siffla-t-il. Maugrey le regarda dans les yeux quelques secondes, et puis retira la main et se redressa. La main de Severus, les doigts encore à demi serrés, resta suspendue un l'air. Maugrey mordit sa lèvre inférieure, tourna les talons, quitta le compartiment et claqua violemment la porte---si fort que la vitre éclata en un feu d'artifice scintillant d'éclats.
" Allons, allons " dit Lucius en secouant la tête de désapprobation" Reparo ! Quel tempérament, il devrait essayer de le contrôler un peu mieux."
" Ceci, " dit Owen avec un petit sourire suffisant " était un chef-d'oeuvre, compliments à la fois à Rogue et Malfoy. La ligue Anti Auror vous décernera une médaille pour mérites exceptionnels. Grande idée que de lui rappeler le mandat de perquisition, Lucius."
"Oui, " acquiesça Severus " mais je suggère que vous surveilliez votre dos. Il n'aime pas être vaincu, et encore moins en présence d'autres."
Lucius lui fit un sourire sans souci. " Je suppose que oui. Mais alors je crois que nous devrions nous tenir dos à dos, car je n'ai pas l'impression qu'il y a beaucoup d'amour entre vous deux non plus. Et maintenant je veux voir le chat qui t'a fait défier et vaincre Alastor Maugrey."
~~~~*~~~~
Maugrey ne revint pas dans leur compartiment. Ils virent d'autres Aurors patrouiller dans le corridor, mais aucun d'eux n'entra. Après environ trois heures de voyage tranquille, pendant lequel Esmeralda avait gagné le coeur des filles ---Lucius et Owen n'allaient bien sûr pas tomber si bas que de vraiment la câliner, mais ils semblaient l'avoir adoptée comme une sorte de mascotte, symbolisant la défaite de Maugrey---le chariot de nourriture s'arrêta en grinçant à leur porte.
" Ma tournée, " dit Owen en leur faisant un clin d'œil, "pour célébrer la victoire d'aujourd'hui ."
Ils mâchonnaient des tourtes à la viande et buvaient du jus de citrouille quand la porte s'ouvrit et Heather entra. Repoussant les pieds de Tabitha du seul siège disponible, elle se laissa tomber dessus et dit " Grandes nouvelles, les gars. Cela a ses avantages de rester avec les mous."
Severus gloussa. C'était vrai---Stuart, Mathilda, Sibylle et Cedric, eh bien Cedric était moins doux que stupide mais malléable tout même, grâce à son minuscule cerveau…Oui, ils étaient définitivement d'une certaine manière, les mous du groupe. Et ils l'étaient très certainement comparés à Heather. Elle avait grandi en largeur et en hauteur, et avec ses cheveux de lin et ses yeux bleu pâle, elle ressemblait à quelque virago de la mythologie allemande. Probablement Brunhild, pensa-t-il, celle qui, durant sa nuit de noce, avait trouvé amusant de soulever son époux par la ceinture avant même qu'il ne se soit déshabillé et l'avait accroché à un crochet du portemanteau. Seulement avec Owen, elle était bizarrement soumise.
Heather prit une tourte à la viande qu'Owen lui offrait en une crise inhabituelle de chevalerie. " C'est au sujet de Mathilda, " dit-elle, abaissant sa voix d'une manière conspiratrice "Ou plutôt, au sujet de notre estimé préfet."
" Je vous parie dix galions que cette année il sera notre estimé préfet en chef " dit Tabitha, leur faisant un clin d'oeil.
"Considérant la source de laquelle tu as probablement reçu cette information, je sais qu'il ne vaut mieux pas prendre ce pari " commenta sèchement Owen. " Alors, à propos de Bar---Sev, dis à ton monstre de manger ta tourte, pas la mienne!"
Avec un sourire, Severus attrapa Esmeralda des genoux d'Owen et la mit sur les siens. Détachant un morceau de tourte et l'offrant au chaton, il dit " Oui, dis-nous, Heather, quel est le problème avec le brillant Barty?"
Ayant terminé sa tourte, Heather se pencha en arrière dans le siège. " Eeeet bien, " dit-elle, étirant la syllable avec délectation, " Mathilda est allée chez les Crouptons la plus grande partie de l'été. Et il semble que dans la tanière du Chef révéré de l'Application de la loi Magique, tout ne va pas bien."
" Je suis ravi de l'entendre, " dit Lucius d'une voix traînante , et il conjura une serviette pour tamponner ses lèvres avec délicatesse. " et qu'est-ce qui va de travers exactement?"
" D'après ce que Mathilda nous a dit, M. Croupton semble être une merde."
" Et bien quoi d'autre pourrions-nous attendre de quelqu'un qui est à la tête de l'Application de la Loi magique?" énonça Clarissa .
" Exactement " acquiesça Lucius. " dis nous quelque chose de moins évident, Avery."
"Patience. Alors Mathilda y était depuis trois ou quatre semaines, je ne me rappelle pas exactement, et elle a assisté au traitement que le vieux Croupton donne à sa famille, épouse et fils. Son épouse n'est pas en bonne santé, en fait elle est assez malade mais lui dédie-t-il un peu de temps? Non, pas du tout. Il est plus marié avec le ministère qu'avec elle. Mais avec Barty, c'est évidemment pire. Vous savez comment Barty essaye de le copier, toujours le fils parfait etc. etc.. Sans résultat, néanmoins. Le viel homme croit que son fils est un idiot complet---"
" Ecoutez, écoutez !" l'interrompit Severus, " maintenant ce serait un signe que le vieux Croupton a vraiment quelque peu d'intelligence!"
" Oui mais il y a aussi eu une terrible dispute entre eux deux. Barty a littéralement accusé son père d'avoir causé la maladie de sa mère et ne pas se soucier le moins du monde ni d'elle ni de lui, ce à quoi Croupton Senior n'a rien eu de mieux à faire que de lui donner une claque et de lui dire plus ou moins qu'il était un idiot, un gringalet et tout à fait indigne d'être son fils. Imaginez cela! Après tant d'années à essayer de lire les souhaits de son père dans ses yeux, d'obéir avant même qu'il ne lui ait dit quoi faire…"
Alors quelqu'un d'autre avait aussi eu un été agréable, pensa Severus. Cela devait avoir été un choc pour Barty, qui avait vécu seulement pour plaire à son père et pour gagner son estime.
" Pauvre Mathilda, " dit Clarissa avec sympathie " Je peux presque la voir grimacer---cela n'a pas du être un moment facile à vivre."
" Non, cela ne l'était certainement pas. Elle est retournée chez ses parents après cela, car elle ne pouvait plus supporter l'atmosphère."
Les autres continuèrent à échanger leurs opinions sur la chose, et Severus regarda par la fenêtre, souriant devant la fascination d'Esmeralda pour le paysage en mouvement, et pensant ses propres pensées. Quand Heather avait fait référence à la scène entre le père et le fils Croupton, quelque chose lui avait chuchoté dans son esprit En le servant, que je ne sers que moi-même; ce n'est, le ciel m'en est témoin, ni l'amour ni le devoir qui me font agir, mais sous leurs dehors, mon intérêt personnel***. Il était dangereux, très dangereux de dédaigner ceux dont le seul but était de plaire et plus encore si une telle ambition était empêtrée dans une liaison complexe père-fils. Cette sorte d'amour désireux, excessivement zélé ne réagissait pas bien à l'acide: Il était décomposé et ensuite coagulé en quelque chose d'extrêmement venimeux et corrosif. Il était sûr que ce n'était pas la dernière fois qu'ils entendraient parler de Barty Croupton.
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La chanson du Choixpeau fut par bonheur courte cette année-là, et il n'y avait pas plus de vingt-huit premières années, un nombre relativement petit. Et seuls trois d'entre eux étaient des Serpentards. Lestrange avait l'air un peu déconcerté.
La nourriture apparut devant eux, et Severus leva les yeux vers la Grande Table. Les attaques de cet été semblaient avoir eu l'effet désiré, pensa-t-il---Dumbledore avait l'air tendu, McGonagall semblait avoir beaucoup vieilli et l'humeur générale avait apparemment atteint un minimum record. Presque aucun professeur n'était engagé dans une conversation, tout le monde mangeait mollement et regardait fixement son assiette. Si seulement Lord Voldemort pouvait avoir été présent pour assister à l'impact de ses actions! Il aurait été très content en effet. Les élèves ne semblaient pas si abattus. Automatiquement, ses yeux glissèrent vers la table des Gryffondors pour se renseigner sur les mousquetaires. Il n'y en avait que trois. Etait-ce seulement un souhait ou semblaient-ils vraiment moins gais qu'à l'habitude? Et où diable était Lupin? Dumbledore l'avait-il finalement renvoyé, parce qu'il avait reconnu que le risque d'avoir un loup-garou à l'école était trop grand? Un mouvement du côté lointain de Grande Table saisit son attention---et maintenant il savait bien sûr pourquoi Lupin n'était pas assis avec sa bande : Madame Pomfresh venait de faire une entrée aussi discrète que possible. La chasse était de nouveau d'actualité.
C'était le sentiment le plus stupéfiant. Il y a seulement trois jours, il avait été si effrayé de retourner à l'école, de devoir re-rencontrer ses camarades, de devoir cacher la vérité… et maintenant, il était assis ici et le vieux sentiment était presque revenu. C'était un peu différent car trop était arrivé pour qu'il reste inchangé mais la sensation de base qu'il avait tant craint d'avoir perdue, ce sentiment d'être à la maison, était encore là. Les événements des deux mois passés incluant la nuit dernière, avaient perdu une partie de leur réalité. Il se rappelait avoir ressenti ce sentiment plus tôt, beaucoup plus tôt en fait, quand il vivait encore dans leur maison avec sa mère: ils étaient allés en Italie, chez ses grands-parents, et étaient revenus après deux ou trois semaines, et aussitôt qu'il était re-rentré dans la maison, c'est comme s'il ne l'avait jamais quittée, les souvenirs et les images de leur séjour à Turin, le palais, les visages, les rues de la ville, tout était mélangé en un seul tourbillon inextricable, qui lui-même était hermétiquement enfermé dans une bulle. La bulle était devenue de plus en plus petite, tirant les bords du temps plus proches les uns des autres, jusqu'à ce qu'ils se soient fondus ensembles, guéris ---et c'était comme s'il n'avait jamais été parti ; il avait été là sur le seuil de leur maison tenant la bulle dans sa main, la regardant, sachant ce qu'elle contenait, mais incapable de croire que cela avait été réel seulement quelques heures auparavant. Avec le temps passant, les choses se réadapteraient, et quelques mois plus tard le voyage en Italie se retransformerait en une mémoire qui avait quitté par magie sa prison.
Peut-être était-ce mieux, pensa-t-il. Il était assez difficile de s'occuper des faibles échos des sensations principalement désagréables. Quand la cicatrice à peine visible dans la ligne du temps s'était réouverte,faisant de la place pour les souvenirs se redéveloppant, il espéra qu'il serait à la hauteur de la tâche. Pour l'instant, une continuité non rompue était de loin préférable.
Un silence soudain dans la Grande Salle lui fit lever les yeux de surprise. Dumbledore s'était levé de son siège, ses bras étaient encore étendus dans un geste qui pourrait être une bénédiction ou une demande de silence.
" Mes chers élèves, " commença-t-il, " et bien sûr, chers amis et collègues! Nous savons tous que le monde n'est pas un endroit parfait, autant que nous puissions souhaiter qu'il le soit. De temps en temps, cependant, quand la paix et l'harmonie ont régné depuis assez longtemps pour endormir notre bonne connaissance, nous sommes incités à succomber à l'illusion que peut-être, juste peut-être, il pourrait y avoir une possibilité de vivre ensemble de manière heureuse. Hélas " et maintenant il laissa retomber ses bras à ses côtés " dans ces situations exceptionnelles, il nous est rappelé bien assez tôt que le monde est peuplé d'êtres humains qui sont des créatures imparfaites par définition. Nous avons été très privilégiés, " continua-t-il après un soupir profond " d'apprécier presque trente ans de tranquillité bienheureuse, mais maintenant il semble que l'obscurité et le mal réclament leur place une fois encore." Il fit une courte pause et laissa son regard errer sur la mer de robes noires. Le silence était complet.
" Vous vous rappellerez certainement tous de la très déplorable attaque contre la famille des McKinnons début mars, du massacre massif de moldus innocents peu après Pâques et bien sûr des deux événements horribles d'août. L'auteur et coupable principal s'est fait connaître au monde en tant que Lord Voldemort, déclarant son but odieux de purifier comme il le dit le monde des sorciers. De la présence des Aurors dans le Poudlard Express, vous pouvez conclure du sérieux avec lequel le ministère prend sa tâche de vous protéger, vous tous, contre une agression possible par ce fou." Un murmure traversa la salle et s'affaissa rapidement. Le silence tomba de nouveau. " Poudlard a été un refuge pour tout être humain possèdant des capacités magiques et la volonté de les développer depuis aussi longtemps que je peux me le rappeler---et croyez moi, c'est une très longue période de temps, " dit-il, avec un sourire léger. " Je n'ai aucune intention que ce soit de changer ceci et ainsi je présume que Lord Voldemort tournera tôt ou tard son attention vers nous." Le murmure déferla de nouveau, plus fort cette fois, si bien que Dumbledore dût lever une main pour faire cesser le bruit.
" Je ne dis pas ceci pour semer la panique ou la peur. Mais il a toujours été ma conviction ferme qu'il était mieux d'être prêt que de détourner nos visages de la réalité, aussi effrayante qu'elle puisse être. Poudlard est un endroit plus sûr qu'aucun autre sur cette île. Peu être encore plus que Gringott, même si les gobelins ne seraient pas ravis de l'entendre, " continua-t-il, le regard scintillant, " et donc vous avez plus qu'assez de raisons de sembler protégés dans ses murs et sur ses terres. Mais---" et il fit une pause dramatique --- "il y a une réserve à ce que j'ai dit et c'en est une très essentielle. Poudlard peut être protégée par des boucliers et des sortilèges de protection mais aucun d'entre eux ne sera d'une quelconque utilité à moins que tous ceux qui appartiennent à notre communauté soient unis pour se tenir comme un seul homme contre la force de Lord Voldemort. S'il y a du désaccord parmi nous, il a déjà fait un premier pas vers son but. Nous ne devons pas nous laisser influencer par ses doctrines futiles, car nous savons que chacun d'entre nous, qu'il soit sorcier ou né de parents moldus, qu'il puisse remonter son arbre généalogique magique jusqu'à Merlin lui-même ou seulement à l'heure de sa naissance, est un être humain et ainsi doit être respecté. Si nous gardons ceci à l'esprit, et seulement alors, nous pourrons résister à quelque plan funeste que ce soit qu'il prépare.---Et maintenant sur une note quelque peu plus gaie, car malgré tout c'est une occasion joyeuse laissez-moi annoncer les noms de nos préfets et préfètes et préfets en chef pour la prochaine année scolaire: M. Bartemius Croupton de Serpentard et mademoiselle Yolanda Heston de Poufsouffle, venez s'il vous plaît recevoir vos badges de Préfet et Préfète en Chef."
" Quel tas de sornettes sentimentales!" chuchota Lucius à l'oreille de Severus " Il aurait pu faire ce discours avant le dîner, comme cela je n'aurais pas eu envie de vomir."
Severus acquiesça et ajouta "Comme s'il pouvait rendre de telles saletés de sangs de bourbes comme Carlyle nos égaux, en conjurant le spectre de l'égalité!"
" Nous devrons faire attention néanmoins, " répondit Lucius en chuchotant, " je ne crois pas que le mot de Sang de Bourbe nous rapportera des points de maison dans le futur proche."
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Un des soucis principaux de Severus, c'est-à-dire qu' Esmeralda puisse avoir des difficultés à s'adapter à un nouveau rythme de vie, encore plus accentué par son absence que sa présence, fut démontré avoir été superflu : Quand le groupe fut retourné à la salle commune le premier soir après dîner, Teiresias, le kneazle blanc de Sibylle de proportions vraiment énormes était enroulé sur le canapé dans leur coin et dans la crique formée par son ventre et ses jambes, une petite balle noire sommeillait heureusement.
La figure de Severus tomba. " Je ne lui manque pas!" dit-il et Clarissa rit.
" Tu n'essayes pas de nous dire que tu es jaloux d'un kneazle, non?"
Bien sûr qu'il était jaloux, mais la morsure du monstre aux yeux verts avait perdu une partie de son mordant quand Esmeralda avait docilement trotté vers le dortoir derrière lui, après qu'il ait fait claquer ses doigts afin qu'elle le suive. Elle dormait dans son lit comme toujours mais quand il partait pour le petit déjeuner et les cours, elle retrouverait Teiresias dans la salle commune où ils passeraient des heures interminables devant la cheminée, probablement à discuter de leurs maîtres.
Deux jours après que l'école ait commencé, le groupe se levait à peine du petit déjeuner, un peu plus tôt qu'à l'habitude, car ils avaient Botanique et ainsi une longue marche jusqu'aux serres, quand Lestrange s'avança vers eux à grandes enjambées et demanda à Severus d'attendre.
" M. Malfoy, soyez gentil d'informer le Professor Chourave que M. Rogue sera en retard, parce qu'il doit voir le Directeur."
Lucius fronça les sourcils et jeta un regard interrogateur à Severus. Severus, qui n'avait aucun indice de ce qui pouvait être la cause de cette convocation, haussa simplement les épaules. Lestrange, qui avait remarqué l'échange silencieux sourit et dit " Je ne crois pas qu'il y ait de raison de s'inquiéter, messieurs. Si c'était pour une punition, je le saurais. Mais dans l'état actuel des choses, je n'ai aucune idée de pourquoi le Directeur veut voir Mr.Rogue, alors je suppose que cela a à voir avec quelque chose qui n'est pas lié à une punition." Avec cela, il posa une main sur l'épaule de Severus---avec un étonnement considerable, le garçon remarqua que le contact ne le gênait pas---et le guida vers la Grande Table, pour quitter la Grande Salle par la porte normalement utilisée par le personnel.
Comme ils traversaient les corridors, le bruit autour d'eux diminua progressivement, comme les élèves entraient dans leurs salles de classe et que les portes se refermaient, et quand ils s'approchèrent de la statue de la gargouille gardant l'entrée du bureau de Dumbledore, le son de leurs pas était le seul bruit se répercutant sur les murs de pierre.
" S'il y a quelque chose que je devrais savoir qu'avant que nous n'entrions dans le bureau du Directeur, vous devriez me le dire maintenant, Severus , " dit Lestrange.
"Non, Monsieur, vraiment je ne vois pas pourquoi---eh bien, " dit-il en s'interrompant lui-même, " Il y a Maugrey bien sûr." et il fit un résumé rapide de la scène à bord du train pour son Directeur de Maison.
Lestrange secoua la tête. "Non, cela ne peut pas être la raison. Tout d'abord M. Malfoy aurait aussi été convoqué, et deuxièmement ni Maugrey ni le Directeur n'auraient attendu deux jours. Mes compliments, à propos, car contrarier Maugrey autant n'est pas quelque chose de facilement réalisé. Et j'espère que vous me présenterez cet animal familier intéressant un de ces jours.--- Irish Coffee !"
La gargouille s'éveilla, leur lança un regard offusqué et avec un saut maladroit, libéra l'entrée. La porte du bureau de Dumbledore était entrouverte et après avoir brèvement frappé, ils entrèrent. Après avoir salué le Directeur, Severus chercha le phénix, mais le perchoir était vide.
" De temps en temps il a besoin d'un peu de grand air, " expliqua Dumbledore, après avoir suivi le regard de Severus. " Je suppose qu'il a volé jusqu'à la forêt interdite pour discuter avec les Ashwinders. Il y a une certaine parenté entre les deux espèces… asseyez-vous, St. Jean, M Rogue. J'ai quelques nouvelles importantes et j'en ai bien peur pas très agréables pour vous, Severus. A ce que je comprends, vous êtes au courant, c'est le moins qu'on puisse dire, du euh, problème de votre mère?"
Alors c'était cela, pensa Severus, et il sentit un soulagement considérable. Il hocha la tête. Lestrange lui jeta un regard curieux de côté.
" Et bien alors, je n'ai pas besoin de mâcher mes mots. Les représentants du comité de la drogue sont allés chez vous hier , l'ont trouvée dans un état de manque avancé et l'ont immédiatement emmenée avec eux. Ce qui agrave la situation est qu'elle redoutait à l'évidence une amende et lorsqu'elle était encore capable de faire de la magie, a fait rétrécir les livres les plus précieux de votre bibliothèque et d'une manière ou d'une autre a réussi à les mettre dans une cachette sûre. Cela et le fait qu'elle ait été attrapée la main dans le sac seulement quatre jours après sa relaxe de Sainte Mangouste ne la fera pas voir d'un œil très bienveillant par le ministère."
Severus hocha de nouveau la tête en espérant qu'il avait l'air convenablement abattu.
" Maintenant, Severus, on m'a demandé de t'interroger sur la cachette possible des livres. Sais-tu où elle aurait pu les mettre ou les envoyer? Ils ont essayé Priori Incantatem sur sa baguette, mais des sortilèges de rétrécissement ont été tout ce qui est sorti."
"Non, monsieur, " dit-il, " je n'en ai aucune idée. Et croyez-moi, je le regrette, car ces livres sont en effet très précieux."
" Tout comme je le pensais. Bien, dans ce cas le ministère ne va pas être indulgent avec elle. Peut-être pourrais-je les empêcher de saisir la maison mais ils ont l'intention de la transférer à l'institut d'Inverness pour les Malades Incurables et vous savez que c'est plus une prison qu'un hôpital."
Cela coûta un grand effort à Severus pour faire un semblant convaincant d'affliction et de préoccupation . " Ce sont de mauvaises nouvelles en effet, monsieur, " dit-il après un court silence, " et je regrette de ne pas savoir où elle s'est procuré l'élixir et où elle a caché les livres. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire?"
" J'ai peur que non. Vous en avez fait plus qu'assez quand vous avez pris soin d'elle au début des vacances. Sans compter votre oncle qui a payé pour le traitement. J'essayerai de faire de mon mieux pour persuader le ministère de renoncer à la maison, mais je ne peux pas garantir que je réussirai. La seule chose que je peux garantir est que vous pourrez bien sûr passer vos vacances ici à Poudlard---et cela inclut les vacances d'été---au cas où vous resteriez sans maison. Maintenant, peut-être voulez-vous parler un moment au Professor Lestrange avant de rejoindre votre classe. Après tout, il vous connaît bien et vous soutiendra pendant cette période difficile."
" Bien sûr " dit Lestrange, " je regrette sincèrement d'apprendre que vous êtes dans une situation si difficile, M. Rogue et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour la rendre plus tolérable pour vous."
Dumbledore fit un signe de tête et leur lança à tous les deux un regard bienveillant. " Je vous garderai informé de quelque nouveau développement qu'il puisse y avoir M. Rogue. Maintenant allez avec le Professor Lestrange et essayez de vous stabiliser un peu. Vous sentez-vous bien?"
"Oui, Directeur, juste un peu …euh, dépassé."
Ils se levèrent, saluèrent le vieux sorcier et quittèrent son bureau. Pendant qu'ils étaient portés vers le bas par l'escalier tournant, Severus regrettait de ne pas avoir trouvé un moyen de dire à Dumbledore qu'il devrait simplement laisser les choses comme elles étaient sans élever les soupçons. Ses chances d'avoir un avenir agréable pourraient autrement être gâtées.
Note du traducteur :
***Othello (A I, sc 1) : j'ai repris la traduction de Victor Hugo.
