L'appartement était plongé dans le noir complet. Seule la lumière du téléviseur éclairait le salon et le visage de Rey, qui était recroquevillée sur elle-même, en position fœtus, sur le sofa. Elle avait depuis longtemps abandonné son bol de maïs soufflé : elle était beaucoup trop occupée à se cacher la tête, à intervalle régulier, sous une couverture lorsque les moments du film devenaient trop anxiogènes et trop effrayants.
La jeune femme poussa, d'ailleurs, un énième gémissement de peur et se cacha les yeux derrière ses mains. Elle devait être masochiste, car elle releva la tête pour regarder la scène du meurtre du père de famille, et se ferma aussitôt les yeux.
Naïvement, Rey avait décidé de regarder un film d'horreur parce que…
Eh bien, c'était Halloween.
Elle avait voulu rester dans l'ambiance de la fête après avoir fait la ronde des bonbons avec Rose et ses enfants, Arthur et Béa - tous les deux déguisés en personnage de Paw's Patrol, ridiculement mignons. Les deux amies s'étaient elle-même déguisées, surtout pour faire plaisir aux gamins : Rose avait opté pour le costume de Mavis, la fille de Dracula dans Hôtel Transylvanie, et Rey s'était dégoté un déguisement de Lady Bug. Quand la jeune femme était revenue chez elle, elle avait trouvé son appartement désert. Elle avait grimacé en se disant qu'elle serait seule toute la soirée et, fort probablement, toute la nuit. Déprimée à souhait par cette idée, elle s'était effondrée sur son sofa et elle avait mis un film d'horreur, choisi aléatoirement. Parce que… Pourquoi pas? Halloween, c'était aussi de se faire une bonne frousse, non?
Eh bien, l'année prochaine, si elle avait une idée débile comme celle-ci, de regarder un film pour se mettre dans l'ambiance, elle saurait : aussi bien mettre Hocus Pocus, la Mariée Cadavérique ou Chair de Poule.
Ça ferait amplement l'affaire. Parce que, là, présentement, elle était terrorisée.
Inutile, donc, de spécifier qu'elle sursauta, envoyant valser le maïs soufflé par terre, et pensa avoir une crise cardiaque, lorsque la porte de l'entrée s'ouvrit brusquement (au même moment où la mère se faisait attaquer par un fantôme, à l'écran). La jeune femme, morte de peur et croyant que l'un des monstres de son film venait de débarquer chez elle pour la faire mourir dans d'atroces souffrances, se cacha sous la couverture – comme si du tissu allait la protéger de quoi que ce soit.
Si c'était réellement un monstre, elle n'était vraiment pas équipée pour le combattre. Elle avait utilisé l'eau bénie que sa grand-mère lui avait donnée, à Pâques, dans son diffuseur d'huiles essentielles. Ben avait utilisé la dernière gousse d'ail, hier, pour cuisiner une soupe Bangkok. Elle n'avait pas de pieu à portée de main et ça prendrait un temps fastidieux de détruire le meuble qui supportait la télévision pour s'en tailler un. Et… Qu'est-ce que les créatures maléfiques n'aimaient pas déjà? Peut-être qu'elle pourrait avoir le temps de se ruer vers la salle de bains afin d'attraper sa pince à épiler et… Elle ne savait pas. Il devait bien y avoir raison pour qu'un tel objet soit proscrit en prison.
Étrange, cependant, le monstre prenait le temps d'enlever ses souliers et de les envoyer valser un peu plus loin ainsi que d'accrocher ses clés à l'un des crochets fixés dans le mur adjacent à la porte.
« …Rey? »
La tête de Rey émergea timidement de son bouclier de fortune, en reconnaissant la voix de son colocataire, au même moment où il entra dans le salon. Sourcils froncés, l'air un peu perdu, il la regarda en ayant l'air de ne pas comprendre ce qu'il voyait. Il baissa le volume de la télévision et s'approcha d'elle afin d'attraper la télécommande et mettre le film sur pause.
« Qu'est-ce que tu fabriques? » questionna-t-il.
Elle le fixa, effarée, les yeux écarquillés, une main sur son cœur qui pulsait frénétiquement et le corps rempli d'adrénaline. Puis, impulsivement, elle lui lança l'un des coussins décoratifs qui traînaient sur le divan, à côté d'elle, à la tête.
« Ne me refais plus jamais ça! »
Il rattrapa la munition qu'elle venait de lui envoyer juste avant que son nez soit percuté (enfin, ce n'est pas comme si ça l'aurait fait énormément souffrir, mais bon, il l'avait quand même attrapé avant qu'il rebondisse et tombe sur l'une des lampes ou des chandelles que Rey avait posées dans le salon pour décorer et rendre leur appartement plus chaleureux).
« Faire quoi? Qu'est-ce que j'ai fait? » demanda-t-il, nageant dans une totale incompréhension.
« Entrer comme ça! » Elle fit un mouvement du bras vers la porte. « Je croyais que tu étais un psychopathe venu me tuer pour vendre mes organes sur le marché noir! Ou, pire, un fantôme! »
Le jeune homme cligna des paupières, tentant de déchiffrer la situation.
« …Et, tu aurais préféré que j'entre comment, exactement? »
« Je ne sais pas! …Tu aurais pu m'envoyer un message! J'étais certaine que tu dormais chez Kaydel… »
Il roula des yeux et lui renvoya, plus délicatement qu'elle, le coussin.
« Ok, je vais essayer de me rappeler à l'avenir de t'informer en tout temps de mes déplacements afin que tu ne me confondes pas avec une créature imaginaire. » dit-il, cachant à peine son ironie. « D'ailleurs, est-ce que tu penses que te réfugier sous une couverture va te sauver du marché noir ou d'un spectre? »
« Eh bien… S'ils ne me voient pas, comment pourraient-ils me vider de mon sang? »
C'était de son avis un raisonnement tout à fait logique. Lui, ne semblait pas du même avis, car il arqua un sourcil, toujours debout et immobile, au centre de la pièce.
Ben décida de ne pas commenter et fit un mouvement en direction de la cuisine pour se trouver quelque chose de comestible à se mettre sous la dent. Cependant, il fut rapidement arrêté par un petit couinement provenant de la jeune femme.
« Où est-ce que tu vas? » demanda-t-elle, d'une voix aiguë.
« Dans la cuisine. » lui dit-il, comme si c'était l'évidence même. Devant son regard interrogateur, il ajouta, caustique : « Tu sais, la pièce qui est située à côté du salon et dans laquelle on range la nourriture? »
« Ah. D'accord. » Elle fit une petite grimace. « Est-ce que tu veux finir de regarder le film avec moi? »
Elle papillonna exagérément des cils pour finir de le convaincre.
« S'il te plaît… »
« Je te connais, tu vas passer ton temps à m'utiliser pour te cacher les yeux et à me demander si la personne qui est en train de mourir est vraiment morte pour que tu puisses sortir de ta cachette. Puis, quand je vais décider d'aller dormir, tu vas m'en empêcher parce que tu auras trop peur que je te laisse toute seule et tu vas me dire. » Il ne s'arrêta que pour poursuivre en imitant la voix de la jeune femme. « Oh pourquoi est-ce qu'on ne fait pas une nuit blanche? Ce serait si drôle. »
Rey plissa des yeux.
« Tu m'imites très mal. » lâcha-t-elle. « On pourrait finir le film… Je veux savoir s'ils vont réussir à guérir le garçon. Après, on regardera la Famille Addams, si tu veux. »
« Tu vois : je ne suis vraiment pas prêt d'être couché. »
« Tu es le meilleur colocataire et le meilleur ami que cette Terre ait porté. »
Ben préféra ne rien ajouter, y voyant une cause perdue d'avance.
« Est-ce que tu veux que je te ramène quelque chose à manger? » abdiqua-t-il.
« Non, ça va. »
« Alors, tu ne vas pas te servir dans mon assiette? Ou, encore, me demander d'aller te faire un bol de céréales trente secondes après que je me sois assis sur le sofa? »
« Je ne peux absolument rien te promettre. »
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Ben revint de la cuisine avec un bol débordant de Coco Pops. Entre temps, Rey avait ramassé le maïs soufflé qui avait été renversé par terre et faisait défiler des Story sur Instagram. Il déposa les céréales sur la table basse du salon, déplaça les jambes de la jeune femme (aperçut les collants rouges avec un motif de coccinelle, arqua un sourcil intrigué, mais ne releva pas) afin de se faire une place.
Naturellement, aussitôt qu'il fut assis, tel le parasite adorable qu'elle pouvait être, la jeune femme se rapprocha de lui afin d'inspecter le contenu du bol.
« Merci, seigneur, tu n'as pas pris ces céréales infectes qui collent au palais… »
Et, comme il l'avait prédit, elle attrapa l'unique cuillère plongée dans les céréales et le lait afin d'en prendre une bouchée.
« Ces céréales infectes, comme tu dis, sont remplies de fibres et bonnes pour la santé. »
Ben faisait partie de ces personnes pour qui le sport ainsi qu'une alimentation saine et équilibrée étaient, pratiquement, comme une religion. Rey et lui n'auraient pas pu être plus diamétralement opposés sur ce sujet. Il ne cessait de râler sur la quantité effroyable de sucre – ainsi que de caféine – qu'elle pouvait ingurgiter dans une journée. Elle ne cessait de maugréer sur ses tentatives de lui faire avaler des légumes. À un moment, au début de leur colocation, il l'avait même talonné pour qu'elle vienne s'entraîner avec lui. Elle avait fini par accepter, un peu à contrecœur, et ça avait été la première et la dernière fois. Tout d'abord, parce qu'elle détestait cela et qu'essentiellement elle n'avait fait que le déranger. Ensuite, parce que regarder Ben Solo faire de la musculation était extrêmement dangereux pour sa santé mentale ainsi que le maintien d'une relation platonique entre eux.
« Est-ce que tu… » commença la jeune femme en fronçant les sourcils, en observant le lait et les miettes brunes et grises qui créaient des constellations, aux côtés des petites boules chocolatées, qui flottaient sur le lait. « Qu'est-ce que tu as ajouté? »
Il haussa des épaules avec un air innocent.
« Des graines de lin et de chia moulues. »
« Pourquoi? »
« Parce que c'est plein de vitamines, d'Oméga-3 et de minéraux. » expliqua-t-il, patiemment. « Et, c'est bon pour la santé et tu en as besoin. Si tu mangeais autre chose, aussi, que ces pizza surgelées… »
« Je suis certaine qu'il y a pleins de vitamines dans mes pizzas. » commenta la jeune femme. « Après tout, il y a des poivrons et des champignons, dessus. Ce sont des légumes. Tu vois, je fais attention à ma santé. »
Il lui jeta un coup d'œil sceptique. Rey chercha, tout de même, à piquer une céréale. Immédiatement, il fit un mouvement de cuillère pour repousser gentiment ses doigts, ce qui la fit rigoler. Elle s'empara du couvert pour prendre une deuxième bouchée.
« Content? Je les aie avalées tes foutues graines. » Rey s'arrêta et se mit à rire. « Wow. Il ne faut vraiment pas sortir cette phrase de son contexte, ça sonne vraiment tordu. »
Il rigola et lui tendit la cuillère.
« Est-ce que tu veux une autre bouchée de mes graines? » demanda-t-il, tentant d'avoir l'air le plus sérieux possible, en se mordant les joues pour ne pas rire – et échoua.
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Ils remirent le film et, vraiment, tout se passa sans aucune surprise. Rapidement, Rey vint se blottir contre lui. Puis, lorsque les scènes devenaient effrayantes ou stressantes, elle enfouissait sa tête dans la chemise. À un moment, elle ne fit plus l'effort de se redresser pour mettre de la distance entre eux, quand les moments calmes du film arrivaient : elle laissa tout simplement sa tête reposer sur sa poitrine.
Et, vraiment, Ben n'en fut absolument pas dérangé.
Enfin, si. Il regarda à peine le film, toute son attention était accaparée par la jeune femme.
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« Alors, Kaydel? » demanda-t-elle, un peu plus tard, quand le film fut terminé et qu'ils reprirent une saine distance.
« Quoi, Kaydel? » réagit-il, automatiquement, se tendant.
« Ola. Tout doux. Je viens en paix. »
Il poussa un long soupir et ferma les yeux.
« Ça s'est si mal passé? » tâta-t-elle.
Il fit une grimace.
« Disons qu'on a décidé d'en rester là. » éluda-t-il.
Ben se voyait très mal lui dire que c'était à cause d'elle. Comment il pourrait lui dire que cet énième embryon de relation s'était terminé abruptement parce que, apparemment, il était trop proche de sa colocataire? Il connaissait Rey : elle se culpabiliserait et lui dirait qu'elle pourrait déménager, dès demain matin, pour qu'il vive heureux et aie plusieurs enfants. Et, petit un, il ne voulait pas qu'elle déménage. Et, petit deux, ce serait complètement idiot, parce que leur relation était purement platonique.
Certes, ils passaient beaucoup de temps ensemble (mais, ils vivaient ensemble, comment ils ne pourraient pas passer beaucoup de temps ensemble?). D'accord, il comparait souvent (99,9%) les femmes qu'il rencontrait à Rey… Et aucune n'en était, jusqu'ici, sortie gagnante (mais ça, ça ne voulait que dire qu'il avait trouvé une colocataire et amie formidable, non?). Oui, il n'aimait pas qu'elle fréquente d'autres types (mais parce qu'elle choisissait toujours quelqu'un qui allait invariablement lui briser le cœur). Et… Oui, d'accord, il lui arrivait de fantasmer sur Rey (mais il défiait quiconque de ne pas le faire après l'avoir vue sortir de la salle de bain avec qu'une serviette pour couvrir son corps).
Mais, ça ne voulait absolument rien dire.
...N'est-ce pas?
Ça ne voulait absolument rien dire que toutes les relations qu'il entamait se terminaient invariablement pour la même et seule raison : son attachement pour sa colocataire. Ce n'était qu'une coïncidence. Kaydel lui avait dit qu'il était aveugle, mais c'était sur elle qui était fermée d'esprit.
« Pourquoi? Qu'est-ce qui s'est passé? Elle avait l'air chouette, pourtant. »
« Pourquoi on ne regarderait pas la Famille Addams, hein? »
« Ben… »
« Je n'ai pas envie d'en parler. »
« Est-ce qu'elle… Est-ce que tu es triste que ça n'ait pas fonctionné? »
Il se tourna vers la jeune femme et la fixa longuement.
« Non. » trancha-t-il.
« Ok. »
Elle ne chercha pas à en savoir davantage.
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« Et, sinon, comment s'est passé ta journée? » demanda-t-il, alors que Gomez embrassait, une fois de plus, les mains de Morticia.
« Un jour, je vais découper Plutt avec un ouvre-lettre. »
« Qu'est-ce qu'il a fait, encore? »
« Tu sais, le dossier sur lequel j'ai bossé comme une folle? Eh bien, ce matin, il l'a donné à Tallie! J'avais envie de hurler! J'ai travaillé comme une forcenée, je ne compte pas les heures, je fais de mon mieux… Et tout ça, pourquoi? Pour qu'il ne me laisse même pas avoir le crédit de tout ce que j'ai fait? Je le hais. Je te le jure, si ça continue comme ça, un jour, tu me verras au téléjournal de 18h pour meurtre. »
« Si on en vient jusque-là, te connaissant, je vais être dans la même galère, car tu m'auras demandé de cacher son cadavre. »
Elle lui décrocha un sourire aussi lumineux qu'une ampoule de 100 watts.
« Au moins, Rose m'a remonté le moral. Arthur et Béa, aussi. » Puis, elle se rappela soudainement : « Oh, attends! J'ai oublié que je ne m'étais pas changée! Je vais te montrer mon costume! »
Elle se leva du sofa, prestement, pour lui montrer son costume. Et, toute idée de répartie quitta abruptement le cerveau de Ben. Un peu de sang, aussi, à vrai dire.
Il resta figé sur le divan. Comment dire? Par où commencer? Il avait toujours trouvé Rey jolie, mais là… Son costume n'était qu'une combinaison ajustée, qui lui collait au corps, rouge avec un motif de coccinelle. Et, qui… Il ne cachait rien dans le fait que tout le corps de la jeune femme était mis en valeur. Ses formes étaient soulignées plus que jamais. Ben s'humecta les lèvres, conscient qu'il la dévorait du regard et qu'il devait impérativement regarder ailleurs, mais putain. Oh bon sang. Il avait l'impression que son cerveau subissait un bug. Est-ce qu'il devait faire un control + alt + delete, ici aussi, pour reprendre le contrôle de son corps?
Il se racla la gorge dans une tentative de reprendre une contenance.
« C'est… Hum… »
« Ladybug. C'est un dessin animé. »
« Ah… » Il se gratta la nuque. « C'est… Bien. »
« Attends! Je vais te montrer avec les escarpins que Rose m'a prêtés! »
Est-ce qu'elle voulait le rendre complètement cinglé? Elle quitta la pièce pour revenir, ses pieds chaussés d'escarpins noirs de quatre centimètres qui, comme si cela pouvait être moindrement possible, soulignait encore plus ses fesses.
« Tu trouves ça bien? »
« Euh… » Il se racla la gorge une seconde fois. Comment dire? « …Oui. »
Elle esquissa un petit sourire.
« Tu peux mettre le film sur pause, le temps que je mette mon pyjama? »
« Oui, hum. Bien sûr. Sans problème. »
Quand elle quitta le salon, Ben poussa un petit gémissement étranglé contre l'un des coussins.
Génial. Comme s'il avait besoin de fantasmer sur elle, déguisée en coccinelle, maintenant.
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« Je veux dormir… » grogna Ben, en réponse à la dernière suggestion de Rey.
Il se laissa tomber sur elle de manière dramatique. La jeune femme rigola et bougea de manière que sa tête tombe mollement sur ses cuisses.
« On pourrait regarder l'Étrange Noël de Monsieur Jack. » proposa la jeune femme, qui n'était visiblement pas au bout de ses ressources, en faisant défiler les titres sur Netflix.
« C'est un film de Noël. » réfuta-t-il.
« Ils sont au pays de l'Halloween. » argumenta-t-elle.
« Il y a le Père Noël. C'est un film de Noël. »
« De toute manière, qu'est-ce que ça peut faire puisque tu vas dormir? »
Évidemment, elle ne l'écouta pas et sélectionna le film.
« Quand même. C'est une loi non-écrite. Les gens qui regardent des films de Noël à un autre moment qu'en décembre brûlent en enfer. » lui dit-il.
« C'est une loi très stupide. » commenta Rey.
« Je n'y peux rien. Ce ne sont que les volontés des forces suprêmes qui régissent le monde. »
« Très philosophique. »
This is Halloween, retentissait déjà dans le salon.
« Déshonneur sur toi, déshonneur sur ta famille et déshonneur sur ta vache. »
« Est-ce que tu vas venir brûler en enfer avec moi, Mushu? »
« Évidemment. » répondit-il, comme si c'était la question la plus stupide.
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Impossible de dormir.
Dès qu'elle fermait les yeux, Rey avait la vive sensation de se faire épier. Ou, que quelqu'un – quelque chose – venait de passer en coup de vent, au bout de son lit, et avait effleuré ses pieds. En sursaut, elle glissa ses jambes dans ses couvertures, cherchant en ce geste un mince sentiment de sécurité.
La jeune femme ouvrit brusquement les yeux pour la troisième fois en dix minutes. Il était presque 3h00 du matin, elle devait dormir. Seulement, dès qu'elle fermait les yeux pour tenter de s'enfoncer dans les bras de Morphée, des flashs du film d'horreur lui revenaient en tête. Et, son imagination fertile n'aidait en rien. Est-ce qu'elle avait fermé les rideaux de sa chambre? Est-ce que quelqu'un la fixait à travers sa fenêtre durant son sommeil? Et, cette forme qu'elle distinguait dans la pénombre de sa chambre… Ne venait-elle pas de bouger? Oh mon dieu, il y avait un tueur en série dans sa chambre! Elle se redressa dans son lit et ouvrit la lumière, son cœur tambourinant dans sa
cage thoracique.
… Oh, ce n'était que des vêtements qu'elle avait laissé sur sa chaise de bureau.
Rey poussa un petit soupir dépité. Elle pesa le pour et le contre.
Pour : Bénéficier d'une protection contre les monstres, car son colocataire était une armoire à glace. Dormir dans des draps en coton égyptien qui coûtait la peau des fesses et qui étaient beaucoup trop confortable. S'endormir rapidement, parce que la présence de Ben l'apaisait et que son odeur était juste trop enivrante.
Contre : Avoir le cœur un peu plus brisé quand il lui annoncerait qu'il aurait un rendez-vous avec une autre fille qui n'était pas elle.
La jeune femme fit une petite grimace. Elle décida, tout de même, de sortir de son lit et de marcher en direction de la chambre de Ben. Elle cogna timidement sur la porte avant de l'ouvrir, sans attendre à y être invitée.
« Ben? Est-ce que tu dors? » chuchota la jeune femme, sur le seuil de la porte.
« …Non. » répondit-il d'un ton, à la fois bourru et endormi.
« J'ai peur qu'un vampire m'attaque dans mon sommeil. »
« Les vampires n'existent pas. »
« On n'est jamais trop prudent. »
Il poussa un soupir exaspéré avant de lâcher : « Viens. »
Sans hésitation, elle grimpa sur le lit à côté de lui.
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Évidemment, ils ne dormaient toujours pas. À la place, malgré leur épuisement général, ils parlèrent du livre sur le crime organisé que Ben était en train de lire, les pires garnitures à pizza ou, encore, débattre sur le fait de porter des bas dans des sandales.
« J'ai une question. » annonça Rey, de but en blanc, coupant court la longue tirade de Ben sur le fait que demander le signe astrologique à un premier rendez-vous était un red flag.
« Hm? » lâcha-t-il en se tournant vers elle.
Et, comme ça, toute once de courage la quitta immédiatement.
« C'est un peu… Ah, laisse tomber. »
« Rey. »
« Non, non. Vraiment. Ce n'est pas important. »
« Rey… »
« C'est stupide. »
« Je déteste quand tu fais ça. Pose ta question. »
« Je l'ai oubliée. »
« C'est ça, oui. »
« Je le jure. »
Il roula des yeux, ne la croyant pas du tout.
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Et, bientôt, l'aurore commençait à poindre son nez.
« Qu'est-ce que tu voulais me demander? » demanda-t-il, plus doucement, un peu plus tard.
Elle se mordit la lèvre, alors que son cœur tambourinait dans sa cage thoracique.
« Ce n'est vraiment pas important. » éluda-t-elle.
« Allez. Vas-y. »
« C'est juste que… Je t'écoute parler de tes rendez-vous et… Parfois, je me demande… Qu'est-ce que ces filles ont de plus que moi? »
La jeune femme termina sa question à voix basse, mortifiée, un incendie sur les joues.
« …Quoi? »
« Je te l'avais dit que c'était stupide. »
« Non, c'est juste que je ne comprends pas ta question. Est-ce que tu voulais parler du fait que tu ne rencontrais personne? Parce que, si c'est ça… »
« Non. » l'interrompit brusquement Rey. « Ce que je voulais dire, c'est pourquoi toi tu ne m'as jamais invitée. »
Ils étaient si proches l'un de l'autre, maintenant, que la jeune femme fut certaine qu'il entendait parfaitement bien les sautillements frénétiques de son cœur.
« Euh… Je… » Il s'humecta les lèvres. « Je ne croyais pas que tu voulais que… »
« Peut-être. » dit-elle, abruptement. « Je veux dire, si c'est quelque chose qui te conviendrait… Je voudrais bien. »
« Même si ça ferait en sorte qu'être colocataire devienne bizarre…? »
« Je pourrais déménager. »
« Mais non. Je déménagerais. Tu as passé un temps fou à peinturer les murs de l'appartement, je serais vraiment une merde de ne pas te le laisser. »
« Problème réglé, alors. »
Ils se fixèrent longuement en silence. Rey avait la soudaine impression d'être habitée par une boule d'électricité qui grandissait en fébrilité et qui ne souhaitait qu'exploser.
« Alors, est-ce que tu… » commença la jeune femme.
« J'aimerais. » lâcha-t-il, avec empressement. « J'adorerais. »
Leurs visages se rapprochèrent lentement, comme s'ils jaugeaient l'autre et vérifiaient quelque chose. Parce que, c'était ce qu'ils faisaient non? Ils analysaient ce que ferait ce changement brusque dans leur relation. Si leur dynamique s'en verrait changée. Leurs nez se frôlèrent, créant un frisson qui traversa Rey si violemment qu'elle fut surprise que le lit n'ait pas bougé. Doucement, leurs lèvres se trouvèrent.
Et, la jeune femme se surpris à se demander pourquoi elle n'avait pas fait cela avant. Parce que c'était si naturel. Comme si elle venait enfin de trouver la pièce de puzzle qui s'emboîtait parfaitement à la sienne.
« Il faudrait vraiment dormir. » chuchota Ben, contre ses lèvres.
« Impossible. »
Elle se sentait survoltée. Elle était une batterie chargée à bloc. Il l'embrassa de nouveau. Une fois, deux fois, trois fois…
« Il est 6h… On n'a pas dormi de la nuit… »
« Est-ce qu'on va manger? J'ai envie d'une gaufre, avec des fraises et du coulis au chocolat. Et, avec un café. Un grand café. »
Ben secoua la tête, découragé. Il la trouvait adorable. Il la trouvait toujours adorable. Quand ils se levèrent du lit, ils avaient l'air de deux adolescents qui avaient passé une nuit blanche : hagards, surexcités et un peu fous.
« Au fait, est-ce que tu es venu me rejoindre parce que tu avais peur ou parce que tu voulais… Eh bien, être avec moi? » demanda Ben, curieux.
Rey s'immobilisa, timide.
« Les deux. » avoua-t-elle, enfin. « Mais, je… Ben, on… Tu sais… On… »
« Oui, c'est correct. » lâcha-t-il, comme s'il lisait en elle et dans son babillage.
« De prendre notre temps? »
« C'est même parfait. » acquiesça-t-il.
Elle s'approcha de lui afin de poser un baiser chaste sur sa joue. Il eut un sourire, alors qu'il se disait qu'il avait été vraiment aveugle.
