La Chute de la Rose
par Primula Chubb
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Chapitre Un- Maudit

La nuit froide d'automne paraissait quasi- insupportable, vue de l'intérieur. La lamentation du vent
résonnait jusqu'aux tréfonds du château, décoiffant sur son passage les arbres de la forêt, prisonniers
d'une danse endiablée. Un jeune prince d'une quinzaine d'années lisait tranquillement au coin du feu,
heureux de ne pas se retrouver à l'extérieur par un tel temps. Ce prince était un jeune homme cruel et
égoïste, qui ne se complaisait que dans le luxe et la richesse. Regardant par la fenêtre, il aperçu les
ombres noires des nuages se faire plus menaçantes, pour finalement disperser leurs pleurs. Alors qu'il
s'apprêtait à replonger dans son roman, un coup résonna à travers la demeure silencieuse, couvrant
les crépitements paisibles du feu âcre. Il attendit quelques instants, après quoi les coups revinrent, de
plus en plus pressants. Tout en soupirant bruyamment, il se hâta de descendre les nombreux escaliers
de pierre, traversa en coup de vent le hall d'entrée décoré de tapis rouges, et ouvrit la lourde porte
de chêne.
A sa grande horreur, une vieille mendiante se tenait sur le cadre de la porte. Elle grelottait sous une
mince cape noire, trempée jusqu'aux os. Sa peau ridée et blanchâtre laissait transparaître une fatigue
et une vieillesse qui répugnèrent le prince au plus haut point.

Je vous en conjure mon bon seigneur, laissez-moi entrer quelques instants. La nuit est glaciale et la
pluie cinglante. supplia la bonne femme.

Cachant plus ou moins une grimace de répulsion, le prince répondit sèchement:

Madame, personne n'obtient rien sans donner d'abord. Je vous laisserez entrer, mais je doute bien
que vous ayez quoique ce soit qui puisse payer votre passage, ne fût-il que temporaire. Une sourire,
aussi pâle qu'hypocrite, se dessina sur son visage. La pauvre vieille fouilla dans sa cape, pour en ressortir
une rose fraîche au teint exquis.

J'ose espérer, monseigneur, que ce modeste présent paiera mon passage en votre demeure.
déclara-t-elle faiblement.

Il faut, madame, que ceci soit une plaisanterie, et qu'une pareille offense ne me soit point faite.
Croyez-vous un instant que j'eusse l'ombre d'une quelconque utilité pour ce ridicule objet? Partez, vieille
femme, avant que l'envie ne me prenne de faire venir les gardes.

Un sourire moqueur s'afficha un instant sur les lèvres de la mendiante, qui regarda la rose avant de fixer
ses yeux sur le prince arrogant. Au même moment, un coup de tonnerre d'une force intolérable explosa,
laissant les éclairs bleuté propager violemment la silhouette de la dame.

Il m'attriste de vous demander si c'est la votre décision finale, et permettez moi d'insister, monsieur:
La beauté ne se trouve point en l'apparence, il vous faudra chercher plus loin a l'avenir.

Garder pour votre marmaille ces répliques insolentes, je n'ai nullement besoin de vos sermons.
Maintenant, partez, avant que je ne change d'avis et que je ne vous jette au cachot.

A peine eût-il prononcer ces paroles que la femme disparue en un éclair de lumière, pour laisser place a
une fée d'une telle beauté qu'il en serait tomber, les circonstances eussent- elles été différentes. Un long
voile blanc couvrait a moitié le corps dénudé de l'apparition. Une lueur surréaliste en émanait, se
reflétant sur les pierres extérieures du château. Ses longs cheveux blonds bouclés tombaient en mèches
éparses sur ses épaules, et ses yeux, d'une beauté et d'une couleur telles qu'elles ne pussent être décrites
dans la langue des mortels, fixaient le prince d'un air incroyablement dur.
Celui-ci, prit d'une terreur comme il n'en avait jamais connue auparavant, tomba a genou et gémis une
dizaine d'excuses toutes aussi désuètes et inutiles les unes que les autres. La fée pouffa d'un rire sarcastique,
avant de prendre la parole. Sa voix résonna partout autour, comme si elle en possédait dix à la fois.

Il m'est insupportable d'entendre des jérémiades d'un cœur aussi vil que le vôtre. Un châtiment s'impose
à mon esprit. Maintenant que vous avez vu ma beauté intérieure, pourquoi ne découvririez-vous pas la vôtre ?

La fée s'approcha du prince qui se sentit soulever dans le airs. Tout en le contrôlant par la pensée, elle
s'introduisit dans le château, faisant flotter le corps jusqu'à ce qu'il ait presque atteint le plafond. Dehors,
la tempête se déchaînait d'une violence jamais connue de mémoire d'homme, enchaînant coups
de tonnerre et éclairs fracasseurs. Les arbres se rattachaient de peine et de misère à leur terre protectrice
, certaines branches furent même emportées par le vent.
Soudainement, la fée tapa des mains, et un bruit de déchirure, provenant de la peau du prince, ricocha
sur les murs, provoquant des échos étourdissants. Le prince hurla et vit avec horreur de la fourrure sortir
de sous sa peau. Il tripla de taille, se convulsant de douleur alors que sa chaire humaine se répandait
par lambeaux sur le sol. Son dernier hurlement se transforma en un rugissement terrible, si fort qu'il perçait
même le vacarme du tonnerre, après quoi il tomba de tout son long sur le sol, au pieds de la fée. Elle
s'approcha encore de lui et déclara :

Ne croyez pas que je sois aussi mal attentionnée que vous. Je vous laisse ce cadeau que vous auriez
mieux fait d'accepter. Cette Rose vous permettra de garder la notion du temps. Vous devrez, avant votre
20e anniversaire, aimer une femme et vous en faire aimer pour retrouver votre véritable apparence.
Faute de quoi vous vivrez seul pendant quatre siècles, avant que votre cœur ne se dessèche, causant
votre perte.

Un rugissement furieux suivit cette remarque, avant que la fée ne disparaisse dans un nuage de fumée,
laissant le prince seul.

Les années passèrent, toutes plus maussades que la précédente. Le prince se terrait au plus profond de
l'Aile ouest, en interdisant l'accès à qui que ce soit. Là, il pleurait toutes les larmes de son corps, et
déversait sa fureur sur ses portraits humains, les réduisant en charpie.
À l'aube de son 19e anniversaire, il abandonna toute espoir.
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