Chapitre 2 - "Pourquoi elle ?"

Il faisait bien trop chaud pour un mois d'avril en Ecosse. Il y a encore quelques années, lorsque Maggie parlait du "réchauffement climatique", Rose avait tendance à rire - en partie parce qu'elle comprenait un mot sur trois, mais aussi parce que le concept lui-même lui paraissait absurde. Maintenant, alors qu'elle remontait les pentes vertes menant à l'entrée du château sous un soleil de plomb à seulement 10h du matin, transpirant à grosses gouttes sous sa cape de sorcière soudain superflue, les théories moldues de son amie ne lui semblaient plus si stupides. Lorsqu'elle avait commencé sa scolarité à Poudlard, les grosses chaleurs commençaient à devenir insupportables à la mi-mai et les élèves profitaient d'un temps clément au printemps avant de devoir se réfugier dans les salles fraîches du bâtiment de pierre à l'approche des examens. Mais les ASPIC n'auraient pas lieu avant encore six semaines et déjà, plusieurs troisièmes années se baladaient torse-nus aux abords du lac et du haut de la pente surplombant le parc, Rose apercevait plus d'une entorse vestimentaire au règlement.

Elle se contenta d'essuyer la sueur de son front avec un pan de sa robe noire et de marcher vers la Grande Porte. McGonagall aurait peut-être le bon cœur de ne pas tenir compte de son allure déplorable ou, mieux encore, d'alléger dès à présent la tenue réglementaire pour éviter que ses élèves se transforment en saucisses cuites à l'étouffée. Après tout, c'était la directrice qui l'avait convoquée en plein milieu de son cours, la forçant à ramasser ses affaires en quelques secondes et retourner au château au pas de course, sans préciser ce qu'elle lui voulait. Et Peeve qui avait encore condamné l'accès entre les serres et les salles de cours ! Non contente d'être dans un état déplorable, elle était surtout en retard, et la jeune femme pressa le pas.

Quelle que soit la raison de sa convocation, Rose espérait que ça n'avait rien à voir ni avec son frère, qui allait très bien lorsqu'elle lui avait dit au revoir la veille chez leurs parents, ni avec Maggie, qu'elle avait à peine aperçu hier soir avant qu'elle ne disparaisse du dortoir pour réapparaître au début du cours de Botanique. Rose n'avait même pas eu le temps de lui demander où elle était passée qu'un fantôme avait débarqué entre deux plans de plantes médicinales, provoquant un petit cri apeuré au professeur Londubat.

"Oh, excusez-moi, professeur ! s'était exclamé le spectre en s'extirpant d'une citrouille. Cas de force majeure, j'ai dû improviser.

-Je vous en prie, avait répondu Londubat d'une voix plus aiguë qu'à l'accoutumée. En quoi puis-je vous aider ?

-Je crains de devoir vous enlever une élève. Miss Granger-Weasley est convoquée chez la Directrice McGonagall. Le plus rapidement possible, bien entendu.

-Oh ! Dans ce cas… Rose, vous avez entendu ? Prenez vos affaires, je doute que vous ayez le temps de revenir.

-Oui professeur."

Rose aurait bien demandé au fantôme si McGonagall avait ajouté quelque chose concernant sa venue, mais déjà un filament poisseux de lumière argentée s'enfonçait dans le mur du château, et elle n'avait pas eu d'autre choix que de marcher jusqu'à la porte principale, de l'autre côté du parc.

En entrant dans le bâtiment au pas de course - elle avait bien perdu dix minutes, entre la chaleur et la foule d'étudiants désoeuvrés étalée n'importe comme dans le parc - Rose accéléra encore davantage pour rejoindre l'accès au bureau de la directrice. Si elle ne l'avait pas beaucoup fréquenté en sept ans, elle avait en revanche l'impression d'y passer ses journées, depuis quelques mois ! Le départ de son frère lui avait valu pas moins de trois rendez-vous avec la directrice.

En atteignant le renfoncement du mur, elle n'eut même pas besoin de prononcer le mot de passe que la gargouille révéla l'escalier en colimaçon menant au bureau. Quelques éclats de voix familiers parvinrent à la jeune femme et la porte de la pièce était grande ouverte lorsqu'elle arriva en haut.

"Dix semaines, Minerva ! Presque un trimestre entier, c'est largement suffisant !

-Calmez-vous, Bill. C'est le conseil d'administration qui a prononcé cette sanction, et estimez-vous heureux car si ça ne tenait qu'à moi, il aurait été exclu jusqu'à la fin de l'année ! Ah, Miss Granger-Weasley ! s'exclama la directrice en apercevant Rose dans l'embrasure de la porte. Entrez, je vous en prie."

Rose eut un mouvement de recul malgré le ton chaleureux de McGonagall. Elle ne s'attendait pas à voir son oncle et sa tante, tout aussi furibond l'un que l'autre, et eut soudain la désagréable impression d'être prise au piège. Pour des raisons évidentes, il n'y avait pas eu de traditionnelle réunion de famille à l'occasion de Pâques et tout le monde s'en était trouvé soulagé, Rose la première. Elle n'avait aucune envie de voir son abruti de cousin parader en racontant à qui voulait l'entendre que Beauxbâton était "une vraie école digne de ce nom", et encore moins de croiser Albus qui, à n'en pas douter, la haïssait de toute son âme. Son père comme sa mère avaient eu beau lui dire qu'elle avait bien agit, son oncle Harry et sa tante Ginny avaient eut beau venir la remercier en personne en débarquant à l'improviste chez ses parents, Albus n'avait pas pointé le bout de son nez. Hier dans le train, il était passé devant son compartiment sans même un regard pour elle.

Rose ne s'était jamais sentie plus coupable de toute sa vie, et ce n'était pas peu dire pour quelqu'un qui avait vécu la fugue de son frère et le harcèlement de sa meilleure amie en l'espace de trois mois.

Devant son oncle et sa tante, en revanche, elle se sentait plus en colère que coupable, et le regard contrit de la directrice d'école l'agaçait encore plus. Bill et Fleur, assis devant le bureau de la directrice, lui adressèrent un discret signe de la tête avant de se tourner de nouveau vers McGonagall. Leur attitude n'avait rien de très hostile, et pourtant. Cette confrontation s'annonçait désagréable.

"Vous vouliez me voir, professeur ? demanda-t-elle d'une voix qu'elle voulait légère, mais qui sortit dure et un peu méprisante.

-Oui, merci d'être venue aussi rapidement. Avec vos oncle et tante…

-Pourquoi elle ? interrompit une voix haut perchée."

Rose fit volte-face. Là, dans le gros fauteuil en face de la cheminée éteinte, assis au bord du coussin de velours comme s'il menaçait de tomber à tout moment, Louis fixait la pointe de ses chaussures. La première chose que Rose remarqua, c'est qu'il avait maigri. Pas beaucoup, mais assez pour que ses traits paraissent tendus et ses pommettes plus saillantes qu'à l'accoutumée. Il avait perdu de sa superbe, aussi, et ses cheveux d'habitude si bien coiffés et gominés retombaient en mèches folles et grasses sur son front. Surtout, il esquivait son regard comme si sa vie en dépendait, se mordillant les lèvres - mais ce timbre déplaisant et trop aigüe était bien le sien.

"Je vous demande pardon, Monsieur Weasley ?"

La voix de McGonagall trahissait une pointe d'agacement et Louis se recroquevilla davantage sur lui-même. Du coin de l'œil, Rose vit Fleur serrer le poing et Bill lui caresser l'épaule comme pour l'apaiser. Ils composaient un triste tableau, tous les trois, maintenant que Rose pouvait tous les voir. Louis surtout. La dernière fois qu'il était apparu aussi vulnérable, c'était lorsque sa mère avait fini à St Mangouste - et il avait six ou sept ans.

"Pourquoi elle ? finit-il par demander à nouveau en articulant à peine, les yeux rivés au sol. Elle me déteste.

-Vous n'imaginez tout de même pas que nous allons laisser à un de vos camarades la charge de l'évaluation de votre réintégration au sein de l'établissement, Monsieur Weasley ? Miss Granger est une élève parfaitement capable, douée et elle sera en mesure de nous alerter si…

-Réintégration ? murmura Rose en fronçant les sourcils. Je croyais qu'il était exclu !

-Temporairement, acquiesça la directrice. Le conseil d'administration avait prononcé son exclusion pour un trimestre entier.

-Quoi ?!"

Le sang de Rose ne fait qu'un tour. Mais Maggie avait dit… Enfin, de ce qu'ils avaient tous compris d'après les rumeurs suivant le départ de son cousin, il était exclu pour de bon !

Un claquement de langue de la part de sa tante lui fit comprendre que sa réaction était innapropriée, et le regard courroucé de Fleur lorsque Rose tourna les yeux vers elle lui indiqua qu'il valait mieux qu'elle se taise. Mais l'image de son petit frère le soir de sa fugue s'imposa à elle, et l'idée que lui ne reviendrait pas au château, à l'inverse du crétin violent et stupide qui lui servait de cousin, acheva de la mettre en colère.

"Je croyais qu'il avait été définitivement exclu, adressa Rose à la directrice sans un regard pour ses oncles et tantes. Je ne comprends pas que ça ne soit pas le cas, d'ailleurs.

-De toute l'histoire de Poudlard, répondit McGonagall sans prêter attention au reniflement agacé de Bill, un seul élève a été définitivement exclu de l'école. Et il avait été accusé d'avoir assassiné une élève. L'exclusion est une peine majeure, et…

-Le harcèlement de mon petit frère ne méritait pas une peine majeure ? s'exclama Rose, outrée par ce qu'elle venait d'entendre. Il l'a poussé à fuguer !

-Et il a été puni pour ça, s'éleva la voix sans appel de Fleur. Il a compris son erreur, n'est-ce pas, Louis ?"

Comme s'il avait été piqué par une guêpe, Louis se rétracta sur son siège, baissant les yeux et hochant la tête en fixant le sol. Il avait l'air terrifié, cette fois-ci. Rose n'avait jamais pris le temps de réfléchir à ce qui avait bien pu arriver à son cousin, ou les discussions qu'il avait pu avoir avec ses parents, après la fugue de Louis. Elle était juste soulagée qu'il ne puisse plus atteindre son frère, Maggie - Merlin, si Louis avait été là pendant l'histoire de la photo ! - ou un autre élève. Maintenant qu'elle le voyait si vulnérable, apeuré par la voix de sa mère, elle imaginait pour la première fois les cris et les larmes qu'avait pu engendrer le passage de son cousin en conseil de discipline.

"Rose, reprit Bill après un silence général, je sais que tu ne portes pas Louis dans ton cœur. Mais c'est pour cette raison que lorsque Minerva a proposé que ça soit toi qui soit chargée d'évaluer sa réintégration au sein de l'établissement, Fleur et moi avons immédiatement accepté."

La mine dégoûté de sa tante lorsqu'elle croisa son regard fit douter Rose du fait qu'elle n'ai pas hésité à son sujet, mais elle se tut.

"Nous comprenons très bien qu'il n'est pas possible que Louis revienne à Poudlard dans les mêmes conditions qu'avant, continua Bill. Lorsqu'il a été exclu un trimestre suite à… l'incident, proposa-t-il en esquivant du mieux qu'il pu, il a toujours été question qu'il puisse réintégrer l'école le plus rapidement possible, d'autant que Beauxbâtons refuse de l'inscrire. N'est-ce pas, Madame la directrice ?

-Oui, concéda du bout des lèvres McGonagall, mais à condition que son retour n'engendre aucun désagréments pour les autres élèves, notamment ceux qui auraient pu souffrir de son attitude par le passé.

-C'est pour cela que vous m'avez fait venir ? murmura Rose, incrédule. Je dois lui servir de babysitter ?

-Pas exactement, Miss Granger-Weasley. L'équipe pédagogique s'occupera des retenues de Monsieur Weasley, ce n'est pas votre rôle. Mais nous cherchons un tuteur pour pallier au semestre qu'il a loupé, et pour rattraper le programme d'Étude des Moldus, auquel il sera désormais tenu d'assister jusqu'à la fin de sa scolarité. Après un trimestre déscolarisé, nous ne savons pas s'il pourra continuer à étudier en septième année l'année prochaine, et le tutorat d'un élève plus âgé nous paraît plus intéressant que de multiples retenues - qu'il recevra également, puisque Monsieur Weasley est privé de sorties à Pré-au-Lard jusqu'à la fin de l'année. J'ai d'abord pensé à Miss Taylor, cependant…

-Pas Maggie, répondit Rose d'un ton précipité. Professeur, vous ne pouvez pas demander à Maggie !

-Je suis bien d'accord avec vous, acquiesça McGonagall d'une voix douce. Miss Taylor a d'autres chats à fouetter. D'autres élèves de septième années pourraient également faire l'affaire, mais avec les ASPIC qui arrivent, j'ai peur de soustraire quelqu'un à ses révisions. Vos excellents résultats, en revanche, couplés à votre connaissance partielle du monde moldu, font de vous une candidate idéale. Et à titre personnel, je me suis dit que vous seriez également rassurée de tenir ce rôle, Miss Granger-Weasley."

Rassurée ? Pendant quelques secondes, Rose se demanda ce que la directrice voulait entendre par là. Non, la perspective de passer plusieurs heures avec son cousin à le forcer à réviser et rattraper trois ans de cours sur les moldus n'avait rien de rassurant. Mais en y réfléchissant bien, les moments qu'elle passerait avec lui seraient aussi des moments où il ne serait pas livré à sa bande de suiveurs débiles et où il ne pourrait pas embêter le reste de l'école. Elle aurait la possibilité d'évaluer ses progrès et de les transmettre à McGonagall en surveillant son cousin jusqu'à la fin de l'année. Surtout, elle pourrait éviter qu'il s'en prenne à Maggie ou Scorpius - surtout Maggie. À la moindre incartade, Rose aurait l'oreille directe de la directrice pour agir et faire exclure Louis pour de bon. Oui, cette position avait quelque chose de rassurant, tout compte fait.

Sans même s'en apercevoir, Rose hocha la tête d'un air absent.

"Parfait, c'est donc décidé ! s'écria McGonagall d'un ton empreint de soulagement. Je pensais que vous pourriez aider Monsieur Weasley deux fois par semaine, les soirs ou après-midi qui conviennent le mieux à votre emploi du temps. Et, pour que vous en tiriez tout de même un bénéfice, je vous propose de donner vingt points supplémentaires à Serdaigle par cours assuré. Je ne peux malheureusement pas influer sur votre notes d'ASPIC, j'espère que vous le comprendrez.

-Oui, professeur, répondit Rose à qui l'idée n'était même pas venue."

La directrice continuait de lui donner des précisions sur le travail à venir, les horaires et le premier cours, mais Rose n'écoutait plus que d'une oreille distraite, évitant avec soin de tourner la tête vers Louis dont elle sentait les yeux posés sur sa nuque. Maintenant qu'elle avait accepté, elle n'avait qu'une seule envie : déguarpir le plus vite possible de ce bureau et se soustraire aux regards défiants de son cousin et sa tante pour tout raconter à ses amis.

"-Mais nous avons encore des choses à régler avec Monsieur Weasley et ses parents concernant l'attitude à avoir dans la salle commune, et je m'en voudrai de vous faire louper l'intégralité de votre cours de Botanique. Je vous ferai parvenir un hibou dans la semaine avec toutes les modalités à l'intérieur, est-ce que cela vous convient, Miss Granger-Weasley ?

-Oui, professeur. Je peux partir, alors ? demanda Rose d'une voix mal-assurée après un silence un peu long.

-Je vous en prie."

Sans demander son reste, elle hocha la tête et adressa un signe entre le remerciement et les salutations à son oncle et sa tante, sans un regard pour son cousin. Lorsque la porte du bureau se referma sur elle, Rose laissa échapper un énorme soupir, se rendant compte qu'elle avait cessé de respirer pendant une partie de l'entretien - peut-être lorsqu'elle avait aperçu Louis dans son siège, parce que rien qu'en repensant à sa tête de fouine, elle se mit à serrer les poings. D'un bond, elle rejoignit le bas de l'escalier et prit le chemin des serres au pas de course, impatiente de raconter à Maggie et Augustus que l'autre crétin arrogant était de retour - mais qu'il avait pas mal perdu de sa superbe, cette fois-ci.