Une année passe, et une suite qu'on attendait plus apparaît.
Dans le cadre du Nanowrimo 2022, je tenais à reprendre cette fanfiction et à la terminer. Attendez-vous donc à de nouveaux chapitres au cours des prochaines semaines.
Bonne lecture, en espérant que les chapitres à venir seront à la hauteur de vos attentes !
FA
Résumé de l'histoire jusqu'à présent
Adrien, persuadé que sa mère est encore vivante quelque part, mène l'enquête pour essayer de la retrouver et d'élucider sa disparition mystérieuse. Avec l'aide de Ladybug et des journaux de bord que tenait Émilie Agreste, il parvient à assembler des bribes de son passé. Toutefois, les indices qu'il a récoltés semblent prouver qu'elle est devenue Mayura...
Chapitre 16 : Intuition
« Voir mon père et tout lui dire. C'est le seul qui peut nous aider maintenant. »
Plagg le dévisagea quelques secondes, visiblement surpris.
« Et pas Ladybug ? » lâcha-t-il enfin.
L'idée avait traversé l'esprit d'Adrien : bien évidemment qu'il avait songé à Ladybug. Elle était devenue sa partenaire dans ses deux vies, et le connaissait donc sans doute mieux que quiconque… même si elle-même l'ignorait, persuadée qu'Adrien et Chat Noir étaient deux personnes bien distinctes.
Toutefois, tout raconter à Ladybug signifiait lui dévoiler qu'ils étaient une seule et même personne, et ainsi lui avouer qu'il l'avait trompée.
Trompée ? Manipulée ? Il n'était même pas sûr du terme correct. Dans tous les cas, elle serait sans doute peu disposée à l'aider après une telle révélation.
Son père, en revanche…
Certes, il devrait sans doute aussi lui dévoiler son identité secrète, lui parler des miraculous, lui expliquer comment il était arrivé à la conclusion qu'Émilie Agreste était Mayura, mais il était certain que son père lui pardonnerait ses cachotteries si cela signifiait retrouver sa mère.
D'ailleurs, il ne pouvait pas ne pas lui en parler : après tout, Gabriel Agreste faisait partie des personnes les plus touchées par la disparition d'Émilie Agreste. Il aurait été aussi injuste que cruel de lui dissimuler toute découverte à son sujet.
« C'est mon père, Plagg. Je peux pas lui cacher plus longtemps ce que j'ai appris sur ma mère.
- Mais… ça veut dire que tu vas tout lui raconter ? Les miraculous, le fait que tu sois Chat Noir, les recherches que tu as faites ?
- J'ai plus le choix, Plagg. Il a le droit de savoir. Et aussi… peut-être qu'il sait quelque chose qui pourra nous aider ? C'est lui qui a donné le miraculous à ma mère, après tout. Si on veut vraiment la sauver, faut qu'on unisse nos forces. Et… si ça se trouve, ça permettra de relancer officiellement l'enquête. »
Jusque-là, il ne s'était pas posé de questions quant au rôle de son père dans l'affaire. Néanmoins, plus il y réfléchissait, plus il lui paraissait improbable que celui-ci ne sache absolument rien. Ses parents semblaient avoir eu une relation des plus fusionnelles, sa mère avait forcément parlé du miraculous à son père. Celui-ci avait peut-être même été présent la première fois qu'elle l'avait mis, et donc découvert le pouvoir du bijou en même temps qu'elle.
Ou peut-être que sa mère avait décidé de garder le secret. Dans ce cas, il était grand temps que son père soit au courant.
« Je sais pas, Adrien, j'ai pas l'impression que ce soit la meilleure idée. »
La voix de Plagg était hésitante, presque plaintive. Il se campa devant lui, visiblement déterminé à lui faire changer d'avis.
« Je sais que c'est pas le meilleur moment pour lui en parler, mais plus vite je le ferai, plus vite on trouvera une solution. Faut que j'y aille, Plagg, ça sert à rien d'attendre.
- Adrien, j'ai un mauvais pressentiment. Tu veux pas attendre demain matin, au moins ? Pour réfléchir à ce que tu vas lui dire. »
Comme un sombre présage, le tonnerre retentit à l'extérieur. Depuis qu'ils étaient rentrés, la pluie s'était intensifiée.
Adrien jeta un œil à l'heure : il était 22 h 30. Son père était sûrement debout, il quittait rarement son bureau avant minuit.
« Non, Plagg, je peux pas. »
Puis il ajouta, d'une voix plus tendre.
« J'ai déjà attendu trop longtemps pour vraiment parler à mon père, et lui poser toutes les questions que j'avais sur la disparition de maman. C'est le moment ou jamais : on s'est rapproché, et j'ai des réponses qui pourront nous aider. »
Son kwami n'avait pas l'air convaincu, mais rien de ce qu'il dirait ou ferait ne pourrait le faire changer d'avis. Adrien était déterminé.
Il n'avait pris sa décision que depuis quelques minutes, mais c'était comme si le poids des années de questionnement était tombé de ses épaules. Même si la révélation qu'il avait eue au sujet de sa mère était dévastatrice, il savait qu'il pouvait compter sur son père pour l'aider à surmonter cette épreuve et ramener Émilie Agreste sur le droit chemin.
Il attrapa Plagg et le déposa délicatement sur le canapé. D'ordinaire peu amène à se laisser manipuler comme un jouet, son coéquipier se laissa faire, sans pour autant changer d'expression, à mi-chemin entre l'inquiétude et la résignation.
« T'en fais pas, tout va bien se passer. Et si ça peut te rassurer, je lui dirai pas ce soir que je suis Chat Noir, juste je sais que maman a un miraculous. Tu vas m'attendre ici, et je te raconterai tout à mon retour. Et non, ajouta-t-il quand il vit Plagg reprendre son souffle, c'est pas négociable. C'est une discussion qu'il faut que j'aie seul avec mon père. »
Persuadé que son kwami ne resterait pas silencieux très longtemps, il lui grattouilla une dernière fois la tête pour le distraire, avant de partir. En passant près de son lit, il remarqua la photo de sa mère et lui bébé, celle où elle portait le miraculous. Il la prit et la rangea soigneusement dans la poche de sa chemise.
« Et si je suis pas de retour avant demain matin, t'as le droit d'aller chercher de l'aide, » ajouta-t-il avec une pointe d'humour en fermant la porte derrière lui.
Une fois seul dans le couloir, il se rendit compte combien il était tendu. La dernière blague qu'il avait fait avant de partir était autant pour rassurer Plagg que pour se rassurer lui-même. Il savait que son kwami n'était pas dupe, et qu'il était probablement en train de calculer le nombre de minutes minimum acceptable avant de se lancer à sa suite.
Non, c'était lui-même qu'il voulait rassurer avant tout. La partie rationnelle de son esprit savait qu'il prenait la bonne décision, mais tout le reste de son être l'implorait de retourner dans sa chambre et continuer à faire comme si de rien n'était.
Comme si sa mère n'était pas Mayura.
Non, il ne pouvait pas. Si parler à son père promettait d'être pénible, ne pas le faire était insupportable.
Il s'engagea dans le couloir sombre qui menait au bureau de son père, dans l'autre aile de la résidence Agreste. Il n'avait pas besoin d'allumer la lumière, il connaissait la maison dans ses moindres recoins. Ses chaussettes étouffaient le bruit de ses pas sur le sol, seule sa respiration et le bruissement lointain de la pluie troublaient le silence. Adrien avait l'impression que le couloir devant lui s'étendait à l'infini. Et pourtant, il se retrouva devant la porte plus vite qu'il ne l'aurait voulu.
Il avait à peine eu le temps de mettre de l'ordre dans ses pensées ou de préparer son discours. Toutefois, même si son parcours avait duré des heures, il doutait que cela ait suffi. Il préférait se lancer sans trop réfléchir, pour ne pas risquer de perdre courage.
Il expira longuement et voulut frapper à la porte, mais à la dernière seconde, il entendit une faible voix de l'autre côté du battant. Une voix féminine qui lui était bien familière : celle de Nathalie. À laquelle répondit une voix masculine, celle de son père.
Le bois était épais et ne laissait filtrer que des bribes de conversation. S'il n'arrivait pas à saisir les mots exacts, Adrien arrivait néanmoins à deviner les intonations. Ce qui était loin de le rassurer : il percevait une certaine tension dans la voix de Gabriel, et une véritable panique dans celle de Nathalie.
L'état de santé de cette dernière lui revint en tête. Son cœur se serra :peut-être que son « moment de faiblesse » était plus grave que ce qu'elle lui avait dit, et qu'elle souffrait d'une mal beaucoup plus profond ?
Il ne manquait plus que ça…
Sa détermination flancha. Adrien ne s'était pas attendu à ce que son père soit occupé, et ce seul imprévu avait ébranlé sa volonté. Debout au milieu du couloir, la main tendue vers le battant, il ne savait plus quoi faire. Frapper et entrer était inenvisageable, tout comme retourner dans sa chambre, et rester là sans rien faire devenait plus insupportable à chaque seconde. Frustré, il tenta de calmer sa respiration pour comprendre des miettes de la discussion.
« … comment… possible… que…sache… fit la voix de Nathalie.
- … peut-être… confusion… sûre que… répondit celle de son père.
- … certaine… doute…
- … inquiétant… »
Adrien regrettait de ne pas disposer de l'ouïe de Chat Noir lorsqu'il était en civil. Les mots qu'il entendait ne faisaient qu'attiser sa curiosité.
Il s'approcha de la porte et colla son oreille contre le battant.
« Tout ira bien, … vous assure, fit son père. Nous en avons parlé, ils… de faiblesse..., je ferai en sorte que … confrontation soit la dernière. »
La réponse de Nathalie fut inintelligible.
« Allez vous reposer, je m'occupe de tout. Vous pouvez dormir ici cette nuit. Nous en reparlerons demain. »
De quoi parlaient-ils ? Plus il écoutait, plus il avait de questions. Frustré que la conversation qu'il épiait prenne si vite fin, Adrien recula de quelques pas. Il n'eut cependant pas le temps de s'éclipser : à peine était-il au milieu du couloir que la porte s'ouvrait.
Nathalie apparut dans l'entrebâillement. Incapable de distinguer plus que sa simple silhouette à contre-jour, Adrien remarqua néanmoins son sursaut.
« Adrien ? Vous m'avez fait peur... »
Il devina son geste discret pour s'essuyer les yeux, mais ne fit aucun commentaire. Ce n'était malheureusement le moment de lui poser des questions
« Je sais, il est tard, mais je dois parler à mon père. C'est important. »
Nathalie jeta un regard derrière elle.
« Et urgent, » ajouta-t-il sur un ton qu'il voulait autoritaire.
Il avait horreur de faire usage de son statut pour forcer Nathalie à lui céder, mais l'heure était grave. Ce n'était pas le moment d'hésiter à cause de ses états d'âme.
« Laissez-le entrer, Nathalie, et allez vous reposer. »
La secrétaire se décala sur le côté, lui laissant la voie libre. En entrant, Adrien put enfin distinguer clairement son visage : malgré son expression professionnelle et le sourire complice qu'elle lui réservait d'ordinaire, ses yeux étaient chargés d'inquiétude, et il voyait qu'elle avait pleuré. Deux secondes plus tard, elle avait quitté la pièce, refermant la porte derrière elle.
Adrien se retrouva seul avec son père. Celui-ci était assis sur le divan au centre de la pièce, les coudes fermement appuyés sur ses genoux, le regard fixé sur un point quelque part entre ses pieds. L'atmosphère était lourde, comme l'air à l'extérieur avant l'arrivée de l'orage.
Gabriel Agreste leva la tête vers lui. Son expression n'était guère différente de celle de Nathalie, mis à part les larmes. Il n'avait jamais vu Gabriel Agreste pleurer.
La détermination d'Adrien flancha. Ni son père ni lui n'étaient prêts pour la discussion à venir. Peut-être qu'il valait mieux rebrousser chemin, en reparler à Plagg, et attendre un moment plus opportun.
Il leva alors les yeux vers le portrait de sa mère, au fond de la pièce. Même s'il n'était pas aussi réaliste que les photos, l'artiste qui l'avait peint avait réussi à recréer l'aura positive et bienveillante qui émanait d'elle en tout temps. C'était pour cette raison qu'Adrien aimait tant admirer cette peinture : il avait l'impression que de toutes les représentations et objets physiques qu'il avait d'elles, c'était celle en laquelle il la reconnaissait le mieux. Et pourtant, à présent qu'il avait découvert la vérité, les dorures s'étaient ternies, et son sourire rayonnant avait perdu de sa sincérité. L'espace d'un instant, le visage de Mayura se superposa au sien, une correspondance exacte.
« Adrien ? Tu voulais me parler ? »
Son père le fixait à présent, presque agacé. Pourtant, Adrien n'avait pas l'impression que son irritation était dirigée contre lui.
Il jeta un dernier regard au portrait. Certes, il avait découvert la vérité au sujet de son identité, mais il était loin de connaître toute l'histoire. Peut-être que sa mère n'était pas devenue criminelle volontairement, et qu'il y avait une chance de la sauver. Avec l'aide de son père.
« C'est à propos de maman. Je sais ce qu'il lui est arrivé, fit-il en s'approchant de Gabriel Agreste. Et j'ai besoin de vous pour l'aider… »
Il vit les yeux de son père s'écarquiller, le reste de son visage se figer, ses poings se serrer. Il ne lui laissa pas le temps de répondre.
« C'est une longue histoire, et je sais que c'est difficile à croire, mais c'est Mayura. Maman est Mayura. »
Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Un silence pesant s'installa dans la pièce, si pesant qu'Adrien se demandait s'il avait vraiment prononcé les deux dernières phrases.
« Qu… quoi ? » balbutia enfin son père, incrédule.
Il s'était redressé sur le canapé, mais Adrien avait l'impression qu'il avait grandi de deux mètres. Quelque chose dans sa nouvelle posture le perturbait. Quelque chose de légèrement menaçant, qui l'effrayait presque.
Son instinct lui criait de fuir tout de suite, mais il le réprima au mieux. Il ne pouvait pas reculer maintenant, si près du but.
« C'est une longue histoire, mais je peux tout vous expliquer. Enfin, pas tout, mais une partie, et vous pourrez peut-être m'aider pour le reste. Mais dans tous les cas, il faut qu'on agisse ensemble si on veut la sauver, et il faut qu'on le fasse vite, » commença-t-il en s'approchant de son père.
Après une petite hésitation, il opta pour l'un des fauteuils qui lui faisaient face. C'était plus pratique d'avoir son père en face de lui, et plus rassurant d'être séparé de lui par une table basse. Juste au cas où…
Son père ne le lâchait pas du regard. Ses mains étaient crispées sur ses genoux, et son pied tremblotait.
« Adrien, qu'est-ce que c'est que cette hist…
- Je vais tout vous expliquer, mais j'ai besoin que vous m'écoutiez. Vraiment. »
C'était la journée des actes courageux. Il y avait bien des années qu'il n'avait pas interrompu son père de la sorte. À sa grande surprise, son paternel se tut, même si tout son corps trahissait son envie de prendre la parole.
Après une longue expiration, Adrien lui avoua qu'il menait depuis des années sa propre enquête sur la disparition d'Émilie Agreste : il lui parla de ses recherches sur Internet, de ses classeurs et de sa clé USB où il avait soigneusement rangé la moindre bribe d'information inédite, des nombreuses théories qu'il avait élaborées et laissé tomber au fur et à mesure. Il se garda toutefois de mentionner le rôle de Ladybug dans ses travaux, préférant éviter d'expliquer qu'une super-héroïne avait plusieurs fois réussi à déjouer les systèmes de sécurité du manoir pour lui tenir compagnie.
Tout au long de son récit, il ne regardait pas son père directement, lui jetant de temps à autre un regard, à l'affût d'une réaction. Au début, Gabriel Agreste le regardait avec une expression indéchiffrable, mais au fur et à mesure de son histoire, son visage s'était tourné vers le sol, résolument fixé sur un point entre ses deux pieds.
Il aborda enfin la question des carnets, le cœur plus serré que jamais.
« Je l'ai fait juste une fois, je vous jure, c'était quand vous m'avez surpris dans la chambre. J'ai juste pris deux carnets, car je pensais que j'y trouverais des pistes... »
C'était quelques jours plus tôt à peine, mais Adrien avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis. S'il avait su quel effet papillon se déclencherait après un simple vol de deux cahiers, il se serait peut-être abstenu… ou aurait hésité avant de le faire quand-même.
« Et qu'est-ce que tu y as lu ? » aboya soudainement Gabriel Agreste.
Cette réaction fit sursauter Adrien et le força à regarder son paternel. Ses mains agrippaient si fort ses genoux que leurs jointures avaient viré au blanc, et de la sueur s'était mise à perler sur ses tempes. Son expression restait fermée, mais Adrien le connaissait trop bien pour ignorer que des dizaines d'idées s'agitaient dans son esprit.
« Je… J'ai seulement lu un, ça commençait avec votre rencontre… et ça s'est terminé avec la broche. Je… C'est une longue histoire, mais je sais que c'est un miraculous, celui du Paon. »
Ne sachant comment aborder la question, il avait opté pour une réponse claire et directe. Pour étoffer ses propos, il sortit la photo de sa poche, la déplia soigneusement et la tendit à son père.
Celui-ci la prit prudemment, comme s'il avait peur de se brûler, et la tourna vers lui. Il resta longtemps silencieux, et malgré les efforts d'Adrien pour déchiffrer son expression, ses traits restèrent figés. Néanmoins, il vit que le papier de la photo s'était mis à trembler, comme les mains qui le tenait. Adrien comprit que son père connaissait, ou reconnaissait, la photo, et qu'il en savait beaucoup plus que ce qu'il ne laissait présager.
« Vous le saviez, n'est-ce pas ? »
Gabriel leva les yeux vers lui. La question était rhétorique : tous les deux savaient qu'il savait. Après un silence qui sembla durer une éternité, il parla enfin.
« Et toi ? Que sais-tu des miraculous ? »
La question le prit au dépourvu. Trop focalisé sur les questions qu'il poserait à son père, il n'avait que peu réfléchi à celles auxquelles il devrait répondre.
« Je… Je lis le Ladyblog, et certains articles parlent des miraculous. Et je connais aussi Alya. Elle a des informations directement de Ladybug et Chat Noir… Je sais qu'il y a les miraculous de Ladybug et Chat Noir, et ceux de leurs alliés, comme celui du Renard, de la Tortue et de l'Abeille, et qu'il y en a aussi ceux qui représentent le zodiaque chinois, mais qui ne sont pas en circulation… Et il y a celui du Papillon et du Paon, qui ont mal tournés...Enfin, c'est plutôt leurs porteurs qui ont mal tournés... »
Il n'osait pas en dire plus, de peur d'éveiller les soupçons. Il avait promis à Plagg de ne pas révéler son identité secrète tout de suite.
Son père ne le lâchait pas des yeux, et il sentait de la sueur perler sur sa nuque. Il luttait pour ne pas l'essuyer, de peur que ce geste ne dévoile son mensonge.
« C'est tout ? »
Le regard inquisiteur de son père était catégorique : il savait qu'il ne lui disait pas tout.
« Tous les miraculous donnent des pouvoirs à leurs porteurs. Ce sont des bijoux, et ils contiennent des kwamis, des sortes de dieux, qui sont ceux qui donnent les pouvoirs à leurs porteurs... »
Il se creusait la tête pour répondre à la question sans trop en dire. D'autant plus qu'il ne savait pas où son père voulait en venir avec sa question…
Il sentait qu'il s'enlisait, et réfléchissait désespérément à d'autres éléments de réponse.
Que savait le grand public sur les super-héros qui le défendaient depuis des années ? Qu'était-il censé savoir, en tant qu'«Adrien Agreste, mannequin pas du tout super-héros » ?
« Et aussi… Si le Papillon et Mayura veulent s'emparer des miraculous de Ladybug et Chat Noir, c'est parce que s'ils sont combinés, ils permettent d'exaucer un vœu.
- Comme dominer le monde ?
- Pas forcément, ça peut être n'importe quoi : être riche, devenir immortel, ramener les morts à la vie…
- Ça aussi, c'est sur le Ladyblog ? »
Il venait de tomber dans le piège. C'était exactement le genre d'information que le public ignorait. Tout le monde savait que les pouvoirs des miraculous combinés étaient particuliers, mais si on se fiait aux hypothèses les plus populaires, il s'agissait toujours de puissance illimitée ou de domination du monde. Des projets mégalomanes dignes des plus grands films de super-héros.
Pour éviter d'attiser la convoitise des uns et de titiller les ambitions malsaines des autres, ils s'étaient mis d'accord avec Ladybug de ne jamais en dire plus à ce sujet.
Adrien sut immédiatement qu'il ne servait à rien de mentir, et qu'il pouvait tout au plus déformer légèrement la vérité. À plusieurs reprises, il avait surpris son père en pleine consultation du blog le plus populaire de Paris. Gabriel Agreste connaissait donc parfaitement le type d'informations qui s'y trouvaient.
« Pas vraiment… Disons que j'ai été… un peu en contact avec quelqu'un qui en savait un peu plus, » commença-t-il avant de voir le regard de son père se durcir.
Il ne s'en sortirait pas à coup d'ellipses. S'il voulait mettre son père de son côté et sauver sa mère, il allait devoir jouer cartes sur table. Au moins partiellement.
« Avec Ladybug. J'ai été… récemment en contact avec Ladybug. Elle est venue m'aider à retrouver maman. Et elle m'a aussi parlé un peu des pouvoirs des miraculous. »
Cette pirouette habile lui permettait d'expliquer ses connaissances en miraculous sans mettre en danger son identité de super-héros. Il ne restait plus qu'à voir si son père y croirait…
Au vu de sa réaction, il y crut presque trop. Ses yeux s'écarquillèrent, au point où Adrien s'attendait pas à voir ses lunettes tomber.
« Tu veux dire que… elle était ici ? Dans la maison ? » fit-il, presque à bout de souffle, comme s'il s'agissait de la chose la plus impossible du monde.
Quelque chose dans son ton mit Adrien mal à l'aise, encore plus qu'il ne l'était, mais il était incapable d'en expliquer les raisons. Il y avait une forme de joie mêlée à de la colère dans sa voix, presque de la folie.
« Oui, mais… on a juste parlé un peu… balbutia-t-il après d'interminables secondes de silence.
- Peu importe, ce n'est pas ça qui nous intéresse le plus maintenant... »
Son paternel avait tendu la main vers lui, l'intimant au silence. Il se comportait toujours ainsi quand il avait besoin de réfléchir. Adrien obtempéra, même s'il était surpris de ses changements d'attitude si soudains.
Gabriel se leva soudainement, et marcha jusqu'au portrait d'Émilie, le pas décidé, l'air concentré. Quelque chose se tramait dans son esprit, et Adrien aurait donné cher pour savoir à quoi il pensait exactement.
Il appuya sur quelques points stratégiques, et le tableau s'ouvrit pour laisser apparaître la porte d'un immense coffre-fort.
Sa silhouette cachait une grande partie du contenu, mais Adrien remarqua une rangée de petits carnets hétéroclites sur la plus haute étagère. S'agissait-il des carnets de sa mère ? Il en était presque sûr, car il se souvenait vaguement de leur apparence lorsqu'il les avait fait tomber dans la chambre de ses parents.
Son père les avait-il déplacés pour qu'il ne les trouve pas ? Pourquoi tenait-il tellement à cacher leur contenu ? Certes, les pages contenaient des informations personnelles, mais il était tout de même leur fils… Pas un parfait un inconnu ou un paparazzi…
Au moment où Adrien s'apprêtait à faire une remarque à ce sujet, Gabriel referma le coffre, et revint vers lui avec un livre à la main. Derrière lui, le tableau pivota et retrouva sa position initiale dans un claquement sec. Il s'assit à nouveau sur le canapé et posa l'ouvrage devant Adrien.
Le livre avait l'air très ancien. Des signes chinois étaient gravés sur son épaisse couverture en cuir. La calligraphie était trop complexe, ou trop ancienne, pour qu'il puisse reconnaître leur sens.
« Avant toute chose… Ta mère n'est pas Mayura, soyons clairs dès le début. Mais… Tu as raison, elle a bien possédé le miraculous du Paon à une époque. »
Adrien avait de la peine à y croire, si bien qu'il se demandait s'il avait bien entendu. Son père venait de confirmer partiellement son hypothèse !
« Lorsque je lui ai offert la broche, j'ignorais évidemment ce qu'elle était vraiment. Je l'avais achetée dans une boutique de babioles chinoises, en pensant que c'était un bijou sans valeur. Mais lorsque ta mère l'a essayé pour la première fois, peu de jours après, nous nous sommes rendus compte tous les deux qu'il s'agissait de quelque chose d'incroyable. »
xxx
Dès que la créature était apparue devant eux, Émilie s'était réfugiée derrière lui avec un petit cri. Gabriel n'avait pas tout de suite compris de quoi il s'agissait : l'éclat de lumière dans lequel elle s'était matérialisée l'avait temporairement aveuglé, et il ne put s'empêcher d'enlever ses lunettes pour se frotter les yeux. Derrière lui, il sentait Émilie trembler, les mains crispées sur ses épaules.
La petite silhouette, de couleur bleu sombre, se mit à tourner sur elle-même et à zigzaguer dans l'air.
« Ooooh, j'avais oublié à quel point le monde des humains était coloré ! » fit-elle d'une voix fluette.
Gabriel remit lentement ses lunettes. Il découvrit alors un animal qu'il n'avait jamais vu avant : une sorte d'insecte avec une grosse tête et de grands yeux rosés, un petit corps et une queue qui n'était pas sans rappeler les plumes d'un paon.
Émilie cacha son visage dans son dos. Il pouvait presque sentit les battements de son cœur cogner contre sa colonne vertébrale. Lui-même ne savait comment réagir, et son immobilité était plutôt un symptôme de son choc qu'une preuve de son courage.
La créature sembla alors les remarquer.
« Ooooh, bonjour ! Je suis ravie voir enfin un visage humain après tant de temps ! Vous êtes monnouveau porteur ? C'est génial ! Je me réjouis de vivre des aventures avec vous ! Ça fait des années que je rêve de ressortir pour parcourir le monde ! »
La créature jeta alors un regard au torse de Gabriel, qui brillait par son absence de broche. Surprise, elle releva la tête pour croiser son regard.
« Mais… où avez-vous mis le miraculous ? »
Gabriel ne put s'empêcher de jeter un regard derrière lui. Il ignorait ce qu'était un « miraculous », mais cela avait sûrement un lien avec la broche.
La créature suivit son regard, puis survola son épaule. Les mains d'Émilie s'agrippèrent encore plus fortement à ses épaules, au point de lui couper la circulation sanguine, ou presque.
Il sentit Émilie lever prudemment la tête.
« Ooooh, mais c'est vous, ma porteuse ? Vous êtes magnifique ! N'ayez pas peur de moi, je suis sûre qu'on va bien s'entendre ! »
Gabriel n'osait pas bouger. La scène lui paraissait surréaliste. Jusque-là, ils passaient un après-midi tout à fait ordinaire chez Émilie. Dans la pièce d'à côté, à quelques mètres d'eux, sa sœur étaient plongée dans une longue discussion téléphonique, ignorant complètement qu'une créature magique venait d'apparaître dans cet appartement parisien tout à fait ordinaire.
Quel était le moment où tout avait basculé ? Comment qualifier ce changement ?
« magique », c'était le mot. Aucune explication scientifique ne pouvait justifier le phénomène qui venait de se produire sous leurs yeux. Pour quelqu'un de rationnel comme Gabriel, il était difficile d'encaisser le choc. Néanmoins, il avait encore des doutes quant à sa lucidité. Peut-être était-il en train d'halluciner ?
« Qu'est-ce que tu… vous… je… fit Émilie d'une toute petite voix.
- Ooooh pardon, j'ai oublié de me présenter ! Quelle tête en l'air ! Je suis Duusu, le kwami de l'Émotion ! Ensemble, on va pouvoir transformer les sentiments des autres et les utiliser à bon escient ! »
La pression des ongles dans ses épaules se relâcha légèrement.
« Transformer… les sentiments… des autres ? Qu'est-ce que ça veut dire, Du… Duusu, mikwa… kwami des émotions ? »
Sa voix était encore mal assurée, mais elle lui paraissait moins craintive. Lui restait sur la défensive, ayant toujours de la peine à y croire. Peut-être que le cake que Patricia avait apporté la veille et son arrière-goût étrange pouvaient expliquer ce type d'expérience…
Le kwami recula de quelques centimètres, revenant dans le champ de vision de Gabriel.
« Attends, tu veux dire que tu ne sais pas qui je suis ? Ou ce qu'est un kwami ? Toi non plus, grand humain ? ajouta-t-elle en le regardant dans les yeux. Vous ignorez tout des pouvoirs que je peux vous donner ?
- Des… pouvoirs ? lâchèrent-ils à l'unisson.
- Ben oui, fit Duusu avec une certaine impatience. Vous savez, amokizer, créer des monstres à partir des émotions des gens, être masqué pour protéger son identité et ses super-pouvoirs ? J'ai été absente pendant combien de temps pour que vous ayez oublié ce qu'étaient les kwamis et les miraculous ? »
Émilie finit enfin par le lâcher et osa s'approcher de leur interlocutrice. Il ne put s'empêcher de pousser un soupir de soulagement et de faire rouler les muscles de son dos : sa crispation avait commencé à être douloureuse. Mentalement, il restait néanmoins sur ses gardes.
« Je n'ai jamais entendu parler de toi, Duusu… Mais je suis ravie de faire ta connaissance et je me réjouis d'en savoir plus sur toi. »
Gabriel jeta un regard en biais à Émilie. Elle se tenait à présent à ses côtés, toute trace de peur évaporée. Il remarqua alors que la broche en forme de paon, accroché délicatement à sa chemise, s'était mise à luire faiblement. Il y avait un lien entre le bijou et le kwami, c'était certain.
L'idée que ce bijou pouvait avoir une influence la personne qui le portait lui traversa l'esprit, mais il la chassa aussitôt. Émilie était d'un naturel aventurier, il était donc tout à fait normal que sa méfiance soit si vite remplacée par de la curiosité… ou non ?
Son esprit rationnel se contenta de cette explication, mais il ne put se débarrasser d'un soupçon d'inquiétude...
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« J'avais un mauvais pressentiment dès le début, mais ta mère était tellement enthousiasmée par cette découverte que je n'ai pas eu le cœur de lui dire de rester prudente. On a laissé Duusu nous guider dans l'exploration des pouvoirs du miraculous, et très vite, Émilie s'est prise au jeu. Moi, je n'ai jamais été très doué, mais elle, elle a commencé à créer des « sentimonstres », comme on les appelait, qui étaient toujours plus élaborés. Après quelques mois seulement, elle a réussi à créer des humains presque identiques aux vrais. Ce n'était qu'un jeu pour nous, on n'a jamais voulu utiliser ce pouvoir à mauvais escient… »
Gabriel s'interrompit. Adrien, happé par le récit, se rendit compte qu'il avait cessé de respirer. Un silence pesant s'installa dans le bureau.
« Si seulement je m'étais fié à mon intuition à l'époque… Elle ne serait peut-être jamais tombée malade… »
