La route empruntée par le chevalier de Catarina n'avait plus rien d'évident. Malgré l'aspect simple du donjon – de part sa symétrie –, il y avait tant de chemins possibles à travers les couloirs, les escaliers et parfois même les cellules aux murs défoncés… Des cellules dont le porte-braise avait appris à se méfier. Plus d'un prisonnier, semblant passif de prime abord, avait tenté de l'attraper ou de le frapper à travers les barreaux. Certains avaient vomi des sangsues à ses pieds, manquant de peu de le contaminer ; d'autres encore l'avaient simplement effrayé en se mettant subitement à hurler – attirant l'attention de quelques geôliers au passage. De multiples petits incidents qui faisaient que la recherche de son acolyte à l'armure arrondie s'en trouvait grandement ralentie. Surtout qu'après chaque affrontement contre un gardien – dont il se cachait du regard néfaste dans les renfoncements des murs, voire dans les cellules même –, il se devait de réciter un miracle de soin, parfois deux, pour pouvoir se remettre et continuer. Il préférait économiser son Estus qui pouvait être ingurgité en urgence et, hélas, perdre encore un peu de ce temps si précieux qui continuait de filer.

Intrigué par la présence d'une fenêtre – de la hauteur d'une porte – dans une construction souterraine, Hélios s'approcha de l'ouverture grillagée. Il la trouva fermée, mais il pu tout de même apercevoir quelques constructions à travers les barreaux.

Une immense caverne englobait les édifices enfouis. Les parois reflétaient, ici et là, la clarté de la lune – distante et diffuse, rendue chaude par l'ocre de la roche – qui devait percer quelque part, trop loin pour en voir l'origine ou dévoiler entièrement ce que la grotte abritait. Cependant, l'épéiste embrasé pouvait distinguer plusieurs éléments : juste en contrebas, un chemin gardé par d'autres silhouettes au masque de fer – sans tison ni lanterne, cette fois – et qui menait à un autre bâtiment sinistre et trapu. Sa similitude avec le donjon laissait à penser que celui-ci n'était donc pas uniquement constitué de la tour dans laquelle le combattant solitaire évoluait. Sans doute y avait-il un accès à ce nouveau chemin depuis la cour.
Au-delà du passage gardé, comme émergeant de l'obscurité de la grotte, pointait le sommet d'une tour délabrée dont le dernier étage, au plancher de bois presque effondré, résistait difficilement à la gravité. Sur le maigre espace de parquet ayant subsisté, au milieu d'un confus désordre, se détachait un point gris clair. C'était bien trop loin pour affirmer qu'il s'agissait là d'un autre camp, mais si le porte-braise ne se trompait pas, alors il y avait à parier que Siegward était passé ou passerait par là. La tour semblait haute ; son pied rejoignait peut-être la Capitale profanée qu'il avait précisé se trouver "plus profond encore que le donjon abyssal".
Le Chercheur de Flamme, priant pour que sa conclusion soit juste, se mit en quête d'une route vers la tour délabrée, espérant ainsi rattraper la Morteflamme de Catarina.

Atteindre le niveau le plus bas du donjon n'avait pas été mince affaire. Entre les rondes incessantes des geôliers, les prisonniers aussi bruyants que récalcitrants, et parfois même des horreurs hybrides innommables et hargneuses qui s'en prenaient à quiconque frôlaient leurs barreaux, le moindre pas avait été dangereux. Et pourtant, Hélios sentait que le plus dur était à venir : dans l'ombre d'une arche, il regardait la procession d'une dizaine de gardiens patrouiller dans la cour. Ils tournaient sans discontinuer autour du massif pilier qui soutenait le pont du premier palier, leur lanterne blafarde à la main. Le seul moyen d'échapper à la vigilance de cette milice zélée semblait d'emprunter un des étroits couloirs – qu'il n'avait pu voir avant de descendre si bas – qui longeaient les grandes cellules. Encore fallait-il pouvoir atteindre lesdits couloirs, dont la bouche se trouvait bien trop proche des gardiens pour passer sans se faire voir.

Le Traque-Seigneurs demeura un moment immobile, en observation. Les geôliers tournaient inlassablement, leurs bottes claquant à un rythme régulier. Il lui fallait quelque chose qui puisse rompre leur cercle, quelque chose qui attirerait assez leur attention pour les retenir, quelque chose qui détournerait leurs regards destructeurs.
Un simple caillou ne suffirait pas ; une flèche les rendrait plus alertes qu'autre chose. Le porte-braise tâta les poches qui pendaient à sa ceinture, cherchant à se remémorer ce que contenait chacune d'elles.
Peut-être ces petits crânes, aussi lisses que brillants – résultat manifeste d'un enchantement –, qu'il avait arrachés à la dépouille de quelque évangéliste pendant son périple pourraient faire l'affaire ? Des âmes semblaient vouloir s'en échapper ; il ne s'était pourtant jamais servi de ces artefacts car leur aspect étrange ne l'inspirait guère. Mais si ces objets libéraient bel et bien des âmes en se brisant, peut-être avait-il une chance. Car qui, en ce cruel bas-monde, refuserait quelques si précieuses âmes ?

Hélios soupesa le crâne qu'il avait pris en main. C'était léger ; il devrait pouvoir l'envoyer assez loin. Il leva le bras, suspendit son geste. Il retraça mentalement le chemin qu'il devrait à nouveau parcourir si son plan échouait. Il frissonna. Mieux valait ne pas faire d'erreur. Après une silencieuse prière pour que l'artefact ait l'effet escompté, le porte-braise projeta le crâne brillant.
Presque d'un même mouvement, toutes les robes avaient pivoté vers le lieu de l'impact, les lanternes virant soudain au pourpre. Et presque simultanément, les tisons rougeoyants s'étaient abattus sur le vide en une attaque réflexe. Puis tous s'étaient immobilisés en un long silence d'étonnement manifeste.
L'épéiste remercia intérieurement l'agitation des prisonniers qui, en secourant chaînes et barreaux, lui permirent de passer sans être entendu malgré le cliquetis de son armure. Si le chevalier embrasé traversa le couloir jonché de détritus avec une prudence mesurée – ignorant un coffre fort tentant posé en évidence –, il ne tarda cependant pas. Il avait bien d'autres crânes en poche, mais puisque les geôliers étaient déjà agglutinés de l'autre côté du large pilier, il allait en profiter.

En arrivant de l'autre côté de la cour, en franchissant prestement l'arche qui en cloisonnait l'espace, le guerrier solitaire se sentait peu fier. Le stratagème qu'il venait d'appliquer était digne d'un voleur ou d'un assassin, pas d'un chevalier. Il jeta un rapide regard en arrière, sur les gardiens qui reprenaient peu à peu leur ronde. La méthode, certes peu glorieuse, avait au moins eu le mérite de lui avoir permis de passer rapidement et sans heurts. La raison porta secours à sa fierté mise à mal : retrouver et venir en aide à Siegward était plus important qu'un orgueil qui ne le mènerait qu'à une mort certaine.

Les murs sombres du donjon avaient laissé place à une roche ocre, brute. Seuls des pavés irréguliers, fendus par la végétation éparse et écartelés par le temps, attestaient encore du passage de la civilisation.
La tour aperçue plus tôt semblait enfin à portée de main. Ne restait à franchir qu'un gouffre, enjambé par un pont de pierre aussi étroit que vétuste – si bien qu'il n'était même plus rectiligne, en plus d'avoir perdu son bastingage. Avant de s'y engager, Hélios osa un regard en contrebas. Les Abysses elles-mêmes semblaient attendre le voyageur maladroit.
L'épéiste avait tout juste posé un pied sur l'antique passerelle qu'une masse énorme, s'étant comme matérialisée dans la paroi de la caverne, attira son attention vers les ombres. Il ne fallut pas longtemps pour qu'une gargouille ailée géante – une créature hideuse, haute comme trois hommes, large comme le double, uniquement constituée de pierre et armée d'une lance à sa mesure – n'atterrisse lourdement devant lui. Un choc qui fit trembler le fragile pont de pierre au point de menacer de le faire s'écrouler.
Le Traque-Seigneurs se mit machinalement en garde, se demandant à quel point son épée de glace allait pouvoir affecter le monstre rocheux. Sa lame givrée n'était pas prévue pour frapper une surface si dure, et son pouvoir ne saurait geler entièrement la gargouille. Il jura entre les dents en reculant, inquiet, vers un espace plus adapté au combat.

La gargouille était aussi lente et pataude qu'elle était massive et imposante. Le porte-braise pouvait en esquiver ou parer chaque attaque. Mais comment se débarrasser de cette chose hargneuse et inépuisable ? Malgré sa grande force, il ne pourrait se contenter de pousser la créature dans le vide – tant parce qu'elle était sans doute bien trop lourde que parce qu'elle était dotée d'ailes – et la détruire s'annonçait difficile. Le guerrier embrasé avait beau scruter son adversaire de haut en bas et de bas en haut, pas une fissure exploitable ne s'offrait à son regard. Il n'avait jusque-là combattu que des êtres de chair et de sang – ou d'os assez fragiles pour être brisés. Il ignorait comment vaincre un ennemi de pierre.

Il s'interrogeait toujours quand, alors qu'il esquivait un énième coup de lance, un cri de guerre retentit dans toute la caverne. Les deux adversaires tressautèrent, pivotant vers l'origine de la voix puissante – une voix familière à Hélios. D'une saillie tombait un chevalier en armure arrondie, son espadon tenu à l'envers, par la lame. La gargouille n'eut que le temps de présenter son aile de roche en guise de bouclier. Aidé par l'élan de sa chute, Siegward frappa la pierre du pommeau de son arme – un pommeau de fer courbe évoquant une pioche –, ouvrant une large fissure. Si la créature ne sembla pas ressentir la moindre douleur, elle paraissait avoir vite compris qu'elle n'était pas invulnérable. Elle voulut fuir. Hélios retint son attention en frappant, de son fourreau, sur les doigts crochus tenant la pique. Le monstre, pris en étau, tenta de repousser les deux guerriers, l'un d'un coup de lance, l'autre de son aile valide. Rien n'y fit. Ils revinrent à la charge tout aussi vite, empêchant la créature de pierre de prendre son envol.

Le pommeau du chevalier de Catarina s'écrasa sur le front du monstre de roche animé. La faille s'étendit rapidement, dévorant le visage de la gargouille qui se figea avant de tomber en morceaux.
Le souffle court, les deux hommes scrutèrent l'amas rocailleux inerte une poignée de secondes avant que leurs regards ne se croisent… et qu'ils n'éclatent de rire.

- Siegward ! Mon bon ami ! Je vous cherchais !

Suivant ce qui était presque devenu un rituel, le duo s'assit, le temps de reprendre haleine ; d'échanger quelques nouvelles, même.

- … et j'ai bien cru que j'allais rester piégé de cette annexe du donjon, soupira le chevalier Oignon. J'ai pu m'en échapper par des canalisations étrangement vastes et labyrinthiques. Voyez où elles m'ont mené !

Le guerrier à l'espadon ponctua son exclamation en désignant la paroi d'où il avait émergé, avant de marquer une pause, comme s'il s'interrogeait encore sur son parcours insolite. Il reprit, une pointe de curiosité dans la voix.

- Et vous, camarade ? Comment êtes-vous parvenu jusqu'ici ?

Le Chercheur de Flamme fit un résumé succinct de son parcours, en partant de leur dernière entrevue : le combat ardu contre le Grand-Maître Sulyvahn, la victoire durement acquise – que le chevalier à l'armure arrondie ne manqua pas d'applaudir –, les maussades retrouvailles avec Anri – qui attendait toujours son binôme –, les diverses embuscades sur le chemin jusqu'au donjon, puis la traversée du lugubre donjon lui-même.

- J'espérais vous rattraper, mais il semblerait que j'ai bien failli vous dépasser !

Siegward rit en réponse. Toutefois, son rire s'éteignit dans un court soupir. Son heaume pivota vers la tour délabrée – ou plutôt vers la Capitale profanée qu'ils devinaient être au-delà – alors que ses épaules s'affaissaient.

- Et je ne pourrais vous remercier assez d'avoir pris tant de risques pour me venir en aide. Une aide… qui risque d'être précieuse.

Tout comme lors de leur précédente rencontre, la gaieté qui caractérisait le personnage semblait avoir quitté la Morteflamme de Catarina. Hélios ignorait toujours la teneur de la promesse que son ami avait évoquée, mais elle devait lui peser bien lourd pour que l'homme, d'ordinaire jovial, soit soudain si sombre.
Le porte-braise se résigna à arracher son comparse à sa contemplation – et sans doute de mornes réflexions au passage.

- Nous devrions avancer, tant que la voie est libre.

Le chevalier à l'espadon acquiesça distraitement.

L'épéiste embrasé leva un regard soucieux vers le toit manquant ; les restes des étages supérieurs menaçaient de leur tomber dessus. Il était cependant bien plus inquiété par le sol incliné sur lequel il était assis avec son partenaire, face au feu. Les antiques poutres allaient-elles tenir ? Ne devraient-ils pas soulager le résidu de parquet fatigué du poids des gobelets, coupes, encensoirs, chandeliers, trophées, plateaux d'or ou d'argent, des multiples caisses et tonneaux de toutes formes et de toutes tailles, ou encore des nombreuses bibliothèques fournies qui encombraient l'endroit ? Mais s'ils s'y risquaient, l'étage inférieur, qui soutenait ce qu'il restait de la structure, tiendrait-il le choc ?
Peu à l'aise dans la tour branlante, Hélios suggéra rapidement de quitter les lieux.

Une longue échelle artisanale – manifestement conçue à partir des matériaux de la tour – glissait, le long de la construction ouverte aux quatre vents, depuis leur étage. Le Traque-Seigneurs, ravi de cette échappatoire, s'apprêtait à descendre quand la main ferme de Siegward le retint par l'épaule. Son acolyte ne pipant mot, la Morteflamme incandescente suivit la direction du heaume : en contrebas, sur un pont à l'apparence plus vétuste et instable que le précédent, patientait une gargouille. Elle bougeait si peu qu'elle se fondait avec la pierre, devenant le gardien presque invisible d'une petite tour à la façade éventrée. Plus loin dans la caverne, un immense bâtiment incrusté dans la paroi exposait un calice géant – cerclé par quatre femmes en prière – où brûlait une flamme démesurée.
Le chevalier de Catarina inspira profondément.

- Hmmm… Il va nous falloir un plan.