« Alors le grand jour est enfin arrivé »

Lily soupire en collant son front contre la vitre froide de sa fenêtre. Elle y était préparée. Elle savait que tôt ou tard, tout se terminerait. Mais secrètement, elle avait espéré que ça dure un peu plus longtemps. Elle observe son reflet et esquisse un sourire. Ce corps n'est pas le sien, elle n'a fait qu'usurper l'identité d'une autre pendant tout ce temps. Pour autant, elle a chéri chaque instant passé dans cette enveloppe.

Lily Evans avait perdu tout envie de vivre, deux ans auparavant. Prise de remords d'avoir abandonné son seul véritable amour pour se marier à un homme pour qui elle n'éprouvait qu'à peine un semblant d'affection, elle avait commencé peu à peu à sombrer dans le désespoir. Leurs routes s'étaient croisées et elle lui avait proposé un marché : en échange du corps de la jeune femme, elle lui donnait la possibilité de veiller à jamais sur son amour regretté. Lily Evans avait accepté et ainsi, elle était devenue « Lily ». Elle aurait pu prendre n'importe quel corps d'humaine, mais celui de Lily avait une source de magie incroyable. Parfait pour engendrer l'héritier qu'elle désirait.

Mais aujourd'hui signe la fin de tout.

Des pleurs s'élèvent dans la maison et ni une, ni deux, Lily est sur ses jambes. Elle se précipite dans la chambre à coucher de son fils et n'est qu'à moitié étonnée d'y trouver déjà son mari, leur enfant dans ses bras. James Potter.

Si on lui avait offert la capacité de tomber amoureuse, alors elle serait certainement tombée pour lui.

Ce n'est pas le plus parfait des humains, mais à ses côtés, il avait gagné une maturité et une tendresse qu'elle avait particulièrement affectionné au cours de ces deux ans. Elle a connu le bonheur avec lui et leur fils et l'un de ses plus profonds regrets est de le quitter et de laisser la destinée faire son travail. Elle pourrait la modifier, faire en sorte que ce soir ne soit pas le dernier pour James Potter, mais ça romprait la neutralité à laquelle elle est soumise. Alors à la place, elle se contente de l'embrasser avec toute l'affection qu'elle ressent pour l'humain et s'empare de son enfant.

Un autre de ses plus grands regrets est qu'elle ne sera plus capable de tenir cet être qu'elle aime tant dans ses bras. Bientôt, elle redeviendra la créature immatérielle qu'elle a toujours été et toucher cet enfant, son fils, lui sera impossible. Quelle tristesse.

« Et si maman te contait une histoire, Harry, qu'en dis-tu ? »

La voix de sa mère a toujours eu le don d'apaiser le bambin, si bien qu'au bout de quelques secondes, les pleurs se tarissent. Elle le berce un instant, son regard glissant avec tendresse sur les joues rebondies de son fils puis sur son regard qu'ils partagent en commun, avant de débuter son histoire.

« Il était une fois, un être que tous détestaient. Une créature si effrayante que son simple nom pouvait faire naître la peur même chez le plus valeureux des hommes. Une entité appelée la Mort »

« Des contes plus joyeux, j'en connais un tas Lily si jamais tu es en manques d'inspiration », s'amuse James, un peu surpris par le récit. Mais il se tait bien vite sous le regard noir de sa femme.

« La Mort ne connaissait que le chagrin et la haine, haine que lui vouait toutes les créatures qu'elle rencontrait. Seulement, elle souffrait de ce rejet, elle qui n'avait toujours voulu qu'une chose : être appréciée. Alors, un jour, elle a tenté de changer l'opinion des Hommes à son égard. Alors qu'elle marchait dans le monde mortel, elle rencontra trois frères destinés à périr. Désireuse qu'on la considère comme une entité clémente, elle rallongea leur vie en leur offrant trois présents. Malheureusement, la mauvaise utilisation des présents par les deux premiers frères les conduirent rapidement à la Mort et tous pensèrent qu'elle avait offert ces présents à ce dessein. Mais le troisième frère, lui, compris comment bien se servir du cadeau offert par la Mort et pour la première fois, la Mort ne fut pas crainte mais accueillie comme une amie. Seulement, ce n'était pas assez pour la Mort. Elle désirait autre chose. Alors un jour, elle rencontra le Destin, son plus fidèle compagnon, et lui fit part d'un secret »

Lily baisse d'un ton, chuchotant au creux de l'oreille de son fils.

« « Je veux donner la vie », avait murmuré la Mort sous le regard courroucé de son ami. Le Destin lui avait justement fait remarquer que c'était impossible, que seule la Vie en était capable. Mais la Mort reformula son vœu. « Je veux un enfant, quelqu'un qui m'aimera et que je pourrais aimer inconditionnellement ». Le seul moyen pour la Mort d'avoir un enfant était qu'un être vivant, un humain, accepte qu'elle s'empare de son corps. Ainsi, lorsque le corps mortel porterait l'enfant, la Mort confierait à ce dernier une part de son âme et tous deux seraient liés. Mais le risque était grand, surtout pour l'enfant. Il était destiné à une vie bien solitaire, car l'enfant de la Mort aurait nécessairement une part de ses pouvoirs et tous craigneraient les capacités d'un tel être. C'est pourquoi, le Destin et quelques autres entités sans corps prirent une décision : eux aussi donneraient naissance pour que l'enfant de la Mort ne connaisse pas la solitude et le rejet. Le devoir de leurs enfants serait de veiller sur lui et de lui offrir la chaleur et l'amour que la Mort n'a jamais reçu »

« En voilà une étrange histoire. Je ne l'ai jamais entendu. On dirait que ta fin n'en n'est même pas une »

Parce que l'histoire n'est pas encore finie, pense Lily avec un vague sourire. Le conte est bien plus complexe qu'il n'en a l'air et surtout, elle a volontairement fait fi d'une multitude de détails. Mais elle aime toujours autant le narrer. Ton devoir sera de veiller sur cet enfant, mon Harry. Aimes-le et chéris-le autant que lui t'aimeras et te chériras. Vos destins sont liés.

Elle se fige en entendant des pas au rez-de-chaussée. C'est l'heure. D'abord, James mourrait. Ensuite ce serait son corps, en protégeant Harry. Et enfin... Seuls les choix de son fils forgeraient son destin.