Ecrit pour le mème Halloween pour Kandai sur le thème "hante moi, alors !"
"Je vous assure," dit Pepa, "il y a ce garçon dont la famille vient du Mexique, et il m'a promis que c'était ce soir que les morts revenaient."
Le tonnerre gronda au loin. Mais ce n'était pas une marque de colère ou d'anxiété. Juste le pouvoir de Pepa qui voulait marquer un moment solennel.
"Et tu penses qu'on pourrait trouver le fantôme de papa ?" demanda Bruno, les yeux brillants.
"Et le ramener à maman, pour qu'elle soit moins triste," conclut Julieta.
Les enfants, en cercle, se jaugèrent du regard, établirent une tacite promesse. Ils prirent chacun une chandelle, et avancèrent dans les couloirs de Casita.
"Est-ce que tu l'as vu ?" demanda Bruno aux couloirs. Est-ce qu'il nous cherche ? Est-ce qu'on est en train de le rater en même temps qu'il nous rate ?"
Pepa lui donna un coup de coude "Je te préviens, si tu en fais une prophétie, je t'arrache les cheveux."
Les enfants descendirent peu à peu l'escalier. Julieta se pencha vers la rampe.
"Casita, si tu ne l'as pas vu dans la maison, est-ce que tu peux nous ouvrir la porte pour qu'on aille le chercher dehors ?"
La porte s'ouvrit dans un grincement. C'était peut-être sa façon de leur souhaiter bonne chance, ou de faire un bruit qui attirerait les fantômes. En tout cas, ils avaient assez confiance en elle pour savoir qu'ils ne le trouveraient pas en parcourant les couloirs de leur maison. La nuit était fraîche, et la lune bien visible. Heureusement, ils avaient emporté leur châles, et ils se dirigèrent vers la rivière. Leur mère leur avait raconté, en phrases hachées par les larmes, la mort de leur père. Pour qu'ils se souviennent. Pour qu'ils le respectent.
Il ne leur manquait pas, ils ne l'avaient jamais connu. Le trou au fond d'eux était plus profond, plus invisible. Ils auraient préféré pleurer son absence. Mais s'ils l'avaient connu, peut-être auraient-ils pensé le contraire.
Le chemin était long jusqu'à la rivière. A leur arrivée, ils avaient fini de chanter toutes les chansons qu'ils connaissaient, plusieurs fois.
L'eau semblait très sombre, même si c'était à cause de la nuit, et très froide, même s'ils n'avaient pas l'intention d'y plonger les pieds.
"Papa !" cria Pepa la première. "Est-ce que tu es là ?"
"Est-ce que tu n'as pas trop froid ?" demande Bruno.
"Si tu nous entends, viens avec nous. Nous sommes tes enfants," précisa Julieta, au cas où il ne les reconnaitraît pas. Ils étaient des bébés quand il était mort. C'était leur père, il devrait les reconnaître, n'est-ce pas ?
Il devrait venir maintenant.
"Je pense qu'on peut lui parler encore," dit Bruno. "Il n'a peut-être pas entendu."
Ils entreprirent de raconter leur vie quotidienne, les repas de leur mère et les habitudes de Casita, la façon dont les villageois respectaient leurs pouvoirs et leurs jouets préférés. Ils firent bien attention de ne pas se disputer, même quand certains d'entre eux racontaient des histoires qui laissaient deviner ce qui était arrivé à la dernière orange. Ou autre chose.
Mais peu à peu, le flot des histoires se tarit, alors qu'ils devenaient de moins en moins certains que quelqu'un écoutait. Ou peut-être qu'ils voulaient lui donner une chance de parler à son tour, de se manifester. Ils cherchèrent le moindre signe, un brouillard sur l'eau, une lumière vacillante, une voix au loin.
Ils ne trouvèrent rien.
Le froid se faisait plus intense. Les enfants se serrèrent les uns contre les autres.
"On rentre ?" demanda Bruno.
"Peut-être qu'il nous suivra." répondit Julieta. Peut-être que maman pourra le voir, pensa-t-elle, mais elle ne le dit pas, elle n'osait pas trop espérer.
Alors qu'ils suivaient, maussades, le chemin du retour, une pluie fine et glaçante commença à tomber.
Bruno et Julieta se serrèrent contre Pepa pour se réchauffer, mais n'essayèrent pas de la convaincre d'arrêter.
