Chapitre Un : The Boy Who Lived (27/03/2003 upd : 10/08/2003)
– CHAPITRE UN –
The Boy Who Lived
Cela aurait pourtant eu toute
l'apparence d'une journée normale.
Les gens se seraient levés comme
à leur habitude, lavés, rasés – pour ceux
(celles ?) qui en auraient ressenti le besoin
– et finalement habillés. Probablement auraient-ils
pris ensuite leur petit déjeuner et, trop absorbés
par leur porridge pour jeter un œil à la fenêtre,
ils n'auraient pas remarqué les quelques hiboux
survolant les toits, à cette heure matinale inhabituelle
et ce même pour une chouette insomniaque. Puis ils
auraient pris leur voiture pour conduire les enfants
à l'école et ensuite se rendre au bureau.
Attentifs au trafic et aux feux de signalisation,
ils n'auraient pas remarqué non plus l'étrange
accoutrement de certains des piétons ce matin, et
quand bien même, auraient-ils pensé alors à une
quelconque manifestation, une collecte pour quelque
œuvre de charité. Arrivés à leur lieu de travail,
trop absorbés par leurs affaires, et le dos tourné
aux fenêtres, sources de distractions indésirables,
rien de remarquable, ou de sortant de l'ordinaire,
ne les auraient frappés non plus de toute la matinée.
Peut-être, en se rendant à la
boulangerie pour s'acheter un sandwich, le
temps de midi, certains auraient-ils rencontré à
nouveau ces gens à la mise excentrique – mais
qui donc portait encore des capes de nos jours ?
–, ceux-ci s'arrêtant pour chuchoter
entre eux d'un air surexcité et, bizarrement,
démunis de la moindre boîte destinée à récolter
de l'argent. Mais là encore, à peine regagnée
la tranquillité de leur petit bureau, leurs préoccupations
les auraient vite repris, leur faisant sortir de
la tête toutes ces sornettes, et plus rien
n'aurait réussi à les distraire jusqu'à
l'heure du retour.
Quand enfin, au soir, la famille
entière se serait réunie autour de la table pour
le souper, rien donc n'aurait pu leur faire
croire que la journée qui venait de s'écouler
ait pu être autre chose qu'une journée ordinaire,
tout à fait habituelle, sans plus de différence
avec la veille qu'elle n'en aurait certainement
avec le lendemain.
Seulement, lorsque, les enfants
couchés, les parents se seraient installés au salon
devant leur petit poste de télévision, il leur aurait
été alors totalement impossible d'échapper
à tout ce qui, au contraire, avait fait de cette
journée une journée des plus inhabituelles et étranges
que l'on ait jamais vu dans le pays. Très
sérieusement, le présentateur du journal télévisé
leur aurait relaté, de sa voix monocorde, l'étrange
comportement des hiboux au cours de la journée.
Et le nombre de témoins qui auraient vu des centaines
de ces oiseaux – nocturnes théoriquement,
comme il l'aurait rappelé afin de bien marquer
la bizarrerie de l'affaire – en train
de voler un peu partout, et ce dès le lever du jour.
Il aurait terminé, enfin, en signalant que, dans
diverses régions, parfois même fortement éloignées,
d'autres témoins auraient également assisté
à des pluies d'étoiles filantes. Sans que
rien cependant ne puisse permettre de penser que
ces deux évènements aient été liés d'une quelconque
manière, aurait-il ajouté d'une voix légèrement
teintée d'un soupçon de gausserie, en s'autorisant
un sourire. Ce genre de sourire un peu supérieur
de Celui-À-Qui-On-Ne-La-Fait-Pas.
Et, bien sûr, le grotesque de
tout ceci leur serait venu également immédiatement
à l'esprit. Ils auraient peut-être même osé
en plaisanter. Et après s'être vidé totalement
l'esprit grâce au feuilleton de la soirée,
ils seraient ensuite allés se coucher, sans plus
penser aux hiboux, aux étoiles filantes, ni même
à ces gens extravagants qui se vêtaient de capes
aux couleurs vives. Sornettes que tout cela. Contes
pour les enfants.
Et pourtant…
Pas loin de là, au cœur même
de Londres, sur un des quais déserts de la gare
de King's Cross – le quai entre la voie
6 et 7 exactement –, apparut soudainement
un homme. Cela avait été si brusque qu'on
aurait pu penser qu'il avait jailli du sol,
pour peu que cela ait été possible, bien sûr, sornettes
et contes pour les enfants… Pourtant l'apparence
de cet homme avait vraiment quelque chose d'extraordinaire,
qui aurait très bien été avec les histoires de hiboux,
d'étoiles filantes et de gens vêtus de cape.
D'ailleurs, il en portait une, de cape. Une
longue cape violette qui descendait presque jusqu'au
sol, au-dessus d'une robe tout aussi longue.
Cet homme était grand, mince, et très vieux probablement,
car ses cheveux et sa barbe – qui descendaient
jusqu'à sa taille – étaient d'un
bel argenté. Son long nez crochu était surmonté
de lunettes en demi-lune, au travers desquels scintillaient
de petits yeux bleus, vifs et scrutateurs. Enfin,
cet homme s'appelait Albus Dumbledore.
Il n'y avait pas un chat
dans les environs, pas un train non plus. Le silence
régnait dans la gare, à cette heure tardive du soir,
et le quai n'était éclairé que par la pâle
lueur des quelques étoiles scintillant dans le ciel.
Albus Dumbledore s'avança vers un des piliers
au milieu du quai et tendit la main, comme s'il
avait voulu un instant s'y appuyer, ce qui
aurait été bien compréhensible au regard du grand
âge qu'il semblait afficher. Mais tout au
contraire, il passa au travers…
L'homme remonta le convoi, scrutant les compartiments, vides pour la plupart, quand il s'arrêta soudain. Son regard avait croisé celui d'un chat tigré, assez remarquable par les motifs particuliers que son pelage dessinait autour des yeux. Le chat était assis, plutôt raide, sur le quai. L'homme eut un léger sourire.
'Je ne m'attendais pas à vous voir ici, professeur McGonagall,' dit-il.
Et il releva les yeux, car le chat avait disparu. À sa place, se tenait une femme d'allure sévère, dont les lunettes carrées n'étaient pas sans rappeler les dessins autour des yeux du chat. Cette femme portait également une cape, d'un vert émeraude. Et ses lèvres pincées trahissaient visiblement son agacement.
'Hagrid m'a dit que je pourrais vous trouver ici, mais il ne m'en a pas dit la raison. Et cela fait déjà un bon moment que je vous attends.'
'Vraiment, cher professeur ? Allons donc, au lieu de faire la fête comme tous les autres ?'
'La fête !' fit McGonagall d'un air courroucé. 'Les avez-vous vu seulement, faire fi de toutes précautions ? Même les Muggles ont remarqué quelque chose ! Des hiboux partout, et eux sortant en rue sans prendre la précaution de se déguiser, et des pluies d'étoiles filantes !! Vraiment… !'
Elle secoua la tête, agacée.
'Allons, tout cela est bien compréhensible,' dit Dumbledore d'une voix douce. 'Nous n'avons eu guère l'occasion de nous réjouir durant onze ans…'
McGonagall lui jeta un regard perçant.
'Alors… alors ce que tout le monde raconte… sur Vous-Savez-Qui… qu'il est parti…'
'Voyons, cher professeur,' l'interrompit Dumbledore. 'Ne pourriez-vous l'appeler par son nom, vous, une personne si sensée ? Cette façon de dire Vous-Savez-Qui… Je ne vois vraiment pas quel danger il y aurait à prononcer son nom : Voldemort.'
McGonagall eut une grimace, avant de reprendre, moitié exaspérée, moitié admirative.
'Soit, si vous voulez… Tout le monde sait que vous êtes le seul que Vous-Savez – je veux dire… Voldemort – ait jamais craint. Alors, cela est-il vrai ? Il a… Il a disparu… ?'
Et elle guettait son visage, comme si elle avait pu y lire la vérité, comme si tout ce que les autres pouvaient raconter n'était rien tant que Dumbledore ne l'avait point confirmé. Mais Dumbledore ne répondit pas, occupé à chercher quelque chose dans ses poches.
'Ce qu'ils racontent tous,' insista-t-elle, sans le quitter des yeux. 'C'est que Voldemort serait descendu hier soir à Godric's Hollow, pour chercher les Potter. Et ils disent que… que… qu'ils sont morts…'
Sa voix se brisa, alors que Dumbledore baissait la tête, toute vie semblant s'être éteinte de son regard.
'Lily et James…' murmura McGonagall. 'Et leur petit Harry… Je ne peux pas le croire… Albus…'
Dumbledore soupira. Il avait tiré de sa robe une montre assez bizarre, ne comportant que des petites planètes sur l'écran, et y jeta un rapide coup d'œil.
'Mais ce n'est pas tout…' continuait McGonagall. 'Ils disent que ce n'était pas après les Potter que Voldemort en avait… que c'était après quelqu'un qui avait trouvé refuge chez eux… Une jeune femme et son petit garçon. Et qu'elle aussi Il l'a… Il l'a…'
Dumbledore hocha la tête, l'air sombre.
'Alors c'est bien vrai… ? Et le bambin qui… C'est ce petit enfant !?'
À nouveau, Dumbledore acquiesça.
'Mais comment ? Comment est-ce possible ? Après tous ces gens, tous ces sorciers qu'Il a éliminés… Ce petit garçon a survécu ? Il n'a pas pu le tuer ? Et même ils disent que c'est cela qui L'a détruit… Que c'est quand Il s'en est pris à lui, que Son pouvoir s'est brisé… et qu'Il a… disparu. Mais comment… ?'
'Cela, il nous est bien difficile de le dire,' répondit Dumbledore. 'Peut-être ne le saurons nous jamais…'
'Mais enfin, Dumbledore… Qui était cette femme ? Et cet enfant ? Pourquoi Vous-Savez – Voldemort ! – en voulait-Il à leur vie ?'
'Je ne peux pas vous répondre sur ce point, cher professeur. Et il vaut mieux pour la tranquillité de cet enfant que tout le monde ignore son nom, du moins jusqu'au moment où il sera assez grand… pour assumer les évènements de ce jour. Après tout, il est déjà célèbre…'
Une fois de plus, il consulta sa montre et fronça légèrement les sourcils.
Un peu plus loin, un petit attroupement de passagers s'était formé depuis l'arrivée de Dumbledore. McGonagall leur avait accordé à peine un regard. Elle semblait même trouver leur présence particulièrement dérangeante. Il était vrai qu'ils n'étaient pas particulièrement ce que l'on pouvait appeler sympathiques. Recouverts de longues capes noires aux bords effilochés et portant, pour les hommes, des chapeaux plats à larges bords, noirs également, ils avaient l'air, à vrai dire, de sinistres chauves-souris. Tous avaient le même visage cireux aux yeux sombres surmontés d'épais sourcils. La mine lugubre, ils semblaient attendre. Une vieille femme se tenait au milieu d'eux, ses cheveux grisâtres retenu par un ample fichu. Elle jetait de temps à autres de furtifs coups d'œil dans leur direction et au vu du grand respect que les autres semblaient faire montre à son égard et d'un certain air de famille qu'ils partageaient, il était aisé de deviner qu'elle était leur matriarche à tous.
'Hagrid est en retard,' grommela Dumbledore, alors qu'il consultait pour la troisième fois sa montre.
'En retard pour quoi ?' questionna McGonagall. 'Et pourquoi donc êtes-vous ici ?'
'Je suis ici pour remettre cet enfant entre les mains de sa famille maternelle…'
'Co… Comment ?! Pas… pas ces gens-là quand même !?' s'exclama McGonagall, esquissant un geste vers le groupe à la mine si désagréable. 'Voyons Dumbledore… vous savez… vous savez quel genre de gens ce sont…' ajouta-t-elle en baissant la voix.
'Allons donc, ils ne sont pas si terribles… Et, après tout, il ne pourrait être meilleur endroit pour vivre qu'au milieu des siens.'
'Mais enfin… je veux dire… Cet enfant a bien un père, non ?'
À ces mots, le vieillard poussa un soupir, les rides de son visage semblant se creuser d'avantage en une expression triste et soucieuse.
'Je crains fort, malheureusement, que son père n'ait pas actuellement la possibilité de s'en occuper, ni même de revendiquer ce droit,' fit alors lentement Dumbledsore comme s'il avait soigneusement pesé ses mots. 'La position dans laquelle il se trouve est des plus délicates, et les jours à venir ne seront pas simples. Le petit ira vivre dans la famille de sa marraine… Il a besoin de la présence d'une mère. Il n'est pas plus mal également qu'il vive le plus longtemps éloigné d'ici.'
'Mais quand même…' reprit-elle cependant en secouant la tête. 'Et comment cet enfant va-t-il nous rejoindre ?'
'Hagrid…' commença Dumbledore.
McGonagall haussa les sourcils, mais avant qu'elle n'ait pu à nouveau manifester son désaccord, un grondement sourd brisa le silence. Tous levèrent le nez au ciel, y compris le petit groupe à l'écart, tout de sombre vêtu, et une énorme moto descendit du ciel, pour atterrir en douceur aux côtés de Dumbledore. Si la moto était énorme, ce n'était rien comparé à son conducteur. Presque deux fois aussi grand qu'un homme normal, près de cinq fois aussi large, son apparence était plus qu'effrayante, avec sa masse de cheveux enchevêtrés complétée d'une large barbe en broussaille. Mais la lueur de bonté que l'on pouvait lire dans ses petits yeux brillants comme des scarabées noirs démentait toute cruauté chez leur propriétaire. Il portait délicatement dans ses gros bras un petit tas de couvertures.
'Enfin vous voilà, Hagrid,' dit Dumbledore, le soulagement nettement audible dans sa voix. 'Où donc avez-vous trouvé cette moto ?'
'L'jeune Sirius Black, professeur Dumbledore, Monsieur. Y m'l'a prêtée…'
'Sirius était là ?' marmonna Dumbledore dont les sourcils se froncèrent légèrement.
Il s'apprêta à dire quelque chose, mais se ravisa.
'Et le petit… ?'
'Y s'est endormi, Monsieur. L'ai trouvé au milieu des ruines d'la maison, avant qu'les Muggles ne rappliquent. Pauv'tite chose…'
Dumbledore et le professeur McGonagall se penchèrent sur le paquet de couvertures. Un tout petit bébé y dormait profondément. Sous les quelques mèches noir de jais, ils distinguèrent sur le front une cicatrice encore fraîche, de la forme d'un croissant de lune.
'C'est là que… ?' murmura McGonagall.
Dumbledore hocha la tête.
Depuis l'arrivée de la moto, le petit groupe de gens à la mine maussade s'était agité. Ils semblaient maintenant commencer à s'impatienter, le train donnant tous les signes de devoir démarrer bientôt. La vieille femme, encadrée de deux gaillards taciturnes, s'avança. Arrivée près de Dumbledore, elle l'apostropha dans une langue aux accents âpres et gutturaux, dont ni McGonagall ni Hagrid ne comprirent un traître mot.
Dumbledore, cependant, prit l'enfant et, après l'avoir contemplé encore une fois, le visage plus grave que d'habitude, le tendit à la femme qui s'en empara avidement. Une plainte aiguë les fit tous sursauter, et Hagrid sortit un immense mouchoir dans lequel il enfouit son visage.
'Dé… désolé,' sanglota-t-il. 'Mais tout'cet'histoire… Lily, James, et le p'tit Harry… et main'nant ce p'tit orphelin qui part…'
'Je sais, je sais, Hagrid, tout cela est très très triste,' fit McGonagall en lui tapotant doucement le bras, et elle-même clignant activement des yeux.
Tous trois suivirent des yeux le groupe remonter dans le wagon qui leur était réservé, ceux-ci chuchotant âprement tout en essayant d'apercevoir le petit garçon que la vieille femme serrait possessivement dans ses bras.
Quelques instants plus tard, un coup de sifflet retentit, la cheminée de la locomotive cracha une fumée violette, et le train s'ébranla. Dans les bras de la vieille femme, entouré d'un châle, le bambin sommeillait, indifférent aux cliquètements des roues du train, aux chuchotements qui l'entouraient, sans savoir qu'il était désormais célèbre dans le monde entier – pour peu que l'on soit un tantinet au courant des affaires des sorciers, bien sûr –, et que, à défaut de connaître son nom, dans tout le pays, des gens rassemblés en secret levaient leur verre en murmurant : 'À la santé de Celui-Qui-A-Survécu !'.
