Chapitre 22

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[attention, deux nouveaux chapitres aujourd'hui : le 21 et 22. Bonne lecture !]

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Milo s'était endormi près de Kanon, alors qu'ils admiraient la voûte céleste. Blotti sur son épaule, le Scorpion semblait exténué. En voyant l'heure tardive, Kanon prit soin de le ramener au château. Le Scorpion avait besoin de repos, et Kanon voulait s'assurer qu'il dorme un peu. Le Dragon des mers décida même de garder la porte de sa chambre, histoire d'être sûr qu'on ne vienne pas le réveiller. Il restait immobile, tel un véritable dragon qui gardait son trésor. Malheureusement, Milo se leva de lui-même très tôt le matin. Il ne voulait pas contrarier Kanon, et passa par la fenêtre pour rejoindre la salle du trône. Sorrento l'attendait, et semblait surpris de le voir arriver de si bonne heure.

— As-tu eu assez de repos ? s'inquiéta Sorrento. Je sais que tes journées sont chargées, mais Kanon n'a pas tort… tu n'as pas beaucoup dormi ces dernières semaines.

Pour que son régent s'inquiète de son état, c'est qu'il devait vraiment être à bout de forces. Milo tenait à peine debout.

— Ne t'inquiète pas, je tiendrais le coup, assura Milo. J'ai pris trop de retard. J'aurais déjà dû réparer vos scales depuis longtemps.

— Tu as quand même beaucoup de mal à tenir le rythme. Normalement, c'est le couple royal qui se partage ces tâches. Amphitrite avait besoin du retour de Poséidon, car elle-même n'arrivait pas à tout faire seule.

— Tu crois que ma mère devrait m'aider ?

— Non, la déesse est gravement blessée… elle n'est plus en capacité de t'épauler.

Milo grimaça. Une des Néréides du château fit alors son entrée, avec un air désolé. Le Scorpion tourna la tête pour voir ses cheveux bleus flotter dans l'onde marine. Elle tenait des draps enroulés dans les bras, et tremblait. Deux marinas arrivèrent à la hâte et tentaient de s'excuser pour l'avoir laissé passer. La femme chancelait, avec un air suppliant dans les yeux.

— Laissez-la, intervient Milo. Que se passe-t-il ?

— C'est… ma fille, bafouilla la Néréide.

La jeune mère tira les draps pour dévoiler la minuscule enfant qu'elle tenait dans les bras. La petite semblait n'avoir que quelques mois et ne bougeait plus. Elle était pâle comme la lune. Milo s'approcha en constatant qu'elle était gravement malade. Peut-être même qu'il était déjà trop tard.

— Comment s'appelle-t-elle ? questionna Milo en approchant de l'enfant.

— Elle s'appelle Nerri… poursuivit la Néréide. La pollution des hommes de la Terre… ma fille ne va pas bien depuis qu'il y a eu… cette substance noire dans l'eau. Vous êtes l'enfant d'Amphitrite, vous avez le pouvoir de la sauver.

— Je… je n'ai jamais fait ça, admit Milo en jetant un regard interrogateur à Sorrento.

— Les divinités des mers ont le don de régénérer la vie marine avec leur cosmos, expliqua Sorrento. Tu as le sang d'Amphitrite dans les veines, tu devrais avoir ce don aussi.

— Mmm, ça fonctionne peut-être comme les pouvoirs des chevaliers d'or, en conclut Milo. Aiolia avait un pouvoir de soin, il s'en servait souvent.

Milo leva les mains au-dessus de Nerri. Il se concentra pour faire gonfler son cosmos bleuté. Il dirigea ensuite cette énergie vers la petite. Elle l'enveloppa de sa lumière bienfaitrice. Après quelques minutes d'efforts, l'enfant se remit à prendre des couleurs, et commença à s'agiter dans les bras de sa mère. Elle revenait à la vie. La Néréide eut l'air soulagée et remercia Milo. En voyant la reconnaissance dans ses yeux, mais aussi Nerri en meilleure forme, Milo sentit une chaleur et de la joie envahir sa poitrine. C'était la première fois qu'un habitant des mers lui demandait de l'aide. En soignant cette enfant, Milo avait eu la sensation d'avoir été utile pour son peuple. Après tout, c'était ce qu'ils attendaient d'une divinité : un miracle et une protection. Grâce à son intervention, l'enfant de cette Néréide allait pouvoir guérir.

— Vous devriez la faire surveiller par le médecin du château, proposa Milo. J'ignore si j'ai vraiment pu la sauver.

La Néréide le remercia encore, avant de repartir dans les couloirs. Sorrento semblait satisfait de son intervention, et lui adressa un sourire encourageant.

Toujours posté devant la chambre du prince, une heure plus tard, Kanon somnolait. Il se tenait adossé contre la porte, les bras croisés devant lui. Sa tête tombait un peu en avant alors qu'il commençait à fermer ses yeux turquoise. Il sentait la fatigue peser sur lui, et songeait à l'idée de rejoindre Milo pour dormir près de lui. Cela faisait des heures qu'il montait la garde, et lui aussi, avait besoin de repos. Hélas, un mauvais pressentiment commençait à l'envahir, alors qu'il entendait des marinas s'agiter un étage en dessous. Plusieurs personnes commençaient à arriver dans son étage. Il attrapa alors Io qui courait dans le couloir ; il se dirigeait vers la chambre de la reine. Le Scylla poussa un souffle surpris en sentant la poigne de Kanon. Puis, il se tourna vers lui ;

— Milo s'est gravement blessé, bafouilla Io. Il essayait de réparer une de nos scales. Il… il saigne beaucoup. Je dois prévenir la déesse.

— C'est pas possible, grogna Kanon en ouvrant la porte.

Le Dragon des mers jeta un regard dans la pièce : Milo n'était plus dans son lit. Kanon secoua négativement la tête, et courut vers la salle du trône. Il trouva Milo en sang sur une des scales en Totem. L'eau autour de lui était rougie. Ses généraux autour semblaient paniqués, et quelques Néréides ramenaient des bandages et de quoi le soigner. Kanon se précipita sur Milo pour constater la gravité de la blessure. Milo s'était volontairement fait saigner pour réparer les armures de ses généraux. Comme pour les armures de bronze, Milo devait être aux portes de la mort s'il voulait les réparer. Le Dragon eut l'air inquiet, avant de reconnaître la scale du dragon des mers sous le Scorpion.

— J'ai réussi, fit faiblement Milo. J'ai réparé ta scale en premier… je sais combien elle comptait pour toi.

Kanon écarquilla les yeux en voyant son armure flambant neuve. Milo l'avait réparée et améliorée. Elle semblait encore plus belle qu'avant, et brillait d'une couleur chatoyante : rappelant de l'or et du corail. Kanon se sentait touché par son geste ; l'armure du dragon des mers avait été longtemps son seul bien et sa seule réussite. Et, Milo s'en était souvenu. Kanon n'avait pas l'habitude de recevoir autant de gestes affectueux, et en plus de la part de quelqu'un qui comptait autant pour lui. Il en avait les larmes aux yeux.

— Tu n'étais pas en état, répondit Kanon d'une voix nouée.

— Essaye-la, fit Milo.

Kanon poussa son armure sur le côté, et prit Milo dans ses bras pour le ramener dans sa chambre. Il refusait de le voir s'épuiser encore plus. Le Scorpion avait besoin d'être soigné de toute urgence. Milo avait beau être divin, il n'était pas invincible non plus. S'il ne se ménageait pas, il terminerait sans enveloppe corporelle comme Hadès ou Poséidon.

— Je vais m'occuper des autres scales avec les gars, tonna Kanon. Tu n'auras qu'à m'expliquer comment faire. Je veux que tu te reposes. Je t'interdis de quitter ton lit ces prochains jours.

Plusieurs Néréides les suivirent, et aidèrent Kanon à coucher le prince. Elles s'occupèrent ensuite de ses plaies pour qu'elles puissent cicatriser. On le couvrit de bandages et de désinfectants. Milo ne tarda pas à s'endormir, complètement épuisé. Kanon hésitait à rester près de lui pour le veiller. Il s'inquiétait beaucoup. Pourtant, le Dragon des mers retourna dans la salle du trône quelques minutes plus tard ; la déesse Amphitrite s'était levée, et était allée voir Sorrento. Elle tenait difficilement debout. Une béquille l'aidait à ne pas tomber, et ses bandages étaient toujours souillés de sang frais. Elle souffrait depuis des mois, avec un visage fatigué. Le Dragon des mers les retrouva dans la grande salle. Chaque général se trouvait posté devant sa scale. Ils attendaient ses directives pour réparer leurs armures avec leurs propres sangs. Même Sorrento se tenait au-dessus de la scale de la sirène. Celle-ci gardait encore des traces de son combat contre les chevaliers de bronze.

— Milo n'y arrive pas, grogna Kanon. On lui en demande trop. Il n'arrive même pas à dormir convenablement.

La reine tourna son attention vers le grincheux. Elle semblait très calme et approuvait ces paroles.

— C'est vrai… Milo n'est pas fait pour diriger un royaume. Et avec mon état… je ne peux pas prendre le risque qu'il se retrouve seul, alors qu'il connaît à peine le royaume et ses coutumes.

— Qu'avez-vous en tête ? questionna Sorrento.

— Quand mon fils sera rétabli, j'organiserai un bal pour qu'il rencontre les Néréides en qui j'ai le plus confiance. Il aura besoin d'une reine pour l'épauler. Il devra en choisir une pour épouse. Cela ne me fait pas plaisir, mais je crois que c'est la seule solution. Je ne suis pas certaine de passer l'année… Je veux savoir Milo entre de bonnes mains s'il m'arrive quelque chose.

Amphitrite avait eu beaucoup de mal à s'exprimer. Elle toussa et cracha un peu de sang dans la paume de sa main.

— Et puis quoi encore ? hurla Kanon. Vous ne pouvez pas le forcer à épouser la première venue. De plus, Milo a déjà… il aime déjà quelqu'un sur Mü. Il ne sera jamais d'accord !

— Les mariages royaux ne sont pas des mariages d'amour, répondit sèchement Amphitrite. Il devra choisir une reine pour l'épauler dans sa tâche, et non pour ses beaux yeux. Poséidon m'a choisi à cause de mes pouvoirs ; je devenais reine en échange de lui fournir la plus puissante des armées.

— Je connais le rôle de roi, insista Kanon. Je pourrais m'occuper de tout le travail que Milo ne peut pas faire seul. Je l'aide depuis déjà plusieurs mois… je peux faire bien plus.

Plusieurs Néréides autour se mirent à pouffer de rire. Elles se moquaient à voix basse en comprenant qu'il voulait se proposer pour le mariage. La reine restait calme, avec un visage sérieux. Malgré tout, elle désapprouvait sa requête.

— Tu n'épouseras pas Milo, répondit Amphitrite. Seule une Néréide d'une bonne lignée peut prétendre épouser mon fils. Et même si tu en avais été une, personne ici ne souhaite te voir devenir souverain avec tes bêtises passées.

Kanon se sentait bouillir de l'intérieur. Il récupéra sa scale, et fila hors de la salle du trône avec les joues rouges de contrariété. Amphitrite l'avait assez humilié comme ça, il n'allait certainement pas se laisser faire. Entre ça, et sa tentative de lui voler son corps pour le donner à Poséidon, Kanon était bien décidé à ruiner son bal.

Milo mit quatre jours pour se rétablir. Il avait un peu de mal à se lever, car ses blessures n'étaient pas encore guéries. Malgré tout, ces jours de repos lui avaient fait du bien. Kanon et tous ses généraux voulaient lui rendre visite dans la matinée, avec quelques douceurs. Ils avaient cuisiné des biscuits avec de la farine d'algues. Malheureusement, Amphitrite ne laissait plus personne l'approcher, mis à part les servantes du château qui devaient le soigner. Elle ne voulait pas prendre le risque de voir Kanon s'approcher de lui avant le bal, et avait sécurisé toute l'aile où se trouvaient ses appartements.

Pratiquement tous les généraux, ainsi que Mordiern se posèrent près de la grande salle de réception. Des décorations offraient un cadre de fête au lieu, et de la musique pouvait être entendue à travers les portes. Ils semblaient partagés entre l'inquiétude et la contrariété. Le fait de ne pas pouvoir approcher le prince les agaçait. Ils n'avaient même pas pu prendre des nouvelles de Milo. En face, deux marinas gardaient les portes et leur refusaient le passage. Derrière, la salle de bal était déjà prête. Les prétendantes étaient présentes, et n'attendaient plus que l'arrivée de Milo et sa mère.

— Tel que je le connais, il va se barrer, fit Kanon dans un soupir.

Le Dragon des mers se tenait assis à côté d'Isaak ; son petit protégé. Une table et des chaises avaient été mises à leur disposition. Ils fixaient la grande double porte avec dégoût. Mordiern, Io et Baian semblaient plus détendus et regrettaient surtout de ne pas pouvoir entrer pour profiter du banquet. Ici, ils n'avaient le droit qu'à un petit apéritif.

— J'aurais bien voulu participer à la fête, dit Mordiern. Moi aussi je veux danser.

— Imagine, Milo aurait choisi l'un d'entre nous, s'en amusa Io.

Thétis arriva peu après pour les rejoindre. Elle portait une magnifique robe bleue et turquoise. L'habit était délicat, comme des voiles de poissons japonais. Elle souriait, et fit un geste poli de la main aux généraux. Son arrivée fit grimacer un peu plus Kanon qui lui adressa un regard noir.

— Moi, j'ai été invitée, lâcha Thétis d'une voix amusée. La reine m'a proposé de me joindre au bal. Milo pourrait me choisir.

— T'as le profil pour entrer ? demanda Io en ouvrant la bouche.

— Bah ouais, lui répondit son frère en passant ses bras derrière la tête. Thétis vient d'une des plus anciennes familles de Néréides du royaume. Notre famille aussi… du côté de notre mère.

— Souhaitez-moi bonne chance, fit Thétis. Je me vois bien devenir reine, pas vous ?

Kanon lui tira la langue dès qu'elle tourna le dos. Il brûlait de jalousie. Les deux gardes ouvrirent la porte pour la laisser passer. Le Dragon des mers soupira, avant de tourner la tête vers Mordiern qui se frottait le menton en ricanant.

— Qu'est-ce que t'as ? fit Kanon.

— Ils pourraient te laisser entrer, Io, proposa Mordiern à son frère. Tu sais que tu as le profil et l'âge de te marier.

Le Scylla pouffa de rire. Il semblait trouver l'idée stupide, avant de réfléchir un peu plus. Amphitrite ne lui avait pas donné d'invitation, pourtant, en étant le porteur de Scylla, il aurait bel et bien pu se présenter comme prétendante. S'il le voulait, il pouvait entrer au culot en jouant là-dessus. Io hocha la tête en souriant bêtement. Kanon écarquilla les yeux en le voyant se lever. Le Scylla portait son armure, et s'amusa à faire voler ses ailes de chauve-souris dans son mouvement avant de se poser devant les deux gardes.

— Je suis Io, le porteur de Scylla, dit-il sérieusement. Je suis la réincarnation de Scylla, ancienne nymphe et femme d'une grande beauté. J'ai déjà été courtisé par un dieu dans ma vie passée.

Les deux gardes fronçaient les sourcils, et se grattaient le dessus de la tête comme deux gorilles. Ils détaillaient Io du regard, l'air pensif. Les propos du Scylla venaient de court-circuiter leurs cerveaux.

— Mais, t'es un homme… fit l'un des gardes d'une voix confuse.

— C'est ce que vous pensez ? fit Io d'un air mystérieux.

— Attends, fit son collègue. Si c'est la réincarnation de Scylla… il peut pas être un homme. Si ?

Après réflexions, les deux gardes lui ouvrirent le passage. Io se tourna avec un air malicieux vers ses camarades. Il tira à son tour la langue vers le Dragon des mers pour lui faire une grimace et le narguer. Kanon grognait en le voyant faire des gestes amusés. Io fila ensuite, et rattrapa Thétis à l'intérieur de la salle. La Néréide éclata de rire en le voyant et le félicita pour son audace. Les portes se refermèrent ensuite derrière lui. Kanon sentait ses joues rougir de colère. Mordiern leva son pouce en l'air pour féliciter son frère.

— Et voilà Io avec un gros avantage, fit Mordiern. C'est avec lui que Milo s'entend le mieux dans cette salle.

Kanon fulminait. Si Io avait réussi à entrer, il n'y avait pas de raison qu'il ne puisse pas aussi. Il bougea à son tour, et se plaça devant les gardes. Il voulait absolument entrer.

— Moi aussi, je suis une réincarnation, assura Kanon.

— La réincarnation de quoi ? De Ladon, le vilain dragon ? questionna un des gardes en levant un sourcil. T'es le Dragon des mers, t'es pas Scylla.

— Je suis la réincarnation de la déesse Kannon de Ashibetsu, vénérée sur je ne sais quelle île au Japon. Alors, laissez-moi entrer.

— Casse-toi, Kanon, cracha le garde en levant sa lance. La déesse Amphitrite nous a demandé de ne pas te laisser entrer.

Kanon grogna en reculant, plus grincheux que jamais. Il passa devant les autres généraux qui le regardaient d'un air amusé. Il lâcha un juron, et quitta le château en grommelant de plus belle. Isaak hésitait à le suivre, mais préféra rester devant la salle. Le jeune marinas était beaucoup trop curieux de savoir si Io allait réussir à obtenir les faveurs de Milo.