Louis
Ce qui me soûle le plus, ça doit être leur pitié. Moi, plains par cette bande de crétins incapables de voir plus loin que le bout de leur nez si je ne pointe pas l'évidence du doigt ? Quelle blague ! Là tout de suite, c'est la tête d'Eames qui me met le plus hors de moi. Il baisse les yeux, incapable de me regarder, il fixe le sol en se tordant les mains et quand nos regards se croisent, il a le culot de m'adresser un sourire de compassion. Je vais le tuer.
"C'était bien, Beauxbâtons ? lance Raban avant que j'ai eu le temps d'en coller une à Eames.
-J'ai pas été à Beauxbâtons, je grogne en baissant les yeux. Ils ont refusé mon dossier pour actes de violence, ces abrutis, sinon crois-bien que je serai pas revenu dans ce trou à rat."
Ils hochent la tête, mais je sens qu'ils ne me croient pas et ça m'énerve encore plus. J'ai plus envie de voir leurs tronches, ils me saoulent, à attendre que je leur dise quoi faire comme si c'était des larbins. Ça m'amuse plus, d'être leur chef. J'en ai marre d'avoir une bande de crétins sans cervelle incapables de s'opposer à moi pour toute compagnie. J'ai l'impression d'être toujours seul. En cas de coup dur, c'est chacun pour sa pomme. Je peux pas compter sur eux.
"Où tu vas ? me demande Flood quand je saute de la table pour quitter la salle de classe étouffante.
-Dehors. J'ai besoin d'air.
-Tu veux qu'on t'accompagne ?
-Je suis pas malade, Eames, j'ai pas besoin d'une infirmière ! Et t'es pas un clebs, je crache, décide par toi-même pour une fois !"
Autant dire que personne ne me suit quand je quitte la salle de classe.
Tant mieux.
Ils me gavent. Ils me gavaient pas autant, quand je suis parti. Je leur en veux, mais je sais pas pourquoi. Ils ont rien fait ni de mal, ni de bien et pourtant, j'ai plus envie de voir leur tronche. J'ai envie d'hurler sur tout le monde, tout le temps. Y a que ça, de la rage.
La pitié me fout en rogne. La colère me fout en rogne aussi. Les remontrances de Papa, la déception de Maman, c'était affreux. Trois mois bloqués à la maison avec eux, c'était horrible. J'ai jamais rien connu de plus froid. Ils étaient déçus, tristes, et inquiets. C'est pas ce que je voulais, c'est jamais ce que j'ai voulu. Le pire, c'est que c'est pas la faute du Cracmol, ou de Malefoy, ou de je-ne-sais quel imbécile de première année qui serait allé cafter… Je sais, j'ai compris que j'ai réussi à faire pleurer mes parents tout seul comme un grand, que c'est ma faute, et ça me rend dingue.
Le visage de ma mère, le teint brouillé de larmes, me passe devant les yeux et d'instinct, je tape. Bam ! Le poing en plein dans le mur, les phalanges égratignées, du sang qui perle sur la peau. Ça résout rien, mais ça aide un peu parce que maintenant, je vois là où j'ai mal. Je sais comment soigner, ça, comment soulager alors que le reste…
"Louis, ça va ?"
Merde, c'est qui, ça ? Je connais cette voix, mais on est juste à côté des cuisines, qu'est-ce qu'elle fout là, elle ? Je suis rentré hier, hier ! Pourquoi tout le château me tombe dessus ? Pourquoi tout le monde me tombe toujours dessus ? Je me retourne et tombe nez à nez avec une de mes nombreuses cousines.
Adossée au mur à quelques pas des tonneaux qui servent d'entrée à la Salle Commune de Poufsouffle, un pied contre le mur, Lily me fixe, un sourire mesquin aux lèvres. Elle fait un pas vers moi et je recule d'instinct.
"Tu saignes, dit Lily d'une voix froide.
-Merci, j'ai vu, j'suis pas aveugle.
-Ton séjour à Beauxbâtons t'a pas rendu plus agréable, à ce que je vois."
Elle ne se moque même pas, y a rien dans sa voix. Elle s'en fiche, en fait, que je l'envoie paître. Même les gamins comme elle, ils ont plus peur. Plus de respect.
"Pas que ça te regarde, mais j'y suis pas allé. Ils voulaient pas de moi.
-On les comprend. Fais voir ta main.
-Quoi ? Non ! Pourquoi ?
-Aller, arrête de faire l'enfant, fais voir !"
Et elle attrape ma main, et puis sans délicatesse, encore ! J'essaye de me dégager, mais elle presse sur mes phalanges qui saignent et ça fait mal. Elle sort sa baguette d'un mouvement fluide et pendant un quart de seconde, j'ai vraiment peur. Est-ce qu'elle va oser me faire mal ? Elle, je l'ai jamais trop cherchée parce qu'il paraît que sa mère est une duelliste redoutable. Elle a aucune raison de se venger, mais je sais qu'elle aime bien son cousin Cracmol… J'aime même pas vraiment Eames mais si quelqu'un le touchait, le gars le paierait cher. Merde !
"Episkey."
Ma main se met soudain à chauffer avant de devenir glaciale et je la retire d'un coup sec. J'ouvre et ferme la paume alors que la sensation de froid s'estompe peu à peu. Elle m'a soigné, c'est ça qu'elle a fait. Plus une trace de plaie sur mes phalanges et mon poing qui commençait à virer au violet est redevenu rosé.
"Pourquoi ? je demande en plissant les yeux. Tu veux quoi, toi ?
-Rien, ricane-t-elle. Qu'est-ce que je pourrais bien vouloir de toi, hein ? Tu sais mieux que moi que tu ne sers à rien et que tu n'as rien à apporter à personne, Louis."
Elle aurait pu me gifler, j'aurais eu plus de souffle. Je n'ai même pas le temps de rétorquer qu'elle me bouscule pour passer et me laisse en plan au milieu du couloir. Quelle garce !
Le pire, c'est qu'elle a raison.
