Chapitre Deux : Diagon Alley (27/03/2003 upd : 10/08/2003)

– CHAPITRE DEUX –

Diagon Alley

La chambre était plongée dans une semi-pénombre encore, les rideaux à moitié tirés sur un soleil pâlot de début de matinée. Un léger feu flambait dans l'âtre, nimbant la pièce et ses boiseries de chêne d'une couleur chaude et mouvante. Une silhouette longue et fine gagna le coin du lavabo, s'arrêtant pour contempler son reflet dans le miroir. Celui-ci révéla un visage jeune, à peine sorti de l'enfance – le garçon devait avoir moins d'une douzaine d'année, bien que sa taille eut pu le faire passer pour plus âgé –, un teint pâle, des cheveux de jais, mi-longs et raides, retombant sur des épaules maigres, des yeux sombres, au regard impénétrable, un nez droit, étroit et tranchant, surmontant des lèvres minces, presque exsangues. La seule chose dans sa personne d'un peu remarquable était une cicatrice fine, de la forme d'un croissant de lune, qu'il portait sur le front. Rook – c'était ainsi qu'on l'appelait – ramena sur celle-ci quelques mèches éparses.
Soudain, il tendit l'oreille. Le léger bourdonnement qui montait de la salle de l'auberge jusqu'au couloir de sa chambre sembla s'atténuer légèrement, et une voix forte retentit dans les murs, le brouhaha reprenant de plus belle. Rook s'était figé, tous ses sens à l'écoute du moindre murmure provenant d'en bas. Il semblait hésiter. Il était arrivé maintenant à un nouveau tournant de sa vie… Dorénavant, il avancerait seul, perdu dans ce pays qui lui était encore étranger, et où pourtant il avait vu le jour. Pays où de si terribles événements avaient déjà tant bouleversé sa courte vie. Il resta ainsi songeur un long moment. Enfin, il redressa d'un geste décidé le col de la longue cape noire qui le recouvrait. Le miroir à ses côtés s'apprêta à faire un commentaire, mais ne réussit à bredouiller que quelques mots indistincts alors que les fins sourcils du garçon se fronçaient, un éclair froid, légèrement irrité, passant fugitivement dans le regard qu'il lui jeta.
'Allons-y…' fit-il finalement à son image d'un air de défi, usant pour ces mots d'une langue étrangère, à la sonorité âpre et rude, presque sans qu'il s'en rende compte.
Rook descendit lentement les escaliers, l'entièreté de la salle lui apparaissant progressivement. Un homme était là, qu'il n'aurait pu manquer de voir, du fait de sa taille hors norme, qui le faisait surplomber plus que largement l'assemblée qui s'était formée autour de lui. Il n'y avait pas tant de sorciers à présenter ainsi une morphologie de demi-géant : c'était très certainement Rubeus Hagrid, Gardien des Clés et des Lieux à la Hogwarts School of Witchcraft and Wizardry. Le guide que Dumbledore lui avait envoyé.
'Allons Hagrid,' s'exclamait Tom, le barman. 'Quelle est donc cette mission pour Hogwarts pour laquelle tu fais tant de secret ?'
'Désolé, Tom, mais…'
À ce moment, Hagrid s'interrompit et leva les yeux, et tous, dans la salle, firent de même. Rook venait de leur apparaître. Le silence se fit instantanément, tous les regards convergeant vers le jeune homme, et surtout, vers la marque… la fameuse cicatrice qui dessinait un croissant de lune sur son front.
'Ça alors…' marmonna Tom. 'Mais c'est… C'est le Garçon… Celui-Qui-A-Survécu !'

*
Le Leaky Cauldron était un pub minuscule et miteux de Londres, coincé entre deux boutiques quelconques, et qui avait ceci de remarquable : personne ne le remarquait, justement. Du moins, personne qui n'ait eu au moins une goutte de sang magique dans les veines. Car le Leaky Cauldron était exclusivement réservé aux sorciers.
Ce matin-là, près d'une dizaine d'années après le fameux jour des hiboux et des étoiles filantes, le Leaky Cauldron n'était rempli que de quelques clients de passage, vieilles femmes fumant leur pipe et sorciers en haut de forme. Mais la présence de Rook, resté comme paralysé, hésitant, sur une des dernières marches de l'escalier, les avait tous figés dans un silence stupéfait, chacun gardant les yeux fixés sur la cicatrice, la fameuse cicatrice en forme de croissant de lune.
Car cette cicatrice avait une histoire. Une histoire sombre et tragique. Environ 20 ans plus tôt, le plus rédouté Mage Noir de tous les temps, Lord Voldemort – dont peu osait prononcer le nom, même encore maintenant – avait commencé à recruter des adeptes. Beaucoup le suivirent par peur, d'autres par attrait du pouvoir. Car c'était un sorcier très puissant mais maléfique. Sombre époque, où tout le monde se méfiait de tout le monde, où des choses horribles se produisirent… Car à ceux qui lui résistaient, le Seigneur des Ténèbres n'apportait que la mort. Une nuit de Halloween, il y avait 10 ans de cela, celui-ci tenta de s'en prendre à un petit garçon, âgé à peine d'un an. Mais on ne sait par quel mystère, l'attaque échoua… l'enfant survécu. Seul vestige du sort mortel qui lui fut lancé, cette cicatrice sur le front, en forme de croissant de lune, qui l'avait à l'instant rendu célèbre dans tout le monde des sorciers, bien que son identité fut soigneusement gardée cachée. Car au moment même où il avait essayé sans y réussir de tuer cet enfant, Voldemort avait vu ses pouvoirs anéantis, sans que personne ne sache comment, ni pourquoi… Sa mère ayant succombé à l'attaque du mage, le bambin avait été envoyé en Roumanie, dans sa famille maternelle, qui l'avait élevé depuis ce jour. De cette histoire – son histoire –, Rook n'en savait que ce qu'on avait bien voulu lui en raconter, c'est-à-dire le strict minimum. Le reste, il l'avait découvert en fouillant en cachette les livres et les vieilles gazettes de l'époque. Les seules choses dont il se souvenait de ce jour lointain étaient un éclat de lumière verte, et un rire froid, sonnant cruellement.
Il y eut un raclement de chaise, et tous se précipitèrent vers le jeune homme pour lui serrer la main.
'Je suis si content de vous rencontrer enfin…'
'… si émue. C'est extraordinaire…'
'Honoré, très honoré de faire votre connaissance…'
'Je ne peux pas le croire,' faisait Tom. 'Il est arrivé hier, il faisait noir… et je n'ai rien vu !'
'Soyez le bienvenu parmi nous, mon garçon,' dit alors une vieille femme qui refusa de lui lâcher la main. 'Je m'appelle Crockford. Doris Crockford. Quand je pense que nous ignorons votre nom…'
C'était une demande implicite.
'Rook Sharp', marmonna le garçon entre ses dents.
Et de suite, il entendit son nom murmuré et répété dans toute la salle, chacun portant sur son visage un air presque émerveillé. Troublé, mal à l'aise, Rook descendit le reste de l'escalier pour rejoindre Hagrid, qui rayonnait. Une grande tape dans le dos de la part de celui-ci faillit le jeter à terre.
'Et oui, c'est bien le Garçon,' claironna-t-il. 'Et c'est moi qui l'emmène pour ach'ter ses fournitures pour Hogwarts ! Première fois qu'y vient ici, 'l arrive tout juste de Roumanie. Et Dumbledore me l'a confié !'
Et cette fois, ce furent les noms de Dumbledore et de Hogwarts qui furent répétés et chuchotés par toute l'assemblée, avec cette fois comme une nuance de respect et de satisfaction.
La vielle femme lui serrait toujours la main. Rien ne semblait vouloir montrer qu'elle veuille la lui lâcher un jour... Un attroupement s'était formé. Visiblement, chacun attendait poliment qu'elle en eut fini pour prendre sa place... Rook grimaça. Il commençait à être lassé de tous ces gens qui semblaient vouloir s'user les yeux à les contempler, lui et sa cicatrice. Il n'aimait pas la foule. Il n'aimait pas non plus être le point de mire de celle-ci. Il leva le nez vers Hagrid, qui sembla deviner sans peine.
'Et ben, c'est pas tout ça, mais faut qu'on y'aille… On a plein d'choses à faire,' fit ce dernier. 'Allez, viens mon garçon.'
Hagrid entraîna son jeune compagnon, s'efforçant de se frayer un passage au travers des gens emplissant l'auberge, et qui ne semblaient pas désireux de laisser partir leur jeune héros. Une ombre s'interposa alors entre le géant et le garçon. Rook leva les yeux. Se tenait devant lui, lui barrant involontairement le passage, un jeune homme nerveux et bredouillant, au teint pâle. Son visage était secoué de tics, le fait de simplement s'être retrouvé devant Rook semblait le terrifier.
'Professeur Quirrell !' s'exclama le géant, qui s'était retourné, ne se sentant plus suivi. 'Rook, j'te présente l'professeur Quirrell, l'nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal ! Keski vous amène ici, Professeur ?'
'O… oh… J… ju… juste un nouv… v… veau liv…v… v…vre sur les vam… vam… vampires !' bégailla le professeur, le tic déformant son visage semblant soudain s'emballer. 'Ench… ch… chanté, Sh… Sh… Sh… Sharp…!'
Rook serra distraitement la main tremblante que le professeur lui avait tendue, alors que celui-ci le dévorait maintenant des yeux. Puis l'homme finit par s'écarter et Rook reprit son chemin à la suite de Hagrid. Ils sortirent par la porte arrière du pub et se retrouvèrent dans une petite cour déserte et entourée de murs, sans issue visible. Se demandant ce qu'ils allaient faire à présent, Rook jeta un œil à son guide.
'Sac à méduse, Rook… Keske t'as grandit !' lui fit alors Hagrid, qui le regarda de haut en bas avec un grand sourire. 'Et tu as les yeux de ta mère…' ajouta le géant d'un air un peu plus ému.
'V… vous savez qui était ma mère !?' s'exclama Rook, stupéfait. Sa famille lui avait pourtant assuré que personne n'était au courant...
'Oh, on n'est que quelques-uns…' fit Hagrid. 'Dumbledore nous a fait garder l'secret, pour qu'personne n'aille vous embêter, toi et les tiens…'
'Quelques-uns...' murmura le brun pensivement, ne sachant si cela était de bonne augure ou non. 'Alors, vous avez connu ma mère…?'
Rook sentit son cœur se serrer, puis une légère inquiétude s'empara de lui.
'Et… et mon père ?' Sa voix était restée ferme, presque indifférente, Rook s'efforçant de contenir son trouble.
'Euh… je n'sais rien à c'sujet. Dumbledore nous a jamais révélé qui il était…'
À l'intonation de sa voix, on comprenait que le géant trouvait cela un peu bizarre, mais il était clair qu'il considérait que cela ne le regardait pas suffisament pour insister. Rook garda le silence, sentant la tension qui l'avait un instant envahi se relâcher. Ainsi personne ne connaissait ce détail, à part sa famille, Dumbledore et… l'intéressé, bien sûr. Rook préférait de loin cela.
'Alors, t'es une vraie célébrité, hein ?' continuait Hagrid, comme s'il ne s'était pas rendu compte du soudain mutisme du jeune garçon. 'T'as vu comme ils étaient heureux de t'rencontrer ? Et ce pauv' professeur Quirrell ! Il en tremblait tout. R'marque… il tremble tout l'temps. 'L'aurait dû s'contenter d'apprendre dans les livres. D'puis son voyage dans la Forêt Noire pour rencontrer des vampires et des harpies, 'l'est p'us l'mêm' !'
Rook haussa un sourcil mais ne dit mot. Ça, un professeur de Défense contre les Forces du Mal ? Vraiment, quel genre de cours cela pouvait-il bien donner… ? Mais devait-il s'attendre à autre chose de Hogwarts ? Après tout, cela n'était pas comme si on y étudiait la Magie Noire… Il regarda le géant compter les briques sur le mur, au-dessus des poubelles, et tapoter trois fois avec un grand parapluie rose une brique bien précise, qui se mit à trembler. Sous leurs yeux, apparut un trou dans le mur, qui s'agrandit, s'agrandit encore, jusqu'à former une arcade suffisante à laisser passer un homme de la taille de Hagrid. Et au-delà, s'étalèrent à leur vue les boutiques hautes en couleur de la Diagon Alley.
Ce n'était pas la première fois que Rook se rendait à Londres, mais c'était la première fois qu'il voyait la Diagon Alley, un quartier entier dissimulé aux yeux des Muggles – les gens dépourvus de pouvoirs magiques. Alors que l'arcade se refermait sans bruit derrière eux, Hagrid emmena Rook le long de l'allée, au milieu des magasins et des étals. Il y avait des boutiques où l'on vendait des chaudrons (toutes tailles – cuivre, laiton, étain, argent – touillage automatique – modèles pliables), des hiboux (hulottes, chouettes effraies, grands ducs, chouettes lapones), des balais volants (Tout nouveau : le Nimbus 2000, encore plus rapide !), mais aussi des robes de sorciers, des télescopes, des foies de chauve-souris, des potions, des parchemins…
'On va d'abord allez chez Gringotts, la banque des sorciers, pour chercher ton argent,' dit Hagrid, alors que son jeune compagnon regardait de tous côtés, essayant de tout voir à la fois. 'D'tout'façon, j'dois aussi m'y rendre. Une chose que j'dois en rapporter pour Dumbledore…'
'Gringotts est tenue par des gobelins, n'est-ce pas ?' fit Rook d'une voix basse.
'Exactement ! Et c'est un des coins les plus sûrs du monde, – à part p't'êt' Hogwarts. Faudrait êt' fou pour essayer d'cambrioler Gringotts ! Les gobelins en connaissent un rayon en mauvais sorts. Et y'en a même qui disent qu'y'z'ont des dragons comme gardiens… T'as déjà vu des dragons ? Paraît qu'y en a plein, en Roumanie…'
Rook hocha la tête et Hagrid embraya directement sur le sujet des dragons. Cela semblait visiblement le passionner. Rook s'étonna bientôt de se retrouver lui-même à participer à la conversation. La volubilité du géant semblait agir sur lui, atténuant son mutisme habituel.
'Nom d'une grenouille, que j'aimerais avoir un dragon…' s'exclamait pour au moins la dixième fois Hagrid. 'J'en rêve depuis qu'chuis tout p'tit… Ah, on y est !'
Tout en parlant, ils étaient arrivés devant un grand bâtiment tout blanc, où un gobelin (un être assez petit, plutôt noiraud, avec un visage intelligent et une barbe en pointe, et de très longs doigts et de très longs pieds) se tenait en faction devant un grand portail de bronze. Le gobelin les salua quand ils entrèrent, et Hagrid s'avança vers le comptoir, derrière lequel plus d'une centaine d'autres gobelins s'affairaient, écrivant dans des livres, pesant des pièces, examinant des pierres précieuses.
Hagrid s'éclaircit la gorge et le gobelin devant lui releva la tête.
'C'est pour prendre un peu d'argent dans l'coffre de c'garçon…' fit-il en montrant Rook.
'Vous avez la clé ?' demanda le gobelin, scrutant celui-ci de son regard perçant.
Rook glissa sa main dans l'encolure de sa robe, ramenant une petite clé dorée qu'il gardait attachée à une chaînette.
'J'ai aussi cette lettre du professeur Dumbledore,' fit alors Hagrid en baissant la voix. 'C'est au sujet de Vous-Savez-Quoi, dans l'coffre 713…'
Le gobelin examina la lettre, la retournant dans tous les sens, comme pour s'assurer de son authenticité.
'Très bien,' dit-il finalement. 'Griphook !' Un gobelin surgit de leur droite, s'inclinant devant eux. 'Griphook va vous conduire…'
Ils suivirent le gobelin, qui les mena vers une des nombreuses portes du hall. Rook, sa curiosité aiguisée, se demanda en lui-même ce que pouvait bien être ce Vous-Savez-Quoi dans le coffre 713. Mais il n'était pas sûr que Hagrid veuille bien le lui dire.
Griphook les mena dans un étroit passage creusé dans le roc, jusqu'à une petit voie ferrée. Il siffla et un wagonnet vint s'arrêter à leurs côtés. Ils montèrent à son bord et le wagonnet démarra de suite, semblant parfaitement savoir où il devait aller, car le gobelin ne faisait rien pour le guider.
Après un voyage de quelques minutes à travers un labyrinthe de galeries tortueuses, creusées à des kilomètres dans le sous-sol, le wagonnet s'arrêta une première fois. Le gobelin réclama la clé de Rook, et ouvrit une porte, alors que Hagrid, un peu vert, profitait de l'occasion pour se dégourdir les jambes. Il n'avait pas eu l'air d'apprécier énormément le voyage.
Rook jeta un œil dans le coffre. Il lui avait été laissé, ainsi que tout son contenu, par sa mère, mais il n'avait encore jamais eu besoin d'y avoir recours. Il fut stupéfait de voir que celui-ci était rempli de tas de pièces d'or, de colonnes de pièces d'argent et de paquets de pièces de bronze. Il y préleva les quelques Galleons, Sickles et Knuts (dix-sept Sickles d'argent dans un Galleon d'or, et vingt-neuf Knuts de bronze dans un Sickle) qu'il jugea suffisant à pourvoir à ses besoins tout au long de cette année, puis regagna le wagonnet, suivi de peu par un Hagrid soupirant à fendre l'âme.
Leur deuxième arrêt les mena au coffre 713. La porte de celui-ci ne comportait pas de serrure… Griphook l'effleura du doigt et la porte disparut.
'Si jamais quelqu'un d'autre essayait d'ouvrir cett'porte,' fit Hagrid. 'Y s'rait aspiré à l'intérieur et y pourrait plus r'ssortir…'
'Comment savez-vous si quelqu'un n'y est pas enfermé ?' demanda Rook au gobelin.
Celui-ci eut un rictus mauvais.
'Nous vérifions de temps en temps… tous les dix ans, environ.'
Rook retint un sourire, reportant son attention sur Hagrid, qui ramassa un petit paquet enveloppé de papier kraft. C'était la seule chose que renfermait ce coffre si bien protégé. Que peut bien contenir de si important ce petit paquet ?, se demanda Rook.
*
Alors qu'ils avaient enfin regagné la rue maintenant baignée de soleil, Rook jeta un œil sur la liste des fournitures destinées aux élèves de première année entrant à Hogwarts. Il possédait déjà la plupart du matériel nécessaire, et même un peu plus. Mais les livres lui restaient à acquérir. La plupart des ouvrages qu'il possédait étaient rédigés en Roumain, Russe ou Bulgare, et leur contenu était loin de correspondre à ce qui lui serait enseigné à Hogwarts. Mais cela lui était bien égal. À l'inverse des autres étudiants, Rook n'avait pas reçu de lettre de l'école de Hogwarts, lui assurant son inscription aux cours dispensés dans celle-ci. Mais il avait bien reçu une lettre. Seulement, cette lettre venait de l'école de Durmstrang.
Sans en référer à quiconque de sa famille, Rook avait effectué le voyage de Roumanie jusqu'en Angleterre, requérant par hibou un rendez-vous avec Albus Dumbledore, Directeur à la Hogwarts School of Witchcraft and Wizardry. Il se rappellerait toute sa vie l'entrevue qu'il avait eue avec le mage.
Après avoir patiemment écouté sa requête, l'homme l'avait dévisagé longuement de ses petits yeux clignotants, par-dessus ses lunettes en demi-lune. Son regard scrutateur, bien que dénué de toute animosité, avait finit par rendre Rook mal à l'aise. Il avait eut la désagréable impression que le vieux magicien lisait directement dans ses pensées.
'Durmstrang s'occupe de l'éducation des jeunes sorciers dans toute la région de l'Europe de l'Est. Pourquoi donc alors préférer l'école de Hogwarts à celle de votre pays d'origine ?' finit par demander Dumbledore.
Rook s'attendait à ce genre de question. Ce fut sans hésitation qu'il prononça la réponse qu'il avait toute préparée.
'L'Angleterre est autant mon pays d'origine que la Roumanie, Monsieur le Directeur, puisque j'y suis né. Et si mon choix s'est porté sur votre établissement, c'est que, pour raisons personnelles, je le trouve plus respectable que celui de Durmstrang…'
Dumbledore avait gardé un instant le silence, avant de reprendre.
'Vraiment… ? Et est-ce les mêmes raisons personnelles qui vous ont fait choisir de vous inscrire ici plutôt sous le nom de… Rook Sharp ?'
Sur le coup, cela l'avait laissé sans voix. Comment ce vieil hibou avait-il pu … ? C'est là qu'il s'était rendu compte que le mage devait connaître l'identité de son père. Son visage s'était durci et il avait répondu, plus sèchement qu'il ne l'eut voulu peut être.
'Je trouve ce nom tout à fait respectable à porter.'
Y avait-il eu comme une ombre attristée passant dans les yeux du Directeur, ou n'avait-ce été qu'un effet de la lumière ? Toujours était-il que Dumbledore avait accepté sa candidature. Rook était – à peu près – sûr maintenant de passer ces sept prochaines années à étudier à Hogwarts.
Son retour au pays ne s'était pas très bien passé, par contre, il se le rappelait amèrement. Sa marraine n'avait rien dit, mais son visage s'était attristé… L'Angleterre lui semblait bien loin. Quant à ses oncles – et même ses tantes, d'habitude beaucoup plus compréhensives –, ils s'avérèrent furieux de son inscription à Hogwarts et Rook avait préféré dès lors passer les semaines suivantes enfermé dans sa chambre, évitant soigneusement d'avoir à croiser le regard de la Grand-Mère, dont les yeux, étincelants comme des braises rougeoyantes, semblaient prêts à le consumer sur place à chaque instant. Tous jugeaient son choix comme des plus infamant, étant tous diplômés de Durmstrang. Mais jamais Rook n'aurait consentit à mettre un pied dans cette école.
*
'Bon, kesk'y t'faut ?' grommela Hagrid, qui semblait avoir, lui, grand besoin d'un remontant, après cette course souterraine.
'J'ai tout, excepté les manuels et une baguette magique,' dit Rook.
'V'là la boutique de Flourish and Blotts. Tu y trouveras tous les livres dont t'as b'soin. Euh, Rook… j'aimerais aller boire un coup au Leaky Cauldron. De quoi… me r'mettre un peu. J'déteste vraiment ces wagonnets… Ça t'ennuie pas d'y aller tout seul ?'
Rook le regarda s'éloigner, puis entra dans la boutique. Le libraire s'en vint immédiatement au devant de lui.
'Étudiant à Hogwarts ? Première année ?'
Rook hocha silencieusement la tête.
'Je connais la liste. Je vais vous chercher tout ça…'
Et il le laissa là, regagnant l'arrière-boutique. Rook patienta, jetant un œil indifférent aux rayonnages. Un autre garçon errait dans la boutique, cheveux blonds, teint pâle et nez en pointe. Il parcourait le magasin, semblant chercher quelqu'un. Mais à part lui et Rook, la librairie était vide. Le garçon allait regagner la sortie, quand il s'aperçut de la présence de Rook.
Le libraire revint, déposant sans un mot The Standard Book of Spells (Grade 1) de Miranda Goshawk, A History of Magic de Bathilda Bagshot et Magical Theory par Adalbert Waffling, et disparut à nouveau parmi les rayonnages.
Le garçon blond, qui avait reconnu les livres, entama la conversation.
'Alors, toi aussi tu rentres à Hogwarts ?'
Rook se contenta de hocher la tête.
'Tu n'as pas vu mon père ? Il devait aller m'acheter mes livres, pendant que j'essayais mes nouvelles robes, et que ma mère s'occupait de me trouver une baguette,' continua l'autre d'une voix traînante.
'Y'avait personne quand je suis entré,' répondit laconiquement Rook.
'Il doit avoir rejoint ma mère…' Le garçon ne semblait pas se rendre compte du manque d'entrain que Rook mettait à la conversation. Ou plutôt, il s'en fichait éperdument, pour peu qu'il puisse continuer à parler de lui-même. 'J'aimerais bien les emmener du côté des balais de course, après. Je trouve idiot que les élèves de première année n'aient pas le droit d'avoir leur propre balai… Je m'arrangerais bien pour en avoir un quand même et le passer en douce à l'école. Tu joues au Quidditch ?'
'Non.'
Rook se demandait ce que pouvait bien fabriquer ce libraire… Était-ce si compliqué de trouver quelques livres ? Ce garçon l'horripilait, avec ses manières de gosse pourri-gâté...
'Moi si,' continuait l'autre. 'Je suis sûr que je serais sélectionné dans l'équipe. Mon père pense que ce serait un scandale, si cela n'était pas. Tu sais dans quelle Maison tu seras ?'
Rook fit signe que non, se demandant de quoi il parlait et retint son souffle en voyant le libraire revenir avec deux autres livres : A Beginners' Guide To Transfiguration de Emeric Switch et One Thousand Magical Herbs and Fungi par Phyllida Spore. Mais l'homme reparti aussi vite.
'Je ramène les derniers…'
'Je suis quasiment sûr d'aller à Slytherin, toute ma famille y a été,' faisait le garçon, qui n'avait pas remarqué que Rook ne prenait même plus la peine de répondre à ses questions. 'Évidemment, cela ne veut rien dire, et on n'en est certain qu'au moment où on est sur place, mais imagine, se retrouver à Hufflepuff ? À coup sûr, je m'en vais immédiatement ! La tête que ferait mon père… Tiens, où sont tes parents ?'
'Ma mère est morte…' fit doucement Rook.
'Ah,' fit simplement l'autre, sans la moindre once de sympathie. 'Et ton père ?'
Rook ne répondit pas de suite. Bien sûr, il devait s'attendre à ce qu'on lui pose des questions sur son père. Mais il n'avait vraiment aucun désir d'en parler. D'ailleurs, chez lui, on n'en parlait jamais.
'Il est mort aussi,' fit-il, pour clore le sujet.
'Mais ils étaient… de notre monde, quand même ?' insista curieusement le garçon.
'Ils étaient sorciers… c'est ça que tu veux savoir ?'
'Je trouve que Hogwarts devraient être exclusivement réservé aux enfants issus de vieilles familles de sorciers. Les enfants de Muggles n'ont pas reçu la même éducation, c'est quand même évident… Ils ne sont pas du même niveau.'
Rook lui jeta un regard perçant. Ce n'était pas la première fois qu'il entendait de tel propos. Durmstrang, justement, était une école qui prônait cette façon de penser : elle n'acceptait aucun enfant de descendance Muggles. Mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, le libraire revint poser les trois derniers ouvrages restants : Magical Drafts and Potions par Arsenius Jigger, Fantastic Beasts and Where to Find Them, par Newt Scamander et The Dark Forces : A Guide to Self-Protection de Quentin Trimble.
'Votre père m'a dit de vous dire qu'il vous attendrait avec votre mère à la terrasse de Florean Fortescue,' fit-il alors au garçon blond, semblant seulement le remarquer.
Celui-ci se décida enfin à s'en aller retrouver ses parents, et Rook régla sa note. Il sortit ensuite, espérant retrouver assez vite Hagrid. Il avait des questions à lui poser.
*
Il n'eut aucun mal à le repérer. Sa haute taille aurait eu du mal à le dissimuler, même au cœur d'une foule hystérique à un concert des Weird Sisters. Il portait deux larges cornets de glace, dont il offrit un à Rook. Surpris, celui-ci le prit en bredouillant des remerciements. Ce gros bonhomme était vraiment très différents des gens qu'il avait côtoyés durant toute son enfance. Pas qu'il n'ait point été aimé, mais chez lui, une certaine pudeur était de mise, qui réprimait toute effusion sentimentale. Hagrid, avec son cœur d'or et ses manières bon enfant, contrastait étonnamment avec la réserve et la froideur de rigueur dans sa famille. Mais l'homme lui était… oui, sympathique. Rook devinait qu'il avait le cœur sur la main, et qu'il donnait ainsi sans compter, et sans rien demander en retour. On se sentait de suite à l'aise, avec Hagrid. Il se décida à le questionner.
'C'est quoi, Slytherin et Hufflepuff ?'
'Ah ! C'est l'nom d'deux Maisons de Hogwarts. L'école à été fondée par quat'grands sorciers, qui ont chacun donné leur nom à une des Maisons. Les élèves sont répartis entr'elles selon leur caractère et leurs capacités. Les Hufflepuff ont la réputation d'êt' des cancres, mais tous les sorciers ayant mal tourné v'naient de Slytherin… Tu-Sais-Qui, par exemple…'
'Voldemort était à Slytherin ?!' s'exclama Rook, avant de remarquer le sursaut qui avait secoué Hagrid. 'Pardon. Je voulais dire… Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom.'
'Oui, c'est ça… il y a longtemps,' répondit le géant, qui continua à le regarder d'un drôle d'œil pendant un temps.
Mais l'arrivée devant une boutique étroite et délabrée portant l'enseigne Ollivanders : Makers of Fine Wands since 382 BC fut une heureuse diversion. La vitrine était vide, à l'exception d'une simple baguette en bois posée sur un coussin un peu râpé. À l'intérieur, une unique chaise trônait au milieu des étagères couvrant les murs et remplies de milliers de boîtes étroites entassées jusqu'au plafond. Une clochette avait retenti à leur entrée et un vieil homme apparut subitement devant eux.
'Ah… vous voilà donc,' fit-il d'une voix douce. 'Je savais bien que vous finiriez par venir un jour…'
Et l'homme pencha son visage aux yeux pâles sur celui de Rook, scrutant la fine cicatrice que celui-ci portait au front. Rook sentit désagréablement ses cheveux se dresser sur sa nuque.
'Alors c'est là que… Je suis désolé, mais je dois bien vous avouer que c'est moi qui ai vendu la baguette qui vous a fait cette cicatrice. Je me rappelle ce jour comme si c'était hier. 33,75 centimètres, bois d'if et plume de phénix. Une baguette puissante… Si j'avais su ce qu'elle allait faire en sortant d'ici…'
Au grand soulagement de Rook, l'homme reporta son attention sur Hagrid.
'Rubeus Hagrid ! Chêne, 40 centimètres… une bonne baguette ! Mais… ils ont dû la briser en deux, quand vous avez été exclu de l'école ?'
'Euh… oui,' rougit Hagrid, alors que Rook lui lançait un regard. 'Mais je n'ai pas jeté les morceaux…'
'Vous ne vous en servez pas au moins ?' demanda Ollivander, le scrutant attentivement.
'Oh non, Monsieur… bien sûr que non !'
Mais Rook nota avec une ombre de sourire que les mains du géant s'étaient soudainement resserrées sur son grand parapluie rose.
Après un dernier regard perçant, Mr Ollivander revint s'occuper de Rook. Pendant que son mètre ruban commençait activement à mesurer la longueur du bras du garçon, celle séparant son poignet du coude, puis d'autres distances comme son tour de tête ou l'écartement de ses narines, Mr Ollivander sélectionna une série de boîte sur les étagères.
'Voilà qui ira.' Et le mètre ruban tomba au sol où il demeura inerte. 'Essayons donc celle-ci, Mr… ?'
'Sharp,' marmonna Rook en saisissant la baguette.
Mais Mr Ollivander la lui reprit presque de suite.
'Chaque baguette de chez Ollivander est fabriquée avec soin et renferme des substances magiques très puissantes, Mr Sharp. Plumes de phénix, poils de queue de licorne ou ventricules de cœur de dragon. Et pas une seule des baguettes de chez Ollivander qui ne soient uniques. Et apparemment celle-ci ne vous convient pas.' Et il lui en tendit une autre.
Rook en essaya ainsi une bonne dizaine, sans qu'aucune ne semble satisfaire à Mr Ollivander. Rook se demandait ce que celui-ci attendait.
'Bien bien bien,' marmonnait le vieillard. 'Un client difficile… Mais nous trouverons… Tiens, peut être que…'
Et retenant son souffle, il lui en présenta une nouvelle.
Rook la saisit délicatement. De suite, il sentit une différence. Une étrange chaleur lui coula entre les doigts, et il y eut comme une musique dans sa tête. Il fit un geste et de l'extrémité de la baguette surgit alors une pluie d'étoiles écarlate et or. Hagrid lâcha une exclamation de joie et applaudit.
'Parfait !! Très bien… Mais voilà qui est étrange… tout à fait étrange,' murmura Mr Ollivander, qui dévisagea Rook avec insistance.
Il reprit la baguette et la remit dans sa boîte, qu'il emballa dans du papier kraft.
'Qu'est-ce qui est étrange ?' lui demanda Rook de façon à ce que Hagrid n'entende pas.
'Cette baguette…' fit doucement Mr Ollivander. '29,15 centimètres, en bois d'ébène et plume de phénix… contient une plume du même oiseau que celle contenue dans la baguette qui… qui vous a fait cette cicatrice au front. Et c'est cela qui est étrange. Car après tout, c'est la baguette qui choisit son sorcier. Je crois que vous êtes destiné à faire de grandes choses, Mr Sharp… Après tout, ce fut le cas de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, n'est-ce pas ? Des choses terribles, certes… mais de si grandes choses…'
Rook retint un frissonnement et ne dit mot. Il n'aimait pas trop le regard que posa sur lui Mr Ollivander quand il paya les sept Galleons pour sa baguette et il sortit sans s'attarder, suivit de Hagrid.
*
Quand tous deux regagnèrent le Leaky Cauldron, le soir tombait et la salle était déserte. Rook avait gardé le silence tout au long du chemin, ressassant dans son esprit les différents incidents de la journée. Il ne se rendit vraiment compte qu'ils étaient arrivés que quand Hagrid lui tendit un billet.
'C'est pour ton train. 1er septembre, gare de King's Cross. Départ à 11 heures. Tout est sur l' billet… Et… euh… j'voulais t'offrir un p'tit kek'chose pour ton anniversaire… un peu en r'tard mais…'
Et à la stupéfaction de Rook, il lui tendit un petit paquet enrobé de papier coloré.
Les mains un peu tremblantes, Rook se saisit du présent. Il n'avait rien reçu de sa famille cette année. Apparemment la brouille qui s'était installée entre eux était tenace. Rook les savaient rancuniers, mais il n'aurait pas cru que leur ressentiment aille jusqu'à ce point. Ce cadeau de la part de cet homme, presque encore un inconnu, lui faisait ressentir plus encore sa solitude. Il ne sut que dire. Heureusement, Hagrid prit son mutisme pour de l'émotion.
'C'est rien qu'un paquet de Chocolate Frogs… Chais pas si vous avez ça, là-bas en Roumanie…'
Rook, qui gardait le visage baissé, fit non de la tête. Hagrid sourit, puis lui tapota doucement l'épaule.
'Bon,' fit-il en s'éclaircissant la voix. 'J'vais y'aller. À bientôt, Rook. On s'reverra à Hogwarts, hein ?'
Et il prit la direction de la porte, côté Muggles. Au dernier instant, Rook redressa la tête.
'Hagrid ?'
Le géant tourna son visage vers lui.
'C'est quoi ce… Vous-Savez-Quoi, que vous avez pris dans le coffre 713 ?'
Hagrid, pris au dépourvu, sembla un peu ennuyé de la question.
'Ça, je peux pas t'le dire, désolé, mon garçon. Ça concerne Hogwarts. Une mission qu'm'a confiée Dumbledore… Mais j'ai pas l'droit d'en parler… Grand homme, ce Dumbledore. Quand… Quand j'ai été renvoyé, il m'a proposé d'rester en tant que garde-chasse. Toujours prêt à donner une seconde chance aux gens. Y m'fait confiance…'
'Je comprends…' fit Rook. '… Merci pour le cadeau. À bientôt…'
Hagrid lui fit un signe amical de la main, puis sortit. Après que la porte ce fut refermée sur celui-ci, Rook haussa les épaules.
'Au moins j'aurais essayé…' murmura-t-il, plus pour lui-même.
Il prit les escaliers et regagna lentement sa chambre, perdu dans ses pensées.