Lily rit doucement en entendant les sabots du cerf déraper sur les marches de l'escalier menant au sous-sol, ignorant le regard interrogateur de Remus alors qu'elle lui versait une deuxième tasse d'infusion.

Sirius montait les escaliers derrière James, essayant désespérément de garder les yeux ouverts. La nuit n'avait pas du tout été facile. C'était la première pleine lune après Poudlard et Lunard s'était trouvé désorienté et plus difficile que d'habitude à calmer et à distraire. Sans compter que Lily venait les réveiller à l'aube – ou plutôt juste après la transformation de Remus. Trois heures de sommeil, même pour une masse de muscles comme Patmol, c'était peu.

Son esprit – plus simple, moins coopératif sous cette forme – était en train d'assimiler ce qu'avait dit Lily. Un plein mois sous cette forme de chien ? Ca promettait des moments amusants… et puisque Lily annonçait ça comme un défi…

Il fut arraché à ses pensées par un sabot bifide qui glissa de la marche au dessus de lui et manqua son museau de quelques centimètres alors que Cornedrue cherchait son équilibre. Instinctivement, Sirius s'aplatit sur les marches d'escaliers tandis que James franchissait les dernières marches en quelques bonds gracieux. Le chien finit l'ascension en maudissant les ongulés en général, et les petits rongeurs qui pouvaient se permettre de dormir dans la fourrure de leurs amis hauts sur pattes. Il poussait un de ses plus longs bâillements canins, les yeux fermés, lorsqu'il entra en collision avec l'os ô-combien-douloureusement-solide du jarret d'un cerf. Il rouvrit les yeux avec un glapissement indigné. James s'était arrêté devant la porte de la cuisine, pour une raison invisible à Sirius. A quoi pensait-il donc ? On n'avait pas idée de piler comme ça de si bon matin, quand une armée de zombie se promenait dans la maison en file indienne.

Pour la deuxième fois ce matin-là, Patmol vit un sabot passer dangereusement près de lui.

- James, pour l'amour de…

Ce ne fut pas cette protestation, mais un grognement irrité qui sortit de sa gorge. Il s'ébroua, ignorant dans son exaspération qu'il venait de jeter Queudver à terre, et contourna le cerf, suivi de près par un rat tout juste brusquement réveillé.

Ce qu'il vit alors l'aurait plongé dans un fou rire, si le rire avait été le propre des chiens. Il se contenta donc d'un large sourire canin en observant James essayer de défaire ses énormes bois du cadre de la porte où il s'était coincé. Lily et Remus, dans la cuisine, riaient à perdre haleine.

Cornedrue, cependant, n'était pas de la meilleure humeur. Il s'était apparemment réveillé – comme après la plupart des pleines lunes – avec un affreux torticolis, et la perspective de tordre le cou pour franchir les portes tout au long de la journée ne le réjouissait pas. Une fois ses bois dégagés, et la porte passée, non sans quelques brames assez puissants pour réveiller les morts, tout le monde se retrouva finalement dans la cuisine, et l'estomac de Patmol se rappela à son bon souvenir. Lui et James se dirigèrent automatiquement vers une assiette de bacon trônant au milieu de la table, répandant une odeur formidable pour leur odorat développé, mais avant qu'ils ne puissent l'atteindre, une main les arrêta.

Ou plutôt, les deux jolies mains de Lily, l'une tirant fermement sur un des andouillers de Cornedue, l'autre tenant Patmol par la peau du cou. La jeune fille les gronda gentiment, comme des animaux de compagnie un peu désobéissant.

- Oh, mais non ! Un cerf bien élevé se rend utile en tondant la pelouse et un gentil chien mange sagement ce qu'il y a dans sa gamelle sans quémander.

Les mâchoires des deux amis se décrochèrent dans un mouvement similaire alors qu'ils se retournaient pour regarder Lily. Est-ce qu'elle était sérieuse ? Devaient-ils vraiment accepter ça ? Mais oui… elle montrait du doigt une gamelle pleine dans un coin de la cuisine, et gardait un visage sérieux, sinon souriant.

Remus, assis à la table, hésitait entre la grimace compatissante et le rire moqueur, tandis que le rat Peter, qui continuait à se comporter comme un rat-zombie, grignotait quelques graines laissées là à son intention.

Sirius resta immobile quelques instants. Il avait vraiment faim, et il était fatigué. S'il avait pu parler, il aurait argumenté avec Lily, il aurait plaidé, supplié, imploré jusqu'à ce qu'elle cède. Mais cette impossibilité de parler…

Il essaya de lui faire le fameux regard de chien battu, tandis que James battait ses longs cils de cerf. Si ce n'était pas une supplique assez évidente… ça ne l'était pas. Lily leva un sourcil mais ne dit rien. Deux minutes plus tard, Sirius sortait de la maison avec un grondement sourd, l'estomac toujours vide, suivi de James, que l'étroitesse des portes ralentissait considérablement.

Cornedrue piétina quelques moments en signe de protestation devant la maison, mais en bon Maraudeur, était en train de faire jouer les nombreuses cordes qu'il avait à son arc. C'était plutôt drôle de le voir réfléchir, secouant la tête à droite et à gauche, d'un mouvement qui se voulait gracieux s'il n'avait pas été raide. Le gros chien noir s'assit paisiblement pour observer son ami, jusqu'à ce que celui-ci redresse la tête, un nouvel éclat dans les yeux.

Une charge rapide, tête baissée, vers Sirius, s'arrêtant juste avant de l'embrocher, suffit à faire passer un message très net, connu de longue date par les Maraudeurs : le jeune Black devait rester à l'écart. Il ne se fit pas prier. Le soleil, bien que matinal, tapait très fort déjà sur sa couleur noire ébène, et il n'avait aucune envie de faire plus d'efforts que nécessaire. Rester allongé à être à nouveau témoin de l'ingéniosité spectaculaire de James était quelque chose qu'il pouvait se permettre.

Le grand ruminant se mit soudain à bramer comme un possédé, projetant du sable en piétinant violemment par terre, dans un simulacre de terreur. Au moment où Lily et Remus sortaient en courant, Peter sur l'épaule de la jeune fille, James déguerpit au plein galop, dérapant légèrement sur le sable alors qu'il tournait au coin de la maison, les yeux exorbités, hurlant encore et toujours. Remus jeta un coup d'œil suspicieux et fatigué du côté de Patmol, qui fit son possible pour avoir un air étonné.

Les deux adolescents se jetèrent un coup d'œil. Pour une fois, Lily avait l'air désemparée et inquiète, mais le loup-garou avait l'air gêné, et Sirius savait exactement ce qui se passait dans sa tête : son ami connaissait trop bien James pour tomber dans son petit jeu, mais devait-il en prévenir Lily maintenant qu'elle semblait l'avoir prise dans son camp ? Il n'eut pas à se torturer longtemps, cependant : sans lui poser de question, Lily le prit par la manche et l'entraîna dans le sillage du cerf à une allure folle. Remus eut tout juste le temps de lancer un regard assassin à Patmol, qui l'observait, allongé sur le dos dans le sable, la tête à l'envers, avec une expression amusée.

Quelques minutes plus tard, James apparaissait au coin de la maison opposé à celui par lequel il était parti. C'était le coup classique, tellement évident que personne ne le soupçonnait jamais, et le genre de coup que les Maraudeurs avaient perfectionné dans leur temps à Poudlard. L'Animagus-cerf fit un léger clin d'œil en se dirigeant vers la fenêtre grande ouverte de la cuisine. La table étant placée contre le mur, l'assiette était tout juste à portée du cerf.

Au moment même où Cornedrue saisissait une flopée de tranches de bacon avec ses lèvres, Lily et Remus revenaient de l'autre côté.

Une gerbe de sable, alors que James tentait de s'enfuir, son butin dans les mâchoires, et une nouvelle gerbe de sable alors qu'il s'effondrait sur les genoux et roulait sur le côté, déséquilibré par la douleur d'un mouvement de tête trop vif. La viande atterrit dans le sable un peu plus loin, et Sirius n'hésita pas une seconde.

Il allait se saisir du met tant convoité en plein élan lorsqu'il lui fut soustrait pratiquement sous sa truffe. Emporté par sa course, il trébucha à son tour et roula sur le sable seulement pour être arrêté par le corps massif de James.

Au bout de quelques minutes, ils étaient arrivé, non sans mal, à se dépêtrer l'un de l'autre (une des pattes arrière de Sirius ayant fini inexplicablement coincé dans la parure de James) et Lily leur brandissait sous le nez l'objet de leur larcin en commençant un sermon digne de McGonagall. Derrière elle, Remus riait à perdre haleine en essayant de ne pas en avoir l'air et Peter se balançait d'un air moqueur sur son épaule.

Les deux fautifs, dépités, vexés, déconfits surtout, ignorèrent totalement Lily. Quoi qu'il lui en coûtait à ses muscles douloureux, Cornedrue partit la tête haute, le plus dignement possible, tandis que Patmol le suivait, tête basse et oreilles couchées, crocs découverts, terriblement blessé dans sa dignité. Ils se retranchèrent sur la pelouse à l'arrière de la maison, où ils essayèrent de tromper leur faim en jouant.

Ca ne dura pas longtemps. Malgré toute la compassion qu'il avait pour Sirius et le dégoût que lui causait la rumination, James ne résista pas longtemps au terrible attrait de l'herbe verte. Le gros chien, en partie pour s'épargner une torture supplémentaire, et en partie pour déculpabiliser le cerf, s'allongea dans un coin d'ombre et s'endormit. Ou du moins, il ferma les yeux et plongea dans un léger sommeil peuplé de rêves de chien affamé : os recouverts de viande fraîche, saucisses, odeurs en tous genres se promenaient devant lui… mais surtout, surtout la chaleur de ces plats cuisinés, la chaleur de les sentir dans son estomac… les rêves devinrent plus intenses, et plus insupportables, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que la chaleur, mais à un degré presque douloureux.

Sirius se réveilla doucement pour se rendre compte qu'il était à nouveau en pleine lumière : le soleil montant s'était insinué dans son coin d'ombre apaisante, brûlant à nouveau sa fourrure. Nulle doute que, dans sa forme humaine, il aurait les plus beaux coups de soleil… Mais que pouvait-il y faire ? Comment demander à Lily ou Remus de lui appliquer une crème apaisante ? Il était… totalement stupide. De la même façon que Patmol demandait à Lunard de jouer pendant les pleines lunes. Le langage d'un chien était, après tout, bien assez expressif…

Mais ce n'était pas le moment de penser à ça. Sirius émit un gémissement plaintif et courut plonger sa fourrure brûlante dans la mer, sous le regard désabusé de James, allongé un peu plus loin.

Il revint quelques instants plus tard, trempé, rafraîchi, mais toujours aussi affamé. De plus, le sel commençait déjà à irriter la peau brûlée.

James, de son côté, ne faisait pas une mine plus heureuse. Allongé, il était en train de ruminer, quelque chose qu'il détestait particulièrement. Il détestait régurgiter encore et encore sa nourriture, il détestait être obligé de rester allongé là à ne rien faire d'autre.

Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que ce soit un chien et un cerf particulièrement grognons que trouvèrent Lily, Remus et Peter quelques instants après en passant derrière la maison. Ni James ni Sirius ne leur accordèrent un coup d'œil en les entendant arriver.

- Vous vous amusez bien ? demanda Remus avec l'air innocent du parfait Maraudeur fautif, tandis que Peter passait de son épaule droite à son épaule gauche.

Patmol émit un sourd grognement, presque inaudible, et Lily éclata de rire.

- Oh, les garçons, vous êtes vraiment crédules ! Vous avez cru que je vous laisserais comme ça pendant un mois entier ? Allez, vous pouvez vous transformer !

- J'y ai jamais cru, prétendit Sirius de là où il était allongé.

Il s'était transformé si vite après les paroles de Lily que tout le monde sursauta en l'entendant parler. Il était allongé là où Patmol était quelques secondes avant, en short et T-shirt. Chaque centimètre carré de peau visible était d'un rouge vif, et Lily aurait volontiers commenté la ressemblance entre Sirius et un homard à perruque, mais ce n'était certainement pas le moment de s'attirer davantage les foudres de ses amis. James reprit sa forme humaine à son tour. Il n'avait pas l'air autant brûlé par le soleil que Sirius, mais il avait un teint verdâtre lorsqu'il cracha une bouchée d'herbe soigneusement broyée.

Au même moment, Lily entendit un cri et un grand bruit derrière elle. Elle se retourna pour voir Remus et Peter étalés dans l'herbe, le premier avec une expression plutôt furibonde.

- Combien de fois faut-il qu'on te le dise ? Ne te transforme pas sur l'épaule de quelqu'un, d'accord ?

- Désolé, Remus, j'ai… oublié, répondit le fautif avec un sourire coupable.

Les deux garçons se relevèrent sous les rires de leurs amis.

- Je croyais que tu pouvais porter n'importe lequel d'entre nous avec facilité, articula finalement James entre deux accès de rire.

- Porter, il n'y a pas de problèmes, mais j'aimerais bien te voir recevoir tout le poids de Peter sur les épaules sans t'y attendre !

Lily eut un nouveau fou rire, et elle entendit à peine James se plaindre.

- On pourrait aller manger quelque chose de décent, maintenant ? J'ai encore le goût de l'herbe dans la bouche, et c'est… proprement infect.

- Je partage l'opinion de sa seigneurie, dit Sirius en redevenant sérieux à la seule mention de la nourriture. J'ai faim !

- Moi aussi, hasarda Peter.

- Ca, c'est pas nouveau ! répondit Sirius en se dirigeant vers la porte de derrière de la maison.

- Alors, aventura James en se saisissant d'une casserole dans la cuisine. Est-ce que ça veut dire qu'on a à nouveau le droit de faire de la magie ?

- Certainement pas, trancha Lily. Mais j'ai réfléchi, et je pense vous laisser le droit de vous transformer si vous le désirez…

Elle s'interrompit pour observer les quatre garçons bondir de joie en criant. Ils pensent avoir gagné cette partie, songea-t-elle. Comme ils se trompaient ! En fait, Sirius fut le premier à désigner le peu de satisfaction que leur apportait cette petite victoire. James venait de lui taper sur l'épaule sans penser, l'égoïste, aux horribles coups de soleil qu'il avait là…

- C'est très bien, tout ça, souligna-t-il, mais c'est pas en devenant un chien que je me débarrasserais de mes coups de soleil, que je ferais le ménage ou la cuisine…

- De toute façon, coupa Lily, comment es-tu parvenu à avoir des coups de soleil comme ça ? Ca fait des semaines que tu passes tes journées dehors, et là, au bout d'une matinée, paf ! Tu es rouge comme une écrevisse !

- Ah, Lily jolie ! Tu n'as pas idée à quel point le noir absorbe les rayons du soleil… et une fourrure, tu penses ! J'en suis venu à regretter cet hiver à Poudlard où il y a eu un mètre de neige dehors… On avait plus le droit de sortir, le gel avait immobilisé le Saule Cogneur, on pouvait passer comme on voulait, et j'avais des glaçons gros comme des pierres entre mes griffes en faisant deux pas dehors, mais au moins, je crevais pas de chaud sous ma fourrure !

- Tu te plains toujours, de toute façon, dit Remus en vidant un melon de ses pépins.

- Mais sans ma baguette, continua Sirius sans s'occuper de l'interruption de son ami, je ne vais pas pouvoir me soigner… je vais devoir supporter cette atroce brûlure pendant une éternité !

- Par pitié, achevez-le ! s'écria James depuis la cuisinière.

- A vos ordres, Monsieur le Comte, répondit Remus en saisissant un couteau.

Sirius feignit l'affolement et déguerpit, Lunard à ses trousses. Ils firent quelques fois le tour de la cuisine en courant et criant, tandis que, par prudence, James coupait le gaz et que Peter montait sur la table.

L'ambiance bon enfant persista tout au long du repas, et jusqu'à ce qu'ils sortent tous s'allonger sur la plage pour une petite sieste, sans que Sirius arrête un seul instant de se plaindre de ses coups de soleil.

- Où est Lily ? demanda James en s'asseyant sur le sable brûlant, les mouvements raides.

Les trois autres se retournèrent brusquement, mais James avait raison : la jeune fille ne les avait pas suivis dehors. Du moins, pas immédiatement. Elle sortit presque aussitôt et les rejoignit en courant, une petite trousse dans la main.

- Allonge-toi sur le ventre, dit-elle à James sans préambule.

- Hum… doit-on vous laisser tout seuls ?

Lily fusilla Sirius du regard tandis que James s'exécutait, mais choisit de ne rien répondre. Au lieu de ça, elle s'assit à califourchon sur les reins de James et posa sa trousse entre ses omoplates. Elle en sortit un tube de crème, avec laquelle elle se mit en devoir de masser la nuque de son petit ami.

- Mmmmmh… enfin quelque chose d'agréable ! Qu'est-ce que c'est que ça ?

- Un onguent que font les Moldus, répondit Lily en observant le tube dans sa main.

- Ils n'auraient pas quelque chose pour les brûlures graves, par hasard ? geignit Sirius.

Lily lui lança aussitôt un deuxième tube de crème.

- Je pense à tout !

- Finalement, décida Sirius en observant James s'endormir à moitié sous les mains de Lily, je vais attendre que tu en aies fini avec le Baron, et tu pourras t'occuper de moi correctement, hein ? Parce que je doute de pouvoir atteindre le bas de mon dos, avec les petits bras que j'ai.

- Je peux le faire, si tu veux ? proposa Peter.

- Réflexion faite… je devrais pouvoir me débrouiller, merci.

Remus laissa échapper un petit ricanement et lui arracha le tube des mains pour lui étaler la crème. Sirius étant Sirius, il trouva évidemment le moyen de protester et de gémir chaque fois qu'il estimait que son ami y allait un peu fort.

L'après-midi se poursuivit – et se termina – dans la routine qu'ils avaient menée depuis le début des vacances. Mais cela n'empêchait pas les quatre Maraudeurs de tourner et retourner dans leurs têtes tous les plans imaginables pour récupérer une totale autorisation de magie…