Chapitre XVI

Une menace grandissante

« Alors nous ne pouvons pas voir le prisonnier ? maugréa Nels Llendo. Et peut-on savoir pourquoi son altesse nous le refuse ? »

Alinor ne prit pas la peine de le réprimander sur la façon dont il parlait du chevalier du dragon impérial car au fond, elle partageait son mécontentement. Elle se doutait aussi de la véritable raison pour laquelle Varus Vantinius avait refusé leur demande : il semblerait que la Légion impériale et surtout les Lames se soient décidées à prendre la relève sur cette histoire d'attaques sur des fidèles du Culte impérial.

« Pour des raisons qui relèvent du secret impérial, répondit Lalatia, impassible. Cela ne me plaît pas plus qu'à vous mais si c'est la décision de l'Empire, nous devons nous y plier.

— Car les prisonniers de Vvardenfell relèvent du droit impérial maintenant ? J'étais pourtant certain que notre souverain était Helseth Hlaalu et non Uriel Septim VII.

— Surveillez votre langage quand vous parlez de Sa Majesté Impériale, le sermonna finalement Alinor en lui jetant un regard noir. Votre roi Helseth Hlaalu se reconnaît comme vassal d'Uriel Septim VII, ce qui fait de lui votre empereur. »

Le brigand croisa les bras et s'appuya contre le mur de la chapelle.

« Humph, inutile de monter sur vos grands chevaux pour si peu… De plus, pourquoi êtes-vous plus réactive sur ma conduite que par cette annonce ? Ne teniez-vous pas à voir cette crapule pour enfin obtenir des renseignements ?

— Je le souhaitais mais les ordres sont les ordres, déclara Alinor avec un ton défait. Si l'Empire déclare que cette affaire ne nous concerne plus, il n'y a rien que nous puissions faire pour changer ça…

— Je crois être en mesure d'arranger ça. »

Ils se tournèrent tous les trois vers Almasea, qui était restée silencieuse jusque là, pensive.

« Vous entendre prononcer ces mots est réjouissant mais j'ai dû mal à y croire, dit Nels Llendo. Comment comptez-vous nous permettre l'accès à ces fichus geôles si l'Impérial le plus influence de l'île nous en empêche ?

— Il existe une personne sur qui un chevalier du dragon impérial n'a pas de pouvoirs : le représentant officiel de l'Empereur sur Vvardenfell, qui plus est aussi le président du Grand conseil.

— Vous voulez demander son aide au duc Védam Dren ? s'étonna l'oracle. Comment espérez-vous y parvenir ? »

Almasea esquissa un sourire confiant.

« Je connais le duc. Je servais autrefois la Maison Hlaalu et bien que ces temps soient révolus, je garde encore quelques contacts qui peuvent être parfois très utiles. »

C'est un euphémisme, pensa Alinor en retenant un sourire. Pourquoi n'avaient-ils pas pensé à cet atout depuis le début ?

. . .

Alinor n'avait jamais mis les pieds dans une prison impériale – ni dans aucune prison tout court. Donc comme n'importe quelle personne qui n'avait jamais enfreint la loi – ou du moins ne s'était jamais faite attraper pour ça – elle avait sa propre idée d'à quoi ressemblait une prison.

Dans les faits, son imagination était assez proche de la réalité : une salle aux murs sombres situés dans les sous-sols du fort impérial qui comportait deux rangées de cellules austères et presque dépourvues de tout, et un bureau où quelques gardes aigris et malheureux devaient surveiller et supporter les détenus et leurs commentaires agaçants.

Heureusement, les criminels des îles ascadiennes devaient se faire rares ou les gardes impériaux être très incompétents car les cellules étaient presque toutes vides, à l'exception de celle qui gardait sous verrou celui qu'ils étaient venus voir : Faven Drès.

Il esquissa un rictus mauvais en la voyant approcher – bien que cela ne suffit pas à cacher la surprise dans son regard.

« Tiens, vous êtes encore en vie, vous ? La Confrérie Noire n'est vraiment plus ce qu'elle était si vous leur avez échappée. »

Nels Llendo lui fit signe de ne pas céder à la provocation et s'avança pour que le traître puisse le voir :

« On peut dire ça comme ça. Vous avez surtout joué de malchance car j'étais dans les parages lors des vos petites magouilles avec ces assassins. »

Le détendu ne fut pas impressionné et le dévisagea avec moquerie.

« Tiens, le tristement célèbre Nels Llendo…

— En personne. N'est-ce pas amusant que vous soyez derrière les barreaux et moi à l'extérieur ? »

Faven Drès frotta distraitement sa barbe avec une expression aigre.

« Je savais que vous poseriez problème un jour ou l'autre. Vous être comme la peste au-delà du Rempart Intangible : une sale maladie incurable.

— Une maladie incurable ? répéta Nels Llendo, railleur. Le terme que vous cherchez est sans doute bandit patenté. Respectez ma profession. Après tout, elle m'empêche de finir comme vous. »

Alinor eut envie de se prendre la tête entre les mains. Heureusement que les gardes étaient trop loin pour les entendre sinon le brigand se serait déjà retrouvé dans la cellule adjacente à celle de Faven Drès.

Elle entendit Almasea soupirer derrière eux, juste avant que la devineresse n'écarte Nels Llendo pour faire face au prisonnier.

« Nous ne sommes pas ici pour vous regarder vous échangez des fleurs avec ce criminel.

— On peut savoir qui vous êtes, vous ? demanda Faven Drès en la scrutant attentivement. Il ne me semble pas qu'on se connaisse.

— Ce qui est une bénédiction, siffla-t-elle en le fustigeant du regard. Votre simple vue me répugne et j'ignore ce qui me retiens de mettre fin à vos jours – ce qui serait une bénédiction pour nous tous. Je pourrais vous tuer ici même et quitter Coeurébène sans être inquiétée de ce crime. »

Faven Drès ricana mais son rire sonna faux.

« Vous ne pouvez pas faire ça, dit-il d'un ton qui se voulait sûr de lui mais trahissait son doute. Tant que je suis dans cette cellule, cela fait de moi un prisonnier de l'Empire – ce qui veut dire que la Légion impériale me veut en vie pour obtenir des informations de moi, que ces chiens d'Impériaux n'obtiendront jamais d'ailleurs.

— En quoi suis-je concernée par la justice de l'Empire ? »

Par réflexe, Alinor se prépara à protester mais se retint au dernier moment – il fallait vraiment qu'elle perde cette mauvaise habitude de défendre l'Empire qu'elle servait à chaque occasion qui se présentait.

« Croire en la protection offerte par l'Empire est vraiment navrant de la part d'un natif de Vvardenfell, continua Almasea en feignant l'indifférence. Il suffira de faire croire que votre mort découle d'un contrat avec la Morag Tong et les autorités impériales fermeront les yeux à ce sujet. Nous savons tous que l'Empire ne veut pas se mouiller en se mêlant aux traditions dunmeri… problématiques. »

Même si elle savait que tout ceci était de la comédie, Alinor ne put s'empêcher de tressaillir aux menaces de la devineresse. Elles paraissaient si vraies, si sincères qu'elle en fut mal à l'aise, quand bien même celles-ci ne lui étaient pas destinées.

Cela fait-il partie de sa formation d'Ordonnateur d'intimider si facilement les autres avec de simples mots ?

Ils avaient bien fait de laisser Almasea mener l'interrogatoire : elle était la mieux placée d'eux trois pour inciter le prisonnier à révéler ce qu'il savait.

Il fallait tout de même reconnaître à Faven Drès une certaine témérité – ou alors de l'inconscience ? – puisqu'il soutint le regard de l'ancienne Main d'Almasea et parvint à déclarer sans que sa voix tremble :

« Vous mentez. »

Almasea se recula en le toisant, nullement déconcertée par ce soudain élan de courage.

« Je crois que vous ne savez vraiment pas à qui vous vous adressez.

— Allez-y, dites le moi, défia Faven Drès. Essayez de me faire peur, pour voir.

— Je suis Almasea Ulès. »

Sa réaction ne fut pas celle qu'espérait Alinor : le prisonnier fronça les sourcils, non pas par peur mais avec une expression perplexe.

« Ulès ? répéta-t-il, confus. Vous êtes donc… ? »

Il baissa la tête et mit à ricaner, marmonnant des mots inaudibles et inintelligibles.

« Euh… il est devenu fou ? » demanda Nels Llendo.

Alinor échangea un regard avec Almasea, qui lui transmit que la devineresse ne comprenait pas non plus pourquoi Faven Drès réagissait ainsi. Ce dernier finit par se calmer et dit :

« Je me suis vraiment mis dans de beaux draps pour que quelqu'un comme vous s'intéresse à mon cas. Pff, ces Hlaalu et leurs fichus idéaux progressistes. Enfin, ça me surprend quand même que vous vous abaissez à m'interroger quand on connaît votre rang… »

Il jeta un coup d'œil vers Alinor et la dévisagea sans cacher son dégoût.

« C'est à cause d'elle, n'est-ce pas ? Vous vous êtes entichez de cette sale étrangère, comme tous les vendus qui servent la Maison Hlaalu, pas vrai ? Que représente-t-elle pour vous ? Est-elle…

— Ça suffit. »

Almasea s'interposa entre eux, de sorte à ce que Faven Drès ne puisse plus apercevoir la Bréton.

« Surveillez votre langue avant que je décide de vous la couper. »

Le Dunmer se recula, levant les mains devant lui en signe d'apaisement.

« D'accord, d'accord. Sujet sensible, à ce que je vois. De toute façon, je me moque bien de vos relations avec les races inférieures. Vous réaliserez tôt ou tard que vous aviez tort de vous abaisser à les fréquenter.

— Qu'insinuez-vous par là ?

— Rien de plus que ce que je viens de dire. »

Le changement d'attitude d'Almasea fut presque imperceptible mais Alinor le remarqua : comment la devineresse inspira profondément comme pour se forcer à rester calme, ses yeux qui brillèrent d'une lueur plus froide qu'Havreglace et surtout, caché dans son dos, son avant-bras qu'elle serra fortement de sa main au point que celle-ci trembla. Elle paraissait prête à frapper le prisonnier et seuls les barreaux sauvaient celui-ci d'une douloureuse dérouillée.

Jamais Alinor ne l'avait vu aussi énervée. Était-ce à cause des insultes portées envers elle ou celles envers la Grande Maison dunmer qu'elle servait autrefois ?

La Bréton se pencha vers elle et posa une main sur son épaule pour attirer son attention.

« Ne faites pas ça, lui souffla-t-elle à voix basse. Il n'en vaut pas la peine. »

Entourée de Mers, elle se doutait bien qu'ils avaient tous entendu ces mots mais elle s'en moquait : ils n'étaient adressés qu'à Almasea et seule sa réaction lui importait. Elle fut satisfaite – et soulagée – de voir l'expression meurtrière disparaître de ses yeux écarlates, remplacé par cette lueur réfléchie et contrôlée qu'Alinor admirait tant chez elle.

« Vous avez raison. Finissons-en et allons-nous-en. Nous avons déjà perdu assez de temps avec ce triste individu.

— Je vous entends, vous savez ?

— Vous avez des oreilles ? Tant mieux, vous pourrez répondre rapidement mais prenez garde car si vous décidez de faire le malin, je vous les couperai. »

Faven Drès continua d'afficher son insupportable sourire arrogant mais tous l'entendirent déglutir nerveusement.

« Commençons par le plus simple. Qui est votre employeur ?

— Vous croyez vraiment que je vais vous le dire ? se moqua Faven Drès. Je ne suis ni stupide ni suicidaire. En fait, je suis même surpris que vous me le demandiez. Vous ne comprenez vraiment pas que nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère ?

— Taisez-vous. C'est moi qui pose les questions. Pourquoi le Culte impérial est-il votre cible ? »

Faven Drès renifla avec une expression dégoûtée.

« Vous voulez dire à part être des séides égocentriques et de mauvaise foi ? Pas grand-chose, sinon d'être rempli de races avilies – ce qui est une raison suffisante pour vouloir les éradiquer. »

Son regard se porta sur Alinor.

« Votre amie en fait partie. Vous êtes une Bréton, hein ? Une race bâtarde. Une engeance qui devrait disparaître, comme toutes celles qui ne sont pas des Mers – et même certains d'entre eux sont de véritables fléaux pour Tamriel comme ces arrogants Altmer mais ceci n'est que mon opinion. Je ne sais pas pourquoi vous êtes encore en vie, sang-mêlée, mais ça ne durera pas longtemps et prier vos fichus dieux n'y changera rien. Vous semblez déjà salement amochée. Qui a-t-on envoyé à vos trousses ? Le meilleur, j'espère. Votre simple vue me répugne. »

Encore une fois, Almasea s'interposa.

« Alors crevez-vous les yeux, cela rendra service à tout le monde. »

Nels Llendo esquissa un sourire narquois.

« C'est que les adeptes du Temple ont du répondant. »

La devineresse l'ignora et tourna les talons, s'éloignant de la cellule.

« Hé ! l'apostropha Faven Drès, énervé. Où allez-vous ? N'aviez-vous pas des questions à me poser ?

— Non. Nous en avons fini avec la racaille de votre espèce. Vous pouvez vous estimer heureux de pourrir dans une prison impériale ; si ça ne tenait qu'à moi, vous seriez déjà en route pour Baar Dau. »

Almasea quitta la prison de Coeurébène avec empressement, Nels Llendo et Alinor essayant tant bien que mal de suivre son pas rapide.

« Hé ! Vous êtes poursuivie par des daedra ou quoi ? râla le brigand. Pourquoi une telle urgence soudainement ? Cet espèce de poisson carnassier ne nous a rien dit d'important.

— Détrompez-vous, il m'a dit tout ce que j'avais besoin de savoir, rétorqua Almasea, les traits plissés d'inquiétude. Il me faut rentrer au plus vite à Balmora. Si mes craintes sont avérées, la situation est plus grave qu'elle n'en a l'air.

— Vous avez réussi à comprendre qui est derrière toutes ces attaques ? s'étonna Alinor.

— Je crois bien, oui. Je ne peux pas deviner exactement l'identité de son employeur mais c'est probablement quelqu'un avec beaucoup d'influence – ou au moins une personnalité importante. Néanmoins, ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus. Connaissez-vous les Prêtres Dissidents ? »

Ils acquiescèrent : il était difficile de ne pas avoir entendu parler de cette branche quelque peu sectaire du Temple, qui rejetait l'autorité des Tribuns et invitait à un retour à une croyance plus ancienne de la foi dunmer. Aussitôt arrivée en Vvardenfell, on avait mis en garde Alinor contre eux.

« Hé bien disons que nos ennemis leurs sont similaires mais aussi plus dangereux, qu'ils seraient les… belligérants du fil de pensées des Prêtres Dissidents. Quelques rumeurs courent au sujet de ce groupe depuis quelques mois mais avec l'état général des choses en Vvardenfell, ils passaient pour des fanatiques et des faux prophètes qui finiraient par se calmer et retomber dans l'oubli. Il semblerait que nous ayons eu tort à leur sujet.

— Comment se nomment-ils ? demanda Alinor. Peut-être le Culte impérial en a-t-il déjà entendu parler.

— C'est peu probable : ils se sont faits assez discrets et n'ont jamais été actifs en dehors de Vvardenfell. Mais il est certain qu'avec un nom aussi pompeux, il est impossible de les oublier. »

Le regard de la devineresse s'assombrit tandis qu'elle esquissa un sourire dédaigneux et empli de dégoût.

« Ces déviants se font appeler les Exaltés du Nérévarine. »