Hey !
Et voilà un chapitre qui sera - normalement - posté en temps et en heure. Si je ne l'oublie pas sur le site. Encore une fois. Lalala.
Bonne lecture !
Naissance
.
— Te transformer ?
Vanitas hausse un sourcil.
— Oui.
— Et ça t'est venu comme ça, d'un coup.
Il ne peut pas dire qu'il n'en a pas déjà rêvé avant de venir. La vie de vampire est alléchante, et Neo aime le pouvoir que ses camarades lui évoquent. Evidemment, qu'il y a pensé.
Mais au-delà du pouvoir et de la promesse d'une mort vaincue, il est un fait qui influence inévitablement sa demande : il aime Vanitas, et Vanitas est un vampire. Sa peau est froide, dure, son rire porte les siècles, ses mains laissent parfois des bleus sur sa peau et son regard transperçant voit plus loin qu'il ne verra jamais. Vanitas est un vampire et malgré les hivers qui ont passé, son visage n'a pas changé.
Parce que Vanitas ne vieillit pas.
— Ce serait mieux pour nous.
— Nous ? Tu t'attaches vite, dis-moi.
— Tu peux parler.
Le noiraud siffle. Neo sait qu'il déteste qu'on le perce, c'est d'autant plus amusant de le faire. Cette moue irritée, son regard qui se plisse, sa langue qui claque. Il connaît ses tics. Il les savoure.
— Je vais vieillir.
— Je vieillis aussi, tu sais.
— Pas physiquement.
— Détail.
Il parle, il parle, mais il se tourne. Il ne veut pas le regarder en face, parce qu'il sait qu'il a raison.
— J'aurai dix-neuf ans cet hiver, Neo fait remarquer. T'avais quel âge, quand on t'a transformé ?
— Je ne sais plus. Ce n'est pas le genre de détail qu'on garde après des siècles de vie.
— T'as pas une petite idée ?
Vanitas n'est pas bête, et son amant encore moins. Il est prêt à parier que le corbeau était plus jeune que lui quand c'est arrivé. Son visage a encore la délicatesse d'une fin d'enfance. Ses traits ne sont pas assez carrés, ses mains, quoique puissantes, n'en sont pas moins petites. Oui, il était jeune. Il le sera toujours. Et lui, le temps l'emporte, et il a cette désagréable impression que le moindre jour qui passe l'éloigne de lui. Une nuit de plus, et il prend des heures que Vanitas ne connaîtra jamais.
Vieillir. Neo s'en moquait, avant de venir ici. Il faut dire qu'il ne pensait pas vivre longtemps. Mais les choses ont changé. Le confort le garde loin des dangers qui auraient pu lui coûter la vie, et la plus grande menace, à présent, c'est celle qu'il porte en lui. Le temps.
— La vie de vampire n'est pas aussi amusante que tu l'imagines.
— Ça n'a pas l'air plus contraignant que d'être à la rue, il fait remarquer.
Il marque un point. En témoigne la grimace de Vanitas.
— Si tu pars sur ce genre de comparaison…
— J'aurai juste à chasser pour me nourrir. Il y a des manières plus désagréables de survivre.
— Tu vas devoir chasser des humains.
— Je m'y ferai.
— N'en soit pas si sûr.
— Vous les tuez même pas.
Axel lui a déjà expliqué le principe. Une histoire de suspicion et de problèmes à rallonge. Les cadavres attirent la police, et si la police arrive ici, alors il faut faire ses bagages. Dans le meilleur des cas.
Le pire, c'est encore celui où les gens comprennent comment les morts sont morts. Pour Aqua et bien d'autres vampires, le secret est encore la meilleure solution pour protéger leur fragile existence - même si Neo ne voit pas ce qu'elle a de fragile. Les vampires possèdent une force que les humains ne développeront jamais. Peu importe qu'ils craignent la lumière du soleil, l'ail où il ne sait quelle autre faiblesse que les légendes leur prêtent. Un humain se brise au moindre coup de vent.
Un vampire traverse les siècles.
Mais soit.
— La plupart du temps. Et quand bien même, tu te sens d'aller suivre le premier crevard venu dans une ruelle sombre pour lui mordre le cou ? Toutes les proies ne sont pas aussi agréables que toi.
Le compliment l'irrite. Neo n'est pas une proie, pas plus qu'un repas. Ce que Vanitas a bu de lui, il a consenti à le lui donner. C'est une offre, rien de plus, rien de moins.
— Tu parles à quelqu'un qui a passé des années à mendier dans la rue.
— Mendier et chasser, c'est différent.
— C'est vrai. Dans le second cas, c'est moi qui décide de ce que je prends. J'ai pas à attendre qu'on veuille bien me filer un quignon de pain rassis.
Il ne comprend pas pourquoi Vanitas argumente. Sérieusement ? Il le connaît, l'idée a forcément dû lui traverser l'esprit. Il n'a pas l'air foncièrement contre, et il a vu cette pointe de sourire sur sa face. Est-ce qu'il le teste ?
— Tu es têtu.
— C'est l'hôpital qui se fout de la charité.
Vanitas revient vers lui. Il se laisse tomber dans le fauteuil le plus proches, les jambes croisées dans un tissu noir qui enserre ses cuisses. Un tissu proche de celui que Neo porte en cet instant, et qu'il n'imaginait pas ne serait-ce qu'effleurer, il y a encore un an. Ici, il a trouvé un confort qu'il n'aurait pu que rêver, si sa route n'avait pas croisé celle du vampire. La richesse lourde qui l'habille tous les jours, embellit son reflet dans le miroir, lui plaît autant qu'elle le surprend. Son reflet n'a rien à voir avec l'image tordue qu'il croisait dans le verre des vitrines.
Un reflet qu'il ne verra plus jamais, s'il se transforme. Il a bien remarqué que Vanitas n'apparaissait pas dans les miroirs. Mais quelle importance ?
— Tu as toujours été à la rue ?
La question le surprend.
— Non. J'étais à l'orphelinat, avant.
— Ils t'ont renvoyé ?
— Je me suis enfui.
— Pourquoi ?
Parce qu'il n'avait aucun avenir là-bas. Il détestait les cours, l'odeur humide des murs mal entretenus, la respiration sifflante de ses camarades la nuit. Ici, les couloirs sont silencieux, les repas ont du goût. Aqua exprime ses désaccords sans lui laisser de profondes marques rouges sur la peau, il a tout l'espace qu'il veut pour dormir. Et il a la première place devant le feu de cheminée.
Neo n'a plus eu froid, depuis son entrée au manoir. Les étés restent frais derrière les murs de pierre.
— J'ai mes raisons.
La réponse déplait à Vanitas, il sent. C'est un morceau de lui qu'il refuse de partager. Ça l'agace. Qu'est-ce qu'il va s'imaginer ? Qu'il était persécuté ? Oh, il y a bien deux trois crétins qui lui cherchaient des noises, et il a déjà passé la nuit à dormir sur ses bleus. Mais il savait se défendre. Il rendait les coups. Ceux qui l'ont frappé s'en mordent encore les doigts.
Neo est un battant, personne ne l'enterrera.
Vanitas le jauge. La lame de sa pupille lui passe dessus comme la pointe d'un couteau. Il cherche la faille, le doute. Une hésitation comme une carte mal placée qui ferait s'effondrer le château. Mais il ne trouvera rien, parce que Neo n'a pas de faiblesse.
— J'en parlerai à Aqua.
— Pourquoi ?
— Parce qu'elle va m'arracher la peau du visage et me donner à bouffer au vers, si je transforme quelqu'un sans lui demander la permission.
— Et si elle refuse ?
Le vampire déplie ses courtes jambes avant de s'approcher de lui. Il se penche, glisse comme un serpent sur ses cuisses et pose ses deux mains froides sur ses joues. Neo retient sa respiration.
— Si elle refuse, elle sera furieuse.
Il s'entend déglutir.
— Mais elle nous pardonnera d'ici une dizaine d'années.
Un sourire nouveau pointe sur sa bouche.
— Je te préviens, c'est irréversible. Un vampire reste un vampire, ou il se transforme en poussière. Mais tu ne retrouveras jamais ton humanité.
— J'en veux pas.
— Tu ne sais pas ce que tu dis.
Si, il sait. l'humanité, c'est toute la douleur qu'il prend pour un coup dans les côtes. C'est la fatigue d'une grippe, le froid de l'hiver qui lui ronge la peau. C'est le mépris des plus riches qui lui passent devant et les cadavres qu'il trouvait parfois dans les rues aux premières neiges, qui réveillaient toujours la même pensée : ça aurait pu être moi.
S'il peut troquer tout ça pour une immortalité neuve, alors il le fait sans hésiter. Il veut bien vendre son âme au diable. Il l'a sur les genoux, et il ne lui fait pas peur.
— Embrasse-moi.
D'abord, il croit que Vanitas va pour obtempérer. Il le sent qui se penche, balade son souffle le long de sa bouche comme un avant-goût de l'enfer. Mais son rire résonne.
— Et si je refuse ?
Neo ne lui en laisse pas la possibilité. Il attrape sa nuque et il presse d'un coup sa bouche contre la sienne.
xoxoxox
— Je te préviens, ce ne sera pas une partie plaisir.
— Abrège Aqua. Il ne changera pas d'avis, Vanitas raille.
La vampiresse joint ses mains en signe d'impatience. Elle n'accorde même pas un regard au démon qui s'agite près d'elle.
— Je crains pas la douleur, Neo lâche.
— Je ne te parle pas de douleur. La transformation est parfaitement supportable à ce niveau.
Elle s'appuie contre la fenêtre ouverte, et la lune court sur ses jambes. Sa peau à l'air si fine. Un rien pourrait la couper, et pourtant, la seule nature d'Aqua la rend invulnérable au danger. C'est ça qu'il veut. Cette force insoupçonnable, ce bouclier invisible entre lui et le commun des mortels. Figer le temps qui le sépare de Vanitas.
Il se tourne vers lui, et son regard de miel écrase son cœur. Une vie, c'est trop peu. Il le veut pour toujours.
— Mais elle ne se fera pas en une fois. Tu devrais boire le sang de l'un des nôtres le temps que ton organisme s'adapte. Ça prendra plusieurs jours.
— Combien ?
— Ça dépend. Tous les corps ne réagissent pas de la même manière. On compte une semaine pour les transformations les plus longues.
Une semaine. Dans une semaine, il sera comme Vanitas.
— Il y a un risque que ça rate ?
— Non. Ta vie ne sera pas mise en danger, si c'est ce qui t'inquiète. Enfin, selon ce que tu considères comme étant ta vie.
Noyer l'humain dans le sang. L'idée n'est pas très ragoutante, mais Neo a bu et manger des choses bien pires qu'un filet rougeâtre pour survivre. Il tiendra le coup.
— Comme tu t'en doutes, c'est une décision irréversible. À ce jour, nous n'avons trouvé aucun moyen d'inverser la transformation. Elle est définitive.
— Tant mieux.
Elle n'a pas l'air d'être de cet avis. Elle aussi, pourtant, elle a un jour choisi cette voie - et vu le processus qu'elle lui décrit, on ne l'a pas transformée sur un coup de tête. Boire du sang sur une semaine, ça ne s'improvise pas. Alors qu'est-ce qui la pousse à tenir ce discours, aujourd'hui ? Les regrets ?
Il ne l'avouera pas devant Vanitas. Mais Neo aime bien Aqua. Elle est rigide, pour autant, elle est juste. Elle l'écoute malgré son propre avis. Surtout, elle l'intrigue. Il voit ce fantôme de poids sur ses épaules, qu'elle porte dignement. Ce trucs qui pèse sur le moindre de ses pas. Elle ressemble au noiraud, quand elle affiche sa fierté au devant de ses failles.
Ça aussi, mieux vaut qu'il évite de le lui dire.
— Si c'est ton choix, je ne m'y opposerai pas, elle déclare.
Son regard passe de lui à Vanitas, et inversement. Elle se doute de ce qui motive son choix, il devine. Et il ne compte pas la détromper. Chacun ses raisons, elle n'a rien à redire aux siennes.
— Transforme-le si tu veux, elle lui dit. Mais n'oublie pas que tu en porteras la responsabilité. Tu devrais veiller à ce qu'il ne dérape pas pendant ses premiers jours.
Neo attend le sarcasme piquant de Vanitas. Mais rien. Il se contente de hocher la tête alors qu'elle se tourne. Et comme il comprend que la discussion est finie, le dernier humain de la pièce jubile. Ils ont gagné.
Le vampire se glisse dans son dos pour mieux saisir sa taille.
Le même sourire victorieux éclaire leurs lèvres.
Une semaine, elle a dit.
Une semaine.
Et sa peau aura la même température que celle de Vanitas.
xoxoxox
— Je dois te mordre ?
— Ne sois pas si pressé.
Le gloussement du noiraud réveille son impatience. Il pensait qu'ils se mettraient à la tâche aussitôt la patronne sortie de la pièce, mais non. Les mains de Vanitas ont glissé le long de son torse pour mieux l'allumer, il l'a embrassé, et ça fait bien dix minutes qu'il est allongé sur lui, sa tête sur son torse encore plein de sueur. Même pendant l'amour, sa peau reste froide. Neo ne peut s'empêcher de trouver ça étrange.
— Et non. Les dents des humains ne sont pas assez aiguisées pour ça. Même si tu perçais ma peau, tu n'en tirerais que quelques pauvres gouttes de sang.
— Me sous-estime pas.
Cela dit, il a sans doute raison. Il pourrait bien mordiller de toutes ses forces, la peau blanche de Vanitas est plus solide qu'il n'y paraît. Pourtant, quand il la touche, elle est aussi tendre que la sienne. Une chair molle, pleine de muscles prêts à se dresser pour l'attraper.
Il la sent, cette force dormante. Celle qui passe dans les mains du vampire quand il agrippe ses hanches et laisse parfois des marques mauves sur sa peau.
— Mais je t'en prie. Si tu te crois capable de faire ça tout seul…
Neo se jette sur lui, mais ce n'est pas tant pour le mordre que pour attraper sa bouche. Il roule et s'appuie contre alors que le poids de Vanitas glisse sous le sien. Sa peau sent la pierre et les questions lui viennent alors qu'il caresse sa nuque. Celles qu'il n'a pas pris la peine de se poser.
Qu'est-ce que ça fait d'être un vampire ? D'avoir soif ? Il image la main sèche d'un désert autour de sa gorge, un besoin irrépressible qui gronderait dans son ventre. Mais personne ici ne semble à ce point tendu. Les vampires de ce manoir ont tous plus d'une centaine d'années, de ce qu'il a compris. Ça doit jouer.
Et sa peau ? Est-ce qu'elle sera aussi froide que celle de son partenaire ? A quoi ressemblera celle de Vanitas, quand ils seront à la même température ? Aurait-il enfin chaud dans ses bras ? Chaud, c'est un bien grand mot.
En tout cas, il a chaud partout ailleurs, dans son ventre surtout, quand il sent que l'autre va pour lui mordre l'épaule.
— J'ai pas envie d'attendre.
— Tu devrais apprendre la patience. C'est une qualité qui te fait cruellement défaut, Vanitas ricane.
Puis il se redresse et la lune découpe des lames blanches sur sa silhouette. Sa tignasse hasardeusement aplatie ressemble à ces sapins que le vent écrase. Il entrouvre la bouche, laisse voir cette dentition particulière qui a de nombreuses fois percé sa peau de deux trous nets.
Neo inspire. Il s'attend à ce qu'il attrape quelque chose, un couteau, n'importe quoi. Mais le noiraud penche la tête et il porte à sa bouche son poignet plein de veines.
Silence. L'humain serre sa main sur les draps. Son cœur bat contre ses tempes.
Vanitas ne couine même pas, quand la ligne rouge passe sur sa peau. Est-ce qu'il sent encore la douleur ? Peut-être que non. Qu'est-ce que ça veut dire, la douleur, pour quelqu'un qui a vécu si longtemps ?
La douleur. Est-ce que la transformation fera mal ? Aqua a dit que ce ne serait pas un problème, mais ça ne veut pas dire qu'il ne sentira rien.
— Tiens.
Curieux, Neo attrape sa main. C'est la première fois qu'il le voit saigner. Le liquide est aussi rouge que celui qui coule dans son propre corps, c'est presque décevant.
Mais le jeune homme sait ce qu'il veut, alors il ravale son hésitation. Jusqu'à présent, il n'a rien regretté de ses choix. Ni la fuite loin de l'orphelinat, ni ses premiers pas au manoir. Toute cette histoire n'est qu'un long chemin qui l'a mené vers ce qu'il considère maintenant comme la plus sensée des conclusions. Il devait être ici, avec Vanitas. Il s'est démené pour ça.
Et quand il croise son regard plein d'avidité, il refuse de croire qu'une autre vie était possible pour lui. Il n'y a que celle-là qui mérite d'être vécue.
Alors il se penche, et il aspire sans vergogne le sang à même la plaie du vampire.
Son sang.
Le goût n'est pas désagréable, au final. Là encore, il est proche du sien.
xoxoxox
Le premier repas n'est pas différent du dernier qu'il a pris. La viande a un goût de viande, la sauce qui l'accompagne lui réveille les papilles et la faim gronde au fond de son ventre alors qu'il se penche vers son assiette. Il lui semble que l'odeur est plus riche, mais c'est peut-être son esprit qui lui joue des tours.
Il n'a bu qu'une fois, après tout.
Le second l'irrite. Il vient au soir, vingt-quatre heures après sa première gorgée au poignet de Vanitas. Vanitas qui se pose distraitement près de lui, curieux de ses réactions. Sa main ne porte plus de trace de leur échange. Pas la moindre balafre. Neo ne devrait pas être surpris - et à la vérité, il n'est pas tant surpris que déçu. Il aurait voulu garder un souvenir de ce moment. Pouvoir le contempler et se dire que Vanitas aurait pour toujours cette cicatrice.
La salade est fade, il ne cesse de rajouter du sel sur les pommes de terre. Ça a l'air bon, pourtant.
Il n'y a que la viande qui ait encore du goût.
— Alors ?
— Ça passe.
— Appelle-moi quand tu auras envie de décimer le village le plus proche, Van ricane.
Ça ne vient pas. Pas ce soir.
Mais le sang qu'il vient boire pour la seconde fois lui semble meilleur. Il coule sur sa langue, l'arrière goût de fer l'enivre. Il croit deviner une grimace sur les lèvres du noiraud et l'idée de sa douleur l'amuse.
— Tu le fais exprès ?
— Peut-être.
Quand il se redresse, l'autre ne le rate pas. Il l'embrasse comme jamais. Une forme de punition particulièrement satisfaisante.
C'est au matin du troisième jour qu'il vomit son repas.
Son ventre se serre, des crampes horribles. Il n'a même pas la nausée, non, son corps rejette juste ce qu'il a mangé une heure plus tôt. Une douleur sourde comme un coup sous les côtes le prend alors qu'il crache dans les toilettes.
Les asperges n'étaient pas mauvaises, pourtant. Les aliments perdent de leur goût, mais ils ne le rebutent pas. Seulement, une alarme s'allume dans sa tête et tous ses muscles se crispent jusqu'à ce qu'il ne reste plus une trace de cette nourriture intruse en lui.
Il crache dans le lavabo.
— On dirait que ça commence à faire effet, Vanitas ronronne depuis le couloir.
Neo serre les poings. Il ne veut pas qu'on le voit dans cet état, c'est pitoyable. Ridicule.
Il se tourne alors que l'autre passe le cadre de la porte.
— Je sais ce que c'est, Neo. Je suis passé par là.
Non. Il n'imagine pas plier en deux sur ce qui devait lui servir de toilettes à l'époque. Pour lui, le corbeau s'est levé un jour, les yeux comme deux bijoux de feu, assoiffé, avec cette grâce anarchique qui déforme tous ses mouvements. Vanitas ne pouvait décemment pas cracher sa bouffe pleine de bile comme les malades de l'hôpital.
Qui l'a transformé, d'ailleurs ? Il ne lui a jamais posé la question. Il doute que ce soit Aqua - à vrai dire, il soupçonne que la dame soit plus jeune que lui. Alors qu'il s'essuie la bouche, il pense au boss qu'il ne croise presque jamais. Xemnas, s'il se souvient bien. Cet homme à la présence écrasante qui demeure enfermé dans un bureau de l'étage. Oui, c'est sans doute lui.
Ça expliquerait la couleur de leurs yeux.
— Tiens.
Le spectateur lui tend un torchon.
— Laisse-moi.
— Dans tes rêves.
Il aimerait que Vanitas cesse de piétiner son égo déjà ruiné par cette suite de vomissements. Mais quand il saisit sa piètre offrande, son regard ne rit pas. Il le lui donne simplement, et il retourne dans le couloir, là où il l'entend sans doute aussi bien qu'ici.
Quand il sort, enfin débarbouillé, deux bras trouvent sa taille et s'en saisissent.
— Ça va aller, il le rassure. Tu as fait le plus dur.
Le front de Vanitas contre son épaule n'est pas froid. Plus maintenant.
Neo n'est pas sûr de le croire. Il le serre quand même contre lui. Il n'avait pas fait attention, jusqu'alors, mais l'odeur du noiraud est bien plus complexe qu'il ne le pensait.
xoxoxox
Six jours. Six fois qu'il attrape le poignet de Vanitas pour sucer la plaie qu'il y dessine. Et pour la première fois, il entaille de lui-même la peau du poignet qu'on lui tend.
C'est plus fort que lui. Il le voit sortir sa main et il l'attrape. Il ne réalise même pas. Un instant, la peau pâle est sous ses yeux. Et celui d'après, un liquide sirupeux passe dans sa gorge. C'est presque du sucre, à peine du sel, pas vraiment le goût de la viande rouge et ce n'est pas si loin de celui du vin, mais il est sûr qu'une chose, c'est délicieux.
Il n'a jamais rien bu ni mangé d'aussi bon.
Ses dents s'enfoncent sous la peau à même la chair, taillent plus loin pour élargir le flot. Il en veut plus, beaucoup plus, il a besoin de remplir ce vide en lui, il lui faut-
— Neo.
On tire son repas.
— Arrête.
Il serre la main. C'est à lui. Il ne peut pas lâcher maintenant, il en a tellement besoin. Il n'a jamais eu aussi faim, toute la journée il a attendu ce repas, c'est-
— Neo !
La voix de Vanitas perse le silence. Il se redresse, le visage humide. Bêtement, il se demande s'il a pleuré, mais non. Le liquide qui coule le long de son menton, c'est celui qui macule la main de son amant.
Du sang. Qui sent affreusement bon.
Il le veut.
Comment est-ce qu'il a pu s'en passer tout ce temps ?
— J'ai soif.
Sa propre voix lui est étrangère.
— Je sais.
— Laisse-moi boire.
A nouveau il tente de saisir la main qu'on lui retire. Son cœur ne cogne plus, il explose dans sa poitrine. Il n'est plus censé battre, pourtant, mais Neo sent cette tempête partout dans son corps.
— Tu as assez bu pour l'instant.
— Non !
— Neo, je sais que c'est dur, mais tu dois prendre sur toi. Tu ne peux pas céder à la soif chaque fois que tu vois du sang.
— J'en ai besoin !
Un grognement rauque retentit, et il lui faut un moment pour comprendre qu'il vient de sa gorge.
— Non.
— Donne-m'en encore.
Sa main est si proche, il n'a pas le droit de la lui refuser. Ça lui coûte quoi, de la tendre ? Il veut juste quelques gorgées, le peu qu'il lui faut calmer ce monstre qui gronde, ce besoin viscéral. Il en a besoin, il y a droit, il s'est battu pour en arriver là, il l'a mérité, Vanitas n'a pas le droit de lui refuser, pas après toutes ces années passées à l'orphelinat, pas après la rue froide et-
— Demain.
— Te fous pas de moi !
— Je suis sérieux.
Ça ne lui arrive pas souvent. Neo ricane. Vanitas plaisante toujours, il le fout de la gueule du monde et il pisse sur les règles qu'on lui impose. Qu'il ne vienne pas lui dire qu'il est sérieux, il…
Il le regarde. Et ses yeux affinés lui passent au travers.
Neo déglutit.
— J'ai soif, il supplie.
— Tu attendras quand même.
Il le regarde essuyer son poignet, impuissant. La plaie se referme déjà, mais la pièce empeste encore un parfum délicieux. Il pourrait lécher les draps pour aspirer le sang qui a coulé sur le lit.
— Je sais que c'est dur.
Sa main enfin propre se pose sur sa joue. Sa main chaude. Il imagine le sang palpiter au creux de sa paume. Bouillir. Ses poumons se pressent chaque fois un peu plus vite dans son torse.
— Mais pour que ça passe, tu dois apprendre à contrôler ta soif.
Il sent un mouvement chaud et humide contre ses lèvres. La langue de Vanitas, qui passe sur sa bouche. Son menton. Partout où le sang reste. Une lame carmine éclaire ses yeux quand il les croise, avant qu'il ne l'embrasse.
— Ton corps va s'habituer. Ça deviendra supportable d'ici quelques jours.
Combien ? Les minutes passent, s'allongent et Neo n'en voit pas le bout. Il ne pourra même pas compter sur le sommeil pour le soulager. La chose gratte dans son ventre. Ses intestins se tordent.
— Sois patient.
— J'en ai besoin.
— C'est ce que tu crois.
Sa bouche blanche souffle contre son oreille.
— Je suis passé par là. Je sais que tu t'en sortiras.
Une main tiède caresse ses cheveux et l'amène contre lui. Neo inspire. Il peut sentir d'ici les effluves du sang de Vanitas. Il sait qu'il y en a là, sous sa peau, il a juste à y planter ses crocs pour boire, c'est si proche. Il en pleurerait.
Sa tête contre son torse, il étouffe un sanglot.
— Ça va aller.
Il se concentre sur la voix qui coule dans son oreille.
— Je suis là.
Cette voix qui ne lui ressemble pas, dépourvue de rire.
La force de ses bras le surprend alors qu'il l'étreint. Il pourrait l'enfoncer dans les draps, le plaquer et se servir copieusement sans s'inquiéter de son avis. L'idée seule le fait frissonner. C'est à sa portée, et le noiraud ne cherche même pas à se défendre. Il le sous estime.
Ou alors, il lui fait confiance.
Neo déglutit.
Il doit tenir. Pour Vanitas. Pour passer le reste de l'éternité avec lui.
Demain soir, il a dit. Dans vingt-quatre heures, il pourra mordre à nouveau. Une éternité. Soit. Les paupières serrées, il entame le décompte.
Voiiiilà.
Il est possible que je ne pose pas la semaine prochaine, parce que j'ai encore des OS des 100 thèmes de Demyx à poster. Je verrai ça sur le tas !
A la prochaine !
