Chapitre 2 : retour à la Citadelle
En arrivant en vue de la Citadelle, je demandai à Shari si elle pouvait sentir la présence d'autres lirs. Curieusement, elle me répondit que non. Inquiètes, nous pressâmes le pas et après avoir passé le dernier virage qui me bouchait la vue de la Citadelle. Je me figeai tout d'un coup, sous le choc : la Citadelle, détruite ! Je me mis à courir.
Un grand incendie avait tout ravagé mais il n'était visiblement pas naturel c'était l'œuvre des Ihlinis ils l'avaient attaquée, massacré tous ses habitants puis mis le feu à tout ce qui leur tombait sous la main. Aucun pavillon n'était intact, les cendres étaient omniprésentes. Mais ce qui m'interpella le plus, c'était le silence au lieu de l'agitation habituelle de ces lieux et l'absence de toute âme qui vive. D'autres Citadelles avaient déjà été attaquées auparavant, mais les survivants étaient toujours restés pour faire renaître des ruines ce qui avait été détruit.
Je me dirigeai vers ce qui restait de mon foyer. Je connaissais son emplacement par cœur même si tous mes repères étaient bouleversés. Il n'en restait quasiment plus rien. Je trouvai dans les décombres le couteau de mon père : un poignard cheysuli à la garde ornée d'une tête de loup, à l'image du lir de mon défunt père. Après l'avoir serré sur mon cœur, je le glissai dans la botte gauche pour l'avoir à ma disposition au cas où il faudrait que je me défende, on ne sait jamais.
Mon père, ma mère, mes parents, connaissances et amis… que sont-ils devenus ? Sont-ils donc tous morts ? Ont-ils été surpris en pleine nuit ? Oui, sûrement, c'est bien le genre des Ihlinis d'attaquer comme ça, par surprise. Mais les lirs ne les ont-ils pas sentis venir ? Il faut que j'arrête de me poser des questions. Ils sont morts et vivent leur seconde vie dans le royaume des Dieux. Je ne devrais pas pleurer un bon Cheysuli ne pleure pas, il ne montre jamais ce qu'il ressent : ces sentiments peuvent toujours être utilisés contre lui par ses ennemis…
Mais j'étais anéantie, et de toute façon, Shari m'avait assuré qu'il n'y avait pas âme qui vive dans les environs. Qu'allais-je devenir ? J'enfouis mon visage dans la fourrure de Shari qui essaya de me réconforter de la perte de ma famille et de ceux que j'avais toujours connus. Le Shar Tahl avait encore tant à m'apprendre… où se trouvaient les autres Citadelles ? Les survivants s'y étaient-ils rendus ? Pourtant, personne n'avait laissé le moindre indice pouvant laisser soupçonner qu'il y avait eu des survivants, les Ihlinis avaient-ils réussi à les exterminer tous ?
« Liren, me dit Shari, ne restons pas ici, cela ne peut rien nous apporter, et je n'aime pas du tout l'odeur de mort qui règne ici. De plus, il se fait tard, nous devrions trouver un endroit pour dormir, tu as besoin de te reposer : le voyage a été fatigant et tu viens de subir un grand choc. » Elle avait raison bien sûr, comme toujours. Lentement, je me suis dirigée au-delà du mur d'enceinte de la Citadelle, vers une petite clairière à la bordure de laquelle se trouvait un arbre creux dans lequel je m'étais fréquemment cachée lors de mes jeux avec les autres enfants. Oh Dieux, pourquoi ? Pourquoi le Tahlmorra est-il aussi cruel ? Je finis par m'endormir, pelotonnée contre Shari, d'un sommeil agité où défilèrent les visages bien-aimés de tous ceux de mon clan.
Je me réveillai à l'aube. Après avoir médité sur tout ce qui était advenu ces derniers jours, je me résignai à accepter les évènements tels qu'ils s'étaient passés. Me torturer ainsi ne servirait à rien, ils étaient partis, il fallait bien que je l'accepte. Je sortis de mon tronc, regarda en direction de la citadelle en ruine où j'avais passé toute ma vie et dit : « Tahlmorra lujhalla mei wincan », le sort d'un Homme est entre les mains des Dieux.
Je regardai mes bras : je ne porterai jamais l'or-lir, qui est mon dû pour avoir noué le lien-lir. Je touchai ma peau au-dessus de mes coudes, là où auraient du se trouver les bracelets d'or gravés à l'effigie de mon lir, que l'on m'aurait remis à la Cérémonie des Honneurs à mon retour au clan. Je n'aurais jamais non plus la boucle d'oreille, toujours à l'effigie de mon lir, que l'on aurait passé, lors de cette cérémonie, à mon oreille fraîchement percée pour cette occasion. Je soupirai. « Shansu liren, me dit Shari, tu as beaucoup perdu et souffert, mais moi je suis encore là, nous sommes ensemble… ». Shari, mon lir… que serais-je sans elle ? Rien… Oh, Dieux, ne me prenez pas mon lir comme vous m'avez pris les miens…
Je partis faire mes adieux à ce qui fut mon chez-moi depuis toujours. Je fis un dernier tour de la citadelle et m'arrêtai devant les vestiges de mon foyer pour me recueillir une dernière fois. Un coup de vent dégagea un bout de tissus des centres. Je me penchai et le ramassai. C'était un morceau de la tente familiale, épargné par le feu, sur lequel était peint la représentation du lir de mon père : un loup et qui indiquait à tous que cette tente était la notre. Mes yeux s'embuèrent mais je ravalai mes larmes. Je pris dans mon sac mon nécessaire de couture qui, hier encore, était celui de ma Jehana, et j'entrepris de coudre le morceau de tissus sur mon sac, après l'avoir recoupé.
Ce sac et tout ce qu'il contenait était tout ce qui me restait de mon passé, de mon enfance insouciante. A mon départ définitif de la Citadelle, je ne possédais rien d'autre que mon lir, mon arc et des flèches, ainsi que ce sac en cuir, contenant, entre autre, des vivres pour quelques jours.
