Février 1998

Ma très chère Sally-Anne,

Tu n'es pas sans savoir que ton père cherche à nouer des relations auprès des familles de sang-pur. Mon lien de parenté avec les Croupton, qui est aussi le tien, nuit grandement à notre famille depuis que le gouvernement magique est aujourd'hui remanié. Tu n'es pas sans connaître cette malheureuse histoire, dont j'ai toujours eu honte… Ton oncle qui a envoyé à Azkaban son propre fils ! Ce pauvre Barty junior méritait mieux qu'un père comme mon frère. Le fait est, que le déshonneur dont nous souffrons actuellement est de sa faute… Il n'a pas su protéger sa famille et la servir, préférant suivre la justice de ces sorciers qui déservent notre communauté depuis maintenant des décennies. Cette affaire nous entache tous depuis qu'il a choisi la les plus faibles aux dépends des sorciers.

Ma chère enfant, les choses changent et je sais que cela doit t'effrayer. Pour autant, il t'appartient de saisir ces changements et d'en faire des opportunités. Ce qui se passe aujourd'hui, sera raconté à tes enfants et figurera dans les manuels d'Histoire comme étant le début d'une nouvelle ère prospère et riche pour les sorciers de ce monde. La responsabilité qui est la tienne, est que le nom des Perks figure dans la colonne de ceux qui ont bâti cette ère. Pour ce faire, ton père s'entretient très régulièrement avec Nott. Il nous a semblé heureux que tu sembles si bien t'entendre avec son fils, Théodore, que ton père et moi trouvons tous deux fort charmant pour un garçon de son âge.

Nous espérons que tu sauras tirer profit de son attachement pour toi. Veille à toujours lui convenir.

La lettre continuait. En fait, le rouleau que lui avait apporté sa chouette était bien plus long que d'ordinaire. Sally-Anne fit léviter la lettre de sa mère et lança un sortilège pour la regarder s'embraser. Les autres élèves assis à la table des Serpentard eurent un mouvement de recul.

Théodore lui, continua de boire sa tasse de thé matinale comme si de rien n'était.

Il avait pris habitude des excentricités de Sally-Anne Perks.

S'il avait été mal élévé, il aurait lu son courrier par-dessus l'épaule de la jeune femme. Il était en réalité curieux de découvrir ce qui avait pu la mettre dans un état si intense en si peu de temps… Sally-Anne était du genre impulsif, mais jamais sans raison.

Sally-Anne osa un regard dans sa direction.

Ils échangèrent un signe de tête et se levèrent en même temps, prenant la direction du parc de Poudlard. Ils marchèrent en silence, jusqu'à atteindre la bordure de la Forêt Interdite, frontière qu'ils ne dépassaient jamais. La neige tombait silencieusement. Il était peut-être un peu tôt pour un samedi matin, surtout pour Sally-Anne, qui adorait traîner au lit quand ses camarades étaient déjà descendues pour se pavaner dans leurs vêtements de haute-couture dans la Grande Salle.

Leurs pas laissèrent des traces dans la neige fraîche.

– Ma mère serait prête à m'expliquer comment coucher avec toi si elle n'avait pas un balai coincé dans le cul, pesta-t-elle.

– Mon père m'a aussi vivement encouragé à vous faire la cour.

– Vous ? l'interrogea Sally-Anne.

– Daphné et toi.

– Évidemment. Pourquoi se contenter d'une poule quand on peut être le roi de la basse-cour…

– Daphné n'a d'yeux que pour Malefoy.

– Et Malefoy n'a pas la tête à compter fleurette.

Sally-Anne haussa un sourcil et prit son ton le plus moqueur.

– Parce que toi oui ?

– Non, fit calmement Théodore. Je n'aime pas ce genre de choses. C'est peu divertissant, on n'apprend pas grand-chose…

– Déjà, on apprend à connaître l'autre.

– Je te connais déjà, Sally-Anne Perks.

La jeune femme se tourna vers lui.

Lorsqu'ils parlaient, Théodore et elle, ils avaient la fâcheuse tendance à toujours regarder droit devant eux. Ils admiraient la forêt, lui faisant face. Mais ils n'étaient jamais devant l'autre, jamais yeux dans les yeux.

Pas depuis qu'il lui avait demandé sa main.

Cette fois-ci, Théodore s'était tourné vers la jeune femme et maintenant qu'elle l'avait imité, elle se perdait dans la couleur de ses yeux.

Théodore était sérieux. Il était nonchalant et sérieux. Il ne disait que la vérité, surtout quand cela le concernait.

– Tu ne me connais pas, marmonna-t-elle.

– Tu es une petite peste bruyante qui n'en as pas grand-chose à faire des règles et de l'étiquette. Tu as plus de respect pour ta tante que tu n'en auras jamais pour tes deux parents réunis. Le collier que tu as autour du cou, tu le considères comme un porte-bonheur. Tu es quelqu'un d'intelligent, qui se poses toujours des questions. Tu aimes provoquer les gens. Tu détestes que l'on ne te prête pas attention, et comme tu es d'un naturel plutôt solitaire, tu préfères te mettre en colère contre les autres plutôt que de devenir leur amie. Tu aimes le noir et le vert. Tu es fière d'être à Serpentard, bien que tu ne sois pas en total accord avec les préceptes de son créateur…

– Les nés-moldus ne sont pas nos inférieurs.

– Pas tous, admit Théodore.

– Aucun, insista Sally-Anne en serrant les dents.

– La plupart…

– Sale petit…

Théodore esquissa un sourire.

– Je sais aussi ce qu'il faut te dire pour obtenir ce genre de réactions.

– Ma mère pense que tout ce que l'on vit, là, maintenant est historique.

– Ça l'est, assura Théodore.

– En fonction de quel camp gagnera, pour nous, pour eux, ce mot sera soit une sentence, soit un éloge…

Théodore ne croyait pas en la victoire d'un autre camp que celui du Seigneur des Ténèbres. Harry Potter était devenu un fantôme. L'Ordre du Phénix avait été amputé de ses deux ailes et ne renaîtrait probablement pas : tous ces soldats tombaient les uns après les autres.

– Dans quel camp es-tu ? demanda Théodore.

– Peut-être aucun. Ma mère…

– Ta mère est une faible à l'esprit très limité. Je l'ai entendu parler quatre fois de chapeaux à plumes lors de la réception des Parkinson.

– Par Morgane…

Elle soupira lourdement, fatiguée.

– Je crois qu'elle serait ravie que je t'épouse, plaisanta-t-elle.

Théodore se retourna face à la Forêt Interdite.

– Et pour cause. Tu es riche, tu es un Nott, tu es gentil et pas trop débile… Elle a sûrement déjà imaginé nos enfants !

Théodore rougit à la mention des enfants.

L'intimité ne l'avait jamais vraiment tenté. Pourtant, avec Sally-Anne, il aurait été prêt à essayer, parce qu'elle avait toujours respecté chacune de ses limites. Elle s'était montrée si patiente et bienveillante…

Quand il la regardait, il voyait tout un autre monde que le sien et son cœur battait beaucoup trop fort.

– Tu ne m'as toujours pas donné ta réponse, déglutit-il.

Sally-Anne déglutit elle aussi.

Voilà plus d'une semaine que Théodore lui avait sa demande. Une demande précipitée et bien maladroite, dans laquelle aucun sentiment n'avait trahi la voix du Serpentard.

Il voulait simplement la protéger. Et elle ne voulait pas de ça.

Pas d'alliance.

Pas d'autre nom.

Pas d'union.

Juste… Son amitié.

Peut-être son amour.

Elle n'en savait rien pour le moment.

Elle glissa sa main dans la sienne. Il sursauta, surpris, comme à chaque fois et se reprit en agrippant ses doigts aux siens.

Le cœur de Sally-Anne dansa dans sa poitrine et elle continua d'observer Théodore. Avec ses cheveux noirs parfaitement coiffés, ses yeux profonds et beaux, sa mâchoire carré, sa barbe naissante, ses lèvres pleines… Son teint pâle, presque maladif, ses épaules chétive… Il était beau sans vraiment l'être.

En fait, elle ne l'avait jamais trouvé beau.

Depuis quand l'était-il devenu ?

Le jour où il l'avait amené à l'infirmerie pour qu'elle se fasse soigner ? Lors de l'une de leurs discussions nocturnes ?

Malgré le froid, elle avait étrangement chaud.

Mais c'était une bonne chaleur. Une chaleur tiède et agréable. De celle qui réconfortait.

– Je ne t'épouserai pas Théodore.

Il opina. Nullement blessé.

Il ne se sentait pas éconduit, loin de là.

Il sourit…

Bientôt, peut-être qu'elle changerait d'avis.

Sally-Anne était impétueuse.

Théodore était raisonnable.

Elle se battait pour sa liberté. Il se battait pour qu'elle ait une chance de vivre.

Et là… Ce serait historique qu'importe lequel de leur camp flanchera.