Février 1998
D'aussi loin qu'il se souvienne, Théodore Nott ne s'était jamais mis en colère. Il était facile de l'affirmer, sûrement un peu hypocrite aussi, quand il basait cette vérité simplement sur ses souvenirs d'enfant. Mais lorsqu'il fouillait dans sa mémoire, il ne se souvenait pas d'une quelconque crise ou caprice qu'il aurait pu faire.
D'ailleurs, auprès de qui aurait-il pu pleurnicher ? Son père ne s'était intéressé à lui que lorsqu'il était entré à Poudlard, à l'âge duquel il estimait que les enfants devenaient un tant soit peu intéressants.
Théodore ne pensait pas connaître la colère.
La frustration, oui bien sûr.
L'agacement, certainement, sans aucun doute.
Mais la colère pure, la rage folle qui faisait bouillir le sang, rougir la peau et perdre le contrôle, il ne connaissait pas.
Théodore Nott gardait constamment le contrôle et la maîtrise de lui-même.
A voir les Carrow ainsi, pavaner dans les couloirs de l'école et s'amuser de voir des élèves fondre en larme, il n'avait jamais réellement réagi. Faire profil bas, regarder le sol et ses pieds, s'assurer que sa cravate était bien nouée… Avancer au pas, sans se retourner, sans jeter un coup d'œil derrière son épaule, sans se soucier des autres, c'était sa façon de réagir.
De ne pas réagir.
Depuis tout petit, il s'était contenté d'avancer sans regarder où il allait. Théodore avait suivi le chemin tout tracé que son nom lui avait donné. Ce luxe, ce maudit luxe, lui avait donné la certitude qu'importe la route qu'il prendrait, il ne tomberait jamais.
Aujourd'hui, il ne voulait plus de ça. Il ne voulait plus de pâles certitudes liées à son seul nom. Il voulait la vérité. Peut-être une seule en fait. Il s'en contenterait.
Est-ce que tout ceci était juste ?
Est-ce que les Carrow, leurs actes, leur autorité sur cette école, étaient justifiées et justifiables ?
Les sangs-purs avaient-ils tous les droits ?
Qu'est-ce que c'était au fond, être un sorcier ?
Les nés-moldus n'étaient pas moins sorciers que lui. La capacité à faire de la magie tenait de la naissance ou de la chance, mais après tout… Théodore aurait pu naître dans une autre famille que celle des Nott… Il aurait pu être un Hopkins, un Finch-Fletchey, un Granger, un Crivey ou autre. Les Malefoy, les Greengrass, les Avery, les Rowle et les Nott l'auraient méprisé. Il n'aurait été qu'un élève parmi tant d'autres. On lui aurait reproché d'avoir volé la magie.
Mais comment un bébé, comment un homme, une femme, pouvaient-ils voler la magie ?
Si cela avait été possible, nulle doute que la chose aurait été faite depuis longtemps. Si on avait pu devenir sorcier ou sorcière par un autre droit que la naissance et le hasard, le monde aurait été très différent.
Théodore nota dans un coin de sa tête que faire des recherches à ce sujet serait une bonne chose.
Pour sa culture personnelle.
Pour la vérité.
Théodore desserra les mâchoires et les poings.
— J'ai bien cru que tu étais définitivement parti, murmura une voix près de lui.
Sally-Anne avait déserté sa place habituelle dans la salle commune des Serpentard. Elle était à ses côtés. Ni vraiment blottie contre lui, ni vraiment à l'autre bout du sofa. Une main les séparait. Timide, parfois audacieuse, lorsqu'elle effleurait son genoux comme pour le ramener à elle.
— Je réfléchissais.
— A quoi ?
— Beaucoup de choses.
Comment avouer à Sally-Anne, qui le pensait si sûr de lui, que justement, il n'était pas si sûr de lui ?
Il rougit, un peu honteux.
— Je voudrais te montrer quelque chose, confessa Sally-Anne d'une toute petite voix.
Il se tourna vers elle, et comme à chaque fois qu'ils se regardaient depuis qu'il l'avait demandée en mariage, leurs yeux s'accrochèrent et cela était bien plus intime que si leurs lèvres s'étaient enfin joint.
Sally-Anne, sans rompre le contact visuel, sortit de sa robe de sorcière un ticket doré qu'elle déposa sur les cuisses de Théodore. Ce-dernier l'examina sans le prendre et y déchiffra la destination, ainsi que la date et l'horaire.
Un aller pour le Canada, le 2 mai, à 12h00.
— Sally-Anne…
— Mes affaires sont prêtes. Mes parents n'en savent rien, évidemment. Mais je ne peux plus rester ici. J'ai économisé toute une année…
Elle se tortilla mal a l'aise et il attendit.
Il attendit qu'elle lui propose de venir avec lui.
Il attendit qu'elle lui demande de venir avec lui.
Il attendit qu'elle le supplie de venir avec lui.
Il attendit qu'elle lui tende un second billet.
— Tu comptes t'enfuir ?
Elle attendit qu'il lui dise qu'il partirait avec elle.
— Je ne veux pas vivre ici.
— Tous les sorciers en âge d'étudier la magie doivent étudier à Poudlard. Le Ministère a été formel… Ils te traqueront, Sally-Anne.
— Peut-être vaut-il mieux qu'ils me traquent. Au moins, je vivrais de l'espoir qu'ils ne m'attraperont pas, quand ici, ils ont toutes les chances de le faire.
— Comment par Merlin, as-tu pu obtenir un billet pour le Canada ?
— Ma famille a encore quelques relations. Et Fletcher m'a obtenu le nom d'un passeur.
— C'est illégal.
— L'illégalité m'importe peu. Celle qui est en place actuellement ne me convient pas. Je te parle de morale. Je te parle de ma morale et de ma survie.
— Tu survis ici.
— A quel prix ? murmura-t-elle. Je ne fais que me taire.
Elle ne protégeait plus ce première année, auquel elle s'était pourtant attachée. Elle avait bien trop peur de souffrir, encore. Elle avait bien trop peur des doloris.
— Je dois partir.
Cette vérité-ci faisait mal.
Et il faisait froid, au Canada.
— Tu es si frileuse, marmonna-t-il.
Comment ferait-elle pour se réchauffer ?
Et lui, comment ferait-il pour se réchauffer ?
