Chapitre 1 : Insomnies
Adrien n'avait pas dormi depuis trois jours, et la fatigue commençait à avoir des répercussions sur ses moindres faits et gestes : en 72 heures, il était entré dans la mauvaise classe au lycée, avait pris ses affaires d'escrime pour une séance photo, était incapable de se souvenir des mots les plus simples en chinois et avait même dû réfléchir quelques secondes pour se souvenir du prénom de son meilleur ami.
Ce dernier était en train de lui frotter le dos dans l'espoir de faire remonter suffisamment de sang dans son cerveau embrumé.
« Mec, tu devrais rester à la maison et essayer de dormir. T'as la dégaine et les capacités mentales d'un zombie, là... »
Adrien voulut lui répondre, mais il avait tout juste assez d'énergie pour laisser échapper un grognement. Affalé sur sa chaise, le front collé au bois de son pupitre, il se demandait s'il n'était pas lui-même en train de se transformer en meuble.
Il avait vaguement conscience de ses camarades de classe qui discutaient autour de lui, mais il ne comprenait rien de ce qu'ils disaient.
« Tu veux que j'aille te chercher un café ? Ou je crois qu'Alya a une des boissons énergisantes cheloues de sa sœur dans son casier, ça pourrait t'aider à survivre jusqu'à la fin des cours. »
Nino n'attendit pas sa réponse et se leva. Adrien hésitait à le rappeler : il aimait bien quand il lui grattait le dos. Ses muscles étaient ankylosés par l'épuisement et les efforts physiques constants qui ponctuaient sa double-vie, et tout ce qui se rapprochait de près ou de loin d'un massage lui faisait du bien.
Avec les années, il s'était habitué à ses deux vies. Il en était même venu à apprécier à quel point elles se complétaient : la discipline acquise à l'escrime l'aidait à se concentrer lorsqu'il se battait contre les akumas, les combats contre les akumas avaient aiguisé ses réflexes lors des combats d'escrime lui donnaient l'endurance dont il avait besoin lors des patrouilles nocturnes. Ses patrouilles lui donnaient la liberté dont il manquait à la maison et son masque lui permettait d'être enfin quelqu'un d'autre qu'Adrien Agreste. Son amitié avec Ladybug compensait la distance qu'il y avait entre son père et lui.
Ses deux vies n'étaient pas parfaites, mais il ne les aurait échangées pour rien au monde. Enfin, si, peut-être pour une bonne nuit de sommeil, dont le manque commençait sérieusement à lui plomber le moral.
Chaque année, il était victime d'un coup de blues. C'était généralement juste avant les vacances d'été, alors que tout le monde se réjouissait des semaines libres à venir. Sa mère avait disparu à cette période-là, quatre ans plus tôt, et son souvenir revenait le hanter. Même s'ilaurait dû se faire une raison avec le temps et accepter qu'il ne reverrait plus jamais sa mère, pour enfin faire son deuil et reprendre une vie sans elle, il était incapable de tourner la page : à chaque fois qu'il essayait de se convaincre rationnellement qu'elle était partie pour de bon, une petite voix dans un coin de son esprit lui murmurait qu'il devait garder espoir.
Incapable de faire taire cette voix, il s'était résigné à vivre avec elle et son tiraillement constant. Tiraillement qui s'amplifiait chaque fois de juin et qui, depuis trois jours, l'empêchait de dormir.
Son insomnie le rendait d'autant plus réceptif à l'idée que sa mère était encore vivante, car c'était son esprit rationnel qui pâtissait le plus de sa fatigue. Parfois, il avait même l'impression de l'entendre ou de la voir.
Adrien sentit une présence à côté de lui et entendit quelque chose être posé sur son bureau. Il leva la tête.
« Un « TESTOSTAR MAX PROTEIN 21 » pour le jeune homme. Avec ça, tu vas voir les bruits et entendre les couleurs, » fit Nino en tapotant la canette argentée.
Le blond grimaça. Il connaissait ce genre de boisson pour en avoir bu souvent quand les séances photos se prolongeaient indéfiniment, mais rien qu'à l'odeur, son estomac se serra. Il avait horreur de ce mélange de sucre, de médicament et de chewing-gum liquide.
« Merci, tu me sauves la vie, » répondit-il tout de même en ouvrant la canette. L'odeur écœurante lui piquait les narines, mais il se força à boire quelques gorgées. Il en avait besoin pour tenir le reste de la journée.
« Par contre, faut pas que t'en boives tous les jours. Nora a essayé une fois et elle a passé le week-end au fitness sans faire de pause, et elle est tombée dans les pommes après et a dormi trois jours, ajouta Alya qui venait d'arriver. Ah mais t'as vraiment une mine horrible, t'as fait quoi ?
- 'rrive pas à dormir, j'sais pas pourquoi, » mentit l'intéressé en haussant les épaules.
Alya s'apprêtait à poser une autre question lorsque Mme Highsmith, leur professeure d'anglais, entra dans la classe. La métisse fila vers le fond de la salle et Nino reprit sa place à côté de lui. Adrien finit sa boisson cul-sec et laissa tomber la canette dans son sac. Il ne restait plus qu'à attendre qu'elle fasse effet.
Le cours ne demandait heureusement pas trop de réflexion : ils abordaient le dernier chapitre de l'année, le conditionnel, et faisaient des exercices récapitulatifs pour voir si la matière était acquise. Chaque élève devait lire une phrase à voix haute et changer le temps des verbes, et Mme Highsmith les interrogeait toujours dans l'ordre. Adrien mit cinq secondes à calculer la phrase sur laquelle il tomberait, griffonna la réponse dans le livre et laissa son esprit vagabonder pour quelques minutes.
Le tiraillement était toujours là. La petite voix était convaincue qu'Émilie Agreste était toujours vivante. Elle avait disparu et ne pouvait pas revenir d'elle-même pour l'instant, mais elle était en vie et réapparaîtrait un jour. Peut-être qu'elle n'était pas très loin et que s'il partait à sa recherche, il pourrait la retrouver.
Un coup de coude de Nino le ramena à la réalité.
« Mr Agreste, sentence 25, please, fit l'enseignante de sa voix acariâtre
- Yes, mom, sentence 25 is... »
Il se raidit en se rendant compte de son erreur. Derrière lui, quelqu'un pouffa, mais fut vite étouffé par des chuchotements. Ce genre de lapsus devenait beaucoup moins drôle quand celui qui l'avait eu était semi-orphelin.
« Yes, Ms Highsmith, the next sentence is « If I were him, I would not go to London during Christmas », » corrigea-t-il en insistant particulièrement sur le nom de leur professeure.
Après avoir lu la phrase suivante, Nino se pencha vers lui.
« Ça va aller ? T'as vraiment l'air d'être sur une autre planète, c'est vraiment mieux si tu rentres. En plus, on va à une conférence à la dernière heure de cours, tu vas rien louper d'essentiel. Si ça t'intéresse vraiment, je vais l'enregistrer.
- Non, t'inquiète, je vais gérer. »
Encore un mensonge. Adrien s'en sentait d'autant plus coupable que Nino avait raison, maisil refusait de céder. Il ne voulait pas laisser le souvenir de sa mère influer sur sa vie quotidienne.
Le reste du cours se déroula sans autres incidents. Le blond réussit même à se concentrer quelques minutes. La boisson faisait effet.
La cloche sonna la fin de l'avant-dernier cours. Ms Highsmith leur annonça encore les devoirs à faire pour la semaine suivante, mais personne n'y prêtait grande attention, à en croire les discussions à voix haute, le grincement des fermetures Éclair et le frottement des pieds de chaise sur le parquet. La conférence qui les attendait n'était pas intéressante au point d'engendrer une ruée jusqu'à la salle où elle avait lieu, mais elle offrait une belle alternative à un énième cours de français.
Adrien balaya machinalement ses affaires dans son sac, mais regretta immédiatement sa nonchalance : sa trousse était mal fermée, et ses stylos se renversèrent par terre. Il s'accroupit avec un grognement pour les ramasser.
« Vas-y déjà, Nino, je te rejoins après, » fit-il en tâtonnant autour de lui. Ses affaires avaient roulé sous les bureaux adjacents, et il dut se mettre à quatre pattes pour voir exactement où.
Une paire de baskets blanches apparut devant lui. Il leva les yeux et découvrit Marinette, penchée vers lui. Elle tenait deux de ses crayons dans la main.
« Je crois que c'est à toi, tiens, » dit-elle en souriant avec bienveillance.
Il lui sourit en retour et prit les crayons en la remerciant. L'espace de quelques secondes, son exaspération et sa fatigue se dissipèrent un peu. Cette fille avait le don pour remonter le moral de tout le monde, même dans les pires moments.
« Ça fait quelques jours que t'as l'air vraiment fatigué, est-ce que tout va bien ? Si jamais, ma mère a des vieilles astuces chinoises naturelles pour guérir tout et n'importe quoi, alors... continua-t-elle en regardant par-dessus son épaule à lui quelques secondes. Alors hésite pas à demander, je peux te passer un de ses remèdes maison pour la fatigue ou le stress... »
Adrien devina qu'Alya les observait de loin. Il se tourna légèrement, et la vit qui agitait un pouce vers le haut en souriant. Il ne comprit pas si le signe était destiné à Marinette, à lui ou aux deux, mais il était trop fatigué pour s'en soucier.
« T'inquiète pas, c'est juste temporaire, j'ai des périodes un peu bizarres comme ça. Mais si ça se prolonge, je t'en parlerai, promis, » répondit-il en fourrant crayons et stylos dans la trousse, avant de la remettre dans son sac.
Alya les rejoignit en sautillant au moment où il se relevait. Il n'y avait presque plus personne en classe, à l'exception de leur trio et de Nino qui attendait près de la porte.
« Prêts pour « Le cannabis, c'est pas si cool que ça ? », conférence hautement didactique qui a déjà changé la vie de plusieurs millions de jeunes et qui les a renvoyés dans le droit chemin ? dit ce dernier avec une voix faussement enjouée.
- Ça fait des années que j'attends ce moment, » lui répondit sa copine en levant les yeux au ciel.
Nino prit la main d'Alya et l'entraîna dans le couloir. Marinette les suivit, non sans lui avoir jeté un coup d'œil inquiet. Adrien se redressa un peu et lui sourit pour la rassurer, avant de lui emboîter le pas.
La conférence avait lieu dans un centre culturel, à quelques rues du lycée. Adrien se rendit alors compte qu'il avait oublié d'informer le Gorille d'aller le chercher là-bas. Il sortit son téléphone pour lui écrire un message, levant de temps à autre le regard pour être sûr qu'il se trouvait toujours à quelques pas derrière Marinette. Cette dernière avançait en réglant les bretelles de son sac pour mieux l'ajuster sur son dos.
Trop occupé à choisir les bons mots dans son correcteur orthographique, concentrant ce qui lui restait d'énergie au bout de ses doigts, il ne fit pas attention à la première marche au bout du couloir. Son pied rencontra le vide et il se sentit basculer en avant. Son bras libre battit l'air à la recherche d'un appui. Il tombait.
L'épaule de Marinette, un peu plus bas, le sauva de la chute. Il s'y agrippa in extremis, mais son élan la fit vaciller. Pendant une seconde, il crut qu'elle allait tomber aussi. Mais heureusement, elle tint bon.
Alya et Nino, quelques marches plus bas, n'avaient rien remarqué de sa mésaventure. Son meilleur ami venait d'éclater de rire alors qu'Alya essayait de le faire taire.
Marinette, seul témoin, avait tourné la tête vers lui. Sourcils haussé et ridule inquiète sur le front, elle ne le lâchait plus du regard. Adrien détourna le sien, penaud.
« Merci, et… euh… désolé, j'étais en train d'écrire et j'ai pas vu la marche… fit-il, se sentant bête de lui avoir assuré quelques minutes plus tôt que tout allait bien.
- T'inquiète, c'est pas moi qui vais te juger si t'es maladroit, lui assura-t-elle avec un léger sourire qui n'atteignit pas tout à fait ses yeux. Mais… tu es sûr que c'est juste la fatigue ? Si c'est quelque chose de grave qui te tracasse, tu peux en parler… Pas forcément à moi, hein, mais à plein d'autres… Tout le monde dans la classe t'apprécie et sera prêt à t'aider si t'en as besoin. On est là pour toi. »
L'espace d'un instant, Adrien se demanda s'il ne devait pas tout lui raconter : la disparition de sa mère, le tiraillement qui lui donnait l'impression qu'elle était toujours vivante, les insomnies qui en résultaient, les circonstances étranges dans lesquelles elle avait disparu… Depuis quelques mois, Marinette et lui s'étaient rapprochés et elle avait l'air moins nerveuse en sa présence. Elle était toujours prête à aider les autres, même si elle devait sacrifier beaucoup de son temps et de son énergie. Et les rares fois où elle ne pouvait rien faire, elle était toujours à l'écoute et réconfortait qui elle pouvait comme elle pouvait… S'il y avait une personne au lycée avec qui il pouvait partager ses soucis en dehors de Nino, c'était bien elle.
Pourtant, il se ravisa. Ce n'était ni le bon endroit ni le bon moment pour le faire. Et il ne voulait pas l'embêter avec un coup de blues qui finirait par passer.
« Vraiment, c'est rien, t'en fais pas. Ou alors tu m'as contaminé avec ta maladresse, » ajouta-t-il avec humour.
L'adolescente rougit et baissa les yeux. Les deux se rendirent alors compte qu'il avait toujours sa main sur son épaule. Il la retira d'un geste brusque, comme s'il avait été électrocuté, en balbutiant des excuses.
Ils se remirent en route (Adrien prit juste le temps de confirmer l'envoi du message) et rattrapèrent Alya et Nino : ceux-ci étaient tellement pris dans une discussion sur la dernière interview de Ladybug et de Chat Noir qu'ils ne remarquèrent l'arrivée de leurs amis que quelques secondes plus tard.
Adrien suivait leur discussion d'une oreille distraite : lors de ses débuts en tant que super-héros, il sursautait à chaque fois qu'on parlait de Chat Noir en sa présence, de peur d'être démasqué. Mais avec le temps, c'était devenu si fréquent qu'il s'y était habitué. De plus, personne autour de lui n'avait l'air d'avoir fait le lien entre son alter-ego et lui, même après des années. Il pouvait se détendre : personne ne le reconnaîtrait en civil. À côté de lui, Marinette ne participait pas non plus à la discussion et se contentait de hocher la tête quand Alya lui demandait son avis.
À l'extérieur, le soleil brillait tellement fort qu'il lui donna mal à la tête. Son corps et son esprit, exténués et caféinés, supportaient difficilement les changements de luminosité et de température. Malgré tout, il réussit à traverser le préau d'une démarche assurée sans perdre l'équilibre.
Encore une heure. Juste une heure à faire semblant que tout allait bien, puis il pourrait se mettre en pilote automatique pour la dernière séance photo de la nouvelle collection de son père, rentrer à la maison , faire semblant de travailler son piano, donner un bout de fromage à Plagg et enfin retrouver son lit. Ce soir-là, c'était Ladybug qui patrouillait : heureusement d'ailleurs, car lui en aurait été incapable.
Ils étaient arrivés au passage clouté devant le lycée. La salle de conférence n'était plus très loin. Une fois là-bas, il pourrait même s'assoupir discrètement. Personne ne lui poserait de questions s'il se comportait normalement encore quelques minutes. Tout se passerait bien…
La rue était très fréquentée à ce moment-là. Des silhouettes passaient du soleil à l'ombre des arbres du pas pressé si typique des Parisiens. Bus, voitures, motos et vélos traversaient son champ de vision. Adrien peinait à fixer un point immobile sur lequel fixer son attention.
C'est alors qu'il la vit.
Elle avançait d'un pas décidé de l'autre côté de la rue, avec une telle détermination que tout le monde semblait s'écarter sur son passage. Même de dos, elle était reconnaissable entre mille, avec ses longs cheveux blonds, sa stature élancée et sa capeline noire qu'elle mettait à chaque fois qu'elle sortait. Malgré ses années d'absence, elle n'avait pas changé.
Il n'en croyait pas ses yeux. Elle était revenue, enfin !
Adrien s'élança alors dans sa direction, sans plus se soucier ni de ses amis, ni du feu rouge, ni du trafic. Des freins couinèrent, des klaxons hurlèrent, Nino derrière lui cria son nom, mais il n'y prêta pas attention. Toute son attention était focalisée sur sa mère, à quelques mètres de lui, qu'il devait absolument rattraper sous peine de la voir disparaître à jamais.
Les personnes qui attendaient de l'autre côté du passage s'écartèrent sur son chemin. Le flux de passants sur le trottoir se montra en revanche moins clément. La majorité d'entre eux avançaient dans l'autre sens et Adrien peinait à se frayer un chemin à contre-courant. Il contourna un homme obèse trop lent pour s'écarter à temps, sauta par-dessus une laisse tendue, renversa une trottinette électrique et bouscula un homme d'affaires qui l'incendia d'injures.
Il n'en avait cure : seule sa mère importait. Il la voyait de loin grâce à son chapeau, mais elle s'approchait dangereusement d'une entrée de métro. Il devait absolument la rattraper avant qu'elle ne passe les bornes.
Quelque chose dans la poche de sa chemise gigota : Plagg s'était réveillé.
« Qu'est-ce qui se passe ? Une attaque ? »
Adrien ne répondit pas. À nouveau, il entendit la voix de Nino l'appeler. Il l'ignora. Sa mère n'était plus qu'à quelques pas.
« Maman, attends ! Maman ! MAMAN ! »
Un couple se sépara sur son passage. Il n'y avait plus personne entre lui et elle. Encore quelques pas, et il l'aurait rattrapée... Il suffisait juste de tendre le bras.
Sa main effleura son épaule. Elle fit volte-face.
Adrien resta tétanisé. Il eut l'impression que le monde s'écroulait autour de lui et que son cœur avait cessé de battre.
Ce n'était pas elle.
Là où aurait dû être sa mère se trouvait une parfaite inconnue, qui le regardait avec un air inquiet, surpris et agacé.
« Euh, vous êtes qui ? Vous me voulez quoi ? »
Elle était trop jeune. Son visage était trop rond, son nez trop large, ses yeux trop bleus. Leur seul point commun était leurs cheveux blonds.
« Je, je... balbutia Adrien. Désolé, je vous ai pris pour quelqu'un d'autre. Vraiment, je... »
Il avait levé ses mains au-dessus de ses épaules pour lui prouver qu'il n'avait aucune mauvaise intention. Malgré ses efforts pour paraître confiant, naturel et réellement désolé, il sentait ses doigts trembler. Sa voix lui avait paru étrangère, mal-assurée, tremblotante.
« Je gagne pas assez tous les mois pour aider des assoc', désolée, » répondit la femme avec froideur en l'examinant de la tête aux pieds.
Il voulut répliquer, mais elle s'était déjà retournée et avait reprissa route. Incapable de bouger, Adrien la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle disparaissedans la bouche du métro. Même s'il savait à présent qu'il ne s'agissait pas d'Émilie, il avait l'impression de voir sa mère repartir une seconde fois.
Son cœur se serra, sa gorge aussi. Ses yeux s'embuèrent, des larmes se mirent à couler sur ses joues. Son pouls s'accéléra, le monde se mit à tourner autour de lui.
Il se laissa tomber par terre, tel un pantin à qui on aurait coupé les fils. Ses insomnies avaient enfin raison de son self-control, ses émotions prenaient le dessus.
À quatre pattes par terre, il avait à peine conscience de la petite foule qui s'était rassemblée autour de lui. Ils pouvaient bien le filmer et diffuser la vidéo, avec des titres racoleurs comme « Adrien Agreste craque en public », il n'en avait presque plus rien à faire. Il avait juste envie de disparaître pour ne plus avoir mal.
Il étouffa un sanglot. Il n'avait pas réussi à faire le deuil de sa mère et le poids était devenu trop difficile à porter. Il n'en pouvait plus, il avait besoin de réponses, et personne ne pouvait les lui donner. Il était en train de craquer.
Quelque chose de doux lui effleura la joue.
« Hé, hé, hé, Adrien, qu'est-ce qui se passe ? »
Plagg était sorti de sa cachette et avait volé jusqu'à son visage, faisant attention à toujours bien rester dissimulé. Il fixait Adrien avec inquiétude, impuissant malgré ses pouvoirs divins.
Le jeune homme ferma les yeux et déglutit pour essayer d'étouffer ses sanglots, mais cela ne fit que redoubler le flot de larmes.
Le kwami posa alors sa patte sur son nez. Adrien sentit alors une chaleur se propager sur son visage, le long de son cou et jusqu'à ses épaules et son torse. Sans chasser la peine, cette sensation la rendait un peu plus supportable. Plagg était en train de partager un peu de sa magie pour le réconforter.
« Adrien ! ADRIEN ! ADRIEN ! »
Les cris derrière lui le ramenèrent à la réalité. Plagg fila immédiatement se cacher dans sa poche, rompant le charme. Le jeune homme prit péniblement appui sur ses bras pour se remettre à genoux.
Nino atterrit devant lui, comme tombé du ciel, et l'attrapa par les épaules. Adrien crut reconnaître Alya dans le reflet de ses lunettes de soleil et il devina que Marinette était là aussi, comme il avait entendu trois voix distinctes l'appeler.
« Mec, ça va ? Hé, qu'est-ce qui s'est passé ? »
Même à travers les verres teintés, le blond devina le regard inquiet de son meilleur ami. Il voulut dire quelque chose pour le rassurer, mais aucun son ne sortit de sa bouche tant sa gorge était serrée.
Nino comprit. Il passa ses bras dans son dos et l'attira contre lui, le serrant de toutes ses forces. Et Adrien se laissa enfin aller, trouvant un refuge temporaire dans cette étreinte. Le monde tournait toujours autour de lui, mais il avait l'impression de retrouver un semblant de stabilité.
Il lâcha prise, et laissa couler les larmes qu'il n'arrivait plus à retenir.
« Ça va aller, t'inquiète, ça va aller… T'en fais pas... »
