Pour une fois, Lily n'avait pas fermé les volets. Allongée dans son lit, elle s'efforçait de respirer doucement et régulièrement, aussi profondément que si elle dormait à poings fermés. Mais elle ne dormait pas, et ne dormirait certainement pas avant un petit moment. La lune était presque aussi ronde que la veille. En fait, une seule nuit après la pleine lune, la décroissance ne se voyait pas encore, et un simple Moldu, non conscient des cycles lunaires, aurait pu la croire pleine. Elle répandait une lueur vive et pourtant douce, de sorte qu'il faisait très clair dans la chambre, et la jeune fille pouvait presque y voir comme en plein jour.
Elle était relativement fatiguée. Passer des vacances seule avec les Maraudeurs n'était pas toujours une partie de plaisir. Elle se sentait obligée de rester la personne sérieuse et réfléchie, et elle avait parfois le sentiment d'être une mère célibataire avec quatre insupportables enfants de quatre ans.
Elle se surprit soudain à dériver lentement vers le sommeil et rouvrit précipitamment les yeux. Elle avait failli s'endormir ! Pas question ! Pas cette nuit ! Comme il était difficile, et épuisant, de rester allongée et immobile sans s'endormir !
Elle allait encore fermer ses paupières trop lourdes lorsqu'elle entendit le bruit qu'elle attendait depuis un moment. Ils avaient donc mis un long moment à se décider…
Doucement, elle se déplaça pour mieux observer la porte entrouverte, les yeux à demi fermés. Elle savait trop bien combien des yeux ouverts pouvaient briller dans l'obscurité…
Elle le vit alors… ce n'était qu'une ombre se déplaçant presque silencieusement parmi les autres ombres de la chambre, mais, dans le silence total de la nuit, son ouïe exacerbée captait distinctement le crissement de minuscules griffes sur le parquet.
Le visiteur nocturne inspecta les recoins sombres près de la porte avec une certaine maladresse puis se glissa sous le lit. Avec mille précautions, Lily se déplaça sur le lit, bénissant le sommier tout neuf qui ne grinçait pas. Elle se pencha jusqu'à pouvoir jeter un œil discret sous le lit, en tenant ses cheveux hors de vue du rat.
Peter, ou plutôt Queudver, était là, fouinant dans la valise qu'elle avait glissée, ouverte, sous son lit… Elle attendit un instant qu'il se rende compte que le bagage était vide… au moment même où il émergeait des ombres du lit pour aller chercher ailleurs, elle étendit le bras avec la vivacité d'un chat et attrapa le rat.
Surpris, le gros animal se tortilla dans tous les sens en couinant comme un perdu. Sans résultats.
- Etrange, je croyais pourtant qu'il n'y avait pas de rats dans cette maison, commenta Lily comme se parlant à elle-même. Peter doit être en train de dormir paisiblement… Laisse-moi réfléchir… que vais-je faire de toi, petite bête ?
Le petit rongeur s'était immobilisé, apparemment plongé dans
une importante réflexion lui aussi. Lily en profita pour sortir de la chambre
et vagabonder le long du couloir. Elle jeta un coup d'œil dans la chambre de
Sirius et celle de James… toutes vides. Elle ne prit pas la peine de regarder
dans la chambre de Peter, et se dirigea directement vers celle de Remus.
Elle s'arrêta devant la porte avec la ferme intention d'entendre une partie de
la conversation. Peine perdue. Aussitôt que Peter eut compris son intention, il
recommença à se tortiller dans ses mains en couinant avec conviction. La porte
ne mit pas longtemps à s'ouvrir, découvrant le visage étonné de James Potter.
- Pet… Lily ? Que fais-tu debout à cette heure ?
- J'ai trouvé quelque chose qui pourrait être à vous trois, répondit Lily sans se laisser démonter.
Sirius et Remus apparurent derrière James alors que la jeune fille leur montrait le rat qu'elle avait attrapé dans sa chambre. Ils avaient tellement une tête d'enfants pris la main dans le sac qu'elle s'en sentit presque désolée pour eux.
- C'est Peter ? hasarda Remus. Où l'as-tu trouvé, Lily ?
- Dans ma chambre !
Les trois pâlirent dangereusement. Lily les regarda avec curiosité. Ce n'était pas les Maraudeurs qu'elle connaissait. Ceux-là auraient gardé le visage impassible et trouvé une excuse à toute épreuve que n'importe quel professeur aurait gobé. Seulement voilà, Lily n'était pas un professeur. Encore pire, Lily connaissait, non seulement les motivations, mais aussi les méthodes et les mensonges dont les quatre jeunes sorciers faisaient usage en quantité pour toutes sortes de blagues à Poudlard. Bref, ils se trouvaient démunis devant leur amie.
James fut le premier à reprendre le contrôle de la situation, une demi-seconde plus tard. Il prit aussitôt un masque de fureur, saisit Queudver entre les mains de Lily et le regarda avec des yeux pénétrants.
- Que faisais-tu dans la chambre de ma petite amie, Peter, hein ? Tu peux m'expliquer ça ?
Le pauvre garçon se transforma sans se presser au bout de quelques secondes, se donnant le temps de réfléchir.
- Eh bien… je ne sais pas du tout ce qui est arrivé, dit-il lentement, plantant ses yeux dans ceux de Remus. Je crois que je viens de me réveiller…
- Oh, pauvre Peter ! s'écria Remus avec une conviction impressionnante. Encore une crise de somnambulisme animagienne ?
Peter hocha la tête d'un air contrit et posa un regard implorant sur Sirius. Les trois jouaient si bien leur rôle improvisé que Lily devait se retenir de ne pas éclater de rire. Lorsque Sirius se tourna vers elle, cependant, elle avait conjuré tout son sérieux.
- C'est un effet secondaire, expliqua Patmol avec un air sérieux. Si les métamorphoses sont mal contrôlées, le côté animal peut prendre le contrôle de l'individu, tu vois ? Peter croit dormir, alors que sa partie rat explore la maison. Dans ces moments-là, il n'a pas plus de raison qu'un rat, et il ne faut pas chercher plus d'explications à ses actions que tu en chercherais aux actions d'un vrai rat…
- Oh… c'est terrible, non ?
- Non ! En fait, ajouta-t-il sous le coup d'une inspiration soudaine, on peut s'en débarrasser en s'exerçant à diverses Métamorphoses… c'est mieux avec baguettes, évidemment…
Lily décida qu'il en était assez de jouer leur jeu et un sourire se répandit sur son visage.
- Vraiment ? Alors je risque de vous voir déambuler dans la maison sous vos formes animales ? Peut-être même serez-vous, comme Peter, étrangement attirés par la boîte à baguettes qu'il y a dans ma chambre ?
Les Maraudeurs accusèrent le coup avec des sourires innocents qui ne trompaient personne, pour une fois.
Lily prit rapidement congé et retourna à son lit. Seulement à ce moment s'autorisa-t-elle à éclater franchement de rire. Elle rit à gorge déployée, étouffant le son dans un de ses coussins, jusqu'à ce que, épuisée, elle sombre dans le sommeil, encore souriante.
Le lendemain matin, ce fut le soleil qui la réveilla. Il brillait d'un éclat violent et féroce, et Lily dut attendre quelques longues minutes avant de pouvoir garder les yeux ouverts. Ceci fait, et les dernières images très vivaces de son rêve repoussées (un rêve très agréable, du reste…), elle en comprit la raison : elle avait, stupidement, oublié de fermer ses volets la nuit dernière, avec toute l'agitation. Le soleil était encore bas, il devait être très tôt.
La jeune Evans émit un grognement qui aurait été digne de Lunard. Elle avait encore besoin de dormir un peu, encore quelques heures… mais s'il y avait bien quelque chose qu'elle n'avait pas envie de faire, c'était de se lever pour fermer ces stupides volets !
Elle se retourna dans son lit, tournant le dos à la fenêtre. Si elle ignorait le soleil… il se vengeait, lui brûlant le dos et la nuque avec un enthousiasme délirant pour une heure aussi matinale. Puis elle se rappela les baguettes. Elles étaient bien à l'abri sous son oreiller, dans leur boîte… elle n'avait qu'à… tendre la main… prendre n'importe quelle baguette… un simple Sort de Fermeture… dans quelques secondes, et sans effort, elle dormirait comme un bébé dans une douce pénombre… et les Maraudeurs n'en sauraient jamais rien ! Ils étaient tous en train de dormir, à cette heure… quelle heure était-il, au fait ? Sept heures ? Non, c'était criminel de demander une telle tâche à ses pauvres jambes !
Quelques secondes plus tard, Lily Evans titubait pourtant jusqu'à la fenêtre tout en jurant contre la chaise qui avait eu l'audace de se dresser sur le chemin de son orteil. Les volets semblaient peser des tonnes, refusèrent de se fermer correctement pendant cinq bonnes minutes, et pincèrent méchamment les doigts de la jeune fille quand ils y consentirent enfin.
Elle se laissa retomber sur son lit avec une délicieuse sensation de satisfaction. Elle avait réussi à ne pas céder. Et ce fut à peu près tout ce qu'elle sut avant de replonger dans les bras de Morphée.
Sirius se leva de bon matin, bien que ses volets étaient solidement fermés. Il n'y avait aucun son dans la maison. Sauf peut-être… les légers ronflements qui venaient de la chambre de Peter. Les autres chambres étaient silencieuses, et il n'y avait personne dans la cuisine.
Ce n'était pas souvent qu'il était le premier réveillé de la maisonnée. Remus le devançait souvent, mais ils n'étaient que le lendemain de la pleine lune. Le pauvre était sans nul doute encore épuisé. Peter dormait toujours énormément – quand il le pouvait – et James… oh, James ne tarderait sûrement pas à descendre à son tour.
Bien. Cela lui laissait du temps pour réfléchir calmement.
Il sortit une casserole, la remplit d'eau et la posa sur la cuisinière, pour le thé. Lily était bien plus qu'un défi, pour les Maraudeurs, elle était… eh bien… l'ennemi à abattre. Evidemment, ce n'était peut-être pas le bon terme… James serait furieux s'il entendait ça, songea Sirius en mettant quelques tranches de bacon dans une poêle.
Quoiqu'il en soit, cela faisait plus de trois semaines qu'elle les tenait en échec, et c'était simplement inadmissible, même James l'avait admis. La table avait maintenant cinq couverts de mis, et l'eau commençait à frémir dans la casserole. James avait refusé toute espèce de persuasion qu'il pourrait exercer pendant leurs moments romantiques. Au fond de lui, Sirius ne l'en blâmait pas. Ce n'était pas une technique digne d'un Maraudeur, de toute façon.
Il songea un instant à aller réveiller la jeune fille, juste pour l'embêter, mais repoussa la pensée très vite. Ça aussi, c'était contre leurs principes. "Le sommeil, c'est sacré", règle numéro… enfin, une des toutes premières règles, instaurée le jour où Peter réveilla accidentellement Remus au lendemain d'une pleine lune. Ils avaient alors eu droit à un Remus très fâché pendant toute une journée, et c'était une raison largement suffisante pour ne jamais, au grand jamais, recommencer la malheureuse expérience. Le jus d'orange trouva sa place sur la table, entre les toasts et les œufs, et Sirius put enfin s'asseoir pour déjeuner.
Il interrompit le cours de ses pensées et s'étonna tout seul : il avait fait le repas à la parfaite manière moldue, et de façon automatique ! Il y avait de quoi être fier. Ça n'avait pas été facile tous les jours d'apprendre à se passer de la magie… il y avait eu tant de tentations. Oh, et ce n'était pas parce que Lily avait leurs baguettes qu'ils étaient incapables de la moindre magie ! James, Remus et lui pouvaient très bien parvenir à faire des sorts sans l'aide de la baguette… mais ça aurait été mesquin de ne pas jouer dans les règles.
Lorsqu'il eut fini de manger – et que les autres ne furent pas encore réveillés – il n'avait toujours aucune idée quant au moyen de faire céder Lily. Le fait qu'elle accepte qu'ils se transforment était une victoire, mais ce n'était pas assez… Elle restait toujours sourde aux supplications, ce n'était pas la peine d'argumenter une fois de plus avec elle à quel point ils avaient besoin de "garder la main", de "ne pas oublier tout ce que McGonagall leur avait appris".
Sirius lui-même devait admettre qu'apprendre à se débrouiller sans magie était utile. Avec les temps sombres qu'ils vivaient, ça ne pouvait être qu'un avantage. Mais c'était encore une pensée qu'il repoussa bien vite… ils allaient devoir y songer bien assez tôt. Son unique préoccupation, pour le moment, était de faire enrager Lily assez pour qu'elle leur rende leurs baguettes.
Il décida de faire une balade sur la plage. Sous sa forme de chien. Parfois, les idées les plus géniales sont tellement simples que seul un esprit simple peut les capter. Il regarda la table un instant, avec la profonde impression qu'il oubliait de faire quelque chose avant de partir… Tout était prêt, ses amis n'auraient qu'à mettre les pieds sous la table. Si seulement il pouvait… bien sûr ! Il oubliait de mettre un Sort de Conservation sur les plats ! Eh bien ! Il se contenta de disposer des couvercles sur les plats, et si Lily n'aimait pas les œufs froids, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même.
Il se transforma, pour la première fois depuis la pleine lune, avec plaisir. Le soleil ne tapait pas encore trop fort, et au ras du sable, il y avait une légère brise qui transportait un tas d'odeurs intéressantes. Les vagues léchaient la plage avec une obstination tentatrice. Patmol, tenté, se jeta dans l'eau sans réfléchir, jouant à courser les vagues en aboyant. C'était stupide, mais après tout, Sirius commençait à se demander à quel point leur invention du somnambulisme animagien était erronée. Il devrait peut-être se pencher là-dessus. A la fin des vacances, promis.
En attendant, il devait bien se rendre à l'évidence : toutes les bonnes choses ont une fin. Et sa séance de jeu prit fin lorsqu'il remarqua une chouette lapone sur la plage. Elle l'observait en clignant des yeux sous le soleil, assez mal à l'aise sur le sable mou. Il s'approcha, et s'étonna un peu lorsqu'elle battit des ailes en reculant de deux pas, apparemment très perturbée par son apparence. Néanmoins, il était assez près de l'oiseau pour voir que la lettre accrochée à ses serres portait le sceau du Ministère. Ce qui ne pouvait signifier que deux choses : ou il avait de gros problèmes ou c'était une offre d'emploi.
Dans les deux cas, cela pouvait bien attendre la fin des vacances. Patmol retroussa les babines dans un sourire canin : une bonne occasion de faire quelque chose dont il avait toujours rêvé depuis qu'il était Animagus.
Sans plus attendre, il bondit vers la chouette. Le rapace s'envola avec un cri outré, pour se reposer à quelques mètres. C'était sans compter la rapidité de Patmol, qui fut sur lui presque immédiatement. Heureusement, la chouette avait des réflexes fulgurants. Elle fut bientôt perchée sur un palmier sans avoir perdu une seule plume.
Sirius s'assit au pied de l'arbre, la tête penchée de côté, la langue largement pendante. La pauvre chouette, elle, regardait de tous côtés avec un regard un peu perdu. Le destinataire de son courrier était un chien qui semblait vouloir l'avaler tout rond, et au Ministère, ils ne tolèreraient certainement pas qu'elle revienne avec sa lettre. Finalement, elle parvint à une décision. Avec un hululement de mépris, elle reprit son vol, passa le plus près de Patmol qu'elle put oser et laissa tomber la lettre avant de repartir à tire-d'aile.
Sirius se transforma avec un petit rire. Les hiboux et les chouettes n'avaient décidément aucun humour. Il jeta un regard au rouleau de parchemin posé sur le sable à côté de lui. Au moins, ce n'était pas une mauvaise nouvelle : la lettre aurait été liée avec un ruban noir. Ce genre de missive se faisait hélas plus fréquente et d'autant plus crainte.
Poussé par la curiosité, il finit cependant par ouvrir la lettre.
C'était définitivement une offre d'emploi.
