Chapitre 21

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[attention, deux nouveaux chapitres aujourd'hui : le 21 et 22. Bonne lecture !]

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Kanon travaillait encore dans le bureau du roi quand Sorrento fit son entrée. Io de Scylla l'accompagnait en tenue de civil, et semblait préoccupé. Tout comme Kanon, Io était vêtu d'une tunique bleue et d'un pantalon cousu avec des écailles. Le Dragon des mers tourna la tête vers eux en les voyant dans la pièce, et posa son stylo sur le côté.

— Milo s'est enfermé dans sa chambre, déclara Sorrento. Impossible d'ouvrir la porte ou de lui parler.

— En même temps, tu le colles comme un rémora sur le derrière d'une raie, lâcha Kanon. Laisse-le respirer un peu.

— Je le laisse tranquille, répondit Sorrento. Mais, tu devrais aller vérifier s'il va bien.

— Pourquoi moi ? Vous me faites confiance, maintenant ? s'enquit Kanon.

— Io m'a dit qu'il n'avait pas l'air bien. Il voulait aller lui parler, mais Milo ne répond pas. Il a confiance en toi, si tu y vas, il t'écoutera sûrement.

Kanon souffla en se levant. Si Milo rejetait même Io, c'était qu'il y avait bien un problème. Kanon partit à la hâte dans les couloirs, et monta les escaliers jusqu'à la chambre du prince. Il frappa doucement à la porte pour l'appeler. Milo ne tarda pas à lui ouvrir. Le Dragon des mers découvrit alors un Scorpion tout grimaçant, avec un air anormalement abattu. Ses yeux bleus étaient éteints. Kanon n'eut même pas le temps de lui demander ce qu'il se passait, que Milo lui tendait la bouteille scellée. Elle contenait leurs photos, et des petits mots qui n'avaient pas encore été endommagés par l'eau de mer. Il ne lui en fallait pas plus pour comprendre.

— Ils… ils nous croient morts, marmonna Milo. Ils… ils ne viendront jamais nous chercher… ils nous ont fait leurs adieux.

— Oh, fit Kanon d'un air désolé. Tu sais, c'est mieux ainsi. Nous ne devons plus jamais ouvrir ces portails. L'armée d'Amphitrite menacerait la Terre.

Milo ne savait pas comment réagir. Il n'avait pas envie de l'écouter. Beaucoup d'émotions l'envahissaient. Hélas, plus le temps passait, et plus l'idée de revoir ses compagnons s'effaçait. Et puis, Kanon avait raison. Ouvrir ces portails mettrait le monde en danger. Ils devaient eux aussi faire leur deuil, mais cela semblait si difficile.

— Je ne pensais pas qu'ils feraient leurs adieux si vite… s'étrangla Milo.

— Quand Saga m'a enfermé au Cap Sounion, j'ai attendu son retour pendant des jours. Mais après quelque temps, j'ai compris qu'il ne reviendrait jamais. C'est un sentiment épouvantable. Tu devras vivre avec.

Milo donna un coup dans le mur, et poussa un cri de frustration. Il ne sentait pas la douleur, et leva encore son poing en l'air. Kanon l'attrapa par les épaules, et prit son poignet pour l'empêcher de se faire encore plus mal.

— Milo, grogna Kanon en le tirant vers lui. Te fracasse pas la main. Ça n'arrangera en rien la situation.

Milo tenta de lutter pour donner un autre coup dans le mur. Il voulait hurler, et relâcher toute sa voix. Mais, il capitula sous la force de Kanon qui semblait supérieure à la sienne. Le Scorpion se retourna ensuite pour se réfugier dans ses bras. Il agrippa sa tunique à pleines mains et posa son front contre son torse. Le Gémeaux était tout ce qu'il lui restait.

Kanon passa sa main dans les cheveux de Milo, tout en cherchant à le réconforter. Puis, il leva le nez vers la porte. Sorrento, Io, Baian et Isaak étaient arrivés, inquiets pour Milo. Ils venaient les rejoindre. Le Dragon des mers leur fit signe d'approcher, afin que tout le monde vienne pour le réconforter. Le Scorpion se retrouva alors enlacé par ses généraux. Ils lui témoignaient tout leur soutien :

— Tu peux nous considérer comme ta nouvelle famille, dit Io. On fera tout notre possible pour que tu te sentes bien ici. Même si c'est difficile.

— Je suis désolé si je t'en ai trop demandé, fit Sorrento. Il est difficile de diriger un royaume tout seul.

— Si tu as besoin d'aide ou quoi que ce soit, nous sommes là, ajouta Baian.

— Kanon et moi, on sera toujours là pour toi, termina Isaak.

Mordiern et Thetis arrivèrent juste après. Ils demandèrent pourquoi ils n'avaient pas été invités pour le câlin de groupe, avant de se jeter sur eux. Io grogna à cause de son grand frère qui l'écrasait. Milo les remercia, et se sentait déjà un peu mieux. Il leur adressa un petit sourire, même si son cœur lui faisait encore mal. Renoncer à Aiolia et laisser le passé derrière lui allait être une épreuve.

Sur Mü, tout le monde n'avait pas fait son deuil. Saga s'était isolé devant le bord de mer, et regardait les vagues d'un air vide. Il n'avait pas été capable d'écrire un mot pour la bouteille qu'Aiolia avait jeté en mer. Malgré tout, le Gémeaux se sentait mal. Il avait l'impression d'avoir encore abandonné son frère au Cap Sounion. Sauf que cette fois-ci, il ne pouvait pas aller le chercher pour le libérer de sa prison.

Saga resta assis un moment, à observer le rivage alors que le Lion le rejoignait en compagnie d'Aphrodite des Poissons. Aphrodite et Aiolia voulaient jeter une nouvelle offrande en mer. Ils se posèrent près de Saga, alors qu'il semblait plongé dans ses pensées. Il faisait beau ce jour-là, et un grand ciel bleu réchauffait l'aîné des jumeaux.

— Tu ne veux toujours rien écrire pour Kanon ? demanda Aiolia. Aphrodite a apporté des fleurs pour les jeter en mer.

— Kanon n'est pas mort. Je le sais, c'est mon jumeau.

Aiolia grimaçait en l'observant. il ne savait pas quoi répondre. Il voulait aussi espérer, mais cela l'obligerait à sombrer dans un gouffre sans fond. Pendant ce temps, Aphrodite sortait une fiole de sous sa cape, et la tendit à Saga avec un air bienveillant ;

— Cet air triste enlaidit ton si beau visage, fit le Poisson. Prends cet élixir, il t'aidera à aller mieux.

— Tu as recommencé à en faire ? s'étonna Saga. Je ne t'avais pas vu en préparer depuis… depuis que tu avais découvert ma dualité quand j'étais grand Pope… ah, tu voulais tellement me sauver.

— Bien sûr, opina Aphrodite. Je suis fatigué d'utiliser mes plantes pour faire du mal. Leur beauté mérite de servir le bien. Les fleurs devraient t'aider à passer le chagrin que tu traverses. Les alchimistes m'ont montré comment m'améliorer pour concevoir ces élixirs.

— Ils savent aussi concocter des élixirs avec des plantes ? questionna Saga.

— Ils appellent ça de la spagyrie, dit Aphrodite. Utiliser des alambics et des distillateurs, c'est vraiment amusant.

Saga lui adressa un sourire, et avala le médicament. Visiblement, Aiolia en avait pris aussi. Aphrodite s'était occupé de le soigner en voyant qu'il commençait à tomber malade à cause du chagrin.

Saga retourna vers le temple d'Héphaïstos quelques minutes plus tard. Il laissa derrière lui Aiolia et Aphrodite qui voulaient rester sur la plage et déposer des fleurs pour Milo. Il monta quelques escaliers et trouva Minos en compagnie de Shaka qui gardait un œil sur lui.

— Je prends le relais, fit le Gémeaux.

Shaka, qui conservait ses yeux fermés, hocha la tête. Il retourna ensuite dans ses appartements pour reprendre ses activités habituelles ; c'est-à-dire, méditer sur son coussin favori.

— Ce mec fou vraiment rien de ses journées, ricana Minos. On a un enfer pour le péché de la paresse. J'adore y aller pour les voir brailler.

Pour le faire taire, Saga lui donna un grand coup derrière la tête. Puis, il fit un signe de la main pour lui faire comprendre qu'ils allaient se promener. Les deux hommes sortirent du temple pour longer la rue marchande. Il y avait du monde ce jour-là, et un marché en plein air. Minos suivait Saga avec son air vicieux au coin des lèvres. Tout en longeant les stands qui débordaient de fruits, le juge des enfers observait chaque passant en reniflant silencieusement. Minos semblait se retenir de les torturer avec ses fils. Même la douce marchande de plantes aromatiques semblait ne pas faire d'exception devant ses pulsions meurtrières. Pourtant, elle ressemblait à un ange derrière un étalage de lavandes et de roses séchées.

— Ton jumeau est coincé dans le royaume des mers, c'est ça ? tenta Minos. C'est pour lui que tu voulais ouvrir un portail ?

— Ouais… fit Saga. Tout le monde le pense mort à cause de l'armée d'Amphitrite. Mais moi, je sais qu'il est vivant.

— L'armée d'Amphitrite, hein ? Elle est plus grande que celle des enfers ?

— Tu n'imagines même pas… une marée humaine qui s'étend jusqu'à l'horizon. Hadès en pâlirait de jalousie s'il voyait la puissance de son frère.

— Est-ce que Poséidon est resté aussi dans ce monde ? questionna Minos.

— Nan, Athéna l'a remis dans son urne. Elle l'a emmené avec elle sur Terre, en lieux sûrs.

— Alors, Amphitrite est seule à protéger le royaume des mers ?

— J'imagine, fit Saga. Elle a probablement dû enfermer mon frère dans des cachots. S'il est toujours vivant, il pourrait y rester pour l'éternité.

— Je peux t'aider à aller le sauver, assura Minos. Comme vous m'acceptez parmi vous, ma proposition tient toujours.

— Je ne peux pas l'accepter si les autres ne sont pas d'accord. La sécurité de la Terre doit passer avant mes intérêts personnels.

— C'est bien dommage, fit Minos de sa voix la plus vicieuse. Mais j'imagine que ton frère comprendra qu'à tes yeux, la sécurité de la Terre a plus d'importance que sa propre vie.

Saga senti un poids lui tomber dessus. S'il avait sacrifié Kanon au Cap Sounion, c'était pour protéger la Terre. Et au final, Kanon avait souffert pour rien, vu que c'était lui le jumeau maudit. Saga se sentait responsable de son sort, et Minos avait appuyé sur une vieille blessure. Le Gémeaux attrapa Minos par le col de son vêtement, et le poussa dans une ruelle vide. Il grogna, ses mains tremblaient.

— Qu'est-ce qui me prouve que tu vas pas faire de crasse… si on ouvre un portail vers le monde des mers ?

— Hadès veut du mal à la Terre, mais pas au monde des mers, répondit Minos. Pourquoi j'aurais une raison de faire une crasse dans le monde de Poséidon ?

Saga sentait que quelque chose clochait dans la voix de Minos. Malheureusement, il était incapable de deviner ses intentions. Seul Kanon obsédait ses pensées. C'était à un point où il commençait à délaisser Aiolos.

— De toute façon, il me faudra bien un an pour réussir à concevoir un portail, fit Minos. Tu as tout le temps d'y réfléchir.

— C'est si long que ça ? s'étonna Saga.

— J'ai besoin de réunir des cristaux particuliers. Il faut de l'alchimie pour fabriquer ces minéraux. Et puis… si je renonce à ma condition de spectre, tu auras une preuve que je ne suis plus du côté d'Hadès. Cela suffirait-il pour te rassurer ?

Saga soupira. Il ne savait pas s'il devait demander un portail. Dans tous les cas, il ne se voyait pas en parler à ses compagnons pour le moment : il savait que personne n'accepterait l'offre de Minos.

Le temps s'écoula. Quelques mois passèrent sur Mü et dans le royaume des mers. Aiolia et Saga continuaient de surveiller Minos, alors que Milo, lui, apprenait à gouverner un royaume. Ou du moins, il essayait. Sa mère tentait de l'épauler dans sa tâche, mais ses blessures ne guérissaient pas. La déesse gardait une plaie à l'épaule qui la faisait souffrir jour et nuit, et une béquille lui permettait de se lever. Hélas, chaque pas lui demandait beaucoup d'efforts, ce qui l'obligeait à rester alité. Le Scorpion devait donc compter de plus en plus sur Kanon pour affronter un travail de titan : Sorrento le levait aux aurores, et lui autorisait du repos qu'après la tombée de la nuit. Ce qui rendait ses journées interminables. De plus, il devait aussi réparer les armures. Après de longues recherches, ses généraux avaient enfin trouvé un ouvrage qui expliquait les étapes à suivre. Le livre avait été déniché dans une bibliothèque à l'autre bout du royaume. C'est après plus de six mois de recherches que Milo pouvait enfin s'occuper de leur réparation.

Tard dans la soirée, Kanon marchait d'un pas rapide vers la salle du trône. Le Dragon des mers semblait agacé et grommelait des mots grossiers. Il passa les portes en les claquant, bousculant les marinas qui montaient la garde devant. Milo se trouvait en pleine réunion dans cette pièce lorsqu'il fit son entrée. Deux hommes d'affaires discutaient avec lui, et présentaient plusieurs projets pour la ville. Kanon leva la main pour les repousser, et les chassa presque à coup de pied.

— Ne perds pas ton temps avec ce genre d'entretiens, déclara Kanon. Tu dormiras jamais à ce rythme.

—J'ai pas le temps de me reposer, assura Milo. Je dois encore m'occuper des Marinas pour leurs scales. Je me demande où Poséidon trouvait le temps de fermer les yeux…

Milo semblait épuisé. Ses yeux étaient lourds de cernes, et avait des poches sous les yeux. Kanon posa sa main sur son épaule, l'air inquiet.

— Tu ne suis pas mes conseils. Même si Sorrento pense que leur projet pourrait être intéressant, tu dois savoir quand il faut dire stop. Regarde-toi, tu dois faire une pause.

Milo grimaçait. Kanon avait raison. Surtout qu'il ne connaissait pas ses limites ni ce qu'il pouvait se permettre d'annuler. Car, à chaque fois qu'il refusait un travail, Sorrento en avait un autre à lui confier par-derrière.

— J'ai une surprise pour toi, poursuivit Kanon d'un air plus doux. Suis-moi.

Milo bâilla, avant de lui emboîter le pas. Ils sortirent ensemble du château, et montèrent sur le dos de Bucéphale pour quitter la ville. Se promener sous les mers la nuit donnait une ambiance magique. Beaucoup de polypes et de poissons étaient bioluminescents. Une allée de corail éclairait leurs pas. Le Scorpion aimait les observer tout en s'éloignant des habitations. Une fois la plus grande barrière de corail passée, les fonds marins prenaient de la hauteur jusqu'à créer des montagnes. Ils les grimpèrent jusqu'à arriver à la surface. Milo découvrit alors l'extérieur ; ils avaient atterri sur une île. Elle semblait vierge de toute vie, comme la plupart des continents de ce monde. Le sol était fait de sable et de roches noirs. Les deux compagnons laissèrent Bucéphale de côté, et se posèrent pour admirer le ciel. Une voûte étoilée s'étendait au-dessus de leur tête. Ils avaient une vue imprenable sur le cosmos et les astres. Une nébuleuse pouvait même être admirée avec ses couleurs violettes et roses. La planète Neptune pouvait être reconnaissable tant elle semblait proche.

— Tu n'avais pas vu la surface depuis un moment, hein ? fit Kanon.

— Je n'avais jamais vu un aussi beau ciel de nuit, admit Milo qui ne pouvait pas décrocher ses yeux du spectacle. C'est si différent de la Terre ici.

— Peu importe où on vit. Les étoiles et les constellations seront toujours là pour veiller sur nous. Mais, c'est vrai qu'ici, le ciel rappelle celui d'Elysion.

Alors que Milo cherchait à reconnaître les constellations au-dessus d'eux, Kanon tenta de rapprocher sa main de la sienne. Il se sentait nerveux, et espérait ne pas être repoussé. Il voulait lui faire part de ses sentiments, mais il ignorait s'il pouvait déjà se lancer. Il savait que Milo pensait encore à Aiolia et qu'il lui faudrait du temps avant d'accepter un nouveau compagnon. De son côté, Milo ne faisait pas trop attention à son geste. La simple présence de Kanon et sa main chaude le réconfortait.