Bonjour,
Au risque de me répéter, merci pour vos lectures et pour vos retours sur cette campingo-fic.
Au programme aujourd'hui, vous vous en doutez : le chapitre 6.
Bonne lecture.
Disclaimer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada, mais les âneries que je leur fais faire et dire sont de moi.
Chapitre 6 : Baby One More Time
Le Globe Trotter Café, un bar sympa dans un village sympa des Landes, en tout début de soirée (et toujours le jeudi 11 juin)
Kanon des Gémeaux plongea ses lèvres dans la mousse fraîche de la bière qu'il venait de commander, et ferma les yeux. Il voulait apprécier les bienfaits que ce moment exerçait sur son mental surmené. Un bambin tombé à l'eau par-ci, un bip de talkie par-là. On ne lui accordait jamais une minute de répit. Que ce fussent les clients, son bien-aimé frangin ou ses chers camarades en armure, il les avait tous en permanence sur le dos. Alors de temps en temps, Kanon avait besoin de s'accorder un peu de tranquillité et surtout, il avait besoin de solitude. Et comme il avait depuis longtemps laissé tomber l'idée de se ressourcer dans un cachot miteux façon retraite monacale, il s'était reporté sur ce café qu'il avait trouvé par hasard, au détour de l'une de ses nombreuses échappées nocturnes.
Oui, ce soir, l'ancien Marina avait besoin de calme, surtout après les événements de l'après-midi. Ce match de foot l'avait éprouvé d'une manière inattendue, et il ne parvenait à digérer ni son manque de souffle sur le terrain ni son manque d'adresse devant les cages. Vraiment, il pouvait louer Athéna pour l'absence opportune du Scorpion, car ce dernier ne se serait sûrement pas privé de ressasser le spectacle peu glorieux de sa prestation pendant des lustres.
Cette pensée l'incita à songer à celui qui avait pris une place étonnamment importante dans sa vie, de pair rédempteur à véritable ami. Il se demanda alors comment se déroulait son séjour à Paris. Milo comptait probablement utiliser cette opportunité pour visiter quelques unes des discothèques les plus réputées de la capitale, avec l'idée d'accumuler les conquêtes. Est-ce que cela le rendait jaloux ? Oui, bien entendu. Et peut-être pas uniquement dans le sens qu'il aurait fallu.
Mais en dépit de cette jalousie mal placée, Kanon reconnaissait facilement que le Scorpion avait bien raison de vouloir en profiter. Après tout, on n'avait qu'une vie. Enfin, en temps normal en tout cas. Sauf que le Gémeaux oubliait un détail important. Milo n'était pas parti seul à Paris. Camus était avec lui, et en tout état de cause, un séjour avec le réfrigérateur en titre du Sanctuaire ne devait pas être une douce partie de rigolade.
Bon sachant qu'il était sans doute un peu trop sévère avec le Verseau. Car si Milo l'avait désigné comme meilleur ami depuis toutes ces années, c'était que ce dernier ne devait pas être si désagréable à supporter au quotidien. Ou alors, il présentait des attraits insoupçonnés allant au-delà de sa capacité à exercer la fonction de climatisation portative, fort utile par temps de canicule.
Oui, Kanon avait parfaitement conscience d'avoir toujours été injuste avec le Français. Et s'il voulait être honnête avec lui-même, il savait pertinemment d'où provenaient sa défiance et ses nombreux a priori. Isaak et l'état déplorable dans lequel se trouvait l'adolescent lorsqu'il s'était échoué sur le sol du Sanctuaire sous-marin. Kanon avait tout de suite désigné Camus comme l'unique responsable de ce gâchis monumental. Car malgré la profonde attraction qu'il avait aussitôt ressentie chez le garçon pour celui qui était alors son Dieu de tutelle, il n'avait jamais cessé de penser qu'Isaak aurait fait un très grand Chevalier d'Athéna.
Alors cet après-midi, lorsque celui qu'il avait jadis pris sous sa protection l'avait ouvertement qualifié de traître, Kanon aurait pu l'accepter sans broncher, puisque en définitive, ce n'était que la stricte vérité. Mais qu'Isaak eût tenu ces propos tout en chantant les louanges de Camus du Verseau, ça, Kanon avait vraiment eu du mal à l'encaisser. Pourtant il n'avait rien dit, et il avait joué son match comme si de rien n'était. Après tout, il n'était pas non plus considéré comme l'un des plus grands dissimulateurs de tous les temps totalement sans raison. Même si on en rajoutait sûrement un peu sur l'étendue de ses capacités.
Tout ça pour dire qu'il n'était finalement pas surprenant que ses aptitudes footballistiques en eussent été altérées. Mais le point positif dans cette histoire, c'était qu'à l'issue de cette intermède sportive pour laquelle il était bien incapable de désigner un vainqueur – seul Angelo semblait avoir suivi l'évolution du score et étant donné sa propension à la partialité et à la mauvaise foi, on pouvait douter de la conclusion qu'il en avait tirée – Isaak était venu lui serrer la main et s'était excusé. Et pour l'ex-Dragon des Mers, cela valait toutes les victoires du monde.
Et puis de toute façon, ils étaient tous tombés d'accord sur la nécessité de disputer une revanche. A quatre contre quatre, la confrontation n'était pas suffisamment représentative des forces en présence pour parvenir à une réelle conclusion. Donc il y aurait un match retour, en effectif complet : onze contre onze, et sur un véritable terrain. Il ne restait plus qu'à définir le lieu et la date. Et la liste des joueurs, aussi.
La tâche du sélectionneur auto-désigné de l'équipe du Sanctuaire en la personne d'Aphrodite des Poissons – galvanisé par la tenue du Championnat d'Europe de football dans sa mère patrie – ne s'annonçait certainement pas de tout repos. Par contre, le choix des joueurs serait beaucoup plus aisé pour l'équipe adverse, dont les effectifs se limitaient à six Marinas et sept Guerriers Divins. Deux remplaçants tout au plus. Et encore, à condition que tous les employés du Poséidon fussent partants pour chausser les crampons. Mais ceci ne concernait en rien Kanon des Gémeaux, tout ancien Dragon des Mers qu'il fût.
Pour terminer ses réflexions sur cette journée bien remplie, Kanon songea un instant à Thétis. Il avait été ravi de revoir la Sirène, avec qui il avait partagé nombre de moments agréables pendant les années de son service sous-marin. La jeune femme n'avait jamais exprimé le moindre ressentiment à son égard, ce qu'il ne comprenait d'ailleurs pas vraiment. Certaines personnes présentaient visiblement de meilleures dispositions que d'autres à la bonté et au pardon.
Ils avaient échangé un long moment tous les deux une fois la partie de football terminée, en abordant un vaste panel de sujets, depuis la marque qu'ils avaient choisie pour leur talkies jusqu'au palmarès des Tongs d'Or. Mais Thétis, en tacticienne experte entièrement dévouée à son vénéré Dieu, s'était attachée à ne dévoiler aucun élément crucial. La stratégie avant tout. Elle avait toutefois suffisamment choisi ses mots pour clairement faire comprendre qu'elle trouvait l'idée de ce concours totalement ridicule. Néanmoins, les décisions de Julian étaient celles de Poséidon, et demeuraient donc en tant que telles irrévocables.
Et puis quelque part à mi-chemin entre les tongs et les talkies, Kanon avait discrètement interrogé Thétis au sujet des Spectres. Car depuis leur résurrection générale, les Chevaliers d'Athéna et leurs anciens ennemis ne s'étaient côtoyés qu'à une seule occasion, lors du congrès inter-sanctuaires que les Dieux avaient décidé d'organiser tous les quatre ans, chaque année suivant la tenue des Jeux Olympiques d'été. Ce qui remontait donc déjà à trois ans.
La Sirène avait répondu que Julian, Sorrento et les trois Juges s'étaient rencontrés à plusieurs reprises au cours des douze derniers mois, dans l'intention de mettre en place des échanges interculturels. Mais aucun de ces entretiens n'avait abouti. Le monde sous-terrain était bien trop différent du leur pour permettre d'organiser ne serait-ce que la moindre petite partie de pêche.
Le Gémeaux n'avait de ce fait obtenu aucune information pour expliquer la présence de celui qu'il était certain d'avoir vu une semaine auparavant dans l'enceinte du Zodiaque. Surtout que depuis, il avait appris que Shaka et Mû avaient eux aussi détecté cette présence importune. Il n'en savait donc pas plus, et cette incertitude commençait à le rendre dingue.
Que faisait Rhadamanthe de la Wyverne à se pavaner en toute impunité au bord de son bassin ? A nager dans l'eau de sa piscine ? A se sécher à l'ombre de ses parasols ? Et tout ça, en bombant le torse et en exhibant les muscles de son dos et ses abdominaux. Les abdominaux de Rhadamanthe, qu'il savait parfaitement dessinés pour les avoir effleurés lors de leur dernier combat, lorsque son Surplis avait volé en éclats.
Les abdominaux de Rhadamanthe ?! Kanon se redressa sur son siège et interpela le barman pour commander une nouvelle bière. S'il en était au point de laisser son esprit vagabonder du côté de l'anatomie de la Wyverne, c'est qu'il n'avait pas encore suffisamment étanché sa soif. Qu'il s'interrogeât sur le pourquoi de son clin d'œil, passe encore, mais hors de question de fantasmer sur son corps de Dieu grec.
Sur son corps de Dieu grec ?!
Kanon saisit la pinte qui venait d'apparaître devant lui et se l'enfila cul-sec.
« Besoin d'un autre verre ? »
Le Gémeaux faillit recracher la dernière gorgée de sa bière et se retourna en priant sa Déesse pour que cette voix ne fût pas celle qu'il était certain d'avoir reconnue.
« Wyverne ! parvint-il à bredouiller.
- Bonsoir Kanon des Gémeaux, rétorqua le Juge d'un air grave.
- Mais qu'est-ce que tu fous là ?!
- Je t'ai suivi, évidemment.
- Sérieux ?
- Je ne sais pas. Cela te plairait que ce soit le cas ?
- Que ?... Quoi ?!
- Pardon : humour britannique. Je ne suis pas ici pour te suivre toi, mais pour suivre le match. Pure coïncidence.
- Le match ? s'étonna le guerrier d'Athéna.
- Danemark - Angleterre. La partie commence dans dix minutes.
- Ah oui. Sans intérêt.
- Tout est question de point de vue. Mais tu ne m'as pas répondu. Tu veux un autre verre ?
- C'est toi qui offres ?
- Bien entendu. Sinon je ne te le proposerai pas.
- Alors dans ce cas… »
Kanon fit volte-face pour s'adresser une nouvelle fois au barman :
« Une autre pinte, s'il vous plaît ! Et pour ce monsieur derrière moi, ce sera…
- Scotch double malt. On the rocks.
- Oh pardon, je vois qu'on n'a pas les mêmes valeurs, toi et moi.
- Tu te trompes. J'apprécie beaucoup la bière. Mais pas celle-là.
- T'aimes pas les blondes ?
- Si, mais pas les françaises.
- C'est vrai que ce ne sont pas les meilleures. Sauf quand on a soif.
- Encore une fois, tout est question de point de vue, Kanon.
- Alors à ton point de vue, Wyverne ! »
Kanon leva son verre et le porta à ses lèvres tandis que Rhadamanthe exécutait strictement les mêmes gestes. Un silence presque religieux s'étira entre les deux hommes, ce qui permit au Grec de préparer la suite de son discours. Car il était inconcevable qu'il laissât filer son inattendu vis-à-vis sans obtenir une explication.
« Alors Rhadamanthe…
- Tiens, tu as retrouvé mon prénom ?
- On t'a pas appris que c'était impoli de couper la parole ? rétorqua aussitôt le Gémeaux.
- Si. Comme de nommer quelqu'un par son seul patronyme.
- Tu veux toujours avoir le dernier mot, c'est ça ?
- Non, je ne le veux pas. Je l'ai toujours, c'est tout. Comme lors de mes combats.
- Comment ça ? s'enquit Kanon, qui sentait venir l'entourloupe.
- Ceci n'est pas le sujet pour l'instant. Et tu as raison : je t'ai honteusement interrompu dans ton propos. Alors continue, je t'en prie.
- Merci.
- De rien.
- Donc je disais… Qu'est-ce que tu fais vraiment là ? Je veux dire, à part regarder une rencontre de football sans intérêt.
- Je suis en mission pour mon vénéré Maître.
- C'est-à-dire ? Tu pourrais être plus précis ?
- Mon Souverain bien-aimé a eu vent de la compétition absurde à laquelle ont décidé de se livrer Athéna et Poséidon, et nous a donc envoyés mes frères et moi, ainsi que certains de nos serviteurs les plus fidèles, pour enquêter sur vos agissements. Car un comportement aussi insensé ne peut que dissimuler de sombres desseins.
- Attends, vous nous suspectez de comploter dans votre dos ?
- C'est exactement ça, déclara Rhadamanthe en faisant tourner son scotch dans le fond de son verre.
- Ridicule !
- C'est ce que je viens de dire. Vos agissements sont ridicules, et donc forcément suspects.
- Non, c'est votre paranoïa qui est d'une absurdité sans nom ! Faut pas chercher midi à quatorze heures ! Cette histoire de camping et de palmarès à la noix n'est certainement pas la meilleure innovation divine du dernier millénaire – en même temps, nos patrons respectifs n'ont-ils jamais eux la moindre bonne idée ?
- Modère ton langage, Kanon des Gémeaux !
- Oh là, tout doux ! Pas la peine de monter sur tes grands chevaux ! Mais je retire la fin de ma phrase, car je vois bien que ça t'énerve.
- Parfait. Alors Kanon, poursuis, s'il te plaît.
- Donc cette histoire de camping et de concours de pacotille n'est certes pas une idée des plus heureuses, mais ça n'a rien de répréhensible, en tout cas en ce qui nous concerne. Ma Déesse pense sincèrement que cette expérience permettra de resserrer nos troupes et de nous ouvrir sur le monde extérieur. Et pour ce que j'en ai vu pour l'instant, je dois bien avouer qu'elle n'a probablement pas tort.
- Je vois. Je te remercie pour ta sincérité, Kanon. Et sois assuré que je reporterai tes propos à mes frères ainsi qu'à mon Souverain.
- Cool. Mais y'a tout de même un truc que je pige pas et que je voudrais clarifier, si tu me le permets.
- Lequel ?
- Vous faites quoi de vos journées, tes frangins, tes sbires et toi ?
- Mon Souverain nous a confié la mission de reprendre la gestion d'un hôtel non loin du Zodiaque et du Poséidon.
- Quel hôtel ? Tu m'intéresses. Parce que je commence à bien connaître les environs.
- L'Elysion.
- Sans déconner ? manqua de s'étouffer le Gémeaux en entendant le nom de cet établissement cinq étoiles, le plus luxueux de toute la région.
- Oui, je sais. J'ai été choqué moi aussi. Ce nom est scandaleusement blasphématoire pour un lieu réservé à vous autres, les humains.
- Merci. C'est gentil ! Surtout n'efface pas cet air dédaigneux de ton visage.
- Pardon, je ne voulais pas te vexer, s'amenda la Wyverne.
- Évidemment… Et puis chez toi, c'est plus ou moins naturel, non ?
- De quoi parles-tu ?
- De ce côté méprisant et arrogant.
- L'arrogance est la vertu des forts, Kanon.
- Tout est question de point de vue. Et c'est pas moi qui l'ai dit ! D'ailleurs, pour en revenir à ce que tu sous-entendais tout à l'heure, au début de notre petite conversation. Tu penses réellement avoir eu le dernier mot lors de notre combat ?
- Bien entendu.
- Mais comment peux-tu paraître à ce point convaincu ?
- Parce que c'est la stricte vérité, affirma le Juge des Enfers sur un ton chirurgical.
- Mais bordel, t'étais pas là ou quoi ? Rappelle-moi qui c'est qui a explosé l'autre en particules interstellaires ?
- Celui qui s'est par ce geste donné la mort, et qui de ce fait, a perdu le combat.
- Non mais quel culot !
- Tu t'emportes, Kanon des Gémeaux.
- Et tu m'emmerdes, Rhadamanthe de la Wyverne !
- On m'avait dit que tu étais colérique et inconstant. Je constate que ces caractéristiques sont authentiques.
- Quoi ?! s'exclama le détenteur de tous ces vilains défauts. Qui ? Dis-moi qui t'a dit ça ?!
- Ton aîné, Saga des Gémeaux. Je te rappelle qu'il a un temps été à mon service. Impardonnable infamie ! Pardon, ces deux derniers mots m'ont échappé.
- Attends, tu es en train de me dire que mon frère et toi avez parlé de moi derrière mon dos ?
- C'était un élément primordial de notre collaboration : obtenir des informations sur les chevaliers d'Athéna qui étaient toujours en vie pour protéger leur Déesse.
- Et que t'a dit d'autre mon bien-aimé frangin ? Bordel, il va m'entendre celui-là ! ne put s'empêcher de maugréer le remonté cadet.
- Que tu étais aussi un homme extrêmement fort et courageux. Ce que je n'ai pu que vérifier lors de notre confrontation, et ce malgré ta défaite.
- Non mais arrête avec ça ! » s'exclama celui qui se sentait tout de même flatté par les propos de l'homme qui commençait pourtant à lui taper sur les nerfs.
« Et puis Rhadamanthe, tu sembles oublier un détail fondamental, s'empressa d'ajouter l'intérimaire le plus gradé de toute la chevalerie. J'étais sans armure lors de mon dernier assaut.
- Certes Kanon, mais cela n'altère en rien les arguments que je t'ai présentés. En cherchant à me détruire, tu t'es donné la mort, reconnaissant ainsi ton incapacité à venir à bout de moi. Et donc, tu as perdu le combat. Vérité irréfutable.
- Irréfutable ? Irréfutable ?! s'écria l'énervé.
- Pardonnez-moi, Monsieur, mais pourriez-vous baisser d'un ton, s'il vous plaît ? se permit d'interrompre le barman, avec la plus grande précaution malgré tout, ce client lui semblant un peu trop exaspéré pour ne pas être susceptible.
- Oui, oui, bien entendu ! » s'excusa le fautif avant de poursuivre plus calmement.
« Bon, Wyverne ! On n'arrivera à rien comme ça tous les deux. Je te propose donc une revanche. Tu sais jouer au football ?
- Évidemment. Je suis d'origine anglaise, je te rappelle.
- On organise un tournoi prochainement. Format classique : onze contre onze, stade réglementaire. Toi et tes Spectres n'avaient qu'à faire une équipe. Et on verra qui de nous deux viendra à bout de l'autre !
- J'accepte volontiers ta proposition. J'attends la confirmation du lieu et de la date.
- Parfait ! approuva le Gémeaux.
- Parfait ! reprit la Wyverne.
- Alors je te dis à bientôt, Rhadamanthe ?
- Oui, à bientôt, Kanon.
- Et bon match !
- Merci. »
Sur ce dernier échange presque courtois, Kanon quitta le café où il était venu chercher de la quiétude, et où il avait trouvé… il ne savait trop quoi. Un sentiment étrange habitait son esprit, mêlant une bonne dose d'agacement à une profonde excitation. Cette entrevue s'était avérée éminemment instructive, et ce sur bien des points. Et surtout… et c'était probablement le plus important, Rhadamanthe de la Wyverne n'avait pas eu le dernier mot. Et Kanon comptait bien sur ce match de football pour rappeler à son ennemi d'antan qui était sorti vainqueur de leur dernier combat.
Il ne lui restait donc plus qu'à travailler son jeu de jambes, et à convaincre ses homologues de participer à ce tournoi dont il venait d'organiser la tenue. Après tout, ils avaient déjà tous donné leur accord pour participer à leur revanche contre les Marinas, enfin pour ceux qui étaient au courant de ce petit détail. Alors jouer un tournoi en entier, ce n'était pas tellement plus compliqué. Juste un ou deux matches supplémentaires. Tout dépendrait du nombre de participants. Et pour les chevaliers qui n'avaient pas encore été informés de ces événements footballistiques… Il s'agirait de se montrer convaincant. Mais pour ça, Kanon des Gémeaux saurait trouver les arguments. Toutes sortes d'arguments.
Un peu plus tard cette nuit-là, dans une boîte de nuit parisienne
Milo du Scorpion observait la jeune femme assise en face de lui. Une mèche blonde venait de passer devant ses yeux tandis qu'elle tournait la paille de son cocktail dans le fond de son verre, et elle la replaça délicatement derrière son oreille. Elle lui sourit et il la trouva particulièrement belle. Milo l'avait abordée avec son assurance habituelle, et ils avaient accroché dès les premiers mots qu'ils avaient échangés. Car le hasard faisant effectivement parfois bien les choses, son inconnue d'une nuit était étudiante en chimie. Spécialité : les poisons neurotoxiques. Une beauté empoisonnée qui ne manquait pas de répartie et qui aurait probablement plu à Camus. Enfin, si ce dernier avait accepté d'oublier ses maudites habitudes de couche-tôt, lève-tôt, je-préfère-un-bon-bouquin-à-une-virée-entre-potes.
Camus…
Ils avaient globalement passé une bonne première journée tous les deux, même s'ils n'avaient pas beaucoup discuté pendant leur long trajet en train jusqu'à Paris. Milo s'était pourtant promis d'utiliser cette opportunité pour aborder certains sujets qu'il savait compliqués pour eux, mais qu'il jugeait primordiaux. Car le Scorpion avait parfaitement conscience que leur amitié ne tiendrait plus longtemps s'ils s'obstinaient à se taire de cette manière. Un jour ou l'autre, il devrait se résoudre à parler.
A parler des choix du Verseau et de ses silences.
A parler de combien il avait été anéanti par sa mort qu'il n'avait jamais eu ni la volonté ni la force d'accepter. A parler de la colère qui l'avait submergé et qu'il n'avait pas su contenir, au point de haïr le soleil de se lever chaque jour alors que Camus n'était plus là. A parler de ce qu'il avait ressenti lorsqu'il l'avait vu reparaître devant lui dans le temple de la Vierge, si semblable à lui-même et pourtant tellement différent.
Oui, Milo avait besoin de parler, un besoin viscéral, pour effacer la douleur qui lui avait alors vrillé les tripes et qui s'était ancrée en lui pour ne plus jamais le quitter. La douleur d'avoir perdu son meilleur ami, son frère d'arme, son confident. Et la douleur, peut-être plus grande encore, de ne pas l'avoir compris.
Car Milo n'avait pas su lire en lui cette nuit-là. Cette nuit maudite qui les avait vu s'affronter dans un combat fratricide dont il ne parvenait pas à effacer le souvenir. Cette nuit de cauchemar où il avait soumis celui qui partageait sa vie depuis toujours au venin de son Aiguille Écarlate. Cette nuit de honte où il avait voulu tout oublier de l'homme qui se trouvait pourtant au cœur de son existence.
Et depuis cette nuit-là, le silence s'était abattu entre eux, bien plus cruel que les mots prononcés par colère et par haine. Et depuis ce matin-là, lorsqu'il était revenu à la vie accablé par le doute et par la culpabilité, Milo n'avait pas trouvé le courage d'affronter Camus pour lui demander pardon et pour essayer de comprendre. Comprendre pourquoi il s'était sacrifié pour son disciple sans lui avoir accordé la moindre explication, en le laissant tout seul.
Alors Milo s'était contenté d'agir comme à son habitude, en mettant en pratique ce dans quoi il avait toujours excellé. Faire ce que l'on attendait de lui. Faire semblant. Faire comme si tout allait bien. Et vivre, pour combler le vide.
Et le vide, il l'avait comblé, grâce à la profonde amitié qu'il avait tissée avec Kanon, bien qu'elle fût teintée de rivalité et d'une certaine forme d'ambiguïté. Mais aussi, il devait le reconnaître, d'une façon bien moins respectable, en multipliant les expériences d'une seule nuit avec toutes sortes de partenaires, alors qu'il avait la certitude de ne jamais être satisfait. Parce qu'une seule personne pouvait le rendre vivant à nouveau. Le chevalier Camus du Verseau, son meilleur ami depuis toujours, qu'il était pourtant sur le point de perdre à cause de sa lâcheté et de son silence.
Milo releva les yeux vers la jeune femme qui l'observait sans parler, et lui accorda son plus beau sourire. Puis il la prit par la main pour l'entraîner vers la sortie de la discothèque.
Combler le vide. Pour ne plus être seul. Jamais.
Le lendemain matin, dans la chambre d'un hôtel parisien
Milo ouvrit les yeux et se tourna sur le côté. Un bruit caractéristique en provenance de la salle de bain lui fit comprendre pourquoi celle qui avait partagé son lit n'était plus là. Il se remit sur le dos et cligna des paupières.
Il avait apprécié faire l'amour avec elle. Elle lui avait donné du plaisir, et il avait l'impression de l'avoir satisfaite. Mais comme à chaque fois, cela n'avait pas suffi pour apaiser sa nuit.
Toujours le même cauchemar, toujours la même douleur. Et le froid. Semblable à celui qui l'avait submergé lorsqu'il avait pénétré dans le Onzième temple ce soir-là et qu'il avait serré son corps sans vie entre ses bras.
Milo passa une main sur son visage, comme pour effacer ce souvenir qu'il ne supportait plus. Il se promit alors de tout faire pour parler à Camus d'ici la fin de leur séjour. Il trouverait un moyen, n'importe lequel, quitte à le traîner en boîte contre sa volonté pour se bourrer la gueule avec lui.
Mais en attendant, les chiffres inscrits en rouge sur le radio-réveil lui indiquaient qu'il était temps pour lui de se lever. Surtout s'il voulait rejoindre Gabrielle dans la douche pour lui faire l'amour une dernière fois. Gabrielle… C'était un joli prénom. D'habitude, il ne préférait pas savoir. Mais cette nuit, il avait eu envie de connaître l'identité de celle avec qui il avait essayé d'oublier.
Et après, il la laisserait partir pour aller le retrouver.
A suivre…
Merci pour votre lecture.
Référence pour le titre du chapitre 6 : Baby One More Time, Britney Spears, 1998
