Le fer et la brosse.
La prison sur un vieux navire, c'était presque aussi agréable qu'une promenade dans le Sahara. Ou une expédition dans les marécages. Ou mieux, c'était comme rencontrer un dictateur et parler de démocratie avec lui. L'enfer, à côté, c'était doux, agréable et réconfortant. Lilith y était depuis la veille, et y avait passé une nuit agitée, recroquevillée au sol, tentant d'ignorer la fatigue et de rester éveillée pour écouter ce qu'il se passait à l'extérieur. Mais rien et, finalement, alors qu'elle luttait encore et toujours, elle céda et s'abandonna aux bras de Morphée, bercée par le bruit des vagues et le mouvement lent du bateau lorsqu'il rencontrait l'une d'entre elles. Enveloppée dans sa couverture, elle resta là un bon moment avant d'ouvrir à nouveau les yeux, presque à regret cette fois-ci. Pendant son sommeil, elle avait espéré que tout cela n'était qu'un terrible rêve et qu'à son réveil, elle serait de nouveau dans son lit, avec une bonne gueule de bois et des souvenirs de sa soirée d'anniversaire plein la tête. Malheureusement, ça n'était pas le cas. Ou si, mais seulement à moitié, parce que sa gueule de bois, elle l'avait effectivement. Une main sur le front, elle grommela quelques jurons, maudissant sa meilleure amie de l'avoir laissé tant boire et insultant au passage toutes les personnes qu'elle connaissait, y compris le vieux rafiot sur lequel elle se trouvait et qu'elle rêverait de voir couler une fois rentrée chez elle.
« Tout ça n'est pas très gentil et surtout pas très poli de la part d'une jeune femme telle que vous ! »
Lilith sursauta et, les yeux mi-clos à cause de son horrible mal de crâne, elle chercha pendant quelques minutes, la source de ses propos. Elle ne voyait pas grand-chose en face d'elle. Elle constata qu'on était venu orner le mur extérieur à sa cellule d'une vieille lampa à huile comme celle que l'on pouvait trouver dans les musées, mais elle ne parvenait pas à voir plus loin. Lilith se redressa donc et après quelques tentatives pour se lever, elle parvint à se hisser sur ses deux jambes pour s'approcher de la porte et tenter de voir davantage.
« Y'a quelqu'un ? » demanda-t-elle, la bouche pâteuse.
Pour toute réponse, elle perçut une sorte de petit gloussement amical qui la rassura pendant une seconde. Finalement, une ombre se détacha de l'obscurité et très vite, son cœur s'emballa. Bien loin d'être rassurée, elle s'éloigna de l'endroit où elle se trouvait plus tôt. La forme qu'elle parvenait à distinguer n'avait absolument rien d'humain. Elle voyait bien deux bras, deux jambes et une tête, mais c'était tellement étrange que tout de suite, elle eut un mauvais présentement. Anxieuse et le teint blême, elle vit peu à peu un monstre apparaître sous ses yeux. Ce n'était pas une tête qu'elle avait perçue mais un amas de corail jaune et orange qui n'avait rien d'ordinaire, agrémenté de deux trous béants à la place des yeux et de lèvres tellement fines qu'il sembla à la jeune femme qu'il n'y en avait pas. Le reste de son corps avait une allure de monstre marin, toujours avec quelques morceaux de corail, mais les endroits ou une prétendue peau pouvait apparaître n'étaient que des chaires bleutées, couvertes de petites algues et bernacles. C'était comme si un monstre humanoïde était sorti des eaux pour venir la tuer dans son sommeil. Elle eut pourtant la mauvaise idée de regarder plus bas et de constater avec horreur que les mains de ce qui était loin d'être un homme semblaient avoir fusionné avec de grandes lames qui, d'après son humble avis avaient l'air très très tranchantes. Se tapait-elle un mauvais trip à la Edward aux Mains d'Argents ?
« Navré j'aurais dû soigner mon entrée. Je fais toujours ce drôle d'effet je crois... »
Il s'approcha de la porte de la cellule et c'est à cet instant qu'elle remarqua qu'il avait une clé dans ce qui aurait dû être sa main et qu'il l'enfonçait dans la serrure. Elle avala sa salive, totalement perdue. Il venait la tuer parce qu'il n'était pas parvenu à le faire hier soir ? Elle ne se souvenait plus très bien de comment elle avait atterri ici, sans doute encore trop embrumée par l'alcool à ce moment-là, mais elle restait certaine que celui qui l'avait amenée-là n'avait-eu aucune mauvaise intention pour sa part. Elle recula d'encore quelques pas lorsqu'il pénétra dans la geôle et leva lentement les mains comme pour montrer son innocence. Méfiante, elle continua pourtant de reculer jusqu'à toucher le mur et prise au piège, elle espéra secrètement qu'il s'arrêterait bientôt, ce qu'il fit heureusement.
« Je suis Palifico. » continua-t-il d'une voix douce. « Nous n'avons pas encore eu l'occasion de discuter en face à face. »
Le cœur de Lilith s'apaisa et elle se rassura légèrement, reconnaissante qu'il ne s'agisse pas là d'un autre matelot, ni même du capitaine. Aussi, elle soupira et ses épaules s'affaissèrent alors qu'elle se soulageais d'être face à son sauveur, si repoussant soit-il.
« Tu m'as sauvé la vie.
- Ou je vous ai condamné, tout dépend du point de vue.
- Non, tu m'as sauvé la vie. Merci.
- Cessez de me remercier. Voudriez-vous bien vous décoller du mur ? Le bateau n'est pas toujours agréable avec les nouveaux arrivants... »
Lilith fronça les sourcils, s'apprêtant à répliquer que ce n'était pas quelques planches de bois qui lui ferait du mal lorsque deux mains, surgissant de nulle part, encerclèrent son cou et se mirent à le serrer tellement fort qu'elle en eut le souffle coupé. Ce qu'elle crut d'abord être des mains était en réalité un ama d'algues. Au bord de l'évanouissement, elle tenta de se débattre faiblement de l'emprise de son agresseur alors que ses pieds quittèrent bientôt le sol. Elle fut soulevée d'une vingtaine de centimètres et, les jambes dans le vide elle s'agita quelque peu. Les yeux dans le vague, elle ne parvenait à discerner que quelques rares formes alors que d'autres morceaux d'algues venaient l'enlacer comme pour l'attirer davantage contre le mur qui, bien loin d'être solide, semblait se dérober sous elle. Elle perçu un mouvement devant elle, comme si Palifico tentait d'intervenir mais elle en doutait réellement. Lilith n'avait pas confiance en lui, quand bien même lui avait-il sauvé la vie la veille. En fait, elle n'avait confiance en absolument personne sur le navire et il lui semblait certain que jamais elle ne se lierait réellement d'amitié avec l'un d'entre eux. D'autant plus qu'ils avaient été nombreux à vouloir la tuer le soir précédent. Bientôt, l'air lui manqua complètement et, de ses poumons vides, elle sentit que la fin été proche. Elle qui avait frôlé la mort tant de fois devait désormais admettre qu'elle avait perdu la partie. Et, alors qu'elle se résignait enfin à cesser de lutter contre l'inconnu qui s'en prenait à elle, elle retomba mollement au sol. Sa chute, si petite soit-elle, fut amortie par deux bras puissants qui la retinrent et la guidèrent lentement pour qu'elle puisse s'asseoir.
« Tu m'expliques ce que tu fichais ici ? »
La voix sortait d'outre-tombe et semblait être vraiment très, très, très en colère, mais étrangement, alors qu'elle toussait pour tenter de reprendre son souffle, elle comprit que la question ne lui était pas adressée. Un main passa dans son dos, comme pour la bercer avec réconfort et Lilith eut envie de pleurer, de rage, pour s'être faite malmener de la sorte, mais aussi d'épuisement et de peur. Elle en arrivait presque à regretter de ne pas être morte noyée lorsque le Yacht avait fait naufrage. Reniflant doucement, elle lutta tout de même pour ne pas craquer devant les deux personnes -à moins qu'ils ne soient plus nombreux- qui devaient se trouver autour d'elle.
« Le capitaine voulait qu'elle sorte pour prendre l'air et manger. »
Il y eut un long moment de silence, comme une sorte de flottement pendant lequel Lilith se demanda s'il disait réellement la vérité. De ce qu'elle avait pu constater hier, le capitaine de ce bateau n'était pas vraiment du genre à se soucier de la santé de ses passagers. Alors que les images et les hurlements des hommes qui avait été jeté par-dessus bord lui revenaient en tête elle ferma les yeux pour tenter de penser à autre chose. De toute façon, elle n'arrivait pas à y voir grand-chose tellement ils étaient rempli d'eau.
« Vraiment ? Il a dit ça ? »
Elle grimaça légèrement. Si elle-même n'y croyait déjà pas, il semblait évident que l'autre matelot ne serait pas convaincu.
« Il faudrait se presser d'ailleurs. Le pont a besoin d'être lavé et il compte sur elle. »
Elle se mordit la lèvre. Bien sûr, comme cela il était plus évident que c'était un ordre du capitaine. Il ne voulait probablement pas la nourrir et lui faire prendre l'air, mais apparemment, il ne voulait pas non plus qu'elle passe de merveilleuses vacances dans sa cellule. L'autre grogna et pesta des propos qu'elle ne parvint pas à saisir avant de s'éloigner d'un pas lourd. Elle profita donc de son départ pour ouvrir les yeux et fixer du coin de l'œil celui qui l'avait -une fois de plus- sauvée.
« Ne recommencez pas à me remercier, vous allez me donner la nausée. Maintenant levez-vous, vous avez beaucoup à faire et peu de temps pour accomplir vos tâches. »
Prise de court, elle hocha la tête et se redressa avec son aide, puis quitta les lieux avec un dernier regard derrière elle. Dans sa cellule, tout semblait normal ; pas d'algues sauvages tentant d'attaquer qui que ce soit. A croire qu'elle était folle. A moins que le navire ne soit hanté. Palifico dans sa gentillesse lui offrit de nouveaux vêtements et, à la place de sa jolie robe -désormais ruinée par l'eau- elle portait un pantalon en toile brun et une chemise blanche un peu trop large pour elle. Bon, elle flottait carrément dans ses fringues, mais elle n'allait pas s'en plaindre. Ses cheveux relevés et attachés en un épais chignon grâce à l'élastique qu'elle avait toujours autour du poignet, elle le rejoignit quelques secondes après avec un faible sourire. Lilith n'avait pas encore eu l'occasion de se regarder dans un miroir, mais elle devinait sans trop de difficultés qu'elle devait vraiment faire peine à voir. Palifico pourtant ne fit aucune remarque et lui offrit une brosse et un seau remplit d'eau de mer. Il ne plaisantait donc pas, quand il lui parlait de récurer le bateau. Elle prit ses deux nouveaux amis dans les mains avec ironie et le suivit sur le pont qui était étrangement désert. Comme il ne semblait pas s'en inquiéter, elle décida d'en faire de même et se laissa guider jusqu'à l'avant du navire. La jeune femme ne jeta qu'un rapide coup d'œil à l'immense étendue d'eau qui se profilait jusqu'à l'horizon car déjà elle se sentait mal à l'aise. Cela faisait vraiment beaucoup trop d'eau pour elle.
« Vous avez jusqu'à la nuit tombée pour que ce soit propre. Si c'est fait, vous aurez le droit à un repas, sinon, vous retournerez dans votre cellule le ventre vide. Compris ? »
Elle hocha la tête et le regarda s'éloigner avant de se mettre au travail. Le soleil, déjà haut dans le ciel, n'était pas très fort et la brise rendait le temps agréable, alors, retroussant ses manches, elle se mit à quatre patte et en frottant, commença à enlever la crasse qui semblait s'être incrustée sur le navire depuis des siècles déjà. Elle frotta réellement et pendant longtemps, sans chercher à se dépêcher ni même à tenter de savoir quand le soleil se coucherait. Tellement concentrée sur son travail, elle ne chercha même pas à se préoccuper des matelots qui erraient sur le navire et qui ne semblaient pas avoir grand-chose à faire en ce bel après-midi d'été. Une occupation, c'était ce qu'il lui fallait pour éviter de réfléchir et de se poser trop de questions, d'abord sur l'endroit où elle se trouvait mais aussi sur l'aspect si étrange et si horrible de Palifico. Tous les matelots étaient-ils aussi terrifiants ? Elle préféra éviter d'y songer et continua sa tâche comme si elle était vitale. Bientôt elle eut fini, mais, refusant de n'avoir rien à faire et de devoir retourner dans sa cellule alors qu'il faisait encore beau, elle se concentra sur les rambardes du navires. Elles faisaient, après tout, elles aussi, parti de l'endroit qu'elle devait nettoyer avant la nuit tombée. Se redressant donc, sa brosse toujours à la main, elle frotta longtemps, très longtemps, sans s'occuper de ce qu'il pouvait se passer autour d'elle.
Lilith ne s'arrêta que lorsque surgit devant elle, un peu à l'improviste, une main tenant un vieux bol miteux emplit d'une espèce de soupe de légumes à l'odeur plus qu'alléchante. Elle redressa la tête et tomba sur un Palifico visiblement de bonne humeur. Alors, la jeune femme réalisa que le soleil à l'horizon n'était plus qu'un fin trait de lumière et que bientôt il disparaitrait pour la nuit. Elle laissa retomber sa brosse dans son seau et attrapa le bol ainsi qu'une cuillère en hochant la tête pour remercier le marin qui se trouvait en face d'elle.
« Vous avez bien travaillé, vous pouvez manger. Prenez votre temps. J'imagine que vous n''êtes pas pressée de retourner là-bas. »
Puis il s'éloigna sans qu'elle n'ait pu ajouter le moindre mot, alors, s'asseyant à même le sol, le dos contre la rambarde en bois du navire, elle commença à savourer son repas, les yeux rivés au ciel. Il ne faisait pas encore totalement nuit et pourtant les étoiles déjà, commençaient à scintiller. Médusée, elle se laissa porter dans sa contemplation des astres et termina son repas d'un air absent. Le matelot revint finalement la chercher, la débarrassant de ses couverts ainsi que de son seau. Elle le suivit donc sans un mot et sans un bruit jusqu'à sa cellule ou il la laissa, prenant tout de même soin de refermer à clé derrière elle. Inquiète, elle se retourna. Allait-elle encore se faire agresser ?
« Ça devrait aller. Évitez juste de vous coller aux murs.
- D'accord. Bonne nuit...
- Bonne nuit. »
Puis il s'éloigna sans en dire davantage et doucement, Lilith soupira. Elle était épuisée, au bord de l'évanouissement et pourtant, elle se sentait incapable de dormir là au milieu de cette pièce. Attrapant la couverture qui gisait là depuis ce matin, elle s'enroula dedans et se lova contre le sol froid et in-accueillant de sa cellule. Et intimement, alors que le sommeil la prenait, elle se mit à prier pour que le lendemain soit meilleur.
