Ce texte a été écrit pour les 24h du FoF sur le thème "Dormir à la belle étoile", en à peu près 1h30. Pour plus d'infos sur le FoF ou ce rallye d'écriture, vous pouvez m'envoyer un MP.


À la belle étoile

Dormir à la belle étoile : c'était le rêve du petit garçon. Alors, pour son anniversaire, son papa l'avait emmené faire du camping dans les Highlands. Après le trajet en voiture et une marche pendant laquelle ils avaient joué aux explorateurs, ils plantèrent leur tente au bord d'un petit lac à la surface si lisse qu'on aurait dit un miroir, à tel point que l'enfant était tenté d'y poser le pied. Les hautes collines alentours, vertes d'herbe rase et incurvées par un glacier ou une rivière aujourd'hui disparus, s'y reflétaient sur fond de ciel pur. L'air était doux, le soleil chaud sur leurs bras nus et dans les cheveux dorés du petit garçon ; ses yeux, comme ceux de son père, avaient le bleu lumineux du ciel.

"-Papa, tu crois qu'il y a un monstre dans ce lac, comme dans le loch Ness ? demanda l'enfant sans crainte car, du haut de ses huit ans, il n'avait plus peur des monstres.

-Je ne sais pas, répondit son père. Peut-être. Mais un petit, alors, sinon il prendrait toute la place et il n'y en aurait plus assez pour les poissons."

L'enfant hocha gravement la tête. Il n'était pas certain que son père s'y connût en monstres lacustres ; en poissons, par contre, il était imbattable. Imprimeur de métier, il allait régulièrement à la pêche le dimanche, emmenant parfois son fils avec lui, bien que le petit préférât courir après les libellules qu'attendre des heures que le poisson morde, assis sur un tabouret.

Le soir, le père alluma un feu au-dessus duquel il mit à réchauffer une casserole de haricots au lard, à la grande admiration de l'enfant qui le compara aussitôt à Lucky Luke, l'un de ses héros fétiches.

"-Dommage que Maman ne soit pas venue, déclara-t-il en contemplant les flammes pétillantes qui léchaient le bas de la casserole. On se serait bien amusés, tous les trois.

-Une autre fois peut-être", répondit laconiquement le père.

Officiellement, Maman avait beaucoup à faire à la maison. En vérité, chose qu'il ne pouvait confier à son fils, ça n'allait plus très bien entre eux ; ce n'était pas un hasard s'il passait de plus en plus de temps à la pêche. Lui Français, elle Écossaise pur jus : peut-être étaient-ils trop différents, après tout. Et Thierry, les yeux de son père et le sourire de sa mère, suffisait de moins en moins à les réunir.

"-Tu es sûr ? demanda Mr Duclair père au moment du coucher.

-Oui, oui ! répondit Thierry avec enthousiasme.

-Tu n'auras pas peur ?

-Non !

-Très bien, mais si tu as froid, on rentre sous la tente."

Il n'avait pas dit à sa femme qu'il comptait accéder au vœu le plus cher de son petit garçon : inutile de lui fournir un prétexte pour lui crier dessus. Il installa les matelas gonflables sur un endroit plat près de la tente, remonta jusqu'au menton la fermeture Éclair du sac de couchage de son fils, rajouta une couverture par-dessus puis se glissa lui-même dans son propre duvet. Peu habitué à dormir ainsi au grand air, il s'attendait à ne pas fermer l'œil, mais il ne lui fallut que quelques minutes pour sombrer dans un profond sommeil.

Le petit garçon, lui, garda les yeux et les oreilles grands ouverts, émerveillé par cette aventure. Tout autour d'eux, une fois qu'on s'était habitué au silence, on percevait toutes sortes de petits bruits d'insectes, et le léger clapotement de l'eau du lac. Dans le ciel immense, le plus immense qu'il ait jamais vu, les étoiles brillaient, blanches sur fond bleu sombre, et la lune presque ronde était comme un vaisseau voguant si lentement que son mouvement restait imperceptible. Thierry n'avait ni froid ni peur, et pas du tout sommeil. Il aurait bien voulu, en fait, sortir de son sac de couchage pour explorer les bords du lac à la lumière de la lune, mais son papa n'aurait pas été d'accord.

Au bout d'un moment, il dut s'endormir, et ce qui s'ensuivit ne fut qu'un rêve. Ou bien ne s'endormit-il pas du tout.

Sur la rive du lac éclairé par la lune, il vit apparaître quatre grandes formes. Tout d'un coup, comme ça, comme sorties du néant. Elles ne se trouvaient pas loin d'eux, la lune éclairait fort, et Thierry avait de bons yeux, aussi les identifia-t-il sans peine : il y avait deux garçons plus âgés que lui, et aussi un chien et un grand animal avec de longues cornes comme des branches d'arbre. Un cerf, ça s'appelait. C'était la première fois qu'il en voyait un en vrai.

"-Oui, ça fera très bien l'affaire, déclara l'un des deux garçons d'une voix sifflante en regardant autour de lui. Un joli lac, bien calme, bien isolé... De quoi passer une pleine lune agréable.

-Tais-toi, Peter ! enjoignit brutalement l'autre garçon dans un murmure. Regarde ! Il y a des gens !"

De sa main tendue, il désignait l'endroit où Thierry et son père étaient allongés dans leurs sacs de couchage. L'enfant ferma aussitôt les paupières pour faire croire qu'il dormait, au moment précis où Mr Duclair émettait un ronflement sonore. Le premier garçon, Peter, pouffa.

"-C'est bon, ils dorment ! chuchota-t-il.

-On ne devrait pas traîner ici, souffla le second. Filons avant qu'ils se réveillent. Si des Moldus nous voient, on sera expulsés de Poudlard !

-Du calme, Lunard, dit une nouvelle voix d'un air détaché. Ils dorment, on te dit."

Thierry rouvrit prudemment les paupières. Un troisième garçon avait rejoint le groupe ; le chien, en revanche, avait disparu.

"-Hé, si on leur laissait un petit souvenir ? suggéra le nouveau venu. Qu'est-ce que tu en dis, Cornedrue ?"

Sans attendre de réponse, ce qui n'avait rien d'étonnant car il s'adressait apparemment au cerf, il s'avança à pas de loup vers le campement des Duclair.

"-Sirius ! Arrête !" souffla ledit Lunard en essayant vainement de le retenir.

Dans la lumière de la lune, ou la précision de son rêve, Thierry distingua nettement la mine paniquée des deux garçons alors que leur camarade marchait prudemment vers lui.

"-James, fais quelque chose !" siffla Peter.

Le cerf fit un pas en avant et étira la tête vers le ciel comme s'il allait pousser un cri. Au lieu de cela, il fut pris d'étranges contorsions, puis sembla se tasser sur lui-même, se ramasser, son cou et ses pattes rentrant dans son corps comme des excroissances de pâte à modeler ; l'instant d'après, il se redressait à nouveau, mais ce n'était plus un cerf. Un quatrième garçon se tenait sur la rive du lac.

Parfaitement immobile et silencieux, Thierry n'avait pas perdu une miette de la métamorphose. Le garçon nommé Sirius était tout près de lui, à présent, si près qu'il ne pouvait manquer ses yeux grands ouverts.

"-Patmol ! lança derrière eux le quatrième garçon, toujours à voix basse mais sur un ton d'autorité. Ne fais pas l'idiot ! Reviens !"

Sirius, ou Patmol, s'était arrêté. Malgré lui, les yeux de Thierry se détachèrent du garçon-cerf pour se poser sur lui, et leurs regards se croisèrent. Le cœur du petit garçon battait la chamade : il avait beau être très jeune, il avait parfaitement conscience qu'il avait été témoin de quelque chose de pas banal du tout.

"-Sirius, reviens !" appela le garçon-cerf.

Sirius-Patmol sourit ; Thierry voyait parfaitement son visage aux yeux sombres, encadré de longs cheveux noirs. Le garçon-chien leva un doigt et le posa sur ses lèvres, fit un clin d'œil à l'enfant blotti sous une petite montagne de duvet et de couverture, et retourna lentement auprès de ses amis.

"-Allez, on s'en va, maintenant !" supplia le premier garçon.

Il n'y eut plus de discussion : ni une ni deux, tous les quatre se volatilisèrent aussi rapidement et mystérieusement qu'ils étaient apparus.

Thierry ne parla jamais à personne de ce qu'il avait vu près du lac. Il avait parfaitement compris le signe que le garçon-chien lui avait adressé. Ce n'était pas une menace, pensait-il, plutôt un marché : je ne dis pas aux autres que tu nous as vus, et tu ne dis rien non plus. En grandissant, il se demanda parfois s'il n'avait pas rêvé tout ça, mais il n'y croyait pas vraiment. D'où aurait-il sorti ces métamorphoses, et surtout, ces noms si bizarres ? Lorsque ses parents divorcèrent et que son père quitta l'Écosse pour aller vivre en Angleterre, le souvenir de sa rencontre avec Sirius-Patmol le réconforta : il aimait se dire que, dans ce monde cruel et injuste, des choses aussi merveilleuses que ces garçons-animaux surgis de nulle part pouvaient exister. Une fois devenu adulte, il conserva dans son cœur la conscience que le surnaturel pouvait s'avérer réel, si bien que rien au monde, pas même les événements les plus abracadabrantesques, ne lui parurent jamais extraordinaires au point de ne pouvoir être crus.


Les lecteurs des aventures d'Alifair Blake auront reconnu Thierry Duclair, futur imprimeur et candide ami de notre héroïne : voilà donc pourquoi ni les mensonges du ministère, ni l'apparence étrange d'une elfe de maison ne le font sourciller. Et, vous avez remarqué ? Encore un qui connaît Sirius !