Chapitre 29
Peut-être était-ce inévitable, dû à l'espace plutôt limité dans lequel sa vie se dépliait, se passant plus ou moins sans accrocs, comme une petite rivière entre des rives bien définies ne changeant jamais, pensa Severus en faisant son sac pour les vacances de Noël. Peut-être il n'y avait aucun moyen d'éviter l'impression que sa vie n'était rien qu'une série interminable de déjà vu. Tout le monde percevait-il sa vie de cette façon, se demandait-il. Ou ne remarquaient-ils simplement pas combien tout se répétait, par séquences interminables, dont les débuts étaient identiques et se développant seulement très rarement en quelque chose de différent? Ce qui rendait toute cette expérience encore plus bizarre, car vous étiez apaisés en un sens faux de sécurité par les répétitions. Vous croyiez pouvoir trouver votre chemin dans le paysage de la vie, car c'était toujours le même chemin---seulement quand vous pensiez que vous pourriez tout aussi bien marcher sans regarder chaque pas, parce que vous connaissiez tous les tours et détours de la rue qui serpentait, chaque pierre et chaque buisson alors tout changeait soudainement. Et vous trébuchiez et tombiez, quelquefois au rire de ceux qui voyaient votre maladresse et quelquefois seul, car le chemin que vous aviez pris n'appartenait qu'à vous seul.
Et peut-être, se dit-il avec fureur, lançant ses affaires dans le sac, peut-être qu'il pensait trop à ces choses. Il était élève à Poudlard, et ainsi il n'était pas vraiment surprenant que tous ses jours se passent approximativement de la même façon, que les débuts de vacances se ressemblent et qu'après elles prennent un cours un peu différent. Aucune nécessité de faire grossir une souris jusqu'à ce qu'elle atteigne la taille d'un éléphant. Il ferait mieux de se concentrer sur ce dont il allait avoir besoin pour les deux prochaines semaines. Et il avait le gros avantage de pouvoir le faire sans être dérangé, car tous les autres étaient déjà partis le jour d'avant. Pour eux, il restait à Poudlard comme il l'avait fait l'année dernière. En réalité, lui et Lestrange partiraient pour Monrepos peu avant le déjeuner---aujourd'hui était après tout seulement le 22 décembre et ainsi commencer les vacances un jour plus tard ne faisait pas de grand mal mais aidait à éviter des tas de questions ennuyeuses.
Quand il sentit un courant d'air frais, Severus pensa que le baron sanglant était venu lui rendre visite de nouveau---un autre déjà vu, pensa-t-il sinistrement---mais c'était seulement le hibou de Lucius, laissant tomber une lettre sur son lit et le regardant avec l'air d'attendre quelque chose.
" Et que penses-tu exactement que je puisse te donner, hein?" dit-il à l'oiseau, " Nous sommes dans un dortoir ici, loin de toute chose comestible. Et je ne vais pas faire une incursion aux cuisines pour toi."
Le hibou émit un petit hululement, et il se rappela qu'Esmeralda n'avait pas dévoré le contenu entier de son bol au petit déjeuner--- chose peu surprenante, car les quantités de nourriture que les Elfes de Maisons mettaient à sa disposition auraient été suffisantes pour apaiser la faim d'un tigre de taille moyenne. Alors il fit léviter le plat encore à moitié plein jusque sur sa table de nuit, à la grande satisfaction évidente de l'oiseau. Ignorant le regard offensé d'Esmeralda, car elle n'avait aucun penchant pour la charité ou le partage de la nourriture, il s'assit sur son lit et déroula la lettre de Lucius.
Severus, espèce de bâtard chanceux
J'ai appris que tu devais passer tes vacances chez les Lestranges. Félicitations--- on s'y verra un de ces jours, car je devrai rencontrer ma fiancée (aucune nécessité de te dire de garder tes mains loin d'elle, n'est-ce pas?)
De toute façon, je voulais simplement t'informer que tout s'était très bien passé avec Black. Tabitha a fait un super travail, en allant aux toilettes trois fois et en jetant des coups d'oeil ardents au Gryff dans le compartiment à côté du nôtre. La troisième fois, Black l'a bien suivie et elle lui a dit de rester après que les autres aient quitté le train. Ce qu'il a fait et quand je suis retourné chercher mon manteau que j'avais 'oublié 'dans le casier à bagages, il sortait tout juste de notre compartiment, ayant l'air suffisant et souriant. Jusqu'à quel point peut on devenir idiot? Mais je suppose que c'est inutile de poser cette question en ce qui concerne les Gryffs.
Bien que je doive dire qu'il est plus rusé que je ne le pensais---seulement il joue entre nos mains, mais comment pourrait-il le savoir? Quand elle s'est excusée d'avoir été si dure à Halloween, mettant plus ou moins le blâme sur moi et mes avances insistantes, il lui a dit de ne pas s'inquiéter, parce qu'il allait avoir un moyen très efficace de faire taire toute tentative de ma part. Je te laisses trois essais pour deviner ce que cela veut dire---ce bâtard veut me baiser en premier et puis utiliser cela contre moi. Et bien, nous n'en viendrons pas à cela. Il a avalé l'appât et c'est ce qui est important.
Je suis déjà mort d'ennui et ainsi, aussi incroyable que cela puisse sembler, j'attends avec impatience notre visite à Monrepos, même si cela signifie que je devrai passer du temps de qualité avec toi.
Lucius
Severus lança la lettre dans la cheminée avec un sourire et regarda le parchemin se tordre, se noircir et tomber finalement en cendres. Alors ils avaient vraiment réussi leur coup. Black était entouré de corde et leur faisait manifestement la faveur de s'empêtrer encore plus avant par ses tentatives maladroites de tisser une intrigue. Bien fait pour lui---s'il n'avait pas compris que les Serpentards n'étaient pas facilement battus à leurs propres jeux, il devrait l'apprendre de la manière difficile.
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Si Severus n'avait pas vu les diverses photos de la mère de St. Jean Lestrange, il n'aurait jamais cru que lui et Sinclair Lestrange puissent être des frères. Quelle différence, pensa-t-il, regardant discrètement de l'un à l'autre quand ils se furent rassemblé autour de la table du dîner le premier soir de son séjour à Monrepos. Ils étaient un groupe de six---Sinclair Lestrange avec son épouse Héloïse et sa fille Narcissa, son professeur et lui-même et Samuel Lestrange, l'ennemi principal d'Alastor Maugrey. Comme l'Auror enragé, il était dans le début de sa cinquantaine et au moins pour Severus, le choix de mari de la défunte Mme Lestrange semblait tout à fait logique. En dehors de tout l'argent et du statut social et de tout cela, Samuel Lestrange était simplement plus beau et beaucoup mieux élevé que Maugrey. Sans avoir la belle apparence grecque classique de son fils cadet---que ce dernier avait hérité de sa grand-mère paternelle, comme un examen plus approfondi des portraits et photos l'avait dit à l'œil investigateur de Severus---il était tout de même beau et certainement mieux que son rival aux cheveux noirs et aux yeux noirs, dont l'idée d'amusement semblait d'être de rudoyer des premières années infortunées jusqu'à leur donner des crises de terreur.
Son autre fils Sinclair, cependant, était le portrait craché de sa mère. Yeux bleus---eh bien, ceux-là étaient un trait commun chez tous les membres de la famille---une tignasse de boucles brunes légèrement indisciplinées, un sourire de garçon et une adoration non voilée pour sa belle épouse. Cela le résumait pratiquement. 'Inoffensif' était le mot qui venait immédiatement à l'esprit de Severus. Et à l'évidence aussi à celui de son frère car il y avait manifestement un courant léger de mépris passant entre les deux hommes ; mépris mutuel, rien de violent cependant. Dédain bienveillant. Le sentiment de supériorité que l'inventeur et le propriétaire d'Aéroroutes Francomagiques avait envers son frère cadet, qui pouvait être un maître de potions doué mais n'était après tout rien de plus de qu'un professeur; et l'opprobre un homme qui, avec le Seigneur des Ténèbres, désirait changer la destinée d'un pays entier, élevé contre la simple puissance économique. Leur choix d'épouses---ou dans le cas de Saint Jean Lestrange, future épouse---était un argument sur ce point. Heloïse Lestrange était une épouse trophée. Belle à la perfection, manières irréprochables, jamais un mot trop, toujours un pas derrière son époux. Il l'adorait, cela était évident mais Severus doutait beaucoup qu'il y ait de l'amour entre eux et encore moins de la passion. Bien sûr ils avaient un enfant, parce que vous deviez simplement avoir un enfant dans cette classe de la société, car les possibilités de l'envoyer dans des écoles coûteuses et de le couvrir de cadeaux de prix étaient simplement trop séduisantes pour être perdues. Mais l'amour… Si peu que Severus lui-même en sâche à ce sujet particulier, il était sûr que l'on pouvait répondre à cette question par la négative.
Tabitha d'un autre côté était aux ambitions de son maintenant-amant et futur-époux ce qu'une lentille brûlante était aux rayons du soleil. Elle pouvait avoir seulement quinze ans mais il était déjà tout à fait clair qu'elle deviendrait la force impérieuse principale de sa vie. Aucun doute à ce sujet. Severus se souvenait assez bien de ses vacances d'été dans la propriété des Malfoys pour se rappeler vivement comment les trois filles avaient réagi à Voldemort: Narcissa avait été tout de suite effrayée, Clarissa impressionnée et Tabitha avait passé plusieurs jours à jauger silencieusement le sorcier sombre. S'il allait admettre des femmes dans ses rangs et il n'y avait aucune raison d'en douter, Severus était assez sûr qu'elle serait l'une des premières à se porter volontaire.
Mais en tout et pour tout, c'était un agréable rassemblement de famille. Ils étaient assis à une grande table, bien que pas trop pompeuse, à manger et bavarder et appréciant manifestement la compagnie les uns des autres. Ce qui était, en soi-même, une expérience assez nouvelle pour Severus. En dehors des plaisanteries plus ou moins amicales à la table des Serpentards, les repas avec plus de deux convives avaient toujours été une affaire gênante, sinon pénible. Le simple souvenir des repas avec la partie italienne de sa famille le faisait grimacer, à la fois à cause des voix et de ce qu'ils disaient. Au Manoir Malfoy, les choses avaient certainement été plus agréables, bien qu'il y ait toujours eu l'autorité de Julius Malfoy planant sur la table, empêchant les autres de parler librement ---si Lucius, l'arrogant, le nonchalant Lucius était intimidé, comment pouvait-on s'attendre à ce qui que ce soit d'autre puisse bavarder heureusement?
Au moins superficiellement, les choses semblaient être différentes à Monrepos. Samuel Lestrange était impressionnant mais pas despotique, son fils Sinclair était assez poli pour ne pas usurper la conversation du soir en ne faisant que se vanter au sujet de ses affaires et Professeur Lestrange, autant que sa vie soit dévouée à l'école et à l'enseignement, n'avait manifestement aucun souhait d'en faire un sujet de conversation. En ce qui concernait ses autres activités, Severus avait l'impression distincte que dans cette maison, son tuteur était le seul partisan de Lord Voldemort. Il fit une note mentale de le lui demander si une occasion convenable se présentait. Tout de suite, cependant, il était beaucoup plus intéressant de regarder et d'écouter, de saisir les regards furtifs et les messes basses apparemment insignifiants, afin d'avoir l'image entière de cette famille heureusement unie. Il avait deux semaines à sa disposition mais il serait beaucoup plus agréable s'il réussissait à résoudre les subtilités dès que possible pour ainsi devenir capable d'écouter plus que simplement la coquille extérieure de la conversation. Sinon autre chose, Serpentard l'avait aidé à cultiver ce don, dont il avait reçu une quantité assez abondante par nature.
Ainsi, avant que la Veillée de Noël n'arrive, Severus était assez sûr de comment se passaient les choses dans la famille de Lestrange : Samuel avait des sentiments plutôt ambigus envers ses deux fils. Ceci transpirait moins quand il leur parlait directement que quand il les regardait, croyant ne pas être observé. Utilisant le peu de connaissance qu'il avait---et tout cela avait été fourni par le professeur lui-même---Severus avait trouvé relativement facile d'assembler les morceaux. Sinclair était le fils aîné, ce qui dans une vieille famille de sangs-purs était un fait absolument non négligeable, avait fait une carrière splendide, augmentée par la richesse et le prestige des Lestranges et surtout il avait un enfant. Et pourtant le vieux M. Lestrange ne semblait pas complètement satisfait par les divers accomplissements de son rejeton. Severus considérait ceci comme entièrement compréhensible, car s'il avait eu deux fils comme ceci, il aurait aussi eu en plus haute estime le plus brillant des deux---dans ce cas St Jean. S'il n'y avait pas eu la mort de sa mère en lui donnant la naissance, qui semblait peser lourdement sur la liaison entre le père et le fils. Le premier traitait ce dernier avec une bienveillance et une affection parfaite, mais de temps en temps ses yeux reposaient sur son fils cadet non pas avec haine mais avec une expression de regret profond. Probablement, rêvassa Severus, qu'il n'aurait rien désiré plus que la possibilité de transférer d'une manière ou d'une autre la personnalité de St. Jean dans le corps de Sinclair. Alors il aurait eu une raison parfaite d'aimer inconditionnellement l'un et de mépriser impitoyablement l'autre, pour la culpabilité double d'avoir apporté la mort de sa mère et d'être plus roublard que brillant.
En outre, Severus avait un soupçon que Samuel Lestrange se sentait assez attiré par sa belle-fille. Si c'était parce qu'elle était une femme attrayante ou à cause d'un souhait secret de montrer plus avant l'insuffisance de son fils aîné en volant son épouse et impliquant ainsi qu'il ne manquait pas seulement d'éclat en ce qui concernait la magie, Severus était incapable de le déterminer. Mais il avait saisi les vagues de tension persistant entre la blonde Héloïse et son beau-père plus d'une fois et était sûr qu'elles n'étaient aucunement dues à de la sympathie ou une simple préférence. Pour dire vrai, il aurait été déçu, si les Lestranges s'étaient avérés n'être rien de plus qu'une petite famille idyllique, célébrant Noël en parfaite harmonie. C'était beaucoup plus amusant comme ceci.
Narcissa, cependant, s'était avérée être une assez grande surprise. Peut-être parce qu'ils avaient été quatre pendant ces vacances d'été au Manoir Malfoy ou peut-être parce qu'il avait été si absorbé à explorer son propre moi, il l'avait considérée comme plutôt inintéressante et arrogante. Quand elle s'était avérée être un tel as en métamorphose il avait admiré cette compétence particulière, mais cela n'avait rien fait pour changer son opinion sur elle qu'elle était une oie gâtée et snob de pensionnat. Et timide par-dessus le marché. Elle était timide, il n'y avait aucun moyen de réfuter cela mais elle n'était ni arrogante ni snob et si ses parents l'avaient pratiquement bourrée de cadeaux chers comme une dinde de Noël cela n'était guère de sa faute. Dans l'état des choses, ils avaient passé pas mal de temps ensemble ---étant du même âge et les seuls jeunes de la maison, cela semblait tout à fait naturel mais cela aurait pu être aussi quelque sorte de torture inévitable. Cela ne l'était pas néanmoins, et le seul défaut véritable que Severus puisse trouver chez elle, bien qu'il se soit réprimandé à ce sujet, était qu'Esmeralda l'adorait et que le sentiment était mutuel. Il n'aimait pas du tout cela mais quand ils s'asseyaient dans la bibliothèque ensemble et qu'Esmeralda arrivait d'un air fanfaron dans la pièce et après un regard considérateur allant de l'un à l'autre, quand elle choisissait les genoux Narcissa plus de quatre fois sur cinq, ses sentiments approchaient la jalousie. Mais, comme tout le monde qui aime vraiment, il plaçait le bonheur de sa dame aux yeux verts au-dessus des railleries insistantes du monstre aux yeux verts et ainsi tous les trois s'entendaient très bien.
Le lendemain de Noel, les Malfoys vinrent en visite, et Severus eut encore une autre occasion d'admirer la beauté de la mère de Lucius. Encore plus quand ce dernier et Narcissa furent laissés seuls à parler entre eux dans un des salons et que le reste du groupe, incluant Severus, se rassembla dans la bibliothèque. Peut-être, pensa Severus, que sa tête allait éclater dans un avenir très proche. Il avait pris cette vilaine habitude de tourner et retourner des choses dans sa tête, lors d'occasions où un être humain normal n'aurait rien trouver de spécial à quoi réfléchir. Ce qui était vraiment tourmentant, était que, par moments, deux telles suites de pensée faisaient la course dans son cerveau sur des rails parallèles, dangereusement proches l'une de l'autre et entrant presque en collision. Aujourd'hui c'était le sujet de la beauté féminine illustrée par Yelena Malfoy et Héloïse Lestrange---et à un degré un peu moindre aussi par Narcissa---qui faisait une course serrée contre ce qu'il reconnaissait tout à fait clairement comme des messages non-verbaux entre St. Jean Lestrange et Julius Malfoy. Bannissant sévèrement les réflections esthétiques de son esprit dans l'intérêt du décodage des regards et des intonations, peut-être moins attrayant mais beaucoup plus utile, Severus en vint à la conclusion que son professeur et tuteur devait vraiment être le seul mangemort et probablement le seul sympathisant à la cause de Lord Voldemort dans sa famille. Il aurait pu renoncer à suivre ce chemin particulier de réflexion néanmoins, car ses hypothèses furent prouvées d'une manière assez spectaculaire au cours de la même soirée.
Ils terminaient le plat principal d'un excellent dîner quand un hibou demanda qu'on le laisse entrer dans la maison en frappant avec insistance à une des fenêtres avec son bec. Sans même se donner la peine d'appeler un elfe de maison, M. Lestrange murmura " Alohomora!", agitant négligemment sa baguette vers la fenêtre et puis " Aromohola!" pour la refermer après que l'oiseau soit entré en volant, accompagné par un tourbillon de flocons de neige qui fondaient maintenant sur le tapis épais. Le hibou portait ce qui ressemblait suspicieusement à un journal détrempé.
" Julius, mon cher ami, " dit M. Lestrange, " il n'y avait aucune nécessité de vous faire envoyer la Gazette du Sorcier ici, vous auriez pu lire la mienne si vous le vouliez."
Malfoy secoua la tête. " Je n'ai très certainement rien fait de tel."
"Eh bien, " répondu Lestrange " alors jetons un coup d'œil pour résoudre le mystère."
Le regard qui passa entre Malfoy Senior et St. Jean Lestrange dit clairement à Severus qu'ils savaient exactement ce que l'oiseau avait apporté. Les regards de tous les autres étaient tournés vers le chef de famille, qui avait essayé de défaire la ficelle attachant la missive à la jambe du hibou avec ses mains, mais elle était si mouillée qu'il dut la détacher au moyen d'un sortilège.
C'était la Gazette des Sorciers mais considérablement moins épaisse qu'à l'habitude, et certainement pas aussi volumineuse que l'édition de ce matin. Une édition spéciale, peut-être. M. Lestrange déplia le journal et, après un bref regard, pâlit visiblement. Un autre contact subreptice entre le gris d'acier et le bleu céruléen. Plus prononcé cette fois, moins nerveux.
" Qu'est ce que c'est, Samuel ?" la voix claire d'Héloïse était le seul bruit dans la pièce autrement silencieuse.
" Ils ont attaqué les Potters."
Maintenant tout le monde parlait, demandant où et quand, si il y avait eu des victimes, si cela avait été les Potters ou juste des Potters, qui étaient les coupables--- même avec seulement neuf personnes assises autour de la table, le chaos bruyant était quand même assourdissant. Le dîner était oublié. Puis la fourchette de M. Lestrange retentit contre son verre à vin et tout le monde se tut de nouveau.
" Avec votre permission, " dit-il gravement " je vais simplement le lire à haute voix pour vous, pour répondre à vos questions."
NOUVELLE ATTAQUE DE MANGEMORTS-HAROLD et OLYMPIA POTTER MORTS
ParVincent E. Callum , Londres/ Canterbury
Lord Voldemort et ses acolytes, qui s'étaient déclarés responsables des quatre horribles attaques précédentes qui avaient choqué la société des sorciers de Grande-Bretagne, ont exécuté un autre crime odieux dirigé vers l'une de nos familles les plus importantes. Harold Potter ( biographie complète voir p.2) éminent médisorcier et inventeur du sortilège d'Oubliettes ainsi que son épouse Olympia sont morts, victimes des plans meurtriers du sorcier sombre.
Aujourd'hui, le 26 décembre les Potters appréciaient la paix et la tranquillité de leur maison de famille près de Canterbury tandis que leur fils James, brillant élève à l'école de Magie et de Sorcellerie de Poudlard---et maintenant tristement orphelin---était chez son meilleur ami Sirius Black, le fils de Gordon et Astraea Black, deux des plus éminents Aurors du Ministère de la Magie. Nous devons au jeune James Potter la seule description fiable des événements qui ont eu lieu dans la maison de ses ancêtres cet après-midi peu avant six heures.
" Je suis arrivé à la maison en portoloin pour me joindre à mes parents pour dîner, " raconta M. Potter aux journalistes et fonctionnaires du ministère rassemblés dans la petite salle de séjour confortable de la famille, " Et jusqu'à ce que j'aie ouvert la porte de devant je n'ai rien vu d'inhabituel. Je l'avais à peine fermée quand quelqu'un m'a saisi par derrière, m'immobilisant. Je ne pouvais pas voir son visage, mais d'après la force et la taille de la personne j'ai conclu que c'était un homme. La voix était étrange, cependant, peut-être altérée par un sort. Une seconde personne s'est approchée de moi et a pris ma baguette. Il ou elle---je ne peux pas vraiment le dire---portait une cape noire avec le capuchon monté, des gants noirs et un masque. C'est le masque qui m'a le plus effrayé."
M. Potter a succombé ici à ses émotions. Il lui a fallu au moins cinq minutes pour se rétablir suffisamment pour parler de façon cohérente.
" C'est écoeurant, " observa Sinclair Lestrange avec sentiment, " Ces journalistes sont tous les mêmes----ils vendraient leur âme pour une bonne histoire. Bien sûr que le garçon s'est effondré, pour l'amour du ciel---quel âge a-t-il?"
" Il est dans la même année que nous, " dit Lucius en indiquant lui-même et Severus " Alors il a quinze ans. Pas étonnant qu'il soit complètement bouleversé."
Severus décida de ne pas le regarder mais de hocher gravement la tête. Un contact occulaire n'aurait pas été une bonne idée, car il avait assez envie de rire et était sûr que Lucius n'allait pas beaucoup mieux ---considérant que M. Lestrange et son fils aîné semblaient prendre toute cette affaire de manière assez personnelle, ricaner était certainement hors de question.
"Ah, mais c'est la Gazette des Sorciers, " répondit M. Lestrange à la remarque de Sinclair " Leur niveau plonge régulièrement depuis les dernières années. C'est révoltant mais c'est la seule source d'informations que nous ayions." Et il continua.
" Ces masques n'ont pas de visage, ils semblent être fait de quelque matière métallique, peut-être que c'est du Titane, ---ce reflet de bleu argenté m'y a fait penser. Ils couvrent tout le visage, presque comme une seconde peau, avec seulement deux petits trous ronds pour les yeux. Je ne sais pas comment ils parlent et respirent sous ces choses, mais les trous pour les yeux sont les seuls. Ils sont complètement sans expression quoi qu'ils disent ou fassent."
A ce moment, un médisorcier de Ste. Mangouste arriva finalement pour administrer une potion apaisante au jeune homme désespéré. (Nous nous retiendrons par respect pour les Potters, de fouiller plus avant le triste sujet des médisorciers de premiers secours et de leur lenteur souvent choquante. Mais nos lecteurs peuvent être sûrs que ce sujet sera mentionné de nouveau aussi souvent qu'il le faut pour que nos autorités comprennent le besoin immédiat d'action à moins qu'ils ne prennent sur leur conscience de mettre des vies innocentes en jeu)
M. Potter encore visiblement secoué mais capable de donner un récit précis de la tragédie sans s'effondrer de nouveau continua "Ils m'ont jeté un sortilège de ligotage et m'ont traîné dans la salle de séjour. Il y en avait d'autres là, cinq ou six, je crois, mais je ne suis pas sûr. Et ils avaient attrapé mes parents, tous les deux, les avaient liés et baillonés et attachés à deux des chaises. Quand maman et papa les ont vu me faire entrer, ils ont lutté pour se libérer, car ils voulaient m'aider. Mais bien sûr ces hommes---
"Eh bien, " dit St. Jean Lestrange, en agitant une main écoeurée, " Je suppose que vous pouvez nous épargner les détails sanglants. Ils sont morts, et James en effet eu de la chance."
" Je ne sais pas " commenta Mme Lestrange, " après tout ce qu'il a vu, peut-être qu'il préférerait être mort aussi."
" Ne sois pas si absurde, Héloïse!" dit Malfoy d'un ton rogue, "Etre mort n'est jamais la meilleure option. Samuel, " dit-il à son hôte, qui avait l'air de plus en plus grave, " Je suppose que nous ferions mieux de partir maintenant. Vous devez sûrement aller au Ministère---"
" Oui, " répondit M. Lestrange, " Je dois y aller---ce ne sera pas long avant que la presse internationale ne nous tombe dessus. Mais s'il vous plaît restez ici. Il n'y a aucune nécessité de perturber cette réunion et ma tâche ne me devient pas plus facile avec la connaissance que vous avez seulement mangé la moitié de votre dîner. Vraiment. J'insiste. Peut-être rentrerai-je même assez tôt pour vous informer de quelques détails qui n'étaient pas dans le journal."
Severus doutait beaucoup qu'il y ait des détails que Malfoy aurait besoin de recevoir de M. Lestrange. Ce qui l'intéressait beaucoup plus néanmoins, était le rôle de ce dernier dans cette affaire. Que faisait-il dans la vie? Severus ne s'était jamais donné la peine de le demander car d'une manière ou d'une autre il supposait que, les Lestranges étant approximativement aussi riches que les Malfoys, il n'avait ni besoin ni envie de travailler, tout comme le père de Lucius. De toute évidence, il en était venu à cette conclusion par analogie un peu trop précipitamment. Lestrange Senior avait une profession et à l'évidence---mais cela était impliqué par le status social de sa famille---une profession importante par dessus le marché.
Le repas continua en l'absence du chef de famille, le principal sujet de discussion étant bien sûr l'événement d'aujourd'hui. Severus remarqua que ni son tuteur ni M. Malfoy ne prenaient une part très active à la conversation, qui fut presque entièrement menée par ces dames et Sinclair Lestrange. Les deux Mangemorts semblaient préférer écouter silencieusement et jauger les réactions et les opinions des autres, ce qui était à la fois très Serpentard et très raisonnable.
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Comme Severus avait eu moins de deux ans quand son propre père avait été enterré il n'en avait aucun souvenir et ainsi les funérailles des Potters furent la première cérémonie de cette sorte à laquelle il assista. A cause de la célébrité et du mérite du couple décédé, l'affluence du public était énorme---la Gazette des Sorciers rapporta qu'il y avait eu trois mille personnes pressées dans le jardin de leur magnifique villa, s'entassant autour du petit site d'enterrement et essayant d'apercevoir James Potter, maintenant orphelin, et les corps de ses parents, flottant au-dessus du sol et couverts de linceuls noirs.
Deux rangées de sièges, formant un carré avec le mur du jardin, avaient été arrangées pour les personnes présentes les plus importantes, comme Dumbledore et une partie du personnel de Poudlard, les Malfoys, les Lestranges, les Bones et une autre poignée de familles vieilles et puissantes, autour de l'endroit qui allait conserver ce qui restait de Harold et Olympia Potter. Severus était assis entre Narcissa à sa gauche et Professeur Lestrange à sa droite, en face de Lucius et ses parents, qui comme tout le monde portaient des expressions solennelles et des robes de deuil, artistiquement déchirées comme le rituel le demandait. Potter était debout à côté du Ministre, faisant deux fois son âge avec ses yeux rougis.
" Où est le reste de la famille?" chuchota Severus à Lestrange.
" Il n'en a pas. Son père était né de Moldus, et fils unique, ses parents sont morts depuis longtemps. La famille d'Olympia l'a pratiquement chassée de chez eux quand elle a décidé d'épouser quelque jeune personne inconnue d'Angleterre et autant que je sais cette rupture n'a jamais été réparée. Potter est un vrai orphelin maintenant mais je suppose que les Blacks vont s'occuper de lui. Un orphelin et un bon parti pour la jeune mademoiselle Evans, si je puis dire."
" Pas si bon, je suppose, étant donné que l'argent était plus du côté de sa mère, ne croyez-vous pas, Monsieur?"
Lestrange secoua la tête. "Non, non. Le vieux Harold Potter s'est fait énormément d'argent, crois-moi. Pas tout de manière complètement légale, mais non olet, comme nous le savons tous. Et je crois que je me rappelle que les grand-parents moldus de Potter n'étaient pas exactement ce que l'on appellerait des pauvres, non plus."
Ils durent interrompre cette conversation intéressante parce que le ministre demandait du silence et l'attention, après avoir jeté le sortilège de Sonorus sur lui-même. " Chers amis, " commença-t-il quand la foule se fut tue, " Le fait que vous soyez venus si nombreux accompagner Harold et Olympia Potter à leur dernière-"
Severus ne se donna pas la peine d'écouter. Si vous aviez entendu un discours, vous les aviez tous entendus, au fond. Après tout, qu'allait-il pouvoir dire? Les nécrologies n'étaient tenues ni pour l'amusement ni pour information. A bien y penser, c'était probablement les plus longs, plus ennuyeux et plus flagrants mensonges à jamais être dits en public. Non, il était bien mieux d'observer l'image de l'assemblée entière, ces centaines des personnes toutes habillées de noir, frissonnant dans le vent froid et glacé. Des centaines de visages, pâles avec des ombres bleuâtres, des cheveux clairs et sombres fouettés dans leurs yeux par les coups de vents glacés. Il était fascinant de les regarder avec des yeux un peu flous, si bien que que tout le noir et blanc devenait un motif se balançant doucement dans le vent, si futile et si vulnérable… Le ciel au-dessus d'eux était d'un gris compact, de plomb, la masse solide des nuages flottant bas et condamnant le jardin mort. En fait, c'était le décor parfait pour des funérailles, pensa-t-il. Sa sollanité était seulement très légèrement dérangée par des taches de blanc contre le ciel lourd, causées par environ vingt Aurors filant au-dessus du paysage sur leurs balais, guettant d'éventuels agresseurs.
Comme si Voldemort pouvait jamais être assez idiot pour attaquer maintenant parmi tous les moments possibles! Bien sûr il y avait le Ministre et tous les Aurors et les gros coups du ministère mais plus de la moitié de ses hommes faisait probablement partie de la foule---il aurait inévitablement souffert des pertes dramatiques s'il avait choisi cet événement pour une autre attaque. Mais peut-être, pensa Severus était-il ici quelque part parmi la foule, inconnu mais sachant, inaperçu mais les observant tous, choisissant sa prochaine victime calculant comment et quand…
Lestrange le poussa hors de sa rêverie. Ils devaient se lever de leurs sièges pour la cérémonie. Un fonctionnaire du Ministère, que Severus reconnut comme le père de Barty Croupton, s'avança et jeta une cape à l'air très ancienne sur les épaules du Ministre. Elle n'était pas noire, mais d'un brun profond et riche, comme du chocolat et toute brodée de runes. Severus rétrécit ses yeux pour discerner les détails---après tout, le livre que Lestrange lui avait donné n'était pas resté fermé longtemps, et il avait appris beaucoup au sujet de ces signes magiques. Il ne pouvait cependant identifier que ceux qui couraient autour du col et sur le large bord du devant, car ils étaient considérablement plus gros que les autres répandus d'une manière apparemment aléatoire sur tout le vêtement. Celui qu'il voyait clairement était Mannaz, indiquant le genre humain, alternée avec Berkana, la rune du réveil. Pas très original, pensa-t-il et juste tout petit peu ironique, étant donné que l'idée de se réveiller pour quelque sorte d'après-vie qu'il y ait était un réconfort bon marché au mieux et de l'ironie cruelle au pire.
A cause de ses efforts de lecture, Severus rata les paroles du sortilège que le Ministre avait prononcées, mais maintenant il le vit lever sa baguette de nouveau et appeler "Incinero!" deux fois. Presque au même moment, des flammes bleues semblèrent s'échapper des deux corps pour les entourer et les changer en cendres. Pendant une seconde, Severus sentit le désir ardent de glousser car il imaginait comment Potter réagirait si une rafale particulièrement forte de vent éparpillait ses parents tout par-dessus lui et les autres personnes en deuil mais il réussit à garder un visage sérieux. Plus de sortilèges furent prononcés---à l'évidence, la possibilité qui l'avait tellement amusé avait été prise en considération, car même quand les manteaux ondulaient sauvagement avec un soudain courant d'air glacé, les cendres restaient où elles étaient. Finalement, elles furent rassemblées dans deux urnes noires, qui furent alors mises magiquement en terre.
Avec un geste, le Ministre invita les témoins, et tout d'abord James Potter à déposer le cadeau de séparation traditionnel sur la terre apparemment intacte. Ceci était la partie intéressante de la cérémonie, en ce qui concernait le bavardage, le prestige et les niveaux sociaux. Fondamentalement, le cadeau de séparation était un petit rouleau de parchemin, à peu près aussi long que l'index d'un adulte, sur lequel les personnes en deuil avaient écrit leurs derniers adieux et salutations. Ces rouleaux n'étaient cependant pas simplement posés sur la terre nue---ou plutôt, les rouleaux n'étaient pas posés nus sur la terre: Ils étaient recouverts de petites boîtes de bois, de métal ou même de pierre précieuse. Et bien sûr c'était la valeur de la boîte qui excitait l'intérêt de tout le monde. Heureusement, seul un cadeau de séparation par famille était attendu. Famille incluant seulement les parents de sang néanmoins. Les cousins distants et leurs semblables devaient se débrouiller eux-mêmes.
James Potter fut le premier à mettre son cadeau par terre. La boîte était faite de simple onyx noir---simplicité calculée bien sûr, car comment un fils inconsolable aurait-il rassemblé la force de choisir des motifs complexes ou des matières précieuses? Le tas de boîtes montait petit à petit tandis que les personnes en deuil formaient un cortège, déposaient leurs cadeaux, serraient la main de Potter et puis se hâtaient vers la porte du jardin.
Malgré le fait d'être parmi les premières à rendre hommage aux victimes de Voldemort, la famille Lestrange dut attendre plus de cinq minutes avant que ce soit son tour. Le petit réceptacle fait d'or et orné de pierres précieuses taillées et enchâssées dans le style Byzantin, fit son chemin de la main de Samuel Lestrange jusqu'au sommet du petit tas immobile de coffrets miniatures. Il serra les mains de Potter et murmura quelques mots, puis s'écarta pour faire place à ses fils et sa belle fille. Severus n'entendit pas ce que Lestrange dit à son élève, mais cela devait être approprié car Potter leva les yeux vers lui et réussit même un petit sourire.
Maintenant c'était le tour de Severus. Il y avait eu une longue bataille, gentille mais féroce, entre lui et tuteur sur qui allait payer pour le cadeau. Lestrange avait clamé que c'était un de ses devoirs, alors que Severus avait soutenu que c'était trop strictement du domaine familial pour faire partie de la tâche d'un tuteur. Enfin, ils avaient consenti à partager le coût---Lestrange avait rit le dernier néanmoins, car quand le moment de payer était arrivé, il avait mis neuf dixièmes du prix sur le comptoir en expliquant calmement à son pupille que diviser ne signifiait pas automatiquement diviser en parts égales. Severus avait admis sa défaite et été très satisfait de leur choix. A la place de la forme rectangulaire habituelle, ce réceptacle était cylindrique, rappelant ainsi vaguement un rouge à lèvres fait de lourd argent superbe recouvert de lapis-lazuli. Bien que cela fasse penser Severus à Sibylle il l'aimait assez.
Prudemment il déposa l'objet au sommet des autres, se releva et prit la main de Potter. Elle était froide et tremblante. Le garçon avait l'air d'être sur le point de s'effondrer à n'importe quelle seconde et sur ce niveau Severus pouvait sympathiser. Devoir serrer la main de centaines de gens, la plus grande part desquels était venue pour le simple pur plaisir qu'ils avaient à regarder l'événement, sans même le connaître, simplement parce qu'ils avaient une forte envie de la sensation, était certainement difficile à supporter avec dignité. Peut-être, rêvassa-t-il en donnant une pression brève aux doigts moites et faisant ses condoléances d'un signe de tête, peut-être Potter perdrait-il patience après le numéro huit cent quarante-quatre et donnerait un coup de pied dans les dents de huit cent quarante-cinq.
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Il n'y avait eu aucun tel coup d'éclat bien sûr, et Potter endura les quatre heures et demie entières de serrements de mains tandis que Severus et les Lestranges étaient déjà retournés à Monrepos pour se chauffer avec un opulent Thé complet.
Mais le monde des sorciers n'était absolument pas calme ou en paix---au contraire: Les émotions allaient bon train et avec bonne raison, du moins du point de vue de la majorité. L'attaque contre les McKinnons avait été épouvantable, mais cela s'était passé il y a presque un an. En outre, les coupables n'avaient pas été connus alors--- Lord Voldemort avait revendiqué cette excellente démonstration de tactique comme étant de lui plusieurs mois plus tard. Les gens avaient presque oublié la tragédie. Le massacre massif de moldus peu après Pâques avait été horrible, mais alors les Moldus n'étaient pas si haut sur la liste des priorités du sorcier britannique moyen pour causer plus qu'un écho très éphémère. La même chose était vraie pour la destruction du bateau des Moldus près d'Urquhart, et le fait que des Aurors aient été tués lors de la quatrième attaque n'offusquait pas trop. Si vous choisissiez de devenir Auror, vous choisissiez aussi un risque très élevé de mort anormale et violente. Cela faisait partie du contrat, les Aurors étaient extrêmement bien payés et n'avaient pas exactement la réputation d'agneaux sacrificiels. Ils étaient un groupe plutôt rude respecté mais également craint, et ainsi personne n'avait trop pitié d'eux.
Si Lord Voldemort avait choisi stratégiquement le moment de se faire connaître à un plus large public par la fameuse lettre au Ministre de la Magie, il jouait en effet très bien ses cartes. Tout le monde savait qui il était, ses idées et ses buts avaient été menés à la connaissance de tout le monde, mais, pour le dire carrément, à ce moment là particulier les gens ne pouvaient pas moins s'en soucier. Lui et ses acolytes avaient abattu quelques moldus et catapulté deux ou trois Aurors aux Champs Elysées---mais tout cela était bien trop abstrait et bien trop lointain pour causer de panique ou tumulte réels.
Les Potters, cependant… Harold Potter était né de moldus, et l'incarnation du sorcier autodidacte. Pas à pas, il avait peiné son chemin vers le haut de l'escalier raide et étroit de la hiérarchie sociale, il avait épousé cette charmante sorcière grecque ---l'histoire de leur idylle et la rupture consécutive d'Olympia avec sa famille avait été déterrée, disséquée et donnée en pâture au public chaque fois que possible. Pour faire court, Harold Potter était une figure d'identification. Il l'avait fait, alors tout le monde le pouvait. Et Voldemort, l'iconoclaste, avait détruit cette icône de la sorcellerie britannique. Maintenant les masses hurlaient et levaient les poings. Hurlaient pour avoir du sang. Réclamaient que les coupables soient tirés de leurs cachettes et publiquement démembrés. Demandaient de manière péremptoire que Voldemort soit trouvé et livré aux Détraqueurs.
Mais---qui et où était Voldemort ? Qui étaient ses acolytes? Le Ministère devait admettre qu'il n'en avait complètement et absolument aucune idée, malgré son Bureau d'application de la Loi, ses Aurors et Langues-de-Plombs. Il n'y avait eu aucune trace à proprement parler, les agresseurs avaient à l'évidence créé des protections autour d'eux-mêmes pour empêcher les Détecteurs de Magie Noire du Ministère de les localiser et ils avaient agi avec une telle précision et une telle rapidité qu'il n'y avait pas même eu de témoins occulaires---sauf le jeune James Potter. Et la vérité épouvantable s'imprégnait lentement mais d'autant plus efficacement dans la conscience collective: Qui que ce soit qui ait commis ces crimes, cela pouvait être le gentil commerçant chez l'apothicaire, le bibliothécaire ou même le fonctionnaire trop correct du Ministère qui écrivait des rapports ennuyeux sur la dernière réunion de la Conférence Internationale des Sorciers. Le 1 janvier 1974, le gros titre de la Gazette des Sorciers était
" ILS SONT PARMI NOUS".
