« Ce n'est pas mon fils, débarrassez-moi de lui ! »

Les domestiques échangent un regard gêné.

Habituellement, le jeune maître se tenait correctement, n'empiétant jamais sur la partie de la demeure réservée à sa mère. Mais aujourd'hui, c'était l'anniversaire de la maîtresse de maison et Draco tenait seulement à offrir un cadeau à sa mère. Il ne s'était pas attendu au rejet de sa mère et encore moins à la gifle qui en avait suivi.

Du haut de ces cinq misérables années, il ne comprenait pas. Pourquoi cette femme censée être sa mère le haïssait autant ? Pourquoi continuait-elle à hurler qu'il n'était pas son enfant ? Au fond, lui-même savait qu'elle n'est pas sa véritable mère.

Non.

Sa vraie maman, c'est celle qui vient lui rendre visite sous la forme d'une fumée dans chacun de ses rêves. Celle qui lui répète à quel point il est un beau petit garçon et à quel point elle l'aime. Mais chaque fois qu'il la supplie de l'emmener avec elle ou de rester avec lui, la fumée perd de son intensité pour finalement disparaître. Et quand il se réveille, elle a disparu et ne reste plus que cette fausse mère qui le déteste.

Draco retient ses larmes de couler. Un Malfoy ne pleure pas, son père n'a cessé de le lui répéter. A la place, il s'incline devant sa fausse mère et lui tourne le dos avant de s'enfuir. Il essaye pourtant de faire des efforts, d'être un gentil garçon, mais tout semble inutile. Comme lui.

Il ne sert à rien.

Ses parents lui ont donné naissance juste pour avoir un héritier. Mais il sait les bruits qui courent dans la demeure. Que si un autre fils venait à voir le jour, Draco serait relégué au second rang. Il ne serait rien de plus qu'un fardeau. C'est injuste, j'ai rien fait moi !

Il court jusqu'au jardin et part se cacher prêt de l'étang où dorment les paons albinos de Narcissa. Il sait que personne ne viendra le chercher ici. Et une fois certain d'être seul, l'enfant s'autorise à pleurer. Il pleure, encore et encore, apitoyant les pauvres bêtes désormais bien réveillées. L'une d'elle s'approche de lui et lui offre un léger coup de tête, comme pour le réconforter. Draco renifle et observe le paon tristement. Narcissa lui a formellement interdit de les toucher, sous peine de représailles, mais en cet instant, il s'en fiche. Comment pourrait-elle le savoir de toute manière ? Timidement, il caresse le plumage de l'oiseau et ce dernier piaille de plaisir. Mais bien vite, la vie quitte le regard de l'animal et son âme est aspiré entre les doigts de l'enfant. Ce dernier écarquille les yeux.

« Paon ? Paon, pourquoi tu dors ? Réveilles-toi ! »

Mais l'oiseau ne bouge pas. Les autres se reculent de façon à être hors d'atteinte de l'enfant. Draco, lui, ne comprend pas. Que s'est-il passé ? Et si le paon ne se réveillait pas ? Narcissa le fouetterait jusqu'à ce qu'il ne puisse même plus crier.

« Au secours » chouine-t-il en secouant l'oiseau. « Aidez-moi... »

Des mains gantées le soulèvent délicatement et aussitôt, il enfouie son nez dans le torse du nouveau venu. Le seul à l'aimer réellement en dehors de sa vraie maman.

« J'ai pas fait exprès, j'ai pas fait exprès ! »

« Je sais mon enfant. Ta maman m'avait prévenu que ça pouvait arriver, ce n'est pas de ta faute »

« Narcissa va me gronder... »

« Elle n'en fera rien, je te le promets. Ce n'est pas de ta faute mon fils. Cesse de pleurer, les Malfoy ne pleure pas »

Draco acquiesce en reniflant. Si son père dit qu'elle ne fera rien, alors c'est que c'est vrai. Parce que son père le protégera, Draco le sait. Il tente de s'accrocher quand Lucius l'éloigne de lui mais laisse finalement son père faire, peu désireux que l'homme le déteste, lui aussi. Il sursaute quand son père s'empare de ses petites mains pour les vêtir de gants. Il ne s'est même pas rendu compte qu'il les avait oublié.

Les gants étaient des objets magiques laissés par sa véritable mère. Depuis qu'il était bébé, tout le monde était capable de toucher Draco sans risque mais la réciproque n'était jamais vrai. Quand Draco initiait le contact, jamais rien de bon n'en ressortait. Parfois des images horribles surgissaient dans son esprit, d'autres fois, les personnes s'évanouissaient sans raison. Et bien plus rarement, il arrivait que les personnes qu'il touchait ne se réveillaient plus jamais. Les gants servaient à contrôler tout ça. Dès qu'il n'avait plus de contact peau à peau, alors il n'y avait plus de risques.

Il se sent honteux d'avoir oublié. Ce doit être pour cette raison que Narcissa était autant en colère.

« Comment se passe tes premiers leçons de magie ? » Demande Lucius sans même le réprimander pour ses gants.

« Le professeur dit que j'apprends vite ! » Se vante Draco même s'il sait que les sorts qu'il apprend sont ridiculement simples. « Mais parrain dit que je serais plus doué pour les potions ! »

« Sur ce point, nous nous ressemblons »

Ses yeux étincellent d'une telle fierté que Draco en est presque gêné. Son père n'est habituellement pas aussi démonstratif, mais peut-être tente-t-il par cette manière de lui faire oublier les évènements précédents.

« Et tu t'es fait des amis ? »

Draco gigote, mal à l'aise. Des amis, il n'en a pas. Les autres enfants le prennent de haut et se moque de lui, en général. Il n'y a que Théordore Nott et Blaise Zabini qui tolèrent sa présence. Le premier ne le vire pas du moment qu'il se tient tranquille et silencieux à ses côtés et le second... Ses réactions sont un peu étranges. Tantôt il joue avec lui, tantôt il le fuit, comme s'il ne devait pas être vu avec lui. Draco ne comprend vraiment pas. Mais il ne veut pas que son père s'inquiète à ce propos alors il ment. Il raconte de fausses anecdotes à son père et s'invente une amitié avec les filles Greengrass et Pansy Parkinson. Il sait que son père à des relations professionnels avec leurs parents donc c'est une bonne chose si les enfants sont amis. Et comme il le pensait, son père est heureux, si bien qu'il lui tapote tendrement la tête.

Draco en profite avant qu'il ne redevienne le Lucius froid et distant que tous connaissent en présence d'un public.

Le soir, couché dans son lit après que sa nounou lui ait lu une histoire, Draco peine à trouver le sommeil. Il a hâte de retrouver sa vraie maman dans ses rêves mais d'un autre côté... La constatation de n'avoir aucun ami le rend triste. Et s'il n'en avait jamais ? Et si personne, à part ses parents, ne l'aimait ? Peut-être est-il destiné à rester seul tout sa vie ? Après tout, qui pourrait l'accepter, lui et son pouvoir étrange et dangereux ? Personne, se lamente-t-il, personne n'acceptera d'être ami avec moi tant que j'aurais ce pouvoir.

« C'est faux »

Draco sursaute et regarde autour de lui. Il n'est plus dans sa chambre mais au bord d'un lac. Des tonnes d'animaux argentés s'amusent à ses côtés, ce qui donne un aspect féerique au paysage. C'est différent de ses rêves habituels, pour une fois, il ne sent pas la présence de sa mère. A la place, il voit un petit garçon de son âge, avec les yeux les plus verts qu'il n'a jamais vu. Mais ce petit garçon paraît sans expression. Il n'est ni triste, ni joyeux. Il paraît... Insensible. Draco ne sait pas vraiment quoi faire face à ce regard qui le fixe sans jamais le lâcher.

« C'est faux », répète l'enfant en tendant sa main dans sa direction. « Moi je serais ton ami »

« Tu ne me connais pas », dit justement Draco sans quitter la main du regard.

« Non mais nous finirons par nous connaître. Je le sais. Peu importe nos choix, nos destins sont liés. Et lorsque ce moment arrivera, je deviendrais ton ami. Pour l'éternité. Même le Destin sera incapable de nous séparer »

« Même avec un pouvoir aussi terrifiant que le mien ? »

« Moi aussi, j'ai un pouvoir qui effraie les autres. Alors ne t'inquiète pas »

« Tu promets ? »

« Je promets »

Et ce soir-là, Draco parvient à dormir paisiblement, persuadé qu'un jour, il rencontrerait ce drôle de bonhomme qui deviendrait, il en est certain, son ami.