C'est en regardant dans ses propres yeux que tout lui revint.
Dans cette fenêtre sombre, dans ce bus trop calme, dans les pleurs du bébé qui hurlait à quelques mètres d'elle.
Ses yeux clairs mais ses cheveux sombres, longs, soyeux, ondulés, un héritage que sa sœur avait aussi gagné de leurs parents.
Prochain arrêt...
Une sœur à laquelle elle ne parlait pas. Plus. Son choix.
Et pourtant parfois elle se sentait manquer de ce bonheur-là, de cette étincelle qu'elle ne retrouvait plus dans les jours tristes de sa vie.
Alors que sa tête tournait légèrement.
Une bière…
Deux bières…
Trois bières…
Quand avait-elle arrêté de compter ?
Et sa famille qui la prenait pour morte...non, pas quand sa famille l'attendait calmement dans la maison toute de pastel vêtue, où sa moitié et leur fille avaient sûrement passé une soirée calme et détendue. Chaude. Chaleureuse.
Elle noyant sa douleur et sa peine, sa peine si coupable alors qu'elle vivait tout de même son rêve, son choix, son amour.
Mais tout ce qu'elle a dû abandonner…
Les cris s'éloignèrent à mesure que la poussette sortait de ce bus trop calme, trop posé malgré les virages sourds et les visages verts des moins habitués à ce genre de traitement.
Prochain arrêt...
Elle étouffa un rictus.
Ah les pauvres…
Mais la voilà aujourd'hui plus de cette étincelle sur la pulpe de ses doigts, plus de cette chaleur qui pourtant disait tout.
Avait-elle eu raison ?
Avait-elle eu tort... ?
Mais comment refuser à l'amour son droit de nous enflammer, ou du moins, de l'enflammer elle, reniant tous ses principes et toutes ces règles, reniant tous les slogans et tous les proverbes.
Toujours purs.
Moldue.
Prochain arrêt...
Et la larme qui tomba de son œil se perdit dans les mailles de la lourde écharpe autour de son cou. Une seule larme orpheline qui recelait le pouvoir de ses sentiments et sa peine la plus immense. Y avait-il une larme semblable sur la joue pâle de sa petite sœur, ou une lancinante douleur dans l'âme de sa sœur aînée, si semblable au reflet qu'elle scrutait toujours par la fenêtre, assombrie par la nuit. Une peine aussi immense que la sienne, une angoisse aussi sourde que dans son cœur…
Avait-elle eu raison… de suivre ses sentiments ? Avait-elle eu tort…alors que la magie semblait déserter ses mains, alors que la force mère ne répondait plus à son appel… Là où elle, ses mains se callaient doucement par le travail qu'elle faisait tous les jours, dans le plus simple appareil moldu – ah, qu'elles sont loin les douces mains d'aristocrates – chez sa fille la magie était brute et intense, comme un bouillon de beauté qui ne sait même plus comment s'exprimer et qui explose, jailli de tous côtés.
Le bus s'arrête, et d'un geste saccadé elle s'agrippe à une barre et se lève de son siège. Elle mit un pied devant l'autre, manqua de trébucher, posa un deuxième pas, se tint à une barre, sorti du bus dans un dernier saut vers l'air glacial de l'hiver et remercia la chauffeuse rapidement.
Elle soupira fort quand il redémarra en la laissant sur le trottoir. Elle sentit l'air chaud emplir sa bouche et son nez d'arômes d'alcool et devenir une buée blanche, irisée dans la lumière des lampadaires électriques qui orangeaient la route jusqu'à sa petite maison de banlieue. Un coup d'œil rapide lui rappela que la lumière des étoiles d'Orion guidait encore ses pas, et parmi elles, sa grande sœur, alors que la constellation d'Andromède se dérobait, une fois encore, à son regard. C'est encore abîmée qu'elle traversa la route et franchit les derniers mètres qui la séparaient de sa famille, sa vraie famille. Elle mit son masque sur son visage et s'empreignit d'un doux sourire pour l'étoile de ses jours et l'amour de sa vie, la tristesse enfouie et l'écharpe encore, quelque part, humide.
Larme orpheline jamais ne dure autant que peine qui lancine.
Larme magie, mais larme douleur, aussi pure qu'assassine.
